Texte intégral
Question : Richard Arzt.
Jack Lang. Monsieur le ministre bonjour et bienvenue au forum. Tous les sondages le prouvent, nous voici devant l’un des hommes politiques de gauche les plus populaires et même, toutes tendances confondues, au sommet du baromètre des opinions favorables. Pourtant, il existe un paradoxe. Jack Lang : on ne voit pas qui pourrait, dans l’actuel gouvernement, occuper le poste de la culture et cependant chacun sait que vous pourriez aussi faire quelque chose d’autre et éventuellement plus politique et peut-être le souhaitez-vous secrètement.
Un hebdomadaire écrit cette semaine, il s’agit de L’Express : « Jack Lang a su trouver pour défendre à l’Assemblée nationale son projet de loi sur l’audiovisuel les accents éloquents d’un dandy blessé », et de citer l’une de vos phrases : « Il n’y a pas d’amour, il y a des preuves d’amour, il n’y a pas d’indépendance, il y a des preuves d’indépendances. »
Des planches du théâtre universitaire de Nancy, plus tard celles du Palais de Chaillot, au lambris des ministères en passant par les bancs de l’Assemblée nationale et la chaire de faculté de droit dont vous êtes professeur agrégé, on ne décrit plus votre carrière à double facette, les idées, d’une part « Allons-Zidées » avec un Z comme votre mouvement et puis la vie politique avec l’aide attentive de votre épouse Monique. Vous aurez 50 ans l’année prochaine et 1989 qui s’avance avec la célébration du bicentenaire dont vous êtes en charge dans votre titre même, comme le rappelait tout à l’heure Richard Arzt, 1989 devrait être aussi votre année. Personne n’oserait douter à l’avance de l’ubiquitaire présence que vous reprochent parfois vos adversaires. Parfois la France et Paris seront sous les projecteurs du monde entier. À ce propos, dans un livre passionnant intitulé La Fayette, que vient de publier Gonzague Saint Bris, on apprend sur la base de sondages que les Français et les étrangers préfèrent 1789, l’an I de la révolution, à 1793, la période jacobine avec ses débordements. Et un sondage Sofres cité dans le même ouvrage montre que Lafayette est plébiscité par 57 % des citoyens, largement devant tous les autres acteurs de l’histoire révolutionnaire. Jack Lang, quel est, à vous, votre héros préféré de la révolution de 89 ? Quel personnage auriez-vous aimé être ?
J. Lang :
Je trouve difficile de répondre à une telle question parce que lorsque l’on choisit un héros préféré, par là même on manque un peu d’un minimum de modestie, mais enfin, puisque vous me posez la question, j’y réponds : c’est un personnage qui n’est pas assez connu et j’espère pouvoir contribuer à le faire connaître avec Jean-Noël Jeanneney, c’est le personnage de l’abbé Grégoire, l’abbé Grégoire qui a été je crois l’une des figures les plus nobles de la Révolution française. C’est lui qui, le premier, avec éloquence et force et courage, s’est élevé contre les discriminations raciales à l’égard des Noirs, à l’égard des juifs, à l’égard de toute exclusion. Et ses textes que je me permets de vous conseiller de lire sont magnifiques, textes qui font, en effet, l’apologie d’une humanité réconciliée, et là vous trouvez toute une série de textes, et, comme vous le savez, la Révolution française a accompli des actes, à sa demande, qui ont remis en cause certaines formes de discriminations. Puis-je ajouter que, par un hasard particulier, une coïncidence, l’abbé Grégoire est originaire d’une région qui fut la mienne, la Lorraine, et qui s’est retrouvé, mais cela ne m’arrivera pas, évêque de Blois un peu plus tard, évêque constitutionnel de Blois.
Question :
Pendant une heure cette émission va être retransmise en direct sur RMC et FR3. Nous sommes trois à vous interroger, le premier c’est Denis Jeambart du magazine Le Point. Restons un tout petit peu sur la révolution, peut-être en introduction à d’autres questions. Quel est, selon vous, le degré de consensus nécessaire à la commémoration du bicentenaire ? Est-ce que les conflits sociaux qui apparaissent, qui surgissent actuellement peuvent être une gêne ou pas pour commémorer le bicentenaire ?
J. Lang :
On ne commémore pas une chose morte. On commémore une chose vivante, et la révolution a toujours été le mouvement, si j’ose dire. Que dans notre pays, aujourd’hui il y ait débat, controverse politique, n’a rien d’anormal. Je suis toujours étonné qu’on s’étonne qu’une démocratie comporte des discussions, des débats et des controverses, et aussi des grèves. La grève a été une des grandes conquêtes républicaines. Simplement, il est important que chacun des partenaires garde l’esprit de responsabilité et le souci de construire, je dirais, et c’est l’objectif qui devrait animer tous les leaders, les responsables, quels qu’ils soient. Une démocratie plus conviviale au service d’une croissance économique mieux partagée.
Question :
Elle s’est arrêtée quand, au fait, selon vous, la révolution de 89 ?
