Interviews de Mme Simone Veil, ministre des affaires sociales de la santé et de la ville, à RTL le 6, à "Libération" le 21 et dans "L'Evénement du jeudi" le 28 avril 1994, sur le SIDA, le débat parlementaire sur les projets de loi sur la bioéthique, le manque de médiatisation de l'action de Mme Veil et la politique de la ville.

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Média : RTL - Libération - L'évènement du jeudi

Texte intégral

RTL : mercredi 6 avril 1994

P. Caloni : Un sondage de la SOFRES pour le Figaro : 52 % de gens ont vraiment très peur du sida et ce chiffre passe à 71 % pour les 18-24 ans.

Simone Veil : Les jeunes ont raison. Ils sont lucides. Cela vaut mieux qu'ils soient inquiets parce que cela les incite à prendre toutes les précautions, à se fidéliser sur le plan de leurs relations sexuelles, à être conscients de ce que cela représente et, cette fidélité n'étant pas suffisante pour les protéger, de savoir utiliser des préservatifs et d'y penser.

P. Caloni : Il y a une dizaine d'années, le sida commençait à apparaître, tout le monde prenait tout ça à la rigolade ou presque…

Simone Veil : J'en ai été très frappée moi-même par ce que je vivais beaucoup plus sur le plan européen à l'époque. Je rencontrais beaucoup de politiques, de médecins, de scientifiques qui étaient très inquiets de l'épidémie de sida même s'il y avait peu de cas dans nos pays au début. Je trouvais qu'il y avait une très grande différence entre la façon dont on voyait les choses en France, avec une sorte de laxisme, on ne voulait surtout pas inquiéter, on ne voulait pas faire peur, on ne voulait pas prendre des mesures draconiennes et on n'en parlait pas. On avait peur, on ne voulait pas prendre des mesures draconiennes et on n'en parlait pas. On avait peur, en en parlant, d'avoir l'air de faire des discriminations. En même temps, eux-mêmes qui étaient atteints trouvaient qu'on n'en parlait pas assez. J'étais invitée à deux des grands congrès internationaux sur le sida à Montréal et à Amsterdam. J'ai vu la différence qu'il y avait entre cette mobilisation nationale dans certains pays et une mobilisation vis-à-vis de l'ensemble du monde. C'est un phénomène international, planétaire, c'est seulement si tous les pays se mettent ensemble qu'ils arriveront à lutter efficacement. C'est ce que font les scientifiques. C'est une prise de conscience de la situation en Afrique qui, sur le plan humanitaire et sur le plan médical, est absolument catastrophique.

P. Caloni : Il faut dire qu'il y a plusieurs sida ? Celui des pauvres et celui des riches ?

Simone Veil : Je ne dirais pas cela. Quand vous dites plusieurs, c'est vrai. Sur le plan de la mentalité, c'est loin, on aime mieux ne pas y penser. Je crois surtout qu'on n'a pas du tout conscience de la réalité. On se dit il faut déjà faire quelque chose ici. S'il faut en plus prendre en compte tous les malheurs du monde. Aujourd'hui, il faut voir qu'il n'y a pas seulement l'Afrique avec des centaines de milliers d'orphelins et l'Asie qui commence à être contaminée, mais aussi le drame international qui va modifier les grands équilibres démographiques, les grands équilibres économiques, même en Afrique. C'est déjà le cas. J'ai présidé au Parlement européen qui était constitué à la fois des pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, et de pays européens. Nous avons fait un rapport qui constatait une situation dramatique. Je crois que cette journée sida l'évoquera. Cela ne s'est jamais passé nulle part. On rattrape le temps perdu et c'est une chose formidable qu'il faut souligner.

P. Caloni : La trilogie, c'est information, prévention, recherche ?

Simone Veil : Oui et je crois qu'il y a quelque chose de très particulier dans cette maladie qui pose un problème d'exclusion, de droits de l'homme et le besoin d'être soutenus, aidés et aimés comme il n'existe que des espoirs de rémission, qui sont réels. Il y a des chaînes de solidarité formidables, avec des gens extraordinaires dans les associations. Cette journée demain, c'est aussi cela.

P. Caloni : Hasard du calendrier, c'est demain que l'on parle au Palais-Bourbon de la loi sur la bioéthique. Où en est-on ?

