Texte intégral
Le Quotidien de Paris : 27 janvier 1993
Le Quotidien : Vous vous retrouvez assigné en justice par un couple parce que vous ne l'avez pas marié au moment où il le demandait. Que s'est-il passé exactement ?
Dominique Baudis : Je ne refuse de marier personne, mais dès lors que l'un des deux époux est en situation irrégulière, je dois en informer le procureur de la République et attendre ses instructions. C'est ce que j'ai fait pour l'affaire concernant Mohamed Sebri et Najat Haffai. Toute la question est donc de savoir si un maire doit procéder au mariage d'un clandestin de façon automatique. Pour moi, la réponse est non et j'ai donc agi selon la loi afin de permettre au parquet de s'assurer de la sincérité des époux.
Le Quotidien : Que vous reprochent ces deux personnes alors ?
Dominique Baudis : Nous n'avons pas la même interprétation de cette loi. D'après l'avocat de la partie adverse, je bafoue la convention européenne car j'attends la réponse du parquet. Il faut savoir que le dossier de demande de mariage a été déposé fin juin et que j'ai saisi le procureur le 6 juillet. Je n'ai donc fait que mon devoir. Il se trouve que j'ai reçu hier la réponse du procureur qui m'assure que rien ne permet de penser à un mariage de complaisance. Dans ce cas, plus rien ne s'y oppose.
Le Quotidien : Justement, ne doit-on pas craindre une dérive de la part des maires, à demander vérification auprès de la justice après toute demande de la part d'étrangers ?
Dominique Baudis : Pas du tout. Il ne s'agit là que de mariages concernant les étrangers en situation irrégulière. Or on a constaté trop d'abus, notamment dans les grandes villes. C'est un type de fraude qui tend à se généraliser pour obtenir la nationalité française de façon aisée et les maires doivent donc être vigilants. La preuve, le 6 juillet j'avais fait deux demandes vérification. Pour celle qui ne concerne pas le couple qui m'assigne en justice, les services de police ont découvert que la femme avait été l'objet de pressions de la part de son compagnon pour accepter le mariage et celui-ci n'est donc plus à l'ordre du jour.
Le Quotidien : Que doit-on faire d'un point de vue législatif pour régler ce problème ?
Dominique Baudis : C'est un autre débat sur lequel je préfère ne pas me prononcer : aujourd'hui, je vais devant le tribunal pour faire établir que j'ai respecté la loi. Dans l'immédiat, j'ai choisi d'assurer ma propre défense car l'avocat de M. Sebri a tenu des propos inacceptables à mon égard, m'accusant implicitement de xénophobie. J'estime que la réponse du tribunal aura une grande importance pour savoir comment se régleront ces affaires dans l'avenir.
Valeurs actuelles : 1er février 1993
Valeurs actuelles : Qu'attendez-vous du jugement en référé vous concernant ?
Dominique Baudis : Simplement que le couple qui m'assigne soit débouté. Contrairement à ses allégations je n'ai fait qu'appliquer scrupuleusement la loi. Avant de célébrer cette union, j'avais l'obligation de saisir le procureur de la République et d'attendre ses instructions puisque le jeune Marocain était en situation irrégulière.
Il n'y a donc de ma part aucun acharnement. Et j'attaquerai en diffamation l'avocat du couple qui s'est répandu en déclarations inacceptables sur mon compte, m'assimilant à un xénophobe.
Valeurs actuelles : Pourtant la législation sur le mariage impose au maire de célébrer toute union, pour peu que les futurs époux soient libres et consentants.
Dominique Baudis : Dans ces affaires, nous sommes à la croisée de plusieurs questions : le mariage, les règles de l'État civil, la Convention européenne des Droits de l'Homme. Dans le même temps, nécessité nous est faite d'être vigilants sur les circuits alimentant l'immigration clandestine.
Plusieurs affaires ont révélé que se développe un véritable trafic : des étrangers qui paient des Françaises pour les épouser, acquérir un titre de séjour puis la nationalité. À Toulouse, nous avons célébré 350 mariages mixtes en 1992. En 1991, sur ces mariages, 51 % des conjoints étaient en situation irrégulière. Comprenez que les maires s'inquiètent !
Valeurs actuelles : La réponse du procureur, que vous avez saisi le 6 juillet, a quand même mis six mois à vous parvenir…
Dominique Baudis : C'est vrai. Mais cette situation reflète surtout le manque de moyens de la justice française. Au reste, la réponse du procureur me conforte dans ma position. Je lui ai soumis deux cas de mariage mixte dans ma lettre. Son enquête a révélé que l'une des deux jeunes femmes avait fait l'objet de pressions. Mon action a donc permis d'éviter au moins un drame.
