Interviews de M. Laurent Fabius, député PS, à RTL, Europe 1 et France 3 entre le 21 et 31 mars 1994, sur le contrat d'insertion professionnelle, et l'hostilité au "SMIC jeunes", sur les résultats des élections cantonales et la préparation des élections européennes.

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Média : RTL - Europe 1 - France 3

Texte intégral

J.-M. Lefebvre : Est-ce que vous partagez le sentiment général des deux enseignements du premier tour : la majorité se tient bien et le PS relève la tête ?

L. Fabius : Oui, je crois que c'est un commentaire juste. Chaque parti peut trouver dans les résultats de quoi afficher sa satisfaction. C'est d'ailleurs ce qui rendait les commentaires d'hier un peu surréalistes parce que je pensais au sketch de Fernand Raynaud : "Heu-reux !" C'est vrai que quand on regarde objectivement les choses, par rapport à un certain nombre de craintes qui existaient auparavant, la plupart des partis ont de quoi être satisfaits. Le problème que je me pose, c'est : est-ce qu'il n'y a pas un décalage assez profond entre la satisfaction des partis et les interrogations, voire l'insatisfaction d'un certain nombre d'électeurs ?

J.-M. Lefebvre : Il y a quand même 11 millions d'électeurs qui sont allés voter et qui auraient pu manifester leur insatisfaction ?

L. Fabius : C'est tout à fait vrai. On a un taux de participation de l'ordre de 60 %, Je pense qu'il serait intéressant, assez rapidement, de faire des études sur les 40 % restants, et cela pose en particulier un gros problème pour la gauche. M. Pennequin y faisait allusion. En général, est-ce que mes 40 % ne sont pas surtout parmi les exclus ? Si la gauche veut remonter davantage, il faut qu'elle ait un discours et des propositions à faire à ces exclus, que ce soient des chômeurs, des jeunes ou d'autres catégories sociales.

J.-M. Lefebvre : La majorité se tient bien. Est-ce que cela vous surprend dans le contexte social ?

L. Fabius : Je ne pense pas que l'on puisse changer des élections a posteriori en fonction des résultats. Avant le premier tout, on entendait dire que c'était un scrutin enjeu local et la majorité s'est assez bien tenue. On ne peut pas dire maintenant : c'est une victoire pour E. Balladur. Il faut être cohérent. Reconnaissons qu'il n'y a pas de raz-de-marée antigouvernemental et que, donc, elle a tenu ses positions à partir surtout de forces de notables qu'elle détient dans les différents départements.

J.-M. Lefebvre : Comme M. Rocard, vous pensez que le PS, cette fois, a vraiment mangé son pain noir ?

L. Fabius : Je pense que les résultats pour le PS sont dans l'ensemble encourageants. Il va falloir les confirmer au deuxième tour, parce que les leçons politiques se tireront au deuxième tour, et il va falloir les amplifier pour les élections européennes, mais les résultats sont très nettement encourageants. Avec deux questions qui se posent pour le PS. Il n'y pas de grande modification dans le rapport gauche-droite : le PS mange surtout, semble-t-il, sur les écologistes et d'autres petites formations. Or, si on veut que le PS, parti de rassemblement, augmente dans le futur, il faut qu'il déséquilibre ce rapport gauche-droite La deuxième question, ce sont les 40 % d'abstention. Admettons que ce soient des exclus. Comment dégeler ce front d'exclusion ? Ce qui veut dire, une critique à l'égard des positions gouvernementales, acérée et fondée, et cela vaut dire aussi des propositions alternatives crédibles. Je pense que jusqu'à présent, nous avons progressé dans la phase critique, mais nous ne sommes pas encore entendus dans nos propositions.

J.-M. Lefebvre : La poussée MRG à Marseille autour de B. Tapie se fait notamment au détriment du PS ?

L. Fabius : C'est une poussée tout à fait significative, tout à tait impressionnante. Il est évident que les socialistes, qui ont travaillé dans le passé avec les MRG vont devoir travailler de plus en plus avec eux, en particulier dans cette partie du territoire national.

J.-M. Lefebvre : B. Tapie dit qu'il a été candidat contre tous les partis, y compris, le PS. Vous ne pouvez pas très tien l'assimiler à vous ?

L. Fabius : Ce n'est pas de l'assimilation. Quand on est candidat, on est toujours candidat contre tous les autres. Simplement, il existe traditionnellement une alliance, avec des fortes différences, entre les socialistes et le MRG, et je pense que cette alliance devra continuer. Ça me paraît nécessaire.

