Texte intégral
Le Quotidien de Paris : 23 juillet 1993
Le Quotidien : Le Marais poitevin est-il menacé par le projet d'autoroute reliant Nantes à Bordeaux ?
Bernard Bosson : C'est de la désinformation ! Contrairement à ce que l'on dit depuis mercredi, je n'ai jamais évoqué une telle hypothèse. C'est avant tout le fruit des vociférations de Ségolène Royal qui souffre de ne plus voir les « média » aussi souvent qu'avant.
Le Quotidien : Vous avez employé le verbe « écorner », qui dans sa plus stricte acception signifie « casser, endommager un angle ». Cela permet peut-être de comprendre les craintes de beaucoup de personnes, politiques ou non.
Bernard Bosson : Merci de me permettre de rétablir la vérité. Je suis arrivé au ministère en trouvant ce dossier sur la table. L'autoroute était déjà entamée. Un seul tracé, dit de Saint-Liguoire, était envisagé. Il avait d'ailleurs reçu un avis défavorable de la commission d'enquête. Aucun tracé nord permettant de contourner le Marais poitevin n'avait été mis à l'étude, et, aujourd'hui où j'ouvre une enquête publique destinée à étudier plusieurs tracés dont évidemment les tracés nord on vient me conspuer. Mais que ne l'ont-ils fait avant ? De plus, je me suis trouvé entre d'un côté les élus de Pays de Loire qui insistent pour que l'autoroute soit prolongée, car elle est arrêtée en pleine campagne et de l'autre les élus de Poitou-Charentes. La décision que j'ai prise est la suivante : prolonger la construction de 50 km au sud de Saint-Ermine, et écarter le tracé de Saint-Liguoine. À partir de là, j'ai lancé l'enquête publique recouvrant tous les cas de figure dont évidemment un tracé au sud, qui est le trajet le plus direct possible, mais qui pose le problème du Marais poitevin. Je suis honnête. Il est évident qu'au sud nous touchons au bord du marais. Maintenant, l'enquête définira si c'est une atteinte sérieuse au Marais ou non. Une sérieuse enquête écologique et géologique sera donc nécessaire et est prévue dans le cadre de l'enquête. Je rappelle que sur ce dossier, je suis en totale harmonie avec mon collègue de l'environnement Michel Barnier.
Le Quotidien : Quels seront les délais de l'enquête ?
Bernard Bosson : Douze à seize mois.
Le Quotidien : Ce dossier nous amène naturellement sur le terrain de la politique intérieure. Nous sommes en période de cohabitation. Ne craignez-vous pas une tension avec le président de La République qui est très attaché à cette région ?
Bernard Bosson : Je ne pense pas que le président pourrait critiquer le premier de ses ministres successifs de l'équipement qui ait ouvert une enquête. De toutes les façons, rassurez-vous, il n'est pas question de porter atteinte au Marais poitevin.
France 2 : 26 juillet 1993
G. Leclerc : Vous osez vous opposer à S. Royal à propos du Marais poitevin ?
Bernard Besson : Il y a ce qu'on appelle la route des estuaires, qui va de Belgique en Espagne, c'est une chance formidable pour l'Ouest, pour son développement, pour l'emploi, et il reste un morceau de 68 kilomètres à réaliser. J'ai hérité d'un tracé absurde du temps de S. Royal, qui passe en plein milieu des habitations, j'ai dit non à ce tracé qui ne respecte pas nos concitoyens. J'ai lancé 50 kilomètres d'autoroutes là où cela ne pose aucun problème et pour les 18 qui demeurent j'ai ouvert à l'enquête publique tous les tracés possibles au sud à ras des marais ou au nord. Et au moment où je suis le premier qui ouvre la possibilité du nord, S. Royal qui ne l'a jamais fait vient me critiquer en disant on veut à tout prix passer à travers les marais poitevin. Je trouve qu'il y a des méthodes pour exister dans l'immédiat qui ne sont pas très dignes, nous choisirons dans un an, un an et demi, dans une grande enquête avec la population le meilleur tracé possible. Est-ce qu'on peut être de meilleure composition ?
G. Leclerc : Vous ne pensez pas qu'il existe certaines dissensions au sein de la majorité ?
Bernard Besson : Vous savez la solidarité gouvernementale est totale, elle n'est pas factice et s'il y a des voix divergentes dans la majorité, elles sont de deux sortes : ceux qui font des propositions, et puis ceux qui veulent se présenter à la candidature présidentielle, ou qui regrettent de ne pas être ministre et qui font de la politique politicienne. Sur la politique de fond, en trouvant la situation des comptes nationaux et des comptes sociaux, il nous fallait un assainissement, c'est ce qui a été fait, ça demandait du courage. Il fallait ensuite une relance, mais une relance sans démagogie et, aujourd'hui, il nous reste à mettre au point, d'ici septembre, de nouvelles mesures en matière d'emploi à court terme. Il n'existe pas d'autre politique, on ne peut pas faire une relance tout seul dans le monde occidental. Il n'y a pas d'autre politique de sérieux et de générosité sur l'emploi.
