Texte intégral
Les Échos le 23 juillet 1998
Anne Bauer : Que signifie une « fiscalité écologique » ?
Dominique Voynet : Il s’agit de mettre en place un ensemble de taxes qui soient des signaux dissuasifs pour les pollueurs et qui orientent les choix des consommateurs et des industriels vers des comportements moins nocifs pour l’environnement. En même temps, cette taxation doit permettre de baisser les charges qui pèsent sur Je travail et freinent l’embauche. Ce n’est pas un impôt supplémentaire, c’est une modernisation du système fiscal. On prépare ainsi les grands débats européens. Par ailleurs, nous avons aussi souhaité rompre avec la logique, selon laquelle la taxe contre un comportement polluant n’est plus une contribution de pollueur, mais un moyen pour financer les actions de dépollution de ces mêmes pollueurs.
Anne Bauer : Comment appliquer ce concept ?
Dominique Voynet : Le gouvernement va créer une taxe générale sur le activités polluantes (TGAP) destinée à être perçue sur toutes les activités polluantes, quelles que soient leurs origines… Affectée au budget général, elle aura donc, naturellement, plusieurs emplois. D’abord, elle servira à financer des mesures de dépollution, selon les priorités fixées par le gouvernement. Des économies d’énergie à la lutte contre le bruit, en passant par la reconquête des sols pollués, la liste des besoins est immense. Elle devrait aussi permettre progressivement de baisser les prélèvements sur le travail, par exemple dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle. L’idée n’est pas nécessairement que 100 % du produit de cette TGAP reviennent au ministère de l’environnement. Bien entendu, des garanties seront prises pour que, dans ce cadre, le financement de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) ou des agences de l’eau ne diminue pas, au contraire !
Anne Bauer : De quoi sera constituée cette taxe générale sur les activités polluantes ?
Dominique Voynet : Le premier basculement d’un certain nombre de taxes ou de redevances vers la TGAP aura lieu en 1999, d’autres mouvements auront lieu en 2000. L’année prochaine, la TGAP regroupera notamment la taxe sur les déchets industriels spéciaux, la taxe parafiscale sur la pollution atmosphérique, celles sur les nuisances sonores et sur le stockage des déchets ménagers et assimilés.
Anne Bauer : La pollution de l’eau sera-t-elle aussi prise en compte ?
Dominique Voynet : Depuis trente ans, les agences de l’eau obtiennent des résultats. À présent, elles devraient mettre en commun certaines ressources pour assurer une solidarité entre les bassins et surtout pour financer des sujets de préoccupations communes, comme la connaissance de la ressource ou de la police de l’eau. Nous intégrons progressivement en 2000, dans la TGAP, les redevances pollution des agences de l’eau, tout en apportant aux gestionnaires et aux personnels des agences toutes les garanties nécessaires de stabilité des ressources. Pour ce grand chantier, une large concertation sera menée.
Anne Bauer : En 1999, la création de la TGAP correspond à une budgétisation de l’Ademe ?
Dominique Voynet : C’est vrai pour l’an 1 de la TGAP. Mais cette taxe est un cadre général qui, au fur et à mesure de son développement, reposera, comme la TIPP sur plusieurs accises. Elle a vocation à accueillir la future écotaxe européenne sur l’énergie. Dans l’immédiat, l’Ademe tirera deux avantages de cette budgétisation. D’abord la TGAP financera les 500 millions de francs de nouveaux crédits destinés au développement des énergies renouvelables et la maîtrise d’énergie. Ensuite, l’agence aura plus de souplesse pour la gestion de ses ressources.
Anne Bauer : Le rattrapage entre la taxation du gazole et de l’essence est engagé. La mesure vous paraît-elle suffisante ?