J. Lang :
Une révolution, je veux dire la construction d’une république, c’est une œuvre constamment inachevée. Et je crois que ce qui est justement passionnant dans la période que nous vivons en ce moment, c’est que nous sommes, je le crois, à l’aube d’une nouvelle époque, une nouvelle époque pour la République, en France et en Europe. Moi je suis très heureux, comme vous-même j’imagine, de vivre ce moment. Voyez ce qui se passe en Russie ? Je ne parle pas du malheur qui malheureusement frappe les Arméniens et le peuple soviétique, je pense à cette tentative pour que la liberté se fraie un chemin. Ici même, en France, alors que nous ne sommes pas sous une dictature, loin de là, nous essayons ensemble en ce moment, je crois que c’est la grande tâche de François Mitterrand et de son gouvernement, de construire une république neuve, une république plus ouverte, une république plus transparente. Et c’est cela qui me réjouit beaucoup en ce moment, c’est que l’année 1989 va certainement marquer ou être marquée par nous par d’immenses bonds en avant pour la République et la démocratie en Europe.
Question :
Est-ce que vous appelleriez cela une période révolutionnaire ou prérévolutionnaire ?
J. Lang :
Non. Je veux dire par-là que, d’une certaine manière, à l’Est, même si cela ne prend pas la forme d’affrontements, par bonheur, c’est de toute manière une sorte de révolution, pas à pas, qui se construit. C’était inimaginable il y a deux ou trois ans. Et tous ceux qui ont vu arriver M. Gorbatchev étaient d’un extraordinaire scepticisme. Ce qui se passe en ce moment frappe l’imagination. Malheureusement, nous ne sommes pas au bout de nos peines ; il y aura beaucoup d’efforts, beaucoup d’épreuves pour le peuple soviétique et pour les autres peuples.
Question :
C’est ce que vous a dit M. Sakharov, que vous avez vu hier ?
J. Lang :
Oui. Et l’ensemble des participants à cette grande réunion organisée par Danielle Mitterrand à Paris par la fondation France libertés. C’est aussi quelque chose qui… là vous parlez du bicentenaire, j’ai envie de dire aujourd’hui en ce dimanche matin, si vous le permettez, c’est un peu inhabituel, merci à Danielle Mitterrand. Car cette ouverture, ce lancement du bicentenaire de la Révolution française à travers ce qu’elle a organisé pendant ces trois journées est quelque chose qui réchauffe le cœur. On a vu peut-être à la télévision les aspects les plus spectaculaires, les plus forts, Walesa, Sakharov, qui ont choisi Paris pour célébrer les droits de l’homme et nous en sommes très fiers ; mais il y a eu aussi pendant trois jours la présence de jeunes venant de différents pays du monde qui, à l’unisson, ont demandé à la fondation France libertés, à notre pays, d’aller plus loin encore pour les droits de l’homme.
Question :
Un mot m’a frappé ce matin : Walesa, en sortant d’un entretien avec monseigneur Lustiger, disait qu’il voyait dans Paris peu de signes qui orientent la vie, qui soient au-dessus de la vie matérielle, quotidienne, au-dessus de la médiocrité. Voilà ce que disait Walesa ce matin.
J. Lang :
Oui, il y a sans doute toujours des traductions, même s’il y a toujours des bons traducteurs. Mais en même temps, c’est très drôle, parce que j’ai essayé de me mettre dans sa peau, si j’ose dire. Je l’ai rencontré moi-même il y a deux ans à Gdansk, dans ce pays de Pologne qui est un pays admirable et courageux et en même temps – il faut le dire – d’une grande pauvreté, et parfois d’une grande misère. Et nous avons reçu, avec notre hospitalité, nos amis polonais, et venant de ce pays où la misère est grande, découvrir Paris, il faut dire malgré tout, notre relative richesse, c’est quelque chose qui doit les surprendre, les étonner. Et peut-être qu’ils peuvent se poser la question de savoir si, au-delà de cette rutilance de la capitale française, l’esprit est encore là, très fort et qu’il va souffler très fort au cours de l’année 1989.
Question :
Puisque nous parlons de la libre circulation des hommes – c’en est un exemple – il y a aussi celle de l’information et des idées ; et je reviens brièvement à l’Arménie. Le fait que cette catastrophe naturelle, très triste, ait été annoncée aussi rapidement par les autorités soviétiques, c’est également un signe d’ouverture gorbatchévien pour vous ?
J. Lang :
Je le crois. C’est quelque chose d’inimaginable. Rappelez-vous pour Tchernobyl, ce fut pendant des mois, je crois, le silence absolu. Et qu’à propos de cette catastrophe il y ait l’information internationale, des reportages, voilà un formidable changement. J’espère qu’il y en aura d’autres.
Question :
Je voudrais revenir sur ce spectacle de l’argent, au fond, vous décrivez ce qu’a découvert Walesa à Paris ; est-ce qu’il n’est pas un peu aussi à l’origine de la crise sociale que nous connaissons aujourd’hui ? Est-ce qu’on ne vit pas dans un monde de la richesse, une société un petit peu cassée, brisée, avec des gens qui ont été au fond abandonnés dans le redressement – enfin abandonnés : qui sont en queue de train – ne sont-ils pas en train de se révolter aujourd’hui ?
J. Lang :
Oui, c’est vrai ; nous sommes un des pays les plus inégalitaires de l’Europe occidentale. Et sans vouloir à nouveau soulever des polémiques relatives aux deux années précédentes, qui ont été tout de même marquées par le culte des inégalités…
Question :
Excusez-moi de vous interrompre…
J. Lang :
Et l’attribution de privilèges un peu plus nombreux à des privilégiés. Je crois que, c’est vrai, nous avons besoin aujourd’hui que, dans notre société, chacun se sente davantage intégré, accepté, et nous avons besoin que les richesses qui, j’espère, vont se développer soient mieux partagées.
Question :
Mais on ne comprend pas pourquoi ces laissés-pour-compte de la société française ont choisi ce moment précis pour revendiquer avec la vigueur que nous connaissons.
J. Lang :
Oui, c’est ainsi, c’est peut-être parce qu’ils savent peut-être, cela peut paraître injuste à notre égard, mais en même temps c’est normal, je veux dire ; ils savent peut-être qu’après deux ans d’un gouvernement qui avait fermé les portes et qui refusait la négociation et le dialogue, ils pouvaient – ils peuvent – avec un gouvernement qui a le respect de l’ensemble du peuple, établir une discussion à travers diverses modalités. Je crois… Bon ! Nous avons accompli des actes déjà importants : le revenu minimum qui entre en application maintenant, dans les prochains jours, pas dans un an ou dans deux ans ! Dans les prochains jours…
Question :
Ce ne sont pas les bénéficiaires du revenu minimum qui revendiquent.
J. Lang :
Certes, mais en même temps, je dirais que notre devoir à nous, c’est d’abord justement de pouvoir apporter le minimum à ceux qui sont sans défense, sans voix, sans porte-parole et sans tribune.
Question :
Pour ceux qui revendiquent et qui font grève, est-ce qu’il n’y a pas de risque à ce moment-là de dérapage, s’il faut les satisfaire ? Je veux dire de dérapages en termes d’augmentation de salaires qui iraient à l’encontre de la rigueur prônée par le gouvernement ?
J. Lang :
Je crois que c’est un problème d’explication, j’allais dire en employant un mot savant : de maïeutique collective. Il faut que chacun s’exprime et c’est la démocratie. C’est le devoir du gouvernement de dire aussi : si nous voulons progresser et assurer une meilleure répartition des fruits de ces progrès, il faut préserver les grands équilibres. Et Michel Rocard a tenu, sur ce plan, un langage de vérité, de clarté, de fermeté. Mais en même temps il faudra, pas à pas, que la négociation et le dialogue continuent.
Question :
Vous considérez que les revendications salariales sont excessives actuellement, là où il y a grève ?
J. Lang :
Il appartient à chacun d’exprimer. S’il y a un gouvernement, c’est pour assurer l’arbitrage. Le premier devoir d’un gouvernement, c’est de tenter, au nom de l’intérêt général et au nom du peuple français, d’assurer les arbitrages, les équilibres, entre les demandes des uns et des autres, les capacités collectives. Et je crois que le gouvernement de Michel Rocard a parfaitement réussi à maintenir l’équilibre entre la préservation de la rigueur de la gestion des fonds publics et les premières mesures sociales qui ont été adoptées.
Question :
Monsieur le ministre, vous parliez à l’instant même d’intérêt général du pays. Est-ce que vous êtes, vous aussi, favorable ou défavorable à l’organisation d’un service minimum à l’intérieur du service public ? C’est une idée qui semble progresser, même dans les rangs de vos amis socialistes.
J. Lang :
C’est une idée qui par elle-même n’est pas absurde. Mais elle ne peut pas s’imposer par voie autoritaire, ou unilatérale. J’en parlais hier soir avec le ministre des affaires étrangères espagnol, qui était présent aux cérémonies organisées par le Président de la République – eux-mêmes connaissent quelques problèmes sociaux, et d’ailleurs il y a beaucoup de problèmes sociaux dans beaucoup de pays d’Europe aujourd’hui, et d’ailleurs il y aura une grande grève générale en Espagne le 14 décembre prochain. Le service minimum existe dans la législation espagnole, mais n’est pas reconnu par la société. Donc je crois qu’une telle idée, qui en effet assurerait un minimum de fonctionnement des services, ne pourra être établie que par accord mutuel… Il faut qu’elle fasse son chemin.
Question :
Vous n’êtes pas de ceux qui voient la main ou le bras du Parti communiste ou de la CGT dans tout cela ?
J. Lang :
Dans toute crise sociale il y a un mélange. Il y a à la fois du mécontentement, une impatience, des revendications, certaines justifiées et d’autres difficiles à accepter. Qu’un parti ou qu’un organisme veuille les utiliser, c’est incontestable dans ce cas précis.
Question :
Michel Rocard semble le dire.
J. Lang :
Michel Rocard l’a dit avec les mots justes. Mais je dirais que le plus inacceptable encore a été l’utilisation qui n’est pas digne d’un grand parti qui a dirigé la France de déposer une motion de censure pour profiter d’une difficulté sociale momentanée. D’ailleurs, au fond, ce parti – je pense au RPR – doit le regretter, car ce débat de censure a été pour lui un fiasco. Il espérait regrouper à nouveau sous sa férule autoritaire la droite. Une fois de plus, on a vu que la droite française a été K.-O., émiettée, atomisée, divisée. Et ce qui est d’ailleurs intéressant – j’ai été présent à ce débat de censure –, ce qui m’a vraiment beaucoup intéressé et touché en même temps, c’est d’écouter un homme comme Philippe Séguin. Philippe Séguin, qui est un homme de grande intelligence…
Question :
C’est lui qui a déposé le projet.
J. Lang :
C’est lui qui a déposé le projet, et qui a défendu la thèse du RPR. Si on voyait de plus près, je ne suis pas convaincu d’ailleurs que tout ce qu’il a dit exprimait l’opinion générale du RPR. Mais peu importe. Ce qui était très étonnant dans son discours, c’était d’entendre cette espèce de nostalgie exprimée en permanence, de la résurrection des affrontements idéologiques, de la guerre civile… Au fond, le RPR souffre, souffre vraiment profondément et durablement, que nous soyons passés vers un autre système. Je crois qu’il en est fini du caporalisme chiraquien. Un système dans lequel un parti et un chef de parti pouvaient ordonner, commander à l’ensemble de la société, alors même qu’il était minoritaire. Et on dit : oui, mais vous, avec Michel Rocard, vous êtes pour une sorte de consensus mou. Moi je préfère une démocratie avec une majorité solide, et on l’a vu notre majorité est solide, durable, croyez-moi, durable…
Question :
Quoi qu’en dise le RPR ?
J. Lang :
La preuve a été administrée à travers cette motion de censure. C’est qu’il y a une majorité solide autour du Parti socialiste et qui entend bien gouverner durablement pour les prochaines années. Et en même temps, c’est l’autre aspect que n’arrive pas à comprendre le RPR, une majorité ouverte, le sens du respect.
Question :
Est-ce qu’une démocratie ce n’est pas une majorité une opposition ?
J. Lang :
Bien entendu, une majorité, une opposition. Nous sommes une majorité, une majorité solide. Une majorité solide cela veut dire aussi une majorité qui est assez sûre d’elle-même pour dialoguer, discuter…
Question :
Où est Monsieur Barre, à votre avis, dans l’opposition ou dans la majorité ? Monsieur Juppé dit qu’il est désormais hors de l’opposition – on pose la question parce qu’il n’a pas voté la motion de censure – et est-ce que son attitude est l’événement le plus important depuis le début de la Ve République, comme le dit Michel Durafour, ministre du gouvernement Rocard ?
J. Lang :
Monsieur Raymond Barre, qui n’appartient pas à la même famille de pensée que la mienne, est un homme qui se rattache davantage à une conception je dirais plus conservatrice de la société, est un homme manifestement de grande qualité morale qui a un esprit de responsabilité qu’on ne peut pas ne pas saluer.
Question :
Il se rapproche de vous ?
J. Lang :
Je l’ignore. En tout cas j’observe que dans certaines circonstances, dont celle de la motion de censure, il a témoigné d’un esprit de responsabilité qu’il faut saluer.
Question :
Autre question. Est-ce que vous, vous vous rapprochez de lui ? C’est ce que semble dire en tout cas le PC tous les jours.
J. Lang :
Oui mais enfin… Bon ! Le PC, le PC a toujours eu tendance à prendre ses désirs pour des réalités et à dresser de ses concurrents un portrait très éloigné de la réalité. Nous sommes nous-mêmes ; nous sommes socialistes. Le socialisme c’est quoi concrètement ? C’est, je le répète, vouloir coûte que coûte, pas à pas, construire une république plus fraternelle au service d’une croissance économique que nous partageons. Voilà. Notre objectif est simple, il est clair, nous n’en démordrons pas. Ceux qui veulent bien participer à ce combat commun sont les bienvenus. Plus nous serons nombreux, plus notre démocratie sera conviviale et mieux sera partagée la croissance économique pour laquelle nous travaillons.
Question :
Je reviens aux rapports entre le Parti socialiste et le Parti communiste : vous nous avez dit, ce que d’autres ont déjà dit au gouvernement, que vous voyez la main du PC dans les conflits sociaux actuels, en tout cas qu’il ne fait rien pour arranger les choses. Est-ce que dans ces conditions un accord municipal de mars prochain est encore crédible entre le PS et le PC ?
J. Lang :
La question est ouverte ; aujourd’hui même, cet après-midi se tient une réunion de l’ensemble des têtes de liste socialistes à travers la France, ce sera l’objet du débat. L’un des objets du débat.
Question :
Quel type de liste préféreriez-vous diriger éventuellement, Jack Lang ? Une liste avec disons une majorité présidentielle, une liste d’ouverture ou bien une liste d’union avec le Parti communiste ?
J. Lang :
Je crois que la nature des choses, c’est que ce qu’on appelle la majorité républicaine, traditionnelle en France depuis la naissance de la République si j’ose dire, coïncide avec la majorité présidentielle et que la majorité présidentielle puisse le moment venu s’ouvrir, mais s’ouvrir encore une fois dans le cadre de la lettre aux Français du Président de la République. Au fond, pour nous il y a un document de base, la lettre aux Français du Président de la République, ceux qui se retrouvent autour de ce texte peuvent apporter leur contribution à la construction commune.
Question :
Qu’en reste-t-il aujourd’hui de ce texte ? Parce que Laurent Fabius dit qu’il n’y a pas de grand dessein ? Où est le dessein aujourd’hui ? Il est dans cette lettre à tous les Français ? Fabius n’a pas l’air, en tout cas, de s’y reconnaître.
J. Lang :
C’est vous qui le dites. On a de manière artificieuse, au cours de l’été, piqué un mot d’une déclaration et transformé sa pensée.
Question :
Ce n’est pas au cours de l’été.
J. Lang :
Enfin je parle aujourd’hui, telles que je sens les choses, et connaissant bien Laurent Fabius, je sais que mon opinion est en concordance avec la sienne. Je crois au contraire que nous vivons, je le répète, une époque passionnante et qui va être marquée par une nouvelle vision de la démocratie française. Je comprends très bien naturellement que certains – je veux dire ceux qui appartiennent à la société politique – aient un sentiment un peu étrange : c’est inhabituel ce qui se passe.
Question :
Avouez qu’elle a du mal à voir le jour cette nouvelle vision !
J. Lang :
Bien entendu, c’est toujours très difficile quand on passe d’une conception de la politique à une autre conception de la politique. Pendant 30 ans, ce pays a vécu sous le joug d’un parti, généralement minoritaire, qui imposait ses vues de manière autoritaire et caporaliste à l’ensemble de la société. Voici que nous passons à une autre époque, dans laquelle une majorité – une majorité solide – qui s’est constituée autour de François Mitterrand et dont le cœur et la clé de voûte est le parti socialiste, mais qui connaît des frontières aujourd’hui plus larges, cette majorité elle-même se choisit pour ambition de construire une république plus ouverte, plus transparente, et quand je dis ça, ce n’est pas seulement des mots. On l’a vu au cours du débat parlementaire, jamais depuis 30 ans on avait vu un tel dialogue constructif entre la majorité et l’opposition, sans que pour autant l’orientation générale de notre action soit remise en cause. C’est un point important, alors je comprends évidemment beaucoup les observateurs habitués aux affrontements verbaux traditionnels être un peu chamboulés ou tourneboulés…
Question :
Même dans vos rangs, Monsieur Lang, il en est qui sont pour les anciens clivages et qui préfèrent les affrontements… le clivage avec le RPR aujourd’hui : vous essayez visiblement de l’isoler et de tendre la main à l’autre partie de la droite.
J. Lang :
Le RPR n’a besoin de personne pour s’isoler, vous savez. Actuellement, la droite vit, si j’ose dire, une cure, essaie de vivre une cure de déchiraquisation ! Je crois que c’est cela ! La droite française actuellement entre – non sans mal, non sans épreuve, non sans douleur – dans une sorte de cure de déchiraquisation. Ce n’est pas facile quand même pour la droite qui a subi cette férule autoritaire pendant si longtemps de reconquérir progressivement une petite autonomie.
Question :
Vous aviez employé ce mot de chiraquisation à propos des noyaux durs, dans un forum ici en août 87 : si je comprends bien, le gouvernement et Pierre Bérégovoy en tête s’attaquent en ce moment au noyau dur pour aider à cette déchiraquisation, en somme ?
J. Lang :
En tout cas, à la dépolitisation des entreprises nationales et privées. Nous avons vécu en effet pendant deux ans dans une situation absolument extravagante, du dirigisme d’un parti qui entendait – qui entendait ! – qui a placé à la tête d’entreprises privées des hommes de parti. Alors que le discours et le langage de Pierre Bérégovoy est clair : place à la liberté ! Et surtout que la politique ne se mêle pas de la question des entreprises nationales et des entreprises privées. Alors si cela se passe par une déchiraquisation, pourquoi pas ? Mais en tout cas, il faut absolument que les responsables des entreprises publiques ou privées se sentent totalement libres. Compte d’abord l’intérêt économique et social de chaque entreprise et non pas l’attitude d’un chef de parti ou d’un autre.
Question :
Et vous, vous êtes bien certain de préserver cette liberté des entreprises et de ne pas mettre à leur tête des hommes qui soient proches de vous ?
J. Lang :
Naturellement. D’ailleurs les choix qui ont été faits sont des choix toujours neutres, qui ont permis, lorsqu’il y a eu des choix, de placer des hommes réputés pour leur efficacité et leurs capacités.
Question :
Tout de même je constate que vous vous en êtes beaucoup pris depuis le début de cette émission au RPR. Quand on parle du Parti communiste, vous éludez, alors que quand même ils vous attaquent beaucoup au Parti communiste.
J. Lang :
Je n’élude rien. Interrogez-moi concrètement, je vous répondrai.
Question :
Est-ce que vous êtes pour des primaires aux municipales, ça clarifierait peut-être les choses entre PS et PC ?
J. Lang :
Nous sommes pour des accords sur la base des principes de la majorité présidentielle, avec ceux qui reconnaîtront ces principes. La discussion est ouverte. Comme le dit très justement Pierre Bérégovoy : nous ne sommes pas pour la soustraction mais pour l’addition, mais l’addition dans la clarté.
Question :
Mais est-ce que, dans ses attaques, le PC ne va pas au-delà des municipales ? Est-ce que, au fond, il ne cherche pas à faire trébucher cette expérience sociale-démocrate que vous menez aujourd’hui ?
J. Lang :
Peut-être est-ce le cas, mais en tout cas nous ne nous laisserons pas… Nous n’accepterons pas des croche-pieds.
Question :
Quelle est la réplique ? C’est un combat historique cette lutte d’influence entre la social-démocratie et le Parti communiste. Sans remonter au Congrès de Tours.
J. Lang :
Vous avez tout à fait raison, Gérard Saint-Paul. Et justement, si vous permettez un instant, sortant de l’actualité la plus immédiate pour tout de même regarder d’où l’on vient, où l’on est et où on va : c’est aussi quelque chose qui me réjouit personnellement par rapport à mon idéal. Songez à ce qu’était la situation du Parti socialiste en 1971 et observez ce qu’a été le parcours, l’itinéraire historiquement tout à fait impressionnant de François Mitterrand : le Parti socialiste était marginal en 1971 ; il est devenu aujourd’hui la clé de voûte du système politique français, il est au cœur même, au carrefour de la vie politique française. Et l’autre aspect qui a beaucoup changé : une sorte de malédiction pesait sur la gauche. François Mitterrand, par sa réussite en 1981, sa seconde réussite en 1988, et donc grâce à l’alternance, a réussi à faire que la gauche soit considérée comme pleinement légitime. Moi je me souviens des premières années, 80, 81 à 83, où nous étions considérés comme des squatters, comme des occupants sans titre ou des usurpateurs, alors même que nous avions obtenu la majorité électorale. Aujourd’hui, les choses ont changé. Nous sommes pleinement acceptés, et c’est une bonne chose, pas seulement pour nous, mais pour l’équilibre de la démocratie française.
Question :
Vous dites le mot équilibre, mais c’est précisément cet équilibre que le Parti communiste voudrait changer en sa faveur. Toute sa stratégie va de ce côté-là.
J. Lang :
C’est son sentiment. Nous pensons au contraire que l’harmonie de la société française passe par un Parti socialiste rayonnant, puissant…
Question :
Hégémonique ?
J. Lang :
Respectueux de l’ensemble des autres familles de pensée, et capable de créer dans ce pays un climat à la fois de combativité économique, de justice sociale et de respect des uns et des autres.
Question :
Alors, selon vous, il y a un Parti socialiste brillant, rayonnant, chaleureux et face à une droite dont vous dites qu’elle est K.-O., complètement atomisée et sans force. C’est cela votre analyse de l’état de la droite actuellement ?
J. Lang :
Je n’ai pas dit… que les socialistes n’ont pas constamment – c’est d’ailleurs je pense notre règle de conduite permanente – n’ont pas sans cesse à faire [manque un mot ?] effort pour se rajeunir, se moderniser, s’ouvrir davantage, mieux s’organiser encore. Je le crois et c’est une nécessité, je dirais biologique, pour chacun d’entre nous ou pour chaque organisation humaine. Mais la droite, je m’excuse de le dire, à part quelques personnages, je trouve, a pris un drôle de coup de vieux, et pour le moment, peut-être d’ailleurs que c’est normal dans une première période après une défaite aussi sévère, n’a pas réussi à retrouver le recul moral… Ce ne serait pas si mal non plus pour la démocratie qu’il y ait tout de même là, pour la qualité du débat démocratique, en face des propositions, des contre-propositions…
Question :
Des motions de censure !
J. Lang :
Exactement ! Aujourd’hui vous observez que la droite est sans projet, sans leader, sans idées, sans perspectives. Alors, essaient de se frayer ici ou là quelques tentatives : il y a à droite des hommes courageux, des hommes de qualité et peut-être réussiront-ils à recomposer un paysage à droite à la mesure des temps d’aujourd’hui.
Question :
Vous pensez aux centristes ?
J. Lang :
Les centristes ? Où sont-ils exactement ? Où est la frontière, exactement ? Je pense à un certain nombre de personnalités qui avec courage, intelligence…
Question :
Des noms !
J. Lang :
Qui s’efforcent de frayer une voie nouvelle à leurs pensées.
Question :
Vous reparlez, manifestement, de Raymond Barre ?
J. Lang :
C’est un des hommes qui, je crois, honore par la qualité de ses interventions le débat démocratique.
Question :
Vous avez l’air de considérer l’élargissement de la majorité à travers des ralliements individuels, vous n’imaginez pas un changement d’alliance ou un pacte de gouvernement plus tard avec les centristes ?
J. Lang :
C’est une question qui n’est absolument pas à l’ordre du jour. Je crois que notre objectif c’est, dans le cadre du programme présidentiel, de développer un peu plus le Parti socialiste, d’associer à des tâches d’intérêt commun tous ceux qui veulent bien se reconnaître à travers les grands objectifs que j’ai définis tout à l’heure.
Question :
On va parler des centristes : ils se sont abstenus cette semaine dans le vote sur la loi de l’audiovisuel, mais enfin ils ont dit qu’en deuxième lecture ils pourraient voter contre si, selon eux, il n’y a pas de substantielle amélioration. Est-ce que vous allez leur répondre ? apporter les garanties que demandent les centristes, notamment à propos de la composition du Conseil supérieur de l’audiovisuel ?
J. Lang :
Le débat sur l’audiovisuel a été mené, comme le débat sur les autres projets de loi, avec un esprit de dialogue. Tous les responsables politiques, y compris d’ailleurs dans ce cas ceux du RPR, ont reconnu que l’atmosphère qui a présidé à ce débat a toujours été marquée par ce souci d’échange et de dialogue. Et Catherine Tasca et moi-même avons toujours voulu que du début jusqu’à la fin il y ait le désir d’améliorer le texte.
Question :
Il y a tout de même des inquiétudes au-dessus du berceau du futur CSA, Monsieur le ministre ? Vous le savez bien !
J. Lang :
Mais, ce que je voudrais dire, c’est que sur un certain nombre de points, nous avons accepté des modifications qui paraissaient positives, constructives et heureuses. Qu’on ne nous demande pas de défigurer notre texte pour… sous prétexte d’échapper à l’application de l’article 49-3. D’ailleurs le Premier ministre a pris la précaution de demander mercredi dernier au conseil des ministres l’utilisation possible de l’article 49-3, si véritablement il n’y a pas d’autre solution, c’est une solution prévue par la Constitution tout à fait normale, je crois que nous n’en avons pas abusé (pas une seule fois depuis le début de la session)…
Question :
Ça pourrait être là !
J. Lang :
Pourquoi pas, s’il le faut ! Mais ce que je voudrais dire tout de même : voyons la question dans son ensemble. C’est que le principal compromis que nous avons passé, c’est de ne pas avoir engagé une réforme qui aurait à nouveau infligé un traitement de choc à la télévision et à la radio. Ce dont certains devraient nous être reconnaissants, c’est de ne pas avoir voulu établir la énième loi audiovisuelle ! Loi qui aurait charcuté comme l’avait fait la loi de 86, déstabilisé à nouveau, le système audiovisuel. Nous avons choisi une voie sage, pragmatique, raisonnable, très difficile ! Très difficile ! Une voie étroite, à travers laquelle nous allons essayer, et d’abord le futur Conseil de l’audiovisuel, de changer la télévision pour la rendre plus vivante et plus ouverte.
Question :
Est-ce que ça veut dire que vous acceptez le paysage audiovisuel tel qu’il est aujourd’hui ?
J. Lang :
Nous prenons, si j’ose dire, la loi de 86 à son propre jeu. Elle a dit qu’elle voulait que la télévision soit plus créative. Nous disons : chiche ! Et nous espérons que le futur conseil audiovisuel sera capable de faire respecter par les chaînes commerciales et les chaînes publiques ce que la CNCL a été incapable de faire respecter ! Et c’est une chance nouvelle qui est donnée en quelque sorte à une loi qui avait en grande partie échoué. Je crois qu’on devrait tout de même nous être reconnaissant d’avoir montré cet esprit de responsabilité. Au-delà nous ne pouvons pas aller !
Question :
Est-ce que vous dites également que six chaînes, au fond, c’est mieux que trois chaînes dans un pays tel que le nôtre ?
J. Lang :
Je crois qu’il y a beaucoup d’illusions à s’imaginer que la multiplication des chaînes allait multiplier les programmes. C’est le contraire qui se produit ! Plus vous créez de chaînes, plus les programmes finissent par se ressembler. Les chaînes généralistes. Les chaînes qui veulent atteindre le même public à la même heure. Et c’est clair qu’il faudra que le futur conseil audiovisuel apprécie, en fonction des équilibres économiques et financiers, quel pourrait être la moins mauvaise solution. Après tout, que les chaînes commerciales fassent la preuve au cours des prochains mois qu’elles sont capables de faire de bons programmes. C’est la seule question qui compte. Le reste, c’est accessoire. Et ce que les Français attendent des patrons des chaînes de télévision, c’est qu’elles fabriquent de bons programmes. Le reste est secondaire.
Question :
Est-ce que le rapport 88, le rapport du sénateur Cluzel parle d’un véritable « Munich » de la culture française. Est-ce que cela ne vous paraît pas un peu exagéré ?
J. Lang :
La formule est brutale mais il n’a pas entièrement tort. Et le sénateur Cluzel, qui a toujours été un bon observateur de l’ouvrier français, a dit souvent ce que tout le monde pense et n’ose pas dire. Mais je suis parfois très heurté et parfois même humilié de voir que, certaines heures, ce sont seulement des séries américaines qu’on peut voir à la télévision française. J’ai fait l’expérience moi-même l’autre dimanche : j’appuie à 3 h 30 sur le bouton de télévision, TF1 une série américaine, A2 une série américaine, FR3 une série américaine, La Cinq une série américaine. Je me dis : « Est-ce que je suis à New York ou à Paris ? » Alors quand même, comme je sais, comme ministre de la culture, que nous avons la chance d’avoir en France des artistes, des créateurs, des gens de prodigieux talent, c’est humiliant pour nos artistes ; ce n’est pas acceptable pour les Français qui ont envie, tout de même, de voir leurs artistes. Alors, je dis aux patrons des chaînes de télévision : faites votre boulot, et votre boulot, cela veut dire : d’abord servir la culture française avant d’être des robinets à séries américaines.
Question :
C’est-à-dire que vous considérez que votre discours de Mexico très dur il y a quelques années, contre la culture américaine, est toujours d’actualité.
J. Lang :
Il est plus d’actualité que jamais, si j’ose dire. Je n’emploierais peut-être pas les mêmes mots que j’ai employés à l’époque, mais il est plus d’actualité que jamais ; je veux dire que la télévision française a été abusivement américanisée parfois au plus bas niveau ; il est temps qu’elle devienne beaucoup plus française et beaucoup plus européenne.
Question :
Un mot pour revenir sur le Conseil supérieur de l’audiovisuel. Il y a eu, il y a des noms qui circulent qui pourraient être nommés par les différentes instances qui sont chargées de nommer. Dans ces noms, est-ce que certains vous semblent crédibles ?
J. Lang :
Je ne sais pas très bien. Je ne suis au courant de rien.
Question :
On donne Jean-Denis Bredin, par exemple, comme président possible.
J. Lang :
C’est une personnalité de grande envergure. Mais je n’ai pas entendu dire que lui-même était candidat ou qu’il avait été sollicité. La question d’ailleurs ne se posera pas avant plusieurs semaines. Ce que je voudrais vous dire sur ce sujet, et peut-être c’est le point sur lequel éventuellement le débat reviendra la semaine prochaine à l’Assemblée nationale. Personnellement je ne forme qu’un seul vœu : que les personnalités choisies par les hautes autorités qui auront cette responsabilité soient des personnalités de caractère. Du caractère. Comme disait Mirabeau, du caractère, encore du caractère, toujours du caractère. Et des personnes, je dirais, au fond, on parlait tout à l’heure de l’abbé Grégoire, il disait à peu près ceci : « Je suis fait de granit, on peut me briser, on ne peut pas me faire plier. » J’aimerais que, reprenant le mot de l’abbé Grégoire, les personnalités qui feront partie du futur haut conseil soient de granit, c’est-à-dire sachent résister à…
Question :
… a priori les gens qui sont en granit ?
J. Lang :
Alors qu’elles aient du caractère. Résister… Preuve d’indépendance, effectivement comme on donne des preuves d’amour ou des preuves d’amitié, sachent résister aux groupes financiers, au pouvoir politique quel qu’il soit et puissent enfin, enfin, enfin, faire appliquer la loi, et n’avoir qu’un seul objectif, redonner aux Français la fierté de leur télévision et redonner aux artistes et aux producteurs français l’enthousiasme pour la production audiovisuelle.
Question :
… Malade de sa télévision selon vous ?
J. Lang :
Pour l’instant encore, j’espère qu’elle sera en meilleure santé bientôt.
Question :
Comment est-ce que le CSA entrera dans la Constitution ?
J. Lang :
C’est une constitution, je dirai, à résoudre. Je veux dire par-là que, pour qu’elle [il ?] entre dans la Constitution, il faut que le CSA soit respecté, admis et reconnu ; d’où l’importance des nominations, d’où l’importance des actes qu’accomplira ce conseil. Si ce conseil réussit à gagner la confiance publique, alors nous n’aurons pas de mal…
Question :
Vous lui donnez combien de temps, en fait ?
J. Lang :
Je ne peux pas vous dire. Monsieur Raymond Barre, encore lui, direz-vous, avait indiqué qu’il fallait que ce nouveau conseil puisse, pendant trois ans, c’était sa thèse, exercer sa mission et que sur cette période probatoire la décision soit prise de l’incorporer à la Constitution. Moi je suis confiant, je crois que nous y arriverons et que ce futur haut conseil permettra à la télévision et à la radio de gagner en liberté et en créativité.
Question :
Vous reprenez les trois ans de Raymond Barre ?
J. Lang :
Je ne dis pas trois ans, je dis, c’est peut-être un an et demi, deux ans, trois ans. Pourquoi s’enfermer dans un calendrier ?
Question :
Est-ce qu’il faut être jeune d’esprit pour faire de la télévision ? Est-ce que vous trouvez qu’on tient d’une façon générale dans les programmes suffisamment compte des préoccupations des jeunes et singulièrement va-t-on reparler d’une chaîne musicale ?
J. Lang :
Si vous voulez que je dise le fond de ma pensée ? Je crois qu’il y a trop de choses en France, institutions diverses, culturelles ou autres, télévisées, ou parfois même politiques, qui ne sont pas animées par un esprit assez neuf. Ce n’est pas une question d’âge, car je connais beaucoup de personnalités qui malgré l’état civil ont une jeunesse d’esprit à revendre. À commencer par le Président de la République, qui ne manque pas d’audace dans beaucoup de matières, vous le savez bien. Mais, je trouve qu’effectivement parfois il y a un esprit un peu vieillot qui anime trop d’institutions culturelles. J’aimerais aussi, personnellement, que la télévision de demain fasse beaucoup plus place aux nouvelles générations. Vous voulez me dire, là, quelques jeunes animateurs qui ont réussi à percer ? Mais, très peu d’auteurs nouveaux de scénarios, très peu de réalisateurs nouveaux, très peu de compositeurs nouveaux. Il faudrait vraiment que la télévision et la radio soient de véritables pépinières, de véritables viviers où on puisse faire émerger des talents de demain.
Question :
La chaîne musicale ?
J. Lang :
Alors la chaîne musicale, moi j’y tiens beaucoup. Et je souhaite, vraiment, que le conseil audiovisuel de demain soit capable d’aider le pays à trouver une place pour cette chaîne musicale.
Question :
Un dernier mot sur les projets : on reparle actuellement d’une possibilité d’alliance, de holding, entre la 2 et la 3 : ça vous semble… ?
J. Lang :
Non, je crois que simplement nous avons ouvert avec Catherine Tasca des conversations, des consultations, pour essayer de renforcer, de moderniser le service public. Ce qui est clair c’est qu’il serait certainement souhaitable qu’entre FR3 et Antenne 2 existe une meilleure harmonisation, une meilleure coordination. Sous quelle forme juridique ? Je l’ignore aujourd’hui. Peut-être d’ailleurs n’y a-t-il aucun changement de structure à faire, mais simplement avoir des comportements différents qui permettraient à ces deux chaînes de travailler de façon plus complémentaire et plus harmonieuse.
Question :
Vous savez bien que l’harmonisation est extrêmement difficile lorsqu’il n’y a pas de lien institutionnel et codifié.
J. Lang :
Il faut inventer des mécanismes de coordination ou des mécanismes de complémentarité. Je ne peux pas en dire plus à l’heure qu’il est.
Question :
Monsieur le ministre, aujourd’hui, où en sommes-nous de la préparation du bicentenaire pour l’année prochaine ? On apprend par exemple que c’est Jessye Norman qui chantera La Marseillaise et on apprend aussi que Jean-Michel Jarre au fond, finalement, est décommandé. Alors on ne comprend pas très bien. Pardon de commencer par ce détail, mais il est peut-être significatif de l’état des préparatifs.
J. Lang :