Texte intégral
Je suis heureuse de vous accueillir à quelques jours de l'ouverture du Festival de Cannes, festival qui, cette année, manifestera de la manière la plus éclatante le regain de vitalité créative du cinéma mondial.
Je souhaite, dans ce contexte particulièrement favorable, vous parlez de mon ambition pour le cinéma français. Ambition, le mot est fort, mais il ne pèche pas par excès. Il manifeste toute la confiance que nous sommes aujourd'hui autorisés à porter dans l'avenir, à condition bien sûr que nous tous – j'entends par là la profession, les créateurs et les pouvoirs publics –, sachions en réunir les conditions de manière lucide et résolue.
Plusieurs raisons m'incitent à la confiance.
La cinématographie française a su assurer un renouvellement continu de ses talents ainsi que l'adaptation de ses structures économiques. Dans un marché international soumis aux dures lois du marché, elle s'affirme aujourd'hui comme la seconde du monde. Elle l'a fait sans sacrifier les délicats équilibres internes entre l'activité de groupes tendant à l'intégration et les entreprises indépendantes qui jouent un rôle indispensable dans les divers secteurs de cette profession. Préservez ces équilibres me semblent une priorité absolue.
Une telle vitalité place notre industrie au coeur du système européen de coproductions. Elle confère aussi au cinéma un rôle décisif, peut-être même central, dans la vie culturelle de notre pays, perçue dans ses dimensions tant industrielles qu'artistiques. Le cinéma reste l'une des toutes premières pratiques culturelles des Français. La pluralité de sa création lui permet à la fois de rassembler autour de films de grande audience et d'aller au-devant de publics aux attentes diversifiées. Le succès de Marius et Jeannette, applaudi largement (plus de 2 millions d'entrées à ce jour), en est une belle illustration.
On ne saurait davantage sous-estimer l'impact proprement économique du cinéma. Si le montant global des investissements (4,6 milliards en 1997) est bien inférieur à celui du secteur proprement audiovisuel, le cinéma constitue plus que jamais un élément majeur dans l'économie des programmes et dans la production des images.
À cet égard, mon ambition et ma confiance trouvent à se nourrir de la tendance fortement expansive dans laquelle s'inscrit à nouveau l'activité cinématographique. On a parlé d'une embellie, mais c'est plutôt une phase nouvelle de croissance et de développement qui s'ouvre pour le secteur.
L'indice le plus fort en ce sens est, bien sûr, donné par le vigoureux redressement de la fréquentation qui s'observe en France et sur le plan international. Après avoir tendanciellement fléchi, pour baisser de 50 % en vingt ans, cette fréquentation s'est fortement redressée, passant en cinq ans de 115 millions à près de 150 l'année dernière. Cette évolution est, on le sait, directement liée à l'ouverture de multiplexes.
Mais il est remarquable que ce renversement de tendance s'observe à l'heure où les nouvelles chaînes dites thématiques, les bouquets de programmes par satellite, les lecteurs de disques digitaux, le réseau Internet et ses usages familiaux sont en développement rapide. Cette croissance est portée par une reprise forte de l'investissement qui concerne tous les types de salles. Elle s'accompagne également d'un vif regain de l'effort de production, regain qui, lui aussi, ne laisse à l'écart aucune catégorie de films. 158 films ont ainsi été produits en 1997, contre 131 en 1996.
Je n'ignore, bien sûr, ni les éléments de fragilité que comportent ces évolutions – il en va ainsi de tout boom économique –, ni surtout les déséquilibres qui, en l'absence de mesures correctrices, pourraient en résulter. Les professionnels en sont également conscients. C'est donc notre responsabilité conjointe de saisir la nouvelle chance qui s'ouvre au cinéma français en sachant en maîtriser, ensemble, la part inévitable de risque.
Mais c'est encore là pour moi un motif de confiance et d'ambition pour l'avenir. J'ai éprouvé, en de multiples occasions depuis l'année dernière, quel potentiel représentent pour le cinéma français l'organisation de ses professions, leur réalisme et leur capacité de mobilisation.
Sans trop m'écarter de mon sujet, je dirais, à cet égard, que le rôle que jouent les cinéastes, lorsqu'ils le jugent nécessaire, dans le débat civique me paraît donner la mesure de la place décisive qu'occupe cet art dans la vie de notre pays. C'est pourquoi je respecte leurs expressions et y suis attentive.