Simone Veil : En deuxième lecture, qui se présente très bien. Le débat au Sénat a été de très haute dignité, de très grande qualité, qui a su parfaitement transcender les clivages. La préparation en commission parlementaire à l'Assemblée montre que cela va être la même chose. Il y a certaines divergences sur des questions tout à fait fondamentales. Pour l'instant, la position prise par la commission des Affaires sociales n'est pas la même que celle du Sénat en ce qui concerne le diagnostic pré-implantatoire, la possibilité de détecter certains maladies génétiques à caractère exceptionnel sur l'embryon, avant même que l'embryon soit implanté. On peut encore agir de façon très précoce. Le Sénat l'avait complètement exclu en craignant des risques de manipulation génétique. L'Assemblée nationale propose une solution qui est très rigoureuse, présentant toutes les garanties. J'espère qu'on arrivera à se mettre d'accord sur quelque chose qui va dans le sens de soulager au maximum la misère des hommes en ne risquant pas de porter atteinte à des grands principes et à des grandes valeurs.

P. Caloni : Est-ce que cela peut changer notre culture ? L'améliorer ?

Simone Veil : C'est ça. Il faut appréhender les progrès scientifiques de telle sorte que la science soit un progrès et ne puisse pas porter atteinte aux valeurs humaines. Il faut faire attention. C'est le cas de ce texte sur la bioéthique. Jamais on n'a été aussi loin dans le risque de remise en cause de certaines valeurs. Il faut donc être extrêmement attentif. Ce qui me frappe, c'est que le ton du débat au Sénat a été parfaitement conforme à cette recherche et je suis sûre qu'à l'Assemblée nationale, tout est prêt pour que ce soit abordé dans le même esprit. La France sera un des premiers pays à sortir un texte sur la bioéthique, qui sera un texte humain, qui prend en compte la souffrance des femmes qui n'ont pas d'enfant, des couples qui n'en ont pas et qui en souhaitent, des difficultés pour faire des greffes parce qu'elles deviennent de plus en plus difficiles. Cabrol me disait hier : il faut que des gens acceptent que l'on fasse des greffes au moment où il y a un décès et où l'on peut sauver une vie humaine. C'est la vie et la mort qui sont en cause mais pas à n'importe quel prix, en respectant l'identité humaine, la personnalité humaine.


Libération : 21 avril 1994

Libération : Avant d'aborder l'éthique, parlons déontologie. Depuis quelques jours, un débat a lieu sur le secret médical. Ainsi, l'Académie de médecine propose même d'en assouplir les conditions, en particulier en matière de sida, dans le cas d'un couple ou l'un serait séropositif et le cacherait à son partenaire.

Simone Veil : Sida ou pas, je ne suis pas favorable aux dérogations à ce principe. Le secret médical a été institué pour garantir un rapport de confiance entre le médecin et son patient, d'où son caractère absolu. Les dangers d'un éventuel assouplissement me paraissent beaucoup plus grands que les quelques avantages à court terme d'un aménagement. Reste que le médecin a la responsabilité de faire tout son possible pour convaincre le patient de prévenir son ou sa partenaire.

Libération : En clair, vous ne toucherez pas au secret médical ?

Simone Veil : Je n'y toucherai pas.

Libération : Concernant les textes de bioéthique, le débat à l'Assemblée a été, aux yeux de tous, de très bonne qualité. Cela suffit-il à faire une bonne loi ?

Simone Veil : Je le crois. Le résultat est une loi équilibrée, à la fois attentive aux préoccupations humaines et respectueuse de l'intérêt de la collectivité, ou plus exactement de l'élan de solidarité qui se manifeste dans notre société. Une loi qui sait prendre en compte la réalité des pratiques, tant pour l'aide à la procréation que pour les greffes d'organes. En même temps, c'est une loi qui trouve nécessairement ses propres limites. Car on reste face à d'énormes incertitudes. Comment sera l'avenir ? Nous avons cherché à encadrer, empêcher des dérapages, mais nous ne répondons pas à tout.

Libération : À l'Assemblée, paradoxalement, le débat fut plus médical que politique, et d'une certaine façon plus technique qu'éthique.

Simone Veil : Peut-être. Cela tient sûrement au rapporteur, le professeur Jean-François Mattei, à la présidente de la Commission, Élisabeth Hubert, tous deux médecins, ainsi qu'à la participation de nombreux députés médecins. Il y a eu un débat, sans fausse polémique, abordant beaucoup de questions très techniques. Avec un gros travail en commission, transcendant les clivages politiques. Au Sénat, le débat a été plus politique, beaucoup de sénateurs, notamment les femmes, craignant que l'on revienne sur la question du statut de l'embryon.

Libération : En tout cas, êtes-vous contente ?

