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Richard Arzt : Dans le domaine sportif, les semaines se suivent et ne se ressemblent pas : il y a huit jours, c’était l’enthousiasme généralisé après la victoire en Coupe du monde de football ; aujourd’hui, c’est la consternation après que l’équipe de cyclisme professionnel Festina a été exclue du Tour de France pour dopage.
Marie-George Buffet : « D’abord, je crois qu’il n’y a pas d’un côté la Coupe du monde et de l’autre le Tour de France de cyclisme : il y a d’un côté les événements sportifs, et de l’autre, le dopage. L’événement, c’est surtout qu’il y a eu cette voiture arrêtée, ces produits dopants saisis. Enfin, peut-être que cette fois-ci, on va pouvoir remonter les filières, aller jusqu’à ceux qui produisent, qui vendent ces produits. »
Richard Arzt : Quel commentaire faites-vous sur la sanction qui a frappé l’équipe Festina ?
Marie-George Buffet : « J.-M. Leblanc l’a dit : il a eu beaucoup de difficultés à prendre cette décision ; il a beaucoup hésité. Je crois que les coureurs sont avant tout victimes d’un système : on leur demande toujours plus ; on leur demande d’aller toujours plus vite avec une seule journée de repos ; il y a l’encadrement ; il y a ceux qui amènent les produits dopants auprès de ces coureurs. J’ai beaucoup de peine pour les amoureux du Tour de France ; je comprends leur réaction, mais je suis parmi les 72 % de Français qui pensent qu’on ne peut pas chercher le résultat à tout prix, au prix de la santé des sportifs. »
Richard Arzt : C’est un sondage paru ce matin dans France-Soir. En même temps, on a une impression d’hypocrisie : le dopage serait beaucoup plus généralisé ; il n’y aurait pas que Festina.
Marie-George Buffet : « L’ampleur du dopage est quelque chose d’extrêmement grave. Dans le cyclisme, et pas que dans le cyclisme ! On a plus de 50 fédérations qui ont été touchées par des contrôles positifs ces dernières années. L’hypocrisie, c’est peut-être parler dopage au moment du Tour de France et de ne pas en parler tout au long de l’année. J’essaie de mener ce combat du mois de janvier au mois de décembre, toutes pratiques sportives confondues. »
Richard Arzt : Pour reprendre un argument utilisé par M. Cotta, ne voudrait-il pas mieux interrompre le Tour de France cette année pour remettre les compteurs à zéro ?
Marie-George Buffet : « Non. Je crois qu’il faut que le Tour de France se poursuive. Par contre, j’ai entendu et lu que plusieurs coureurs, plusieurs dirigeants réclamaient une grande table ronde pour discuter des causes du dopage, parce que je crois qu’il faut en venir là : qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui le dopage est tant répandu, même si tous les sportifs ne se dopent pas ? Il faut aussi arrêter d’avoir des formules un peu choc qui ne correspondent pas à la réalité. Je crois que ce qui cause le dopage aujourd’hui, c’est la sur-compétition, le surentrainement, certainement un manque de qualité dans l’encadrement. C’est à cela qu’il faut s’attaquer. Donc, il faut en effet que le mouvement sportif — je suis prête à y contribuer ; c’est d’ailleurs l’un des éléments de la nouvelle loi, l’un des premiers articles : il faut qu’on débatte aujourd’hui des conditions de la compétition. »
Richard Arzt : Je reviens un peu en arrière : en attendant, le Tour peut continuer comme si de rien n’était, même si Festina a été sacrifiée pour préserver le Tour ?
Marie-George Buffet : « La seule chose qui me choque un peu — je vous le dis tout à fait franchement — dans la poursuite du Tour de France, c’est quand je vois Festina qui continue à faire sa publicité. »
Richard Arzt : C’est-à-dire les voitures toujours là…
Marie-George Buffet : « Il n’y a plus les coureurs, mais il y a les voitures, la publicité. »
Richard Arzt : Là, vous n’y pouvez rien.
Marie-George Buffet : « Non, mais je trouve cela très choquant. »
Richard Arzt : Dans ce grand débat, les thèmes, ce serait de tout remettre à plat ?
Marie-George Buffet : « On a besoin à la fois de prévention, parce que le dopage commence très tôt dans la compétition. Nous avons des cas de jeunes de 15-16 ans dans des pratiques amateurs, qui sont contrôlés positif. Il faut donc de la prévention auprès des sportifs eux-mêmes, et il faut de la prévention auprès de ceux qui les accompagnent, qui les encadrent. On est trop petit sur la prévention ; je crois qu’il faut vraiment mettre beaucoup plus de moyens. C’est ce qu’on a fait depuis deux ans ; on va continuer ; il faut travailler avec d’autres ministères ; il faut élargir. Deuxièmement, il faut s’attaquer à ceux qui produisent ces produits dopants ; on a un problème de course de vitesse : la recherche a l’air d’être bien financée du côté de ceux qui dopent. »
Richard Arzt : Ils trouvent des moyens masquant le dopage ?