Dominique Voynet : Le rattrapage du différentiel de taxation entre le gazole et l’essence sans plomb au niveau de la moyenne européenne est une étape. Il s’agit seulement de mettre un terme à une situation totalement injustifiée, sur le plan européen, économique et écologique. Par ailleurs, le gouvernement a souhaité profiter de ce rattrapage pour aider à la modernisation sociale du secteur des transports routiers et ne pas le pénaliser vis-à-vis de ses concurrents européens. Le délai de rattrapage a été fixé par le Premier ministre : il sera de sept ans, à raison d’une augmentation de sept centimes par an. Il s’agit de ne pas pénaliser des consommateurs piégés par certaines campagnes de publicité. J’avais cependant plaidé pour un délai plus court. Pour ma part, j’estime que dans le domaine des carburants, la bataille pour l’environnement se joue d’abord à Bruxelles dans le cadre des discussions sur la directive « auto-oïl ». Le compromis passé entre le Parlement européen et la Commission me paraît bon. Il aboutit à une juste répartition de l’effort entre les groupes pétroliers et les constructeurs automobiles. Cette directive devrait permettre de diminuer la pollution automobile d’un tiers en 2000 et de moitié en 2003.
Anne Bauer : Êtes-vous satisfaite de votre budget pour 1999 ?
Dominique Voynet : En arrivant, j’ai constaté que les tâches du ministère avaient augmenté d’année en année, sans que les moyens suivent. Le Premier ministre l’a bien compris. L’augmentation du budget sera de 16 %, à 2,1 milliards, à missions constantes. Et cette hausse n’est qu’une première étape d’un nécessaire rattrapage qui prendra plusieurs années.
Anne Bauer : Comment allez-vous utiliser vos nouveaux crédits ?
Dominique Voynet : Le ministère va créer 140 postes budgétaires en 1999 pour renforcer son expertise ainsi que la police de l’eau et la surveillance des installations classées. Des moyens seront aussi dégagés pour les espaces naturels, dont Natura 2000, une véritable prévention des risques naturels et technologiques, le renforcement du réseau de surveillance de la qualité de l’air.
Europe 1 le mercredi 29 juillet 1998
André Dumas : Dernier conseil des ministres, tout à l’heure, avant les vacances : vous allez présenter notamment un projet de loi sur l’aménagement du territoire. Alors je sais que c’est une question très complexe, très technique. Mais globalement de quoi s’agit-il ?
Dominique Voynet : De quoi s’agit-il ? Il s’agit de tenter de remédier à une tradition bien française, celle où l’on fait beaucoup rêver, où l’on parle d’aménagement du territoire, où l’on donne l’impression que la volonté politique permettrait d’aménager de façon très équilibrée le territoire alors que la réalité est très différente. Depuis des années, tous les projets de loi d’aménagement du territoire qui ont abouti…
André Dumas : Notamment celui de M. Pasqua.
Dominique Voynet : Tous les plans, tous les contrats passés entre l’État et les régions ont abouti à une réalité assez triste, c’est l’aggravation des inégalités entre les régions, et au sein des régions elles-mêmes l’aggravation des inégalités entre les zones les plus riches et les zones les plus pauvres. Tout cela parce que l’on trace des traits sur les cartes, on place des points sur les cartes, mais on se soucie peu, finalement, de répondre aux besoins de la population, on tient peu compte des contraintes budgétaires. Moi, j’ai souhaité faire un projet de loi très modeste, très proche des réalités, très proche de ce que vivent les gens pour essayer, non pas de faire rêver, mais de faire, de façon très contrainte, avec les citoyens au plus près de leurs besoins.
André Dumas : Vous allez avoir l’an prochain les moyens de vos ambitions, c’est-à-dire que votre ministère à un budget en hausse.
Dominique Voynet : En ce qui concerne l’environnement, un budget en hausse de 15 % cela ne s’était pratiquement jamais vu. J’ai l’intention de m’en servir pour renforcer l’armature du ministère et pour faire en sorte qu’il puisse répondre vraiment à ses missions : assurer la sécurité du citoyen, prévenir les risques, faire de la police de l’eau. Bref, faire ce que la loi nous a demandé de faire et ce que nous sommes censés faire année après année. Ce ministère a toujours travaillé avec des moyens trop réduits. Nous pouvions faire beaucoup avec notre capacité de conviction et avec la sympathie des citoyens qui comprennent ce qu’on fait et qui ont envie de l’accompagner mais c’est vrai que les moyens ne suivaient guère.
André Dumas : Mais Lionel Jospin cette fois a été convaincu par vos arguments.
Dominique Voynet : Je crois qu’il a été convaincu parce que, dans bon nombre de cas, c’est la responsabilité de l’État qui est engagée si on ne le fait pas, c’est la sécurité des usagers et des biens.