J.-M. Lefebvre : Le Parti communiste a donc repris un peu, alors que les écolos s'effondrent.

L. Fabius : Les écologistes, il est vrai que leur score est faible. Maintenant, ils avaient assez peu de candidats. Il est aussi honnête de le reconnaître. Le Parti communiste tient bien, notamment dans ses bastions. Le Front national, j'ai entendu dire qu'on l'annonçait en perte. J'ai regardé un peu précisément les résultats. Dans les milieux urbains, le Front national fait des scores souvent très impressionnants. Il faut avoir une vision un peu plus nuancée que celle qui a été décrite. D'une façon générale, il y a tout de même des résultats très différents selon les personnalités. En fonction des candidatures, vous avez des variations qui peuvent être de 10 % ou 15%. Après tout, cela signifie simplement que dans un scrutin, les personnalités comptent beaucoup, en particulier dans un scrutin cantonal.

J.-M. Lefebvre : Pour les européennes, cela ouvre des perspectives plus souriantes ? Cela marche la barre plus haute ?

L. Fabius : Oui, on va se référer au score que l'on a obtenu hier. Les européennes sont toujours un scrutin difficile, surtout en ce moment où il y a une réaction un peu anti-européenne qui se développe, alors que le Parti socialiste est traditionnellement un parti très européen. Je pense que c'est la prochaine étape. Déjà, deuxième tour pour conforter nos positions d'hier, et ensuite préparation des européennes pour essayer de renfoncer ce mouvement qui a l'air positif.

J.-M. Lefebvre : Vous ne regrettez pas d'avoir dit à Globe la semaine dernière : "l'alternance est plus proche que l'on ne l'imagine" ?

L. Fabius : Non, pas du tout. Mon analyse est la suivante : E. Balladur va connaître des difficultés. Je considère que ce qui plaisait aux Français, un homme qui se présente en-dehors des partis politiques, qui va supprimer les conflits, opérer un redressement rapide de l'économie, sur ces trois points, il y aura des sanctions. Donc, jouera cette faveur de la gauche ce qui dans le passé a joué en faveur de la droite, c'est-à-dire, petit à petit, une centaine usure et une lassitude. Je souhaiterais que nous ne jouions pas seulement sur cette lassitude, mais que nous soyons capables de développer un dessein, un projet. C'est ça, la grande difficulté. Ce n'est pas parce qu'il v a eu hier des résultats dans lesquels les différents partis politiques se retrouvent et par rapport auxquels ils sont heureux, que la désespérance, l'interrogation, en particulier des jeunes, ont disparu. C'est à cela qu'il faut répondre.


Jeudi 24 mars 1994
Europe 1

F.-O. Giesbert : Vous avez lancé les TUC et vous êtes hostile au CIP !

L. Fabius : Les TUC n'avaient rien à voir avec les CIP. C'était uniquement pour les collectivités locales et c'était des petits travaux à mi-temps. Les Français ne s'y étaient pas trompés : l'accueil aux TUC avait été positif, tandis que celui réservé aux CIP est négatif. Malheureusement, depuis le début de cette affaire, le gouvernement à faux sur toute la ligne et à tous les stades. Ce n'est pas d'aujourd'hui que ça a commencé. Je nie rappelle d'avoir participé au débat à l'Assemblée sur le CIP : tous les problèmes avaient été soulevés. À l'époque, le gouvernement n'avait pas voulu nous entendre. Ensuite, il y a eu la publication du premier décret : le gouvernement n'a pas voulu entendre les syndicats. Maintenant, il continue à s'obstiner, même s'il y a des changements dans le contenu du décret.

F.-O. Giesbert : Il n'y a quasiment plus de CIP ! Les manifestations sont surréalistes.

L. Fabius : Pour tous les jeunes non-qualifiés, il y aurait la possibilité avec ce décret de les recruter au-dessous du minimum. C'est ce qui choque beaucoup les jeunes. Ils ont le sentiment que c'est un habillage. En plus, si on est jeune, on vous recrute en-dessous du minimum…

F.-O. Giesbert : Mais ce sont des TUC !

L. Fabius : Non, car les TUC c'était pour les collectivités locales, c'était des emplois à mi-temps, sans contrat de travail.

F.-O. Giesbert : C'était une façon de faire entrer les jeunes sut le marché du travail ! C'était la même démarche que le CIP. Ne faut-il pas sortir de la langue de bois ?