Valeurs actuelles : Pourquoi tenez-vous à assumer votre propre défense lors du procès ?
Dominique Baudis : D'abord parce que l'affaire aborde une question grave qui m'a amené à saisir le ministre de l'intérieur en décembre dernier. Les maires de France attendent des éclaircissements sur la pratique législative en matière de mariages mixtes.
Ensuite, cette citation à comparaître est de nature à me porter préjudice. À huit semaines des législatives, j'ai du mal à croire à une coïncidence. D'autant que l'affaire s'accompagne. D'autant que l'affaire s'accompagne d'une série de déclarations tonitruantes à mon encontre, dans la presse locale et régionale. Mais je ne céderai à aucune manipulation.
Le Figaro Magazine : 6 février 1993
Halte aux mariages de complaisance !
Le tribunal de Toulouse doit se prononcer sur une affaire déclenchée par l'avocat d'un couple désirant se marier, dont l'un des futurs conjoints, de nationalité étrangère, se trouvait en situation irrégulière sur le territoire national. Derrière ce dossier, on trouve un problème grave qui concerne les 36 000 maires de France et, au-delà, chaque citoyen.
On a la certitude aujourd'hui que, dans certains cas, les guichets de l'état civil de nos communes sont transformés, malgré eux, grâce à l'acte de mariage, en filières de régularisation de l'immigration clandestine. M. Manceau Long écrivait récemment dans un article à ce sujet : « C'est une fraude qui tend à se généraliser au point que certains maires refusent de célébrer des mariages qui leur paraissent arrangés et tarifiés. »
Pour ma part, j'ai pris conscience de ce problème en regardant de plus près les statistiques des mariages, réalisées à la mairie de Toulouse. Plus de 30 % des mariages « mixtes », c'est-à-dire qu'ils unissent une personne de nationalité étrangère à une personne de nationalité française. Dans un premier temps, j'ai vu là un signe encourageant d'intégration des populations étrangères. J'ai malheureusement découvert que derrière ces chiffres s'en dissimulait un autre, extrêmement alarmant celui-là : en 1991, dans plus de la moitié des cas (51 %), le conjoint étranger était en situation irrégulière. Il faut savoir que, pour une personne d'origine étrangère, le fait d'être mariée avec un conjoint français lui donne automatique droit à l'obtention d'un titre de séjour valable dix ans ; et, au bout de six mois, elle peut demander la nationalité française.
La croissance considérable du nombre de mariages mixtes dont le futur conjoint se trouve en situation irrégulière sur le territoire nationale est due en partie à l'établissement d'une véritable filière de régularisation de l'immigration clandestine. Dans bien des cas, l'union est sans doute parfaitement sincère. Mais dans beaucoup d'autres, un des conjoints agit sous la pression ou en échange d'une somme d'argent.
Que peut faire le maire pour s'assurer qu'il ne se rend pas complice, à son insu, d'un mariage qui ne serait pas libre ou sincère ? J'ai posé cette question à M. Quilès, ministre d'Intérieur, lors des questions d'actualité à l'Assemblée nationale. Dans sa réponse, le ministre précise : « S'il a connaissance du caractère irrégulier du séjour de l'un des futurs conjoints, l'officier d'état civil doit, conformément à l'article 40 du code de procédure pénale, informer le parquet de l'infraction constatée. Si des poursuites pénales ne sont pas engagées pour séjour irrégulier, le préfet compétent doit prononcer, à l'encontre de ‘intéressé, un arrêté de reconduite à la frontière. »
Ainsi, le maire qui se trouve face à la demande de mariage d'une personne d'origine étrangère en situation irrégulière sur le territoire national doit saisir le parquet. Comme officier d'état civil, le maire agit en représentant de l'État, sous la responsabilité du procureur de la République. Le maire doit donc attendre les instructions du procureur pour savoir si, oui ou non, il peut prononcer le mariage. Mais il faut être clair : ce n'est pas le fait que la personne est d'origine étrangère qui motive cette procédure ; c'est seulement sa qualité de clandestin qui pose un véritable problème.
Certains mouvements, comme SOS-Racisme, tentent de faire l'amalgame entre étrangers et clandestins afin de porter atteinte à l'honneur des maires qui se montrent vigilants. C'est dangereux, et cela va à l'encontre de l'intérêt des ressortissants étrangers qui, dans leur plus grande part, préfèrent l'intégration douce à la revendication militante.
C'est pour cela que j'ai voulu aller moi-même devant le juge des référés de Toulouse, car un maire ne peut rester passif devant la tentative de détournement de fonction opérée sur l'institution qui constitue la base de la cellule familiale : le mariage.