André Dumas : Tout le monde a remarqué la hausse des taxes sur le gazole dans le projet de budget pour 1999. Le diesel va augmenter de façon progressive sur plusieurs années. Tant pis pour tous les automobilistes qui ont choisi le diesel ces dernières années en France. Cela représente quatre automobilistes sur dix.
Dominique Voynet : Il ne faut pas avoir la mémoire courte : année après année, chaque année on a toujours augmenté la taxe sur les produits pétroliers et il est peu d’année où le gazole n’ait pas augmenté d’au moins sept centimes. Ce qui sera le cas cette année. La nouveauté de cette année, ce n’est pas que le gazole augmente de façon inconsidérée, c’est que le super sans plomb, lui, ne va pas bouger parce que c’est un carburant qui est plus responsable du point de vue de l’environnement. On ne pénalise pas de façon innovante les propriétaires de véhicules diesel, mais on donne un petit signe en direction de ceux qui ont choisi de rouler propre.
André Dumas : Par rapport à ceux qui roulent au super, si.
Dominique Voynet : C’est toujours relatif. Disons que ceux qui ont choisi de rouler propre, ceux qui roulent avec de l’essence sans plomb, avec du GPL, avec GNV, avec des véhicules électriques vont effectivement voir la note un petit peu moins lourde.
André Dumas : Cette augmentation de la taxe va surtout rapporter trois milliards de francs dans les caisses de l’État dès la première année. La semaine dernière, vous étiez au Portugal avec vos collègues ministres européens de l’environnement où ont été signés des accords sur quelques-unes de vos propositions justement, des propositions françaises.
Dominique Voynet : Cela fait des années que la France bloquait les discussions qui devaient permettre de débarrasser l’Atlantique-Nord d’une bonne partie des rejets radioactifs et des déchets radioactifs qu’on y avait immergé au cours des décennies passées. Aujourd’hui, la France a décidé d’assumer ses responsabilités avec beaucoup de réalisme et beaucoup de respect de ses partenaires. En évoluant, la position française a permis de boucler un accord qui permet, effectivement, de répondre aux attentes des citoyens européens. Nous avons également un rôle moteur dans les discussions permettant de trouver un compromis sur les modalités de réparation après qu’une plateforme pétrolière ait fini d’être exploitée. Nous avons décidé d’enlever tout ce qui pouvait l’être, à savoir toutes les superstructures et toutes les structures métalliques. Dans des cas très exceptionnels, pour des plateformes très lourdes, de plus de 10 000 tonnes par exemple, on pourra, au cas par cas, obtenir des dérogations pour laisser les pieds au fond de la mer, ce qui ne devrait gêner ni la pêche ni l’environnement.
André Dumas : Et pour l’enfouissement des déchets nucléaires en France, vous n’êtes pas favorable à cette méthode, aux laboratoires souterrains en quelque sorte, pourquoi ?
Dominique Voynet : Disons que je ne suis pas convaincue que la meilleure façon de se débarrasser durablement du problème, ce soit de mettre la poussière sous le tapis. Je pense que nous avons encore à développer des recherches pour savoir quelles sont les meilleures solutions possibles. Je n’ai pas souhaité que les déchets radioactifs soient produits, c’est de notoriété publique. Cela dit, ils sont là, nous devons les gérer d’une façon responsable à l’égard de ceux qui viendront après nous en minimisant au maximum les risques pour l’environnement et pour la santé publique. Je ne suis pas convaincue que le fait de mettre ces déchets en grande profondeur soit une solution durable.
André Dumas : C’est-à-dire à plusieurs centaines de mètres ?
Dominique Voynet : Il y a dans le sous-sol beaucoup de circulation d’eau, beaucoup de failles et finalement la grande profondeur n’est pas forcément la garantie optimale.
André Dumas : On parle tout de même, puisque c’est un projet qui avance, d’une présélection des sites qui seraient déjà le Gard, l’Aube et la Vienne.
Dominique Voynet : Non, on a parlé depuis des années de présélection de sites. Aujourd’hui, on n’est pas du tout certain, après un certain nombre d’études préliminaires, que ces sites soient optimaux. Mais surtout, la discussion n’est pas tranchée sur le principe. Qu’est-ce qui est le plus sûr ? Est-ce que c’est de garder ces déchets à proximité pour permettre de les récupérer en cas de problème ou est-ce que c’est de les mettre en grande profondeur en sachant que la réversibilité du stockage n’est pas acquise ?
