Interview de M. Laurent Fabius, président de l'assemblée nationale, dans " La Provence" le 13 mai 1998 et à RTL le 14, sur le droit des enfants, la tentative de recomposition de la droite au sein de l'Alliance et le projet de réforme de mode de scrutin des élections européennes.

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Média : Emission L'Invité de RTL - La Provence - RTL

Texte intégral

La Provence le 13 mai 1998

La Provence : Au terme de cette commission d’enquête parlementaire, qu’est-ce qui semble prioritaire au regard du droit des enfants ?

Laurent Fabius : « En France, la situation du droit des enfants est satisfaisante. Mais le dispositif doit être complété et surtout appliqué. »

Dominique Arnoult : Dans quels domaines ?

Laurent Fabius : « La convention de New York que la France a été l’une des premières à ratifier doit non seulement pouvoir être invoquée mais ses dispositions appliquées. En matière de justice, chaque fois qu’un enfant est parti prenante dans une procédure, il doit être entendu. Il est nécessaire également que nous réformions les modalités d’accouchement sous X pour que les enfants puissent connaître leurs origines. De même, en ce qui concerne la maltraitante, liée à 80 % à la famille elle-même et dont plusieurs dizaines de milliers d’enfants souffrent chaque année, il faut améliorer l’information. La commission propose que chaque année une grande campagne ait lieu. Il est également inadmissible que la France détienne en matière de suicide un triste record. 7 % des jeunes de 11 à 18 ans font une tentative de suicide. Un tiers récidive. Nous proposons d’accroître le nombre d’infirmières scolaires. Il faut également améliorer la situation des enfants exclus du système scolaire et de manière plus générale améliorer la coordination des services de l’enfance en créant des comités communaux de l’enfance où tous les services se regrouperaient pour discuter du problème des enfants. »

Dominique Arnoult : De toutes les propositions avancées par la commission quelle est celle qui vous paraît la plus novatrice ?

Laurent Fabius : « Il en est une à laquelle je tiens beaucoup et qui consiste à instaurer un médiateur national des enfants qui se saisira ou sera saisi de toutes les questions touchant au droit des enfants. »

Dominique Arnoult : Très concrètement comment procèderez-vous pour que ce rapport ne reste pas lettre morte ?

Laurent Fabius : « Je vais faire parvenir nos propositions à tous les députés, au Président de la République, au Premier ministre et au Gouvernement. Les projets qui relèvent purement du législatif pourront se traduire par des projets ou des propositions de lois. Quand les mesures proposées ne relèvent pas de la loi, je solliciterai les autorités compétentes. D’ici à la fin de l’année, j’organiserai un débat parlementaire pour faire le point sur ce que nous avons fait et ce qui nous reste à faire. »

Dominique Arnoult : La mission de la commission était centrée sur le problème du droit des enfants, mais ce qui préoccupe actuellement l’opinion, c’est la montée de la violence. Comment y faire face ?

Laurent Fabius : « C’est vrai que l’on parle aujourd’hui beaucoup de la violence. Mais notre travail n’est pas à contre-courant. S’il faut être extrêmement ferme vis-à-vis des phénomènes de violence et les traiter dès qu’ils apparaissent, ne pas être laxiste, s’intéresser aux causes, la responsabilité d’une société est aussi de faire attention aux plus faibles. L’enfant est de ceux-là. Il faut lui donner la parole, considérer l’enfant comme une personne à part entière, avec des devoirs et des droits. Ce n’est pas parce que les enfants sont petits qu’ils doivent avoir des petits droits. »

RTL le jeudi 14 mai 1998

Jean-Pierre Defrain : D’abord, les affaires de l’opposition. Comment accueillez-vous la décision des présidents du RPR et de l’UDF d’unir leurs mouvements dans une structure de type confédéral, qui s’appellera l’Alliance ?

Laurent Fabius : « Pourquoi pas, si cela peut donner un peu de tonus à l’opposition, qui actuellement est en petite forme, pourquoi pas ? Evidemment, comme c’est une nouvelle qu’on a apprise il y a trois ou quatre heures, c’est difficile de donner un jugement pour les quinze ans qui vont venir. Mais, à l’évidence, l’opposition a des problèmes d’unité pour définir son programme, pour dégager ses leaders, et si cela permet de la faire avancer, je répète, pourquoi pas ? Cela peut vous paraître un peu étrange qu’un responsable de la majorité dise cela, mais non ! Parce que, moi, je suis de deux qui considèrent qu’il n’est pas bon que toute une partie de la démocratie, qui se trouve aujourd’hui être l’opposition, soit en bisbille ou en petite forme. Je crois que la démocratie a besoin d’une majorité, d’une opposition, ou d’oppositions, mais qui aient des projets précis, qui aient des responsables. On verra si cela sera le cas, puisque ce n’est pas uniquement parce qu’il y a des déclarations que pour autant tous les problèmes sont résolus. Mais, en tout cas, moi je me réjouirais de tout ce qui pourrait permettre que le débat démocratie-majorité soit plus clair. »

Jean-Pierre Defrain : Alors, il y a la gauche plurielle. Maintenant, il va y avoir la droite plurielle. C’est une alternative qui était nécessaire ?