Simone Veil : Oui, très contente. Peut-être faudra-t-il encore quelques aménagements lors de la dernière navette. Je pense en particulier aux procédures légales pour les procréations médicales avec tiers donneurs, qui manquent de souplesse. Par exemple, qu'outre le couple receveur, le donneur doive aussi donner son consentement devant le juge, cela me paraît un peu lourd.

Libération : Il y a eu des changements significatifs entre le texte des sénateurs et celui des députés, en particulier sur le diagnostic préimplantatoire et sur la recherche sur l'embryon. On a l'impression que sur ces points, la position du gouvernement a évolué.

Simone Veil : Ma position de départ était ouverte à des exceptions très encadrées. Je l'avais dit au Sénat. C'est vrai que je ne me suis pas opposée aux sénateurs qui pour éviter d'éventuelles dérives eugéniques, avaient adopté une position très rigoureuse, tant sur les DPI que sur les recherches sur l'embryon. Depuis, j'ai beaucoup écouté, j'ai beaucoup entendu les praticiens, en particulier ceux des Cecos (les banques de sperme). J'ai vu comment ils travaillaient. Ils nous ont montré les contradictoires entre l'interdiction de tous DPI et l'autorisation du diagnostic prénatal, car c'était alors créer des déséquilibres insupportables, avec des risques d'interruptions de grossesse tardives et traumatisantes.

D'où le choix retenu : une autorisation très encadrée, pour des couples ayant déjà eu un ou plusieurs enfants, souffrant d'une maladie très grave.

Libération : Sur les greffes, vous avez accepté toutes les recommandations des greffeurs.

Simone Veil : Il ne faut pas dire que ce sont les greffeurs qui ont gagné. Si l'on a assoupli certaines conditions de prélèvements, c'est pour que la vie gagne sur la mort. Faciliter les greffes, comment ne pas être partisan ? Je considère que sur la question du consentement, il faut présumer de la solidarité. C'est en tout cas ma démarche, mon regard sur la société que de croire que les gens sont naturellement favorables à ce geste du don d'organes. Bien sûr, il faut l'encadrer et, dans la mesure du possible, demander l'avis des familles.

Libération : D'où la création d'un registre national où ceux qui s'y opposent pourront se faire connaître. Ce registre, pourtant, les sénateurs le jugeaient inutile et inefficace.

Simone Veil : Cette possibilité de refus ne touche pas au principe fondamental de la présomption de consentement. C'est une garantie pour ceux qui s'opposent au prélèvement de leurs organes.

Libération : De même pour le comité d'éthique. Le voilà à nouveau inscrit dans la loi.

Simone Veil : Les sénateurs ne le voulaient pas, les députés le souhaitent. Là aussi, ce n'est pas un point de rupture. Reste que maintenant, le comité d'éthique va donner des recommandations, et non plus des avis. Je ne sais pas si ce changement de mot est judicieux, je préférerais revenir à la notion d'avis, juridiquement plus claire.


L'Événement du Jeudi : 28 avril 1994

L'Événement du Jeudi : On vous fait des reproches sur votre action gouvernementale et…

Simone Veil : Il faudrait savoir qui fait ces reproches et à qui ils profitent…

L'Événement du Jeudi : Nous allons vous le demander.

Simone Veil : Cherchez et vous trouverez…

L'Événement du Jeudi : Ces critiques, qui viennent de toutes parts, notamment de l'entourage de Charles Pasqua, ont été reprises par la presse et paradoxalement votre image se renforce dans l'opinion. Vous gagnez des points dans les sondages.

Simone Veil : Cela prouve, sans doute, que les Français ne s'y trompent pas. Ils ont suffisamment de lucidité pour voir si l'on cherche à apporter des solutions concrètes, pour distinguer le travail en profondeur de la mousse médiatique, les vraies solutions à leurs problèmes et les réponses pour la télévision, auxquelles ils ne croient plus. Ils savent aussi qu'il n'y a pas de solution miracle.

L'Événement du Jeudi : Mais en faites-vous assez sur le Plan médiatique ?

Simone Veil : Sans doute pas. Mais je ne suis pas du genre à monter des coups pour les caméras. Il y a deux ans, en Bosnie, je n'ai pu me résigner à médiatiser mon déplacement, même si je savais que ce serait utile pour la cause que je voulais défendre. Quand j'embrasse un enfant, je supporte très mal que ce soit filmé, je trouve cela indécent. Je n'y peux rien ; c'est sans doute une forme de pudeur. Je ne me vois pas, comme Bernard Tapie, taper dans un ballon avec des jeunes. Je préfère les rencontres plus personnelles, où l'on peut vraiment se parler, s'écouter. J'ai tenu nombre de réunions avec des jeunes dans les quartiers, mais pas nécessairement devant des journalistes.

