Texte intégral
Le ministre des DOM-TOM, qui vient de boucler le projet de loi décennale pour la Polynésie, est optimiste, malgré la rigueur budgétaire. En rupture avec la politique socialiste, il a déjà commencé à aborder autrement la question sociale outre-mer et l'accueil des Domiens en métropole.
Le Quotidien : À l'heure de la rigueur budgétaire, quelles sont les perspectives pour le budget 1994, du ministre des DOM-TOM ?
Dominique Perben : Le budget de fonctionnement du ministère sera certes réduit, mais ce qui compte, c'est l'investissement outre-mer. Cela s'inscrit dans un cadre à long terme. Les accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie seront respectés. Pour la Polynésie, les négociations sur la loi décennale ont abouti (NDLR). D'une manière générale, la politique pour les DOM-TOM s'inscrit dans la logique définie à Mende qui est d'apporter les meilleurs concours possibles aux régions les moins favorisées. Il est à souligner que les fonds structurels européens représenteront, en 1999, le double de ce qu'ils étaient en 1992. Ce qui est particulièrement intéressant pour les départements d'outre-mer. L'État suivra, contribuant ainsi à l'augmentation de l'investissement public. Globalement, le budget 1994 de mon ministère sera stable ou en légère progression. Je souligne cependant que 1993 avait été une bonne année en matière de crédits d'État. L'essentiel, c'est, encore une fois, d'accroître l'investissement, de faire naître les projets et surtout de les mener à leur terme.
Le Quotidien : Les DOM-TOM souffrent d'un développement insuffisant et d'un chômage important. Comment redresser la barre ?
Dominique Perben : Je regrette que la gauche, lorsqu'elle était au gouvernement, ait eu une approche idéologique de la question sociale. En effet, l'égalité sociale, poussée jusqu'à ses limites extrêmes, peut avoir des effets pervers. Au 1er juillet 1993, le rattrapage en ce qui concerne les allocations familiales a été réalisé mais nous avons refusé le rattrapage du SMIC, dont la conséquence aurait été l'aggravation du chômage. La priorité sociale, c'est l'emploi. Nous nous en sommes expliqué avec les syndicats qui, en dépit de leurs réticences, nous ont entendus.
Le Quotidien : Comment comptez-vous corriger les effets pervers du RMI outre-mer ?
Dominique Perben : Je souhaite que l'insertion qu'implique le RMI soit plus dynamique outre-mer qu'en métropole. Le RMI doit être lié à une forme d'activité. Il faut que les Rmistes soient amenés à exercer une activité minimale. Le développement des zones franches sur lesquelles nous travaillons actuellement pour dégager des décisions à la fin de cette année ou au printemps prochain pourrait, dans cette perspective, déboucher sur une adaptation du RMI. Nous en discutons avec les Communautés européennes à Bruxelles, qui ne manifestent pas de blocage. Nous tendons, en tout cas, à dégager une conception commune avec Bruxelles sur cette question.
Le Quotidien : Précisément, quelle est et quelle doit être la place des DOM dans la CEE ?
Dominique Perben : La France a réussi, et ce n'était pas évident, à faire que les DOM fassent partie des préoccupations européennes. L'action de Bernard Pons en 1986-1987 a été à cet égard particulièrement déterminante. Les départements d'outre-mer, les "zones ultrapériphériques" dans le vocabulaire communautaire, sont les zones les plus privilégiées de la politique régionale européenne. J'ajouterai enfin que cela constitue un facteur supplémentaire d'intégration et de cohérence nationales pour les DOM.
Le Quotidien : Encore aujourd'hui, l'outre-mer ne reste-t-il pas un marché captif et soumis à l'emprise du lobby des importateurs locaux ?
Dominique Perben : L'État doit afficher sa fermeté et veiller à un meilleur fonctionnement de l'administration. Les institutions régionales sont encore neuves et doivent être rôdées. Il s'agit aujourd'hui de stabiliser l'institution. L'État ne doit pas tout faire. Il doit en revanche inciter et faciliter les projets. Il y a une prise de conscience outre-mer, celle d'entrer dans une économie de production.
Le Quotidien : Dans cette perspective, ne conviendrait-il pas aussi de développer la coopération régionale ?
Dominique Perben : Une ouverture régionale est en effet nécessaire. Il faut, pour les entreprises, une stratégie régionale. D'autant que la demande de coopération existe. C'est pourquoi il est nécessaire d'avoir une activité diplomatique régionale plus dynamique, se fondant sur le développement de relations économiques internationales comme cela pourrait être le cas, par exemple, dans le bassin des Caraïbes ou dans l'océan Indien. Il est indispensable que les "Domiens" ne vivent plus l'environnement régional comme une concurrence déloyale. En Nouvelle-Calédonie, des progrès considérables ont déjà été accomplis. L'outre-mer s'est trop longtemps senti enfermé dans un dialogue unique avec la métropole. Il est indispensable de rompre le complexe de l'insularité par la coopération régionale. Mais il revient aux chefs d'entreprise locaux de forcer les portes. En effet, tant que la coopération régionale demeurera l'affaire des préfets et des ambassadeurs, cela sera insuffisant.
