Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication, sur la politique culturelle de l'Union européenne, Bruxelles le 30 janvier 1998.

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Circonstance : Forum culturel de l'Union européenne, à Bruxelles le 30 janvier 1998

Texte intégral

Monsieur le Commissaire,

M. le Président de la commission chargée de la culture au Parlement européen,

Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Au terme de ce forum qui a permis de brasser tant d'idées intéressantes, je souhaiterais vous exprimer très clairement mon point de vue. Je crois qu'il y a une véritable urgence à donner une réalité à la politique culturelle de l'Union européenne.

Certes, il n'est jamais inutile de rappeler combien les Européens disposent de racines culturelles communes, dans toute la diversité de leurs cultures. Cela a été l'objet de plusieurs interventions qui me paraissent tout à fait justifiées. Mais au-delà de ce contrat sur lequel peut s'instaurer assez facilement un consensus, il me parait indispensable d’affirmer ce qui va sans doute moins de soi, c'est-à-dire la nécessité d'une véritable politique culturelle européenne.

Une véritable politique pour accroître la circulation des œuvres de l'esprit en Europe, pour permettre aux créateurs des différents pays de l'Union de travailler davantage en commun, et pour bien d'autres objectifs sur lesquels je vais revenir, ce n'est pas un simple supplément d'âme que d'aucuns voudraient plaquer sur une structure technocratique. Il ne s'agit pas d'agrémenter la politique monétaire commune, la politique fiscale commune, etc., d'une facette plus chatoyante consacrée au divertissement. Il s'agit, selon moi, d'une véritable politique, forte, cohérente, visible, compréhensible, efficace.

Le titre d'un rapport du Conseil de l'Europe est explicite : « la culture au cœur », « in from the margins » dans sa version anglaise qui est malheureusement encore la seule disponible. « La culture au cœur », cela implique un certain volontarisme politique, qui me parait tout à fait d'actualité. Le Ministère de la Culture en France s'est fixé dès ses origines pour but de rendre la culture plus accessible à tous. J'ai souhaité insister particulièrement dans mon action sur cet objectif, parce que je le crois indispensable à toute véritable démocratie qui n'accepte pas l'exclusion et qui milite pour la dignité de l'homme. Cet objectif national me parait, à l'évidence, pouvoir aussi être retenu par l'Union européenne.

Je me suis réjouie de constater que, dans de nombreux pays d'Europe, la responsabilité des affaires culturelles est maintenant plus qu'hier confiée à un ministère de plein exercice, explicitement en charge de la culture, et à des personnalités politiques éminentes. M. le Commissaire chargé de la culture, mon cher ami Marcelino Oreja, vous êtes aussi un responsable de premier plan. Tout cela doit militer, à mon sens, pour que l'Union européenne mette enfin en œuvre une véritable politique culturelle.

Cette politique doit avoir selon moi, c'est évident, un volet audiovisuel très important. Nous aurons bientôt l'occasion d'en discuter lors des Assises européennes de l'audiovisuel organisées en avril à Birmingham. Le domaine de l'audiovisuel répond à des logiques particulières, et dispose d'instruments spécifiques. Nous réfléchissons aujourd'hui aux autres aspects de la politique culturelle européenne, et plus particulièrement au futur programme cadre culturel pour lequel la Commission doit nous faire des propositions avant le 1er mai prochain. Je souhaite à cet égard évoquer successivement la méthode qui me semble devoir être pratiquée pour la préparation du programme cadre, et les objectifs que nous devrions nous fixer.

En ce qui concerne la méthode à adopter pour préparer le futur programme-cadre culturel, un aspect me parait essentiel : la nécessaire prise en compte du point de vue des artistes, des créateurs, et de tous les professionnels qui œuvrent dans le domaine culturel, avec une attention particulière pour ceux d'entre eux qui ont une pratique régulière des échanges culturels internationaux. Je pense notamment aux réseaux culturels européens, dont l'avis me parait devoir être pris soigneusement en considération. C'est pourquoi la France a soutenu l'organisation à Marseille en octobre dernier d'un séminaire sur le thème de la coopération culturelle en Europe par le Forum européen pour les arts et le patrimoine. Les conclusions de ce séminaire me semblent tout à fait intéressantes.

C'est pourquoi aussi je félicite la Commission pour l'organisation de ce forum qui associe les professionnels aux représentants des Etats et au Parlement européen. Il me parait tout à fait utile de tenir compte de l'expérience des professionnels, ainsi que de celle des parlementaires européens, dont j'ai longtemps fait partie, et dont les avis mériteraient le plus souvent, je crois, d’être bien davantage pris en considération. Le forum organisé hier et aujourd'hui ne doit être, selon moi, que l'une des étapes de ce dialogue nécessaire.