L'Événement du Jeudi : Balladur et Pasqua, eux, lorsqu'ils effectuent des déplacements, attirent une pléthore de journalistes.

Simone Veil : C'est vrai, mais ils en ont les moyens, le ministère de l'Intérieur est riche, les Affaires sociales sont pauvres. Je ne dispose pas des possibilités matérielles, financières, permettant de recevoir, d'organiser des déplacements en emmenant beaucoup de monde. Ce ministère manque aussi terriblement de ressources humaines. Il ne s'agit plus d'une question d'argent. Ce qui est en cause, c'est le rôle de tous ces fonctionnaires démobilisés par la décentralisation, et les démembrements consécutifs à la création d'agences extérieures au ministère. Je m'emploie à les remobiliser, à les faire travailler ensemble. Par exemple, à impliquer les responsables de l'action sociale dans la politique de la ville. Tout cela prend beaucoup de temps.

L'Événement du Jeudi : Pourquoi n'êtes-vous pas intervenue lors de la soirée télé sur le sida.

Simone Veil : Parce que je défendais au même moment la loi sur la bioéthique à l'Assemblée nationale et que les députés n'auraient pas compris mon absence. Sur le sida, je me suis beaucoup impliquée, et cela depuis des années. Le plan sida annoncé en 1993, la mise en œuvre du rapport du Pr Montagnier, qui sert actuellement de guide à l'action du gouvernement, le tournant dans la politique d'utilisation de la méthadone et l'échange des seringues… J'ai insisté auprès de Jean-Pierre Elkabbach pour qu'il accepte un projet d'émission régulière sur le sida. Je visite fréquemment des services accueillant les malades du sida. Mais quand j'effectue ces visites de travail, croyez que je n'ai pas toujours le temps ni même l'envie de me faire photographier, de monter des coups… Il m'a fallu par ailleurs déployer des efforts considérables pour remettre en ordre la transfusion sanguine, pour veiller à ce que tout risque soit écarté. La nature même de ces dossiers s'oppose à un traitement médiatique.

L'Événement du Jeudi : C'est-à-dire ?

Simone Veil : Les questions de santé sont complexes, les problèmes de fond très difficiles, d'autant que le scandale du sang contaminé pèse d'un terrible poids moral. Nous nous sentons toujours responsables ; personne, dans cette maison, ne peut se permettre de prendre une décision à la légère. Il me faut voir les gens encore et encore, les aider à trancher ; tout en sachant que, même si on essaie de réduire les dangers au minimum, le risque zéro n'existe pas. Mon obsession première n'est pas de communiquer mais d'apporter des solutions aux problèmes.

L'Événement du Jeudi : Vous n'auriez pas besoin d'un secrétaire d'État à la ville à vos côté ?

Simone Veil : Un secrétaire d'État n'allège pas nécessairement le travail. Au contraire, il suscite des coordinations supplémentaires. Si le Premier ministre a voulu, à son arrivée, un gouvernement resserré, c'était dans un double objectif : assurer plus de cohérence et donner aux ministres l'autorité qui leur permette d'appliquer les décisions. Ce qui a retardé la mise en place des décisions de juillet dernier, c'est qu'elles relèvent de nombreux ministres. Nous aurons l'année prochaine un fonds unique à la disposition des préfets, ce qui simplifiera beaucoup.

L'Événement du Jeudi : Mais il y a urgence : les Français voient des émeutes dans les banlieues, des affrontements avec les forces de l'ordre, des bagarres entre bandes rivales…

Simone Veil : À propos des banlieues, on ne montre jamais que cela. En stigmatisant ainsi certains quartiers, on détériore leur image, on démobilise les élus, les associations et tous ceux qui se donnent du mal pour animer ces quartiers. Il faut être plus vigilant, ne pas présenter comme des enfers ces quartiers qui sont d'abord des lieux de vie.

L'Événement du Jeudi : Mais ces voitures qui brûlent, ces bandes qui incendient des équipements publics à Bron et à Vaulx-en-Velin…

Simone Veil : Chaque fois qu'un incident se produit dans une banlieue, cela entraîne des réactions de violence en chaîne. Il y a alors un problème d'ordre public, qui relève de la police, dont la présence plus fréquente est demandée par tous ces élus. Dans la région lyonnaise, un petit groupe, organisé et manipulé, cherche la provocation, à partir de la mort tragique de trois jeunes qui ont forcé un barrage de police dans une voiture volée. Ce qui est rassurant, c'est que les provocateurs sont restés isolés. Je crains cependant toujours que des situations de désespoir entraînent des incidents graves.