S'agissant de la politique du cinéma, la mobilisation des forces professionnelles nous a, en tous cas, porté chaque fois qu'il l'a fallu, à défendre ensemble, contre les tenants de l'ultra-libéralisme, les principes qui fondent, depuis des décennies, le système de soutien aux industries cinématographiques. Après avoir démontré son aptitude à s'ouvrir au développement de l'activité audiovisuelle, ce système sort, à mon avis, renforcé de ces combats où il a fait la preuve de sa légitimité comme de son efficacité. Il me semble frappant, à cet égard, que la Conférence de Birmingham, annoncée pour en sonner le glas, puisse au contraire ouvrir la voie à des complémentarités nouvelles entre systèmes nationaux de soutien et aides communautaires.
Bien plus, à l'ombre de ces grandes batailles, c'est dans un dialogue ininterrompu avec les professionnels que, jour après jour, de multiples réformes permettent au système en place de s'adapter, d'évoluer, d'anticiper les changements économiques, de les corriger chaque fois que cela est nécessaire. C'est ainsi que la politique du cinéma reste en permanence en chantier. Et c'est bien d'une telle concertation que résultent l'ensemble des mesures qui donnent corps, aujourd'hui, à notre nouvelle ambition.
J'ai choisi de poursuivre trois objectifs majeurs pour répondre à cette ambition, avec comme souci principal d'encourager la diversité du cinéma.
MIEUX PRÉSERVER LA PLACE DES INDÉPENDANTS POUR MIEUX GARANTIR LA DIVERSITÉ DE LA CRÉATION CINÉMATOGRAPHIQUE, TEL EST LE PREMIER OBJECTIF QUE JE ME SUIS FIXÉ.
Pour moi, le cinéma français s'illustre par la diversité. Les chiffres sont là, fruits d'une politique constante. Le nombre de premiers films produits chaque année (59 premiers et deuxièmes films sur les 125 films d'initiative française produits en 1997), l'éclectisme de la production française que soulignent les titres à succès de l'an dernier, témoignent de la formidable capacité de renouvellement créatif du cinéma français.
L'importance des investissements nécessaires à la production cinématographique et le rôle joué par les télévisions dans son financement conduisent cependant à une concentration de l'ensemble du secteur qui peut avoir des effets négatifs pour l'avenir de notre cinéma national.
C'est pour mieux garantir la pluralité de la création de demain, que j'ai choisi d'agir sur l'ensemble de la filière cinématographique :
- Tout d'abord en aidant au mieux à l'émergence de nouveaux talents. Tel est le rôle de la FEMIS qui va accéder au statut d'établissement public. Cela passe également par les aides à l'écriture, désormais allouées au titre de l'avance sur recettes et dont la mise en oeuvre pourra bénéficier de l'appui d'un atelier associatif professionnel, Scénario.
– Ensuite en confortant le rôle irremplaçable de la production indépendante. La prochaine loi sur l'audiovisuel précisera les critères juridiques et économiques définissant celle-ci. Les obligations économiques des diffuseurs à son égard pourront ainsi être clairement organisées, dans le prolongement des accords conclus par le BLIC avec les différentes chaînes. Je souhaite, dans l'immédiat, qu'ils puissent être validés par décret.
– En réformant en profondeur le soutien automatique à la distribution afin d'encourager les professionnels qui prennent le plus de risques. À cet égard, j'ai récemment reçu l'accord de Bercy pour lancer effectivement en 1998 l'expérience de majoration du soutien à la distribution estivale de films français. Une nouvelle majoration du barème bénéficiera par ailleurs à la distribution des premiers et deuxièmes films.
– Enfin en orientant toute la politique de l'exploitation dans le sens d'un soutien au maintien d'une pluralité forte. La politique conduite en faveur des exploitants de salles de cinéma doit, bien sûr, prendre en compte les risques de déséquilibres que comporte le développement des multiplexes. La réforme du soutien automatique comporte un barème nettement plus favorable pour les petites salles et prend en compte les frais spécifiques des salles moyennes comportant trois à neuf écrans. S'agissant des aides sélectives, je vais nommer un groupe d'experts qui sera chargé de me proposer de nouvelles règles d'attribution du soutien aux salles indépendantes – dont je vous rappelle qu'il se monte chaque année à plus de 150 millions de francs.
Par ailleurs, les seuils prévus pour la création et l'extension de multiplexes seront très prochainement abaissés (de 1 500 à 1 000 places pour les créations de salles, de 2 000 à 1 500 pour les extensions) afin de mieux maîtriser les conséquences urbaines et culturelles de l'implantation de ces équipements.
En outre, conformément aux propositions faites par le Comité consultatif de la diffusion cinématographique, les exploitants de salles qui détiennent dans leur zone une part importante de marché, pourront, comme le prévoyait d'ailleurs la loi de 1982, être amenés à souscrire des « engagements ». Ceux-ci comporteront des obligations visant à une programmation mieux équilibrée en faveur des films français et européens dans des conditions ménageant cependant l'accès des salles indépendantes, d'art et d'essai notamment, à la diversité des films nécessaire à leur équilibre.