Il faut aussi que cette réflexion sur le nouveau programme-cadre se déroule sans complaisance et sans angélisme. J'imagine que les points de vue critiques sur les programmes existants se sont multipliés au cours des ateliers qui viennent de se dérouler. Je crois en effet qu'un bilan réellement critique des premières tentatives, bien timides et pourtant bien laborieusement obtenues, d'action de l'Union européenne à travers des programmes culturels, est indispensable. Ces critiques ne doivent pas nous conduire à l'inaction, pas plus qu'à la multiplication de formules creuses restant dans le domaine de l'invocation. Nous devons au contraire nous fixer des objectifs clairs et simples pour être efficaces.

Quels objectifs s'imposent pour la préparation du programme-cadre ? Je voudrais consacrer la dernière partie de mon intervention à préciser les axes qu'il convient selon moi de retenir.

Il me parait d'abord essentiel que la politique culturelle de l'Union européenne vienne compléter celle des Etats membres et non pas s'y substituer. Il ne s'agit pas de demander à l'Union européenne de pallier aux carences des Etats. Les Etats-membres doivent mener leur propre politique culturelle, qui doit selon mes conceptions être tout à fait ambitieuse, et c'est en parallèle, sur des objectifs propres et spécifiques, que doit se développer la politique culturelle de l'Union.

Les interventions culturelles de l'Union européenne, en second lieu, me paraissent devoir présenter un caractère emblématique, être suffisamment fortes et visibles, éviter le saupoudrage, ne pas induire des frais de gestion supérieurs aux aides effectives apportées. L'accès au programme ne doit pas pour autant exclure les opérateurs culturels les plus modestes, et dans mon esprit le réseau des Banlieues d'Europe est aussi important que celui de l'Union des théâtres de l'Europe, deux bons exemples à mon sens d'actions méritant d'être soutenues.

La réforme de l'action culturelle de l'Union doit avoir pour troisième objectif la transparence et la clarté des mécanismes de décision. La loterie peut dans certains de nos Etats être une source de financement pour la culture, elle ne saurait en aucun cas constituer une méthode à retenir pour le choix des actions à aider. Les nouvelles voies auxquelles a songé la commission dans ce domaine me paraissent intéressantes à explorer.

Enfin, le nouveau programme-cadre devrait selon moi se concentrer sur l'aide à la diffusion et l'aide à la coproduction : il doit avant tout permettre une meilleure circulation des œuvres, des créateurs, des chercheurs, à travers toute l'Europe, et offrir de plus grandes possibilités de création et de recherche en commun. Tous les aspects de la culture doivent être concernés, et il me parait indispensable par exemple de ne pas négliger l'architecture, pas plus que le secteur des industries musicales, du spectacle vivant, du livre ou du patrimoine, avec un intérêt particulier pour les nouvelles technologies.

L'objectif général du programme devrait être de contribuer à la création d'un espace culturel ouvert. La culture, nous le savons tous, et André Malraux l'avait rappelé, c'est avant tout la possibilité d'une confrontation.

Rendre cette possibilité de confrontation accessible au plus grand nombre, c'est notre responsabilité éminente.

Le nouveau programme-cadre ne résoudra pas tous les problèmes. Nous savons que, dans les enceintes européennes, il faudra rester vigilants pour que les fonds structurels puissent continuer à bénéficier toujours plus à des projets culturels. Il faudra rester vigilants aussi pour que le programme de recherche et développement, qui concentre l'essentiel des moyens consacrés par l'Union européenne aux politiques internes, puisse davantage soutenir des projets culturels, notamment dans le domaine des nouvelles technologies. La politique extérieure de l'Union, sa politique fiscale, doivent davantage prendre en compte les exigences culturelles. Dans d'autres enceintes aussi, et particulièrement au sein de l'OCDE comme de l'OMC, la vigilance s'impose pour éviter la banalisation du secteur culturel, la standardisation universelle, la fin du pluralisme culturel. Tous ces combats me verront active et déterminée, et je sais pouvoir compter sur la présence de beaucoup d'entre vous à mes côtés. Mais, dans le cadre qui nous est imparti aujourd'hui, il est de notre devoir de veiller à ce que le futur programme-cadre soit bien l'un des instruments d'un véritable politique culturelle de l'Union européenne.

Giorgio Strehler, qui vient de nous quitter, avait une idée éminente du rôle de la culture en Europe, et de l'Europe dans le domaine culturel. C'est en pensant à lui, à notre responsabilité à son égard comme à l'égard de tous les créateurs européens et de tous les citoyens de l'Europe, que je termine cette intervention.