Le Quotidien : L'ANT (Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer) est en cours de restructuration. Certains y voient l'amorce d'une relance de la politique d'immigration des "Domiens" vers la métropole. Qu'en est-il exactement ?
Dominique Perben : Tout d'abord, je regrette que les socialistes, en 1981, aient mis un coup de frein à la mobilité. Quant à l'ANT, elle est en crise. Elle a été mal gérée. Sa situation doit être purgée. Il convient de relancer une politique de mobilité, d'insertion, qui passe par une meilleure formation professionnelle. L'ANT réformée de demain doit devenir un outil au service de la promotion et de la formation des jeunes "Domiens" en métropole. Ce doit être pour eux une liberté de plus. L'université aussi a un rôle à jouer. François Fillon, le ministre de l'Enseignement supérieur, entend pousser les universités d'outre-mer à avoir une vocation internationale. Et les échanges entre les universités d'outre-mer et de métropole doivent être encore intensifiés.
Le Quotidien : L'Ile de la Réunion vient de défrayer la chronique avec une série de scandales et d'affaires de corruption ou d'ingérence où sont impliqués des élus. Votre sentiment à ce sujet ?
Dominique Perben : Je crois aux vertus de l'exemple. Il est indispensable d'assainir les relations entre le monde de l'entreprise et celui de la politique. Il faut que chacun le sache : quand on faute, on se "ramasse".
30 octobre 1993
Le Point
Le Point : Compte tenu de la crise économique profonde qui sévit outre-mer, le gouvernement n'aurait-il pu consentir un effort budgétaire supplémentaire à destination des DOM-TOM ?
Dominique Perben : Le budget 1994 s'inscrit dans une logique de relance de l'économie de l'outre-mer. C'est pourquoi, dans un contexte de rigueur budgétaire, j'ai privilégié l'augmentation des subventions d'investissement, qui est de l'ordre de 2,42 %. Cela nous permettra, par exemple, de financer la première tranche de contrats de plan dans les DOM, de tenir nos engagements vis-à-vis de la Polynésie et de la Nouvelle-Calédonie. De plus, cet effort s'accompagne d'une progression significative, plus de 50 % pour les DOM, des enveloppes de contrats de plan. C'est là, sur cinq ans, le témoignage de la volonté du gouvernement de donner la priorité à l'économie.
Le Point : Comment ?
Dominique Perben : Je recherche tous les moyens de relayer la dépense publique dans un but de croissance. J'ai fait améliorer par le Parlement la loi de défiscalisation, pour augmenter les flux d'investissement vers l'outre-mer. J'ai également fait prendre par le gouvernement une série de dispositions visant à clarifier la situation financière des collectivités d'outre-mer pour leur permettre de recommencer à investir. Autre priorité, l'insertion européenne : je pense qu'il faut jouer à fond l'insertion des espaces français d'outre-mer dans la politique d'aménagement du territoire de l'Europe. Je gère ce dossier européen avec beaucoup de détermination, car cela me paraît être une des voies de stabilisation à privilégier.
Le Point : Pouvez-vous nous donner des exemples des "bienfaits" de l'Europe ?
Dominique Perben : J'en retiendrai deux. D'abord, dans le dossier de la banane, nous avons incontestablement réussi l'insertion durable d'un produit traditionnel dans la CEE. Ensuite, en ce qui concerne l'augmentation des fonds structurels européens à destination de l'outre-mer, j'ai obtenu, grâce à l'appui du Premier ministre, le doublement de ces fonds dans les prochaines années. Ce qui équivaut à faire admettre par l'Europe que les DOM-TOM constituent une région fragile au même titre que les Länder de l'ex-Allemagne de l'Est. Ce dernier point est essentiel.
Le Point : En quoi votre politique est-elle différente de celle des socialistes ?
Dominique Perben : Comme je vous l'ai dit, priorité à l'économique et au social. Concernant le débat institutionnel, je crois vraiment que le gouvernement auquel j'appartiens marque là sa différence avec ceux qui l'ont précédé : la question est pour l'instant mise entre parenthèses. L'autre différence, c'est le refus d'un système d'assistance généralisé. Je tiens et tiendrai un discours extrêmement ferme de responsabilisation. Enfin, des réformes structurelles sont engagées, notamment via l'intégration européenne, et un processus de contractualisation, comme la conclusion de contrats de ville comparables à ceux de métropole. Il faut sortir du cercle assistance-démagogie-réclamations.