L'Événement du Jeudi : Existe-t-il des quartiers « hors la loi » ?

Simone Veil : Non. Il n'y a plus aujourd'hui de zones de non-droit. Les antennes de police sont plus nombreuses. Le plan de relance de la ville a servi à cela. La population des banlieues sait bien que la sécurité est une priorité ; c'est la condition d'une vie normale. Il reste que le fond de la question, c'est l'emploi : si les parents pouvaient enfin arriver à travailler, si les jeunes eux-mêmes avaient des perspectives d'emploi, leur sentiment de désespérance serait moins fort : pour trop d'entre eux, il n'y a ni modèle ni projet de vie.

L'Événement du Jeudi : Il ne s'agit plus de rénover les cages d'escalier ?

Simone Veil : La rénovation du cadre de vie a été largement engagée ; nous la poursuivons avec des crédits importants. Mais la priorité, désormais, c'est d'aider au fonctionnement des associations, d'améliorer le tissu social, de soutenir les initiatives des habitants eux-mêmes, des associations, des municipalités.

L'Événement du Jeudi : Pour l'instant, les médias s'intéressent surtout au débat sur l'aménagement du territoire que mène Pasqua et qui semble « avaler » la politique de la ville.

Simone Veil : La politique de la ville, aujourd'hui, ce n'est pas un problème d'aménagement du territoire. Ce n'est d'ailleurs pas non plus un problème d'équipement ; c'est avant tout un problème d'activité et de resocialisation. Il faut faire revivre les quartiers, s'occuper de l'école, de la santé, apporter du travail. Autant de questions dont le Premier ministre m'a demandé de m'occuper au sein d'un grand ministère des Affaires sociales de la Santé et de la Ville, dont la cohérence est, à mon avis, réelle.

L'Événement du Jeudi : On vous reproche de ne pas vous déplacer suffisamment dans les banlieues et de pousser les maires à signer ces contrats de ville envers lesquels ils semblent réticents.

Simone Veil : Ce qui retarde des contrats, c'est la plupart du temps qu'ils dépendent de contrats plus vastes entre l'État et la Région, qui ne sont pas de ma compétence. Les maires veulent en effet savoir, avant de s'engager, ce qu'ils peuvent attendre des Régions. Mais cela ne m'a pas empêchée de visiter plusieurs dizaines de quartiers. Nous faisons avancer les choses, puisque sur les 185 contrats que nous avons proposés aux élus, 55 contrats de ville ont été signés et qu'une centaine d'autres le seront d'ici à la fin juin.

L'Événement du Jeudi : Vous ne voulez pas agir pour la galerie, mais vous tenez compte des sondages. Lorsque vous avez renoncé à l'allocation de dépendance pour les personnes âgées, par exemple…

Simone Veil : Il y a notamment un problème de financement, avec de fortes résistances : un sondage montre que 30 % seulement des retraités seraient prêts à financer cette allocation par une augmentation de leur cotisation maladie qui, comme vous le savez, est très inférieure à celle des actifs. Nous réfléchissons aux solutions alternatives.

L'Événement du Jeudi : C'est comme pour la remise à plat du système des dépenses de santé. Une réforme de fond en faveur de laquelle vous n'avez cessé de militer dans l'opposition et que vous n'avez pas pu lancer ?

Simone Veil : Pour une remise à plat complète, on ne disposait pas d'éléments d'analyse et de réflexion suffisants. J'ai été étonnée du peu de travail qui a été accompli depuis 1979, c'est-à-dire depuis la date où j'ai quitté le gouvernement. À l'exception d'un rapport du Plan, je n'ai trouvé aucune autre proposition de réforme d'ensemble. Cela me semblait très insuffisant pour asseoir la grande réforme que je continue à croire indispensable. C'est pourquoi j'ai confié à un groupe d'experts une mission de réflexion très large, explorant toutes les pistes sans idées préconçues, dans le même temps que le commissariat au Plan était chargé d'une étude sur le financement de la protection sociale.

L'Événement du Jeudi : Sur quoi peut-elle déboucher ?

Simone Veil : Nous disposerons de ses conclusions à l'automne. Elles seront présentées aux commissions parlementaires et pourront permettre un large débat. Mais si l'on veut être sérieux, on ne pourra pas faire voter une nouvelle loi avant la présidentielle. Les délais sont trop courts.