L. Fabius : Oui, mais il faudrait éviter de dire un, certain nombre d'erreurs. Le problème des jeunes est un problème massif, mais contrairement à ce qu'on dit, ça ne concerne pas un jeune sur quatre, Il y a beaucoup trop de jeunes au chômage. Ça concerne un jeune sur quinze. Quand on étudie bien les choses, la difficulté qu'ont les jeunes ne vient pas essentiellement du système scolaire. C'est trop facile de charger les systèmes scolaires. La difficulté vient essentiellement du comportement de l'entreprise qui fait qu'on privilégie une génération, celle des 25-50 ans, plutôt que d'équilibrer les choses. Quant à la question des charges, c'est là où je ne comprends pas l'attitude du gouvernement : certains disent que les emplois non-qualifiés coûtent trop cher. Alors pourquoi ne procède-t-on pas à un allégement des charges sociales plutôt que de faire paver le coût aux jeunes salariés ?

F.-O. Giesbert : Il faut donc baisser les charges des entreprises ?

L. Fabius : Non. La solution est d'abord dans une marche plus active de l'économie : s'il y a autant de jeunes en difficulté, c'est que l'économie française: ne crée pas assez d'emplois. Cela se répercute sur les jeunes.

F.-O. Giesbert : La croissance crée beaucoup moins d'emplois qu'ailleurs.

L. Fabius : Il n'y a pas assez de croissance. Elle ne crée pas assez d'emplois.

F.-O. Giesbert : En privé, tous les hommes politiques disent qu'il faut revoir le SMIC, qu'il faut plus de flexibilité. En privé, la langue de bois revient !

L. Fabius : Je tiens le même langage en privé et en public : il faut arriver à avoir plus de croissance. On nous dit tous les jours que des mesures ont été prises pour le logement social. Dans ma commune, je demande désespérément des crédits pour développer le logement social. Je les obtiens au compte-gouttes. Si on pouvait développer le logement, cela satisferait les familles et ça aiderait l'économie. Les emplois de proximité, on ne cesse d'en parler. Mais tien n'est fait pour les développer.

F.-O. Giesbert : Irez-vous manifester demain ?

L. Fabius : Je soutiens la manifestation. Je n'irai pas parce que je ne crois pas que dans le contexte actuel il faille que les leaders de la gauche soient en tête de manifestation.

F.-O. Giesbert : Les jeunes ont-ils raison de manifester ?

L. Fabius : Oui. L'attitude du gouvernement qui consiste à dire que la salle politique qui est offerte à la jeunesse est une espèce de politique de la fessée à la jeunesse ne tient pas debout.

F.-O. Giesbert : Manifester à 12 ans, cela a-t-il du sens ?

L. Fabius : Ce n'est pas en demandant aux proviseurs d'établissement "gardez les enfants" qu'on réglera le problème. Le problème de fond, c'est qu'on n'offre aucune perspective à la jeunesse, qu'on leur dit d'être sous-payés même s'ils ont fait des études. Dans une génération de la crise, on est en train faire une génération du désespoir.

F.-O. Giesbert : Vous êtes content du résultat des cantonales ?

L. Fabius : Les résultats sont satisfaisants.

F.-O. Giesbert : Un beau succès pour M. Rocard ?

L. Fabius : C'est un succès pour tous les socialistes, et en particulier pour M. Rocard. Il va falloir confirmer au deuxième tour et aux européennes.

La rentrée parlementaire a lieu la semaine prochaine : il me paraît évident que dans un pays démocratique la première question qui devrait être soulevée à l'Assemblée par le gouvernement avec vote, les cas échéant, c'est la question de l'avenir des jeunes. Deuxième question : on a un problème colossal qui est celui de l'élargissement européen. Personne n'en parle. Je suis extrêmement inquiet sur ce qui est en train de se mettre en route : on va casser la seule perspective européenne qu'on ait. Il faut qu'on saisisse rapidement le Parlement sur cette question.

F.-O. Giesbert : A. Juppé a déclaré que la philosophie même de la construction européenne est en cause. Êtes-vous d'accord ?

L. Fabius : Il faisait allusion à la question compliquée de la minorité de blocage. La question est encore plus large : nous n'arrivons pas à renforcer la Communauté européenne en matière de défense, de politique agricole eu de politique économique. Est-ce vraiment le moment de dissoudre la communauté en lui ajoutant quatre pays, tout à fait méritants ? Je suis d'abord peur l'approfondissement et le renforcement de l'Europe telle qu'elle existe.


Mardi 29 mars 1994
France 3

L. Fabius : La victoire de Berlusconi c'est la victoire du populisme. C'est donc quelque chose de très dangereux. Et cela peut tout à fait arriver en France.