G. Leclerc : Vous ne trouvez pas timide l'appui de J. Chirac à E. Balladur ?
Bernard Besson : Je ne le crois pas, je vois les déclarations de J. Chirac qui répète tous les jours qu'il appuie totalement la position du gouvernement, et que ce qu'on lui a fait dire n'a jamais été dans sa bouche.
G. Leclerc : Il semble que le coup de cœur que certains avaient eu pour Maastricht ait disparu.
Bernard Besson : Vous savez, contrairement à ce que beaucoup de Français croient, on ne vit pas le oui à Maastricht, on vit le non. Le traité n'a toujours pas été ratifié. Nous avons toujours un seul marché avec douze monnaies, c'est une absurdité. Nous venons de vivre et de prendre en pleine figure la dévaluation de la livre, de la lire, de la peseta et cela a déstabilisé ce marché. Ou bien nous mettons fin à l'Europe, et ce serait une folie, ou bien nous avons un seul grand marché. Mais il nous faut une seule monnaie. Nous payons aujourd'hui cruellement l'absence d'une seule monnaie, avec des milliers d'emplois supprimés du fait de l'avantage momentané, brutal que certains pays se sont donné par une dévaluation, il faut y mettre fin. Ensuite sur le plan de l'Europe, le combat de valeurs que mène ce gouvernement est fondamental. L'Europe est tombée dans un ultra libéralisme actuel qui mène à la jungle, et nous devons arrêter cela et éviter de tomber dans le protectionnisme qui conduit au déclin. Il faut trouver l'espace de l'intelligence et du cœur.
G. Leclerc : Est-ce qu'il n'y a pas eu des erreurs en ce qui concerne les PDG, en ce qui concerne les choix ?
Bernard Besson : En ce qui concerne Air France, en dehors des compagnies du sud-est asiatique et de British Airways qui a des accords très particuliers avec les États-Unis, toutes les compagnies d'aviation ont des pertes considérables. Nous devons mener à Air France deux combats : le premier, extérieur, contre l'ultra libéralisme ambiant qui mène toutes les compagnies du monde à leur perte et, d'autre part, un combat intérieur Air France doit diminuer les avantages acquis, Air France doit mieux se gérer. C'est le combat qui a été mené avec deux plans de redressement, ils ont été insuffisants car la situation mondiale s'est encore dégradée, il y aura un nouveau plan de redressement à Air France, c'est la survie de notre pavillon national qui est en jeu.
G. Leclerc : Est-ce qu'il y a eu erreur de stratégie ?
Bernard Besson : Non, il n'y a pas eu erreur de stratégie, il y a eu des plans de redressement, mais la situation mondiale continue de s'aggraver années après années. Il faut s'adapter. À la SNCF c'est la même chose, il faut éviter une SNCF à deux vitesses: il faut faire fonctionner Socrate qui, actuellement, ridiculise cette entreprise. Mais on y arrivera, et il faut à l'évidence que la reprise économique permette à la SNCF de ne pas perdre autant d'argent notamment sur le fret.
G. Leclerc : On ne peut pas dire que c'est la fête chez les Français qui partent en vacances ?
Bernard Besson : La crise sévit dans tout le monde occidental, et elle sévit également dans le tourisme. Aujourd'hui, les Français hésitent à partir en vacances, d'ailleurs ils se décident à la dernière seconde. D'autre part, nos touristes extérieurs hésitent à venir chez nous. Nous aurons sans doute encore que les chiffres ne sont pas encore clairs une légère baisse du nombre des touristes qui viennent en France. Mais nous avons surtout une grosse perte de dépenses, vous savez que les touristes dépensent entre un et douze francs, on peut donc avoir une stabilité du nombre de touristes tout en aillant une sorte de tassement très fort de leurs dépenses et des retombées sur l'économie et l'emploi français. Surtout je me demande si nous n'arrivons pas à un moment où la demande des touristes change : il y a des secteurs, comme le tourisme rural, qui connaissent une forte poussée. Et dans le secteur traditionnel qui semble moins correspondre aux nouvelles volontés des touristes il y a une crise très sérieuse.
G. Leclerc : Vous êtes assez bien noté dans le Nouvel Observateur, vous avez la note 6, qu'est-ce que vous pensez de cette note ?
Bernard Besson : Je préfère être 6ème que dans les derniers, mais je n'attache pas beaucoup d'importance à ce genre de classement. J'essaye de faire le mieux possible.