Marie-George Buffet : « Voilà. Mais le fait que ces produits dopants soient masqués n’empêche pas qu’ils soient dangereux pour l’individu. Il faut toujours penser à cela. Quand je me bats contre le dopage, je me bats pour la santé des sportifs et des sportives. C’est cela mon but — et contre la tricherie. Donc, on a un problème de lutte contre les filières. La loi va multiplier les peines par rapport aux pourvoyeurs. Ensuite, on a un problème de suivi de la santé des sportifs, on a un problème pour mesurer le rythme des compétitions. Le spectacle n’en sera pas moins beau si les compétitions sont plus mesurées ! »
Richard Arzt : C’est un peu le fond du problème, le sport-spectacle !
Marie-George Buffet : « Justement : est-ce que l’argent qui arrive dans le sport, le mouvement sportif le maîtrise-t-il ? N’accepte-t-il pas n’importe quoi pour faire toujours plus de spectacle, pour répondre aux demandes des sponsors ou de tel ou tel média ? C’est cela, la question qu’il faut qu’on pose ouvertement. »
Richard Arzt : Le Président Chirac parlait hier de l’ensemble des filières de dopage qui doivent être mises à jour. Mais concrètement, cela se traduit comment ?
Marie-George Buffet : « D’après ce que je sais, le soigneur qui a été mis en examen a été se fournir auprès de “laboratoires“ entre guillemets. Je crois qu’il faut que l’action aille jusqu’à ces laboratoires. Cela demande certainement une coopération européenne encore plus développée. L’ensemble des pays d’Europe ont signé une charte contre le dopage ; lorsque j’ai réuni les ministres des Sports européens le 10 juin, nous avons abordé cette question. »
Richard Arzt : Vous êtes-vous sentie en parfaite harmonie avec eux ?
Marie-George Buffet : « Il y a une volonté commune de développer la coopération pour la recherche, d’essayer d’harmoniser les moyens de lutte contre le dopage. C’est dans cette voie-là qu’il faut avancer. »
Richard Arzt : Quant à la loi votée récemment contre le dopage et qui va passer à l’Assemblée à l’automne…
Marie-George Buffet : « Je l’espère, oui. Le plus tôt possible. »
Richard Arzt : Etant donné ce qui vient justement de se passer dans le Tour, avez-vous l’intention de la durcir ? Aimeriez-vous qu’elle soit durcie par des amendements des députés ?
Marie-George Buffet : « Déjà, au niveau du Sénat, on a beaucoup travaillé. La question, ce n’est pas de durcir la loi : c’est de la rendre encore plus efficace au niveau — j’insiste beaucoup là-dessus — au niveau de la prévention, de la rendre plus efficace au niveau des procédures — c’est pourquoi la loi prévoit une structure indépendante composée de magistrats et de scientifiques ; on en a besoin ; cela ne peut pas être la ministre qui décide si tel ou tel est positif et qu’il doit vivre telle ou telle sanction. La loi va renforcer encore les peines contre les pourvoyeurs. Je suis tout à fait ouverte à ce que le débat à l’Assemblée nationale enrichisse encore cette loi dans le sens d’une plus grande efficacité. »
Richard Arzt : Il y a aussi les moyens, notamment financiers : le conseil de prévention aura besoin de moyens. Vous attendez-vous à un budget en augmentation, puisque c’est cette semaine qu’on le saura ?
Marie-George Buffet : « Déjà, pour la santé des sportifs contre le dopage, on a multiplié par trois le budget. Je pense que globalement, le budget va dépasser cette année, d’après les premières phases du débat budgétaire que nous avons, les 3 milliards, ce qui serait un signe politique fort de l’attachement du Gouvernement à la Jeunesse et aux Sports, parce que ce chiffre des 3 milliards, cela fait très longtemps qu’on ne l’avait pas dépassé. »
Richard Arzt : Quels sont, à votre avis, les milieux les plus hostiles à cette loi contre le dopage ?
Marie-George Buffet : « Personne ne le dit ouvertement. Je n’ai encore entendu aucune critique sur cette loi contre le dopage ! Je pense qu’il s’agit de ceux qui ont intérêt à continuer cette course au sport-spectacle au détriment des sportifs. Mais pour l’instant, je n’ai entendu aucune remarque. Ceci dit, je suis déterminée : on ira au bout. »