Texte intégral
"Augmentons les salaires !"
L'événement du Jeudi : Les salaires sont-ils trop élevés en France ?
Jean Domange : Non. Le niveau français du coût du travail – salaires plus charges – se situe dans la moyenne des grands pays industrialisés. En revanche, ce qu'on peut regretter, c'est que le salaire indirect soit anormalement élevé par rapport au salaire direct.
L'Événement du Jeudi : Donc, pas besoin de baisser les salaires pour augmenter la compétitivité…
Jean Domange : Non seulement il ne faut pas les baisser, mais il faut se donner la possibilité de les faire évoluer positivement, même si cela ne peut pas se faire en un jour, car on ne peut pas brusquement mettre son économie hors concours. Pour cela, nous devons reformer notre système de financement de la protection sociale, en faisant payer par la collectivité ce qui relève de la solidarité, comme les allocations familiales. Si les charges pesant sur les entreprises étaient réduites, on devrait pouvoir augmenter les salaires directs, à travers les politiques salariales d'entreprises ou de branches professionnelles.
L'Événement du Jeudi : Faut-il supprimer le Smic ?
Jean Domange : Non. Nous ne demandons pas sa suppression, mais son annualisation – le calcul s'effectuant sur l'année et non plus sur une base horaire – et une évolution au même rythme que le coût de la vie, pour éviter notamment les effets pervers sur les basses qualifications et sur les échelles hiérarchiques.
L'Événement du Jeudi : Êtes-vous partisan du "Smic-jeunes" ?
Jean Domange : Je ne suis pas d'accord avec cette appellation. Mais lorsqu'on est jeune, sans aucune-qualification, et qu'on est laissé au bord de la route, il vaut mieux avoir une chance de s'insérer dans l'entreprise, même avec un salaire inférieur au Smic. C'est la première marche. Mais ce doit être provisoire, et déboucher sur un contrat de travail lié à une formation, comme les contrats d'apprentissage et les contrats de formation en alternance.
L'Événement du Jeudi : Êtes-vous favorable au "Smic régional" ?
Jean Domange : Contrairement à ce qui a été dit, le CNPF n'y est pas favorable. Cette idée a simplement été évoquée dans un document d'étude interne, dans le cadre des discussions sur l'aménagement du territoire, mais nous n'y sommes pas favorables. Le CNPF est partisan non pas d'une régionalisation, mais d'une annulation du Smic.
Jeudi 24 mars 1994
RMC
P. Lapousterle : Avec quels yeux vous regardez l'opposition tenace des jeunes au CIP, puisqu'on prépare une très grande manifestation demain à Paris ?
Jean Domange : Avec inquiétude et étonnement, dans le sens que je pense que beaucoup de jeunes ne connaissent pas le contenu véritable de ce CIP. D'autre part, il y a eu une information avant même que les textes soient finalisés, qui a mis ces jeunes en révolution et on comprend bien qu'ils soient inquiets avec la situation économique que nous connaissons actuellement, après une année de récession, au niveau économique en général, les conséquences sur l'emploi, les alertes graves sur l'avenir. Tout cela agite chaque famille et chaque jeune. Donc inquiétude, étonnement et appréciation que nous devons leur donner la véritable information sur les intentions qui sont les nôtres. En tout cas nous, chefs d'entreprise. Nous devons leur dire qu'ils ont un espoir : l'horizon s'éclaircit maintenant. Il n'y aura pas de répercussion immédiate et importante sur l'emploi mais l'espoir est là. Il faut gérer actuellement, ce qui est insoutenable, c'est-à-dire 750 000 jeunes sans emploi.
P. Lapousterle : Le CIP est-il la bonne voie pour remédier à cela ?
Jean Domange : Le gouvernement, les parlementaires, ont choisi cette disposition. Dans la difficulté actuelle, il ne faut rien négliger. Le CIP maintenant est en place, nous devons l'expliquer aux entreprises et il faut prendre en compte la diversité des entreprises. Vous voyez tous les jours des chefs d'entreprise qui s'expriment, certains prônent le CIP disant que c'est une bonne chose. Certains disant que c'est une bonne chose, "mais c'est trop compliquée pour nous." Chaque entreprise a une vision particulière en fonction de ses capacités d'embauche, de sa volonté et aussi, de son appréciation sur d'autres formules qui lui sont peut-être plus souhaitables.
P. Lapousterle : Dans votre position, vous conseilleriez à des entreprises d'utiliser le CIP ?
Jean Domange : Nous leur demandons de se mobiliser pour l'emploi, depuis un certain temps et donc de faire en sorte que les jeunes trouvent un accueil dans l'entreprise. Ce qui n'est pas un acte de civisme, c'est aussi un intérêt pour l'entreprise qui a besoin de renouveler son personnel et d'avoir des jeunes motivés qui rentrent chez elle.