André Dumas : Les sans-papiers vont manifester cet après-midi devant Matignon. Vous êtes moralement à leurs côtés ?
Dominique Voynet : Depuis le début je crois que je suis aux côtés de ceux qui ont été tentés de fuir des pays où la vie quotidienne est extraordinairement difficile soit en raison de guerres, de menaces sur leur vie ou en raison de conditions économiques très dures. J’ai souhaité que la France se comporte dignement dans cette affaire et établisse des critères objectifs permettant le séjour en France. Aujourd’hui je me réjouis de savoir qu’une commission, la commission Galabert, est en train de réexaminer la mise en œuvre de ces critères sur le terrain avec les associations de sans-papiers eux-mêmes. J’espère que ça débouchera sur un traitement humain, ouvert de ces problèmes. On l’a vu lorsque la France a gagné la Coupe du monde de football : une conception étriquée de la nationalité, de la citoyenneté n’est pas compatible avec l’aspiration des Français à l’accueil. Tout le monde a bien compris au moment où la France a gagné la Coupe du monde que le premier sans-papier était traité de façon peut-être en-deçà de ce qu’on était capable de faire.
André Dumas : Que pensez-vous de la position de Charles Pasqua qui veut régulariser tous les sans-papiers ?
Dominique Voynet : Elle est sans doute à interpréter de façon très tactique de sa part, mais j’en suis ravie, tout comme d’ailleurs des déclarations de Thierry Mariani, par exemple, qui a reconnu que la France était capable de générosité, de fraternité, d’échange et que finalement sa stabilité n’était pas menacée par quelques dizaines de milliers de personnes de plus.
André Dumas : Au moment où les Français reçoivent la pastille verte pour leur voiture, on apprend que le seuil de déclenchement du niveau 2 à l’alerte à la pollution de l’air a été fortement abaissé. Est-ce que ça veut dire que vous allez multiplier les alertes à la pollution cet été, peut-être même les interdictions de circuler ?
Dominique Voynet : L’idée est d’informer et d’alerter les citoyens, de miser sur leur sens des responsabilités au plus tôt, c’est-à-dire dès que des conséquences sur la santé sont mises en évidence. Le Conseil supérieur d’hygiène publique de France, tout comme le Conseil national de l’air, demandait l’abaissement de ces seuils. Si on détecte très tôt des situations de risque, si les citoyens changent leur comportement très tôt, on sera amené moins souvent à prendre des mesures autoritaires, des mesures qui imposent aux gens de laisser leur voiture et d’utiliser donc finalement leur magique pastille verte. Moi ce qui m’intéresse, ce n’est pas qu’on embête les automobilistes, ce n’est pas qu’on les empêche de circuler, c’est que la qualité de l’air soit bonne. Et finalement, en abaissant le seuil d’alerte, en leur disant le plus tôt possible : attention, l’air est en train de se dégrader, je fais le pari qu’on aura le moins souvent possible à les embêter au quotidien.
André Dumas : Il paraît que vous avez découvert le football de compétition cet été ?
Dominique Voynet : J’ai fait partie des victimes de l’effet Coupe du monde. J’ai apprécié, non seulement le jeu et l’ambiance dans les stades, mais aussi la décontraction souriante qui n’était ni xénophobe ni agressive et qui a conduit la France à retrouver le moral et la confiance. Je trouve ça très bien et ça prolonge bien les efforts du gouvernement.
André Dumas : C’est la France qui gagne, mais Jacques Chirac et Lionel Jospin…
Dominique Voynet : C’est la France qui gagne, mais ce n’est pas la France qui donne des leçons et ça, j’apprécie aussi.
André Dumas : Mais Jacques Chirac et Lionel Jospin en ont bien profité dans les sondages.
Dominique Voynet : Je crois que tout le monde en a profité, vous aussi. Vous avez eu aussi des audiences sans doute tout à fait exceptionnelles au moment de la Coupe du monde. Je crois que toute la France finalement a compris qu’on pouvait gagner ensemble et pas les uns contre les autres et c’est formidable.