E. Lucet : Le gouvernement n'a cessé de dire que le CIP était beaucoup mieux que les TUC ?

L. Fabius : Depuis le début, le gouvernement a tout faux avec cette affaire de SMIC-jeunes qui n'a rien à voir avec les TUC qui étaient pour des associations, pas le contrat de travail dans l'entreprise. Là, on dit aux jeunes : vous valez moins que le minimum, y compris aux jeunes qualifiés. Le gouvernement a fait voter par sa majorité la loi au parlement. Nous l'avons mis en garde en disant : attention, vous allez dans le mur ! Il a été dans le mur. Ensuite, il a sorti son décret : catastrophe ! Et, aujourd'hui, au lieu d'abroger les décrets, il les suspend, comme si, en huit jours, M. Bon – malgré toutes ces qualités, il en a beaucoup – allait trouver une solution à un problème qui existe depuis 20 ans. Tout cela n'est pas sérieux ! Le gouvernement cafouille, il est temps que l'on remette les choses sur les rails.

E. Lucet : Vous demandez un débat national ?

L. Fabius : Oui, je l'ai déjà demandé, il y a trois semaines. À l'époque, il n'en était pas question. Je crois qu'on y vient.

E. Lucet : On peut concilier un grand débat national et une action rapide ?

L. Fabius : Il faut les deux choses, mais ne pas proposer une ANPE-jeunes. Il y a déjà eu le SMIC-jeunes, vous avez vu la catastrophe ! Il ne s'agit seulement de poser la question en termes d'emplois pour les jeunes. Le problème c'est l'emploi en général, dont les jeunes en particulier doivent pouvoir bénéficier. Si l'on isole les jeunes, on va aller à l'échec.

E. Lucet : Pourquoi la France est-elle à la traille sur le chômage des jeunes ?

L. Fabius : C'est la responsabilité des entreprises de créer des emplois, et aussi du fait que l'on favorise la génération 25-45 ans au détriment des jeunes. La première action à mener, l'action essentielle, c'est de créer par une politique économique différente, davantage d'emplois. Se pose aussi la question de l'insertion des jeunes. Mais, il ne faut pas mettre les jeunes dans un ghetto, comme on est en train de le faire.

M. Autheman : Quelle devra être désormais la stratégie du PS ?

L. Fabius : Le PS doit avoir une stratégie d'opposition tout à fait nette sur des mesures comme le CIP, mesures qui ne sont pas admissibles. Nous demandons l'abrogation. Il faut aussi que nous soyons capables de proposer une alternative. Au travers des études d'opinion, nous somme crus en matière critique, mais pas encore sur le plan de la proposition interactive.

M. Autheman : M. Giraud doit présenter les nouveaux décrets qui vont modifier un certain nombre de points sur la durée du travail. C'est un thème sur lequel vous interviendrez ?

L. Fabius : Là aussi, c'est contenu dans la loi qu'il a fait voter par sa majorité à l'Assemblée, et là aussi, cela ne donnera aucune solution. Errare humanem est, perseverare diabolicum – M. Toubon n'y trouvera rien à redire – donc, il ne faut pas persévérer, M. Giraud et M. Balladur. Cela cafouille, cela flotte, il faut changer de cap !

M. Autheman : Le PS s'en sort, mais il n'y a pas encore d'alternative crédible ?

L. Fabius : Tout notre travail devra porter sur les plans sur lesquelles nous n'avons pas réussi à avoir des résultats : l'emploi, la protection sociale, la construction européenne, la sécurité. Il faut avancer des propositions.


Jeudi 31 mars 1994
RTL

P. Caloni : Le retrait du CIP vous change-t-il ?

L. Fabius : Non seulement cela ne me chagrine pas, mais en plus, c'est un succès obtenu par les jeunes, par un grand mouvement populaire mais après un gâchis épouvantable. Tout cela était malheureusement prévisible, et sans vouloir jouer les mauvais prophètes, au moment du débat parlementaire nous avions dit ce qui allait se passer.

P. Caloni : Suffit-il de descendre dans la rue pour revenir sur loi votée par le Parlement ?

L. Fabius : Par la majorité de droite de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est effectivement un problème. Je suis très préoccupé par ce qu'on appelle le populisme, c'est-à-dire au fond le contraire de la démocratie. La démocratie est le gouvernement pour le peuple, par le peuple. Le populisme est un gouvernement contre le peuple et en utilisant le peuple. On voit les choses à l'œuvre en Italie. Il y a des risques dans tous les pays. Mais au point où en était le gouvernement, il n'y avait absolument pas d'autre choix que de retirer ce CIP. Il aurait dû le faire beaucoup plus tôt. Je réfléchissais un petit peu à ce qui fait l'originalité de ce gouvernement, c'est finalement de retirer les décisions qu'il a lui-même prises. C'est un peu court.