LE DEUXIÈME OBJECTIF QUE JE ME SUIS FIXÉ EST D'ÉLARGIR LES DÉBOUCHÉS DU CINÉMA FRANÇAIS
La croissance des grandes télévisions nationales hertziennes, aujourd'hui principales contributrices au financement du cinéma, s'est ralentie depuis deux ans. Les nouveaux supports – chaînes thématiques, bouquets satellitaires, demain le paiement à la séance, la vidéo à la demande – comme les supports traditionnels que sont la vidéo et les circuits de salles doivent devenir de véritables acteurs financiers du secteur.
– Le cinéma français occupe une part significative du marché national, à la télévision sous l'effet des quotas de diffusion (40 %), et en salles (en moyenne 35 % de parts de marché sur les cinq dernières années). Il est essentiel de conquérir une part comparable tant sur les nouveaux supports que sur la vidéo.
C'est dans cette perspective, que le projet de loi audiovisuel posera les principes visant à assurer une plus grande fluidité des droits et à adapter la chronologie de diffusion des films à la multiplication des supports. Un meilleur accès des films sera ainsi ménagé aux nouvelles formes de télévision payantes : chaînes thématiques ou paiement à la séance. En contrepartie, la production cinématographique peut attendre que des ressources significativement croissantes résultent pour elle de ces nouveaux modes d'exploitation.
S'agissant de la vidéo, dont le chiffre d'affaires cinéma équivaut désormais à celui des salles, je souhaite que l'adaptation du soutien aux éditeurs favorise la constitution plus rapide d'un catalogue d'oeuvres européennes et françaises, notamment sur le support DVD aujourd'hui disponible.
– Au plan international, la France doit se donner les moyens de bénéficier de la reprise de la fréquentation observée d'abord en Europe, ensuite dans le reste du monde. Je vous rappelle qu'Unifrance mène une action déterminée en faveur du rayonnement du cinéma français et de son exportation dans le monde. La réforme de l'agrément des films fournit de plus l'occasion d'une renégociation des nombreux accords bilatéraux de coproduction signés par la France dans le sens d'un assouplissement, d'une extension aux engagements de diffusion souscrit de part et d'autre, et d'une réciprocité réelle.
En matière de coopération internationale, j'attends aussi beaucoup du Fonds Sud que je vais renforcer et qui, dans la tradition d'accueil par la France des grands cinéastes étrangers, concourt à la création des films de pays de haute civilisation, telle que l'Égypte ou l'Iran.
Enfin, la France soutiendra les avancées européennes de la politique européenne en faveur du cinéma et de l'audiovisuel et, en particulier, la mise en place d'un dispositif de garantie des implantations à l'étranger, demandé par les professionnels à l'issue de la Conférence de Birmingham.
Cette dimension européenne de mon engagement est, à mes yeux et depuis toujours, absolument essentielle. Le cinéma peut, c'est un de ses devoirs les plus nobles, occuper une place centrale dans la démocratie culturelle que j'appelle de mes voeux et qui constitue le plus sûr appel à la tolérance et à l'intelligence.
LE CINÉMA EN FRANCE A TOUJOURS EU LE STATUT D'UN ART À PART ENTIÈRE. SA DIMENSION CULTURELLE DOIT ÊTRE FERMEMENT AFFIRMÉE. C'EST MON TROISIÈME OBJECTIF.
Pour moi, l'action publique en faveur du cinéma ne peut se résumer aux seules préoccupations d'ordre économique ou structurel. Septième Art, le cinéma est un enjeu de culture. Il mobilise en France des milliers d'associations, collectivités ou individus qui participent à des activités diverses, d'éducation, de création ou plus simplement de diffusion de films de qualifiés de plus difficiles.
Ma politique visant à faire découvrir aux élèves les oeuvres cinématographiques dans leur lieu naturel, la salle de cinéma, sera renforcée. Je réunirai d'ici la fin de l'année les représentants des 127 collectivités locales qui ont signé des accords avec le CNC.
Je terminerai par un point essentiel à mes yeux : le patrimoine cinématographique. Lors de la Fête du cinéma, qui se déroulera le 30 juin, je présenterai les grandes lignes d'une politique patrimoniale ambitieuse et j'annoncerai la nouvelle implantation de ce que l'on a jusqu'à présent appelé le « Palais du cinéma » qui sera consacré à la culture cinématographique, regroupera la Cinémathèque française, la Bibliothèque du film et développera des formes nouvelles de consultation des films et de la documentation cinématographique.
Dans l'immédiat, je veillerai à ce que la Cinémathèque française trouve, dans son site historique de Chaillot, les moyens provisoires d'exercer la continuité de sa mission.
Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.