P. Lapousterle : Quand vous voyez les jeunes manifester, vous pensez que c'est l'expression d'une vitalité des jeunes n'acceptant pas n'importe quel avenir ou bien que ce sont des jeunes qui sont attachés au maintien des choses et à un certain conservatisme ?
Jean Domange : Cela montre simplement que les jeunes sont toujours les jeunes, qu'ils ont des capacités et des réactions qui sont le fait de la jeunesse et qu'ils ont aussi un certain nombre d'informations les amenant à réagir de cette manière. Mais ces information auront été déviées. Le CIP est un élément qui peut venir au secours de certains jeunes.
P. Lapousterle : C'est vous qui détenez les clés du CIP, c'est vous les patrons et il n'y aura pas de CIP sans vous. Vous allez aider le bébé à vivre ou non ?
Jean Domange : C'est bien vrai, ce ne sont pas les syndicats ou le gouvernement qui embauchent, ce sont les entreprises. Il ne faut pas le tuer dès sa naissance. Nous l'avons dit, nous avions, pour notre part, une mobilisation sur l'emploi-formation, c'est-à-dire les contrats d'apprentissage, les contrats de qualification et notre opération "Cap sur l'avenir" qui a eu des effets tout à fait positifs. Cette formule qui, je le répète, est pour les jeunes qui sont sur le bord du chemin, soit sans qualification, soit avec une qualification non adaptée, soit dans des conditions particulières qui ont fait qu'ils ont eu un temps de chômage qui les a écarté du marché du travail. Je crois que ces gens-là, il faut leur donner leur chance et le CIP a rempli son office.
P. Lapousterle : C'est un langage nouveau : on a toujours pensé et dit que les patrons n'étaient pas en faveur du CIP.
Jean Domange : Dès l'instant où nous faisons un peu la moue, on dit qu'on est contre. Nous pensons qu'il y a un formalisme, des contraintes administratives qui vont, dans certains cas, rebuter certaines entreprises. Mais certaines entreprises sont tout à fait armées pour gérer ces contraintes administratives.
P. Lapousterle : Pour le reste des décrets d'application de la loi Giraud, notamment sur la réglementation de la durée du travail, c'est-à-dire la possibilité d'ouvrir le sixième jour et de travailler en nocturne, vous êtes favorable ?
Jean Domange : Nous étions favorables aux dispositions de la directive européenne de novembre 1993, avec toutes les possibilités de dérogation pour adaptation an différentes composantes de l'économie. L'avant-projet de décret nous semble un peu restrictif par rapport à cette disposition. Nous nous attachons, avec les pouvoirs publics, à voir comment on adapte les choses pour que ceux-ci ne pénalisent pas notamment toute l'industrie. Ce qui est peut-être bon pour certains services n'est pas bon pour l'industrie. Alors, ayons des ouvertures de dérogation pour que tout ceci s'adapte.
P. Lapousterle : Pour ce qui concerne l'activité économique, le CNPF avait toujours dit que M. Alphandéry s'était montré très optimiste pour les perspectives économiques de l'année 1994. Voilà qu'il semble avoir raison contre vos prévisions ?
Jean Domange : Eh bien tant mieux. Nous avons peut-être des batailles d'experts. Mais, qu'est-ce qui fait l'emploi, qu'est-ce qui fait l'activité économique, c'est la multiplicité des initiatives des entreprises, de chaque entreprise. Ceci montre qu'un certain nombre de dispositions ont été heureuses, ont développé un marché. Moi-même, je suis représentant du bâtiment au CNPF et je constate qu'il y a un arrêt de la dégradation et une remontée. Le cumul de ces initiatives individuelles, le cumul de ce mieux peut taire que les chiffres soient meilleurs. Tant mieux, mais cela encore, c'est l'œuvre de chaque entreprise.
Vendredi 1er avril 1994
RMC
P. Lapousterle : Quelles leçons tirez-vous des cinq semaines qui sont l'essai avorté du gouvernement pour mettre en place le CIP ?
F. Périgot : Il faut se méfier des malentendus. La deuxième leçon, c'est que c'est un avertissement. Les deux vont ensemble. Le malentendu, c'est qu'une formule qui, à l'origine, était faite uniquement pour réduire le coût du travail et favoriser l'embauche des jeunes sans emploi est devenue une formule intermédiaire entre la réduction du coût de travail, de la formation initiale des jeunes, est devenue quelque chose de très compliqué. D'une bonne intention au départ, les intéressés, les jeunes, ont vu une mise en cause de leurs diplômes, une menace pour leur avenir alors que c'était exactement l'inverse. Nous devons réfléchir sur le fonctionnement de nos institutions, de notre information, de notre concertation car on ne peut pas recommencer des expériences de ce genre. On a laissé se développer un malentendu qui a été certainement entretenu délibérément par un certain nombre de gens…
P. Lapousterle : Par qui ?
F. Périgot : Par tous ceux qui avaient intérêt à essayer de tirer avantage cette affaire, qui ont chargé la barque d'une façon extraordinaire. Le projet est devenu quelque chose où non seulement plus personne n'a rien compris mais en plus les jeunes se sont sentis attaqués. La leçon que l'on doit en tirer, c'est que sur des choses aussi importantes, il faut être sérieux et ne faire connaitre les projets qu'après s'être assuré qu'ils conviennent à tout le monde, et les donner tels qu'ils sont. Voilà l'avertissement.