P. Caloni : La loi Falloux ?

L. Fabius : La loi Falloux ? Retirée, et on a bien fait. Le premier plan Air France ? Retiré, et on a bien fait. Le CIP ? Retiré, et on a bien fait. Un certain nombre de gens se diront : n'aurait-on pas mieux fait de ne pas commencer ?

P. Caloni : Que pensez-vous du produit de remplacement qui fonctionne avec des primes ?

L. Fabius : C'est un gouvernement de primes. On avait eu, dans un tout autre domaine, mais un esprit facétieux pourrait dire une voiture 5 000 francs, un jeune 1 000 francs. Je pense que c'est la méthode même de réforme qui ne va pas. Quand on se lance dans la recherche de solution d'un problème aussi grave que celui du chômage des jeunes, on ne peut pas bricoler. Non seulement il y a cette notion de bricolage, mais en plus l'idée de départ était complètement fausse. L'idée que c'était en amputant le salaire que devaient recevoir les jeunes qu'on pouvait faire avancer la solution de l'emploi, mais ce n'est pas vrai du tout. Quand on dit que c'est une erreur, il y a aussi un vieux fond d'une position de droite qui consiste à dire : plu on reviendra sur la protection sociale, plus en fera reculer le chômage. Ce n'est pas vrai.

P. Caloni : Pourquoi, il y a un an, vous avez subi une telle défaite ?

L. Fabius : Parce que nous-mêmes nous avons commis des erreurs. Parce qu'il y a eu l'usure du pouvoir. Simplement là, elle est en train de s'accélérer. Et puis, il faut ne pas revenir perpétuellement sur un certain nombre de choses passées mais en tirer les leçons et en particulier en ce qui concerne l'emploi. L'une des grandes raisons de ce très mauvais climat que l'on ressent en ce moment, y compris dans le domaine économique, c'est que l'on n'arrive pas à refaire démarrer l'espérance. Pour ça, il faut qu'en matière d'emploi, en matière de protection sociale, on opte pour des solutions qui ne vont pas du tout dans le sens qui est choisi actuellement. J'ai d'ailleurs commis à ce sujet un article dans Le Monde. Le principal échec de ce gouvernement est de n'avoir absolument pas fait progresser la situation de l'emploi.

P. Caloni : Quel est, selon vous, le bilan d'un an de gouvernement Balladur ?

L. Fabius : Je suis frappé que malgré la différence des époques, il y ait une grande analogie entre le bilan du gouvernement Balladur aujourd'hui et le bilan du gouvernement Chirac au moment de la première cohabitation. Ça commence bien, c'est-à-dire qu'il y a un soutien parlementaire et populaire fort. Très vite, les deux principaux aspects apparaissent. C'est d'abord une politique de creusement des inégalités sociales. C'est un gouvernement qui travaille pour une petite catégorie mais pour la grande masse. Deuxième aspect, on retrouve cette espèce de bouclage par le jeu des privatisations, par le jeu des médias et à la fin, la rupture avec les jeunes. On avait eu le drame de M. Oussekine et aujourd'hui on a de nouveau une rupture avec les jeunes. Ces gouvernements n'arrivent pas, finalement, à réformer E. Balladur a écrit un livre très intéressant sur la réforme, il serait opportun qu'il le lise.

P. Caloni : La liste socialiste pour les européennes, accouchement avec ou sans douleur ?

L. Fabius : C'est toujours très difficile, et les listes sont toujours contestables parce qu'il faut équilibrer les régions, les personnalités, les sensibilités, les sexes. On pourra dire de cette liste qu'elle est (sic, ndlr). J'avais conduit la liste en 89 et obtenu près de 24 % des voix. C'est une élection difficile, mais très importante parce que j'espère que l'on va parler d'Europe. Et en particulier, il faudra que le Parlement se saisisse d'une question-majeure dont personne ne parle, à avoir l'élargissement à Seize. Je trouver aberrant que le Parlement ne soit pas saisi de cette question. J'ai de grandes réserves à formuler sur la façon dont on le fait, car on est en train de dissoudre l'Europe et de faire une grande zone de libre-échange.