Le Point : Où en est "l'insertion régionale" ?
Dominique Perben : Je vous trouve un peu sévère. D'autant qu'on arrive maintenant à des réalisations concrètes. Dans le Pacifique, nous sommes vraiment engagés dans un système de coopération diplomatique et économique, avec de réelles retombées sur la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie. C'est une façon très positive pour la France d'accroître son influence dans le monde en s'appuyant sur ses territoires d'outre-mer. Il est vrai qu'en revanche il reste beaucoup à faire dans les Caraïbes. Je suis justement en train de réfléchir aux moyens de développer la coopération régionale dans cette zone essentielle où la France possède de nombreux atouts.
10 décembre 1993
La Lettre de la nation magazine
La Lettre de la nation magazine : Qu'est-ce que représentent les DOM-TOM pour la France ?
Dominique Perben : Une chance extraordinaire ! Nous Français de métropole doit être bien conscients du rôle essentiel que jouent les départements et les territoires d'outre-mer pour notre pays en lui permettant d'être présent d'un bout à l'autre du globe et d'être la troisième puissance maritime mondiale. Nous devons également être conscients de l'attachement que témoignent chaque jour à la France nos deux millions de concitoyens de l'outre-mer. Et cet attachement, nous devons le leur rendre en leur délivrant un message d'amitié et, plus, de fraternité.
La Lettre de la nation magazine : Les départements et les territoires d'outre-mer connaissent des taux de chômage très élevés. Quelles actions avez-vous menée depuis le mois d'avril ?
Dominique Perben : La situation outre-mer est particulièrement difficile. Elle est compliquée par l'insularité, l'éloignement et la pression démographique, signe de dynamisme mais également source de chômage. Dans le cas des départements d'outre-mer, 80 000 emplois ont pourtant été créés ces dix dernières années, soit une augmentation en moyenne de près de 3 % par an, ce qui constitue une performance appréciable. Mais dans le même temps, la population active augmentait de près de 160 000 personnes. Il fallait dont traiter les problèmes avec pragmatisme pour passer le plus rapidement possible de la gestion de l'urgence au traitement des problèmes de fond. C'est la raison pour laquelle le Premier ministre m'a confié la mission de travailler sur des propositions de réformes en matière de lutte contre le chômage, afin de tenir compte des spécificités sociales et économiques des départements et territoires d'outre-mer. Les grandes lignes de ces réformes ont été approuvées par le Conseil des ministres du 17 novembre dernier et feront l'objet d'un projet de loi qui sera présenté au Parlement au printemps prochain et complétera le dispositif de la loi quinquennale pour l'emploi, conformément aux dispositions de l'article 83 de cette loi. Trois schémas seront traités en priorité : adaptation du système de RMI, afin de développer l'insertion ; soutien aux activités tournées vers l'exportation ; mise en œuvre d'une politique de qualification et d'aide à la mobilité.
La Lettre de la nation magazine : Vous vous êtes rendu les 4 et 5 novembre derniers à Bruxelles avec les élus des DOM. Quel était le but de cette visite ?
Dominique Perben : J'ai souhaité, lors de cette visite, atteindre deux objectifs. Tout d'abord, poursuivre le travail commencé en 1987 par Bernard Pons et qui a permis que les DOM soient mieux connus des responsables bruxellois et que leurs spécificités soient prises en compte, notamment par la création du POSEIDOM, le programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité des DOM qui vise essentiellement à renforcer la productivité des secteurs agricoles. Les élus présents, parlementaires, présidents de conseil régional et général, ont également pu souligner auprès des responsables bruxellois les difficultés que rencontrent la filière canne-rhum-sucre, la banane, les petites entreprises et l'artisanat, la pêche.
Mon second objectif, et c'est peut-être l'essentiel, était de démystifier la Communauté européenne aux yeux des élus de l'outre-mer.
De leur montrer qu'au fond, Bruxelles n'est qu'une administration comme les autres et que l'on peut travailler avec elle, et travailler bien. Des hommes ont fait connaissance, on a pu discuter librement, mais efficacement sur toute une série de dossiers.
Enfin, nous avons eu confirmation de la très forte augmentation des crédits des fonds communautaires dont bénéficient les DOM. C'est très important, car cette évolution positive a amené l'État, afin de suivre la progression de ces crédits, à augmenter de près de 50 % l'enveloppe qu'il consacrera à la prochaine génération des contrats de plan États-Régions qui seront conclus à la fin de l'année.
Cela signifie que sur les cinq prochaines années, les départements et territoires d'outre-mer auront de vraies chances de développement.