P. Lapousterle : Un avertissement de qui à qui ?
F. Périgot : L'avertissement que, dans un monde aussi médiatisé que le nôtre aujourd'hui, lorsque l'on offre une solution à un problème grave comme celui du chômage et de l'insertion des jeunes chômeurs, il faut des formules très simples et très claires. Ce qui a tué le CIP, c'est l'ambiguïté, c'est la complexité.
P. Lapousterle : La prime jeunes ? Cela vous paraît une bonne mesure ?
F. Périgot : C'est une bonne mesure dans la mesure où précisément elle correspond exactement à ces critères. C'est simple. On réduit le coût du travail pour permettre aux entreprises d'accélérer l'embauche des jeunes. C'est clair, c'est simple. Ça marche de la même façon pour tout le monde. Il n'est pas question d'abaisser la rémunération. Il n'est pas question de formation compliquée, de tutorat ou pas. C'est simple, c'est clair et net. D'ailleurs, personne ne peut trouver à y redire. Ça n'offense absolument personne. De cet aspect-là, c'est une très bonne mesure.
P. Lapousterle : Vous savez qu'on accuse les patrons d'avoir un peu dégommé le projet de ClP ? D'avoir fait savoir à tout le monde que c'était un projet dont ils n'attendaient pas grand-chose ?
F. Périgot : C'est tout à fait injuste. Le jour de la publication du CIP, l'organisation patronale a pris une position très officielle disant que, certes c'était compliqué, et je le pense toujours, mais que ce n'était pas une raison pour ne pas essayer de le faire marcher et le mieux possible. Le problème aujourd'hui, ce n'est pas de se disputer sur tel ou tel point de détail mais de réduire le chômage des jeunes. C'était une tentative pour le faire. On aurait dû tous, loyalement, essayer de la faire fonctionner.
P. Lapousterle : Pour la prime jeunes qui remplace le CIP, M. Bon parle de la création possible de 500 000 emplois. Cela vous paraît un objectif raisonnable ?
F. Périgot : Je ne sais pas si c'est un objectif mais je crois que quand on fait quelque chose il faut être optimiste. Aujourd'hui nous sommes au carrefour de deux choses : une nouvelle mesure pour stimuler l'embauche de la part de chefs d'entreprise qui attendent une franche reprise des affaires et de la conjoncture pour le faire, et des jeunes qui veulent entrer dans la vie professionnelle et qu'il faut faire entrer dans la vie professionnelle. Je suis sûr que, d'une part, les mesures telles qu'elles existent son, incitatives mais surtout comme la conjoncture est en train de se retourner, et on le voit par un certain nombre d'indices, nous sommes sur le bon versant, il faut qu'il y ait un phénomène d'accélération. Ce qu'il faut souhaiter de ces dispositions d'incitation, c'est qu'elles permettent d'anticiper, d'accélérer une reprise qui permettra de réenclencher de l'embauche.
P. Lapousterle : Après M. Bon, quand vous entendez P. Séguin qui dit qu'il n'attend que 10-15 000 nouveaux emplois, qui est le plus proche de la vérité ?
F. Périgot : Je crois qu'il n'y a pas un homme aujourd'hui au monde, capable de savoir ce qui va se passer. Ce serait trop commode. Qu'on donne des chiffres, ce n'est interdit à personne. L'histoire dira ce qui se passera. Il ne faut être excessif ni dans un sens ni dans un autre. Dans cette affaire de nouvelle disposition, si elle se greffe sur un début de tendance de reprise des affaires, on peut obtenir des chiffres extrêmement importants. Il y a plusieurs années, on nous disait "vous n'arriverez jamais à relancer l'embauche", il a suffi que la conjoncture tourne et en deux ans on a créé un million d'emplois. Si on en était capable en deux ans, pourquoi est-ce que l'on ne serait pas capable de récréer des emplois aujourd'hui ? Quand on s'est lancé dans l'opération "Cap sur l'avenir" pour la formation professionnelle des jeunes, on s'est donné 200 000. On est aujourd'hui à 85 000 après six mois de travail et il n'y a pas de raison qu'on n'obtienne pas plus. Soyons ambitieux. Si M. Bon, est ambitieux, tant mieux ! Cela donne de l'ambition aux gens et cela dégage des marges de manœuvres qui seront mises au service des jeunes.