Laurent Fabius : « On n’en est pas encore là, notamment la question, qui n’est pas facile, qui devra être posée à cette alliance, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas que cette alliance soit une alliance avec l’extrême droite. Donc, il y a toute une série de problèmes qui sont posées. J’ai dit ce que je pensais de ce que je sais de cette perspective d’alliance : pourquoi pas, encore une fois. En ce qui concerne la majorité plurielle, je pense que les Français en sont plutôt satisfaits, parce que, finalement, cela correspond assez à l’état d’esprit de beaucoup de Français, qui voient avec sympathie les idées de la gauche, les valeurs humanistes, les valeurs généreuses, et qui en même temps ne veulent pas être enrégimentés. Et donc, si vous avez une certaine cohérence d’un côté, mais une assez grande liberté, c’est-à-dire une diversité, une unité, c’est l’état d’esprit que beaucoup de Français ressentent et souhaitent. »

Jean-Pierre Defrain : Venons-en aux droits de l’enfant. Une commission d’enquête parlementaire vient de faire un état des lieux, et vous en avez présenté les conclusions avec l’idée d’un médiateur nécessaire. Qu’est-ce que vous en attendez, et quelle serait sa mission ?

Laurent Fabius : « Oui, j’ai proposé la création de cette commission d’enquête, et ensuite je l’ai présidée, avec 29 autres membres du Parlement. Nous avons adopté nos conclusions à l’unanimité, ce qui est assez rare. Nous avons travaillé pendant plusieurs mois sur le fond, et je dois souligner que le travail de l’Assemblée nationale, ce n’est pas simplement des grands échanges, parfois un peu vifs et peut-être trop vifs entre les uns et les autres, mais ce sont les travaux de fond. Et nous avons traité des droits de l’enfant, et parmi les propositions que nous retenons, il y a celle d’un médiateur. Pourquoi ? Cela existe dans d’autres pays, notamment les pays scandinaves. Il y a besoin, à notre sens, d’une institution, d’une personne, homme ou femme, à qui on puisse s’adresser quand il y a un problème qui n’est pas résolu, que ce soit un problème individuel ou un problème collectif, qui concerne l’enfant. Cela veut dire, concrètement, que si nous sommes suivis sur ce point, les enfants, ou leurs parents, ou les associations pourront faire appel à cette personnalité, et que cette personnalité elle-même pourra demander des modifications de la pratique ou de la réglementation. Je dis, dans la préface à ce rapport, que ce n’est pas parce que les enfants sont petits qu’ils ont de petits droits. L’enfant est une personne, qui a des droits et des devoirs. Il doit être respecté, cet enfant. Il doit respecter, bien sûr aussi, la société et ses parents. Mais le médiateur peut aider à donner vraiment la prise en compte des droits des enfants dans notre société, ce qui est absolument nécessaire. »

Jean-Pierre Defrain : L’actualité, c’est aussi la montée en puissance de la violence chez les jeunes. Comment, selon vous, enrayer cette situation qui inquiète les enseignants, les parents d’élèves, et même les autres enfants ?

Laurent Fabius : « Cela inquiète tout le monde. Je pense que personne ne peut avoir la prétention, évidemment, d’avoir une réponse facile quand le problème a une telle ampleur, non seulement en France mais à l’étranger. Mais il faut, si je puis dire, faire flèche de tout bois, c’est-à-dire qu’il y a la définition, l’affirmation d’une attitude de grande fermeté. On ne peut pas admettre les violences, et donc il y a la répression à utiliser quand c’est nécessaire. Quand on dit que les jeunes ne sont pas accessibles à des sanctions pénales, c’est tout à fait faux, les jeunes sont accessibles à des sanctions pénales, notre droit le prévoit. Donc, parfois, il faut avoir recours à la répression. Mais il faut aussi, bien évidemment, que la ville, que le service public, que l’éducation soient organisés de telle manière que l’on prévienne cette violence. Et il faut, j’insiste, que les parents exercent leurs responsabilités. Ce n’est pas la société qui peut exercer les responsabilités à la place des parents. Donc, il faut que chacun fasse son travail, que l’on comprenne bien que nous sommes dans une société où il y a des droits et des devoirs, et qu’on n’accepte pas le principe de la violence, qui, dans une démocratie n’est pas acceptable. »

Jean-Pierre Defrain : Venons-en aux projets gouvernementaux, à un an des élections européennes…

Laurent Fabius : « J’ajoute à ce propos, parce que vous avez très justement fait référence à un rapport de M. Cancès sur les armes : j’ai été saisi, pas plus tard qu’aujourd’hui, d’une demande du groupe parlementaire socialiste pour qu’il y ait une inscription à la fin du mois de mai d’une proposition de loi, donc d’initiative parlementaire, que débattront tous les députés, sur, justement, cette question des armes. Et je crois donc que l’intention est de légiférer avant la fin de ce mois. »

Jean-Pierre Defrain : Venons-en donc aux projets gouvernementaux. A un an des élections européennes, l’idée de modifier le scrutin en huit circonscriptions, provoque dans la majorité plurielle de très vives critiques, tant chez les Verts que chez les communistes !

Laurent Fabius : « Pour les élections européennes, vous voulez dire ? »

Jean-Pierre Defrain : Oui !

Laurent Fabius : « Oui, il y a plusieurs projets qui sont en préparation. Il y a un projet, que j’avais demandé avant les élections. Après les élections, c’est un peu tard, mais je crois qu’il est très utile en ce qui concerne les élections régionales, puisque je trouve que notre mode de scrutin est mauvais, parce qu’il ne permet pas de dégager des majorités, on l’a vu, et donc il va être changé selon des éléments que moi-même j’avais souhaité, et je m’en réjouis. En ce qui concerne les élections européennes, c’est vrai qu’il y a un problème, c’est qu’il y a beaucoup de distance entre d’un côté les élus, et puis de l’autre le citoyen de base. D’où l’idée du Premier ministre, du Gouvernement, de regrouper, comme d’ailleurs cela avait été proposé par M. Barnier, qui était un ministre chargé des Affaires européennes dans le précédent gouvernement, de regrouper en quelques grandes circonscriptions. Si cela peut améliorer le contact entre l’électeur et l’élu, c’est une bonne chose. »

Jean-Pierre Defrain : Robert Hue dit que cela ne changera rien, ni quant à la poussée du FN, ni quant à son rapprochement…

Laurent Fabius : « Je crois qu’il y a une grande règle c’est qu’on ne règle pas, on élimine pas tel ou tel parti même s’il vous déplaît, avec tel ou tel mode de scrutin. Je ne partage pas du tout les idées du FN mais encore faut-il, si on veut faire régresser le FN, s’attaquer aux problèmes sur lesquels il fait son terreau, et d’autre part, avoir un débat politique et contradictoire avec lui. Maintenant, le projet de loi va être précisé et il sera déposé à l’Assemblée. A ce moment-là, les différents partis politiques se décideront. »

Jean-Pierre Defrain : Est-ce que le parti socialiste va pouvoir éviter un certain nombre de problèmes ? On a l’impression que la majorité plurielle pour l’instant affiche une certaine sérénité, et elle ne souhaite pas affronter les problèmes ?

Laurent Fabius : « Ce sont deux choses différentes. Je pense que les questions sont prises avec sérieux. Non pas que tout ait été réglé un an, cela ne peut pas être le cas. Mais je crois que notamment en matière économique, sur le plan d’une certaine modernisation de la vie publique, le sentiment général et le mien en particulier, c’est que l’équipe gouvernementale fait du bon travail. »

Jean-Pierre Defrain : Elle va assez loin et assez vite ?

Laurent Fabius : « Je pense qu’elle prend les problèmes d’une façon positive. Cela ne veut pas dire que tout est réglé. »

Jean-Pierre Defrain : Est-ce que les orientations vont dans le bon sens ?

Laurent Fabius : « Celles que je connais me paraissent satisfaisante. Nous avons une croissance qui est meilleure, ce qui se traduit par un certain reflux du chômage. Je touche du bois, j’espère que cela va continuer, parce que évidemment c’est le problème numéro 1. Mais si la croissance est au rendez-vous, cela va permettre de dégager des ressources supplémentaires, mécaniquement. Et je souhaite qu’il y ait la prise en compte de 3 éléments. D’abord nous avons besoin de réduire notre déficit public parce qu’il est important, que cela génère des emprunts très lourds… »

Jean-Pierre Defrain : C’est le programme de J. Chirac…

Laurent Fabius : « Avec beaucoup de gens, notamment avec le gouvernement d’abord, qui souhaite une réduction de ces déficits publics. Deuxièmement, il y a malgré tout des secteurs où il y a des efforts particuliers à faire. Et outre, une série de secteur déjà cités, je voudrais citer la question des collectivités locales, parce que y compris par rapport au problème, que vous avez évoqués, de l’action pour la sécurité, les collectivités locales ont un rôle fondamentale, se sont des éducateurs : c’est une action en matière de sport, c’est une action sur le terrain, et il ne faut pas qu’elles soient privées de leurs moyens. J’insiste beaucoup : il ne faudrait pas réduire les moyens des collectivités locales. Troisièmement, c’est un aspect qui m’est plus personnel, mais j’essaye peu à peu de convaincre mes propres amis, je crois qu’on a besoin de réduire le poids des prélèvements obligatoires dans notre pays. C’est un thème que vous m’entendez très souvent développer. Ce n’est pas facile mais c'est nécessaire sur certains impôts. On a parlé de la taxe d’habitation, de la taxe professionnelle, de certains secteurs en matière de TVA, par exemple sur la restauration. Je crois qu’il faut de plus en plus, puisque nous faisons l’Europe, s’habituer à l’idée que l’on doit dépenser mieux, ne pas dépenser plus, et réduire les prélèvements qui pèsent sur les entreprises et sur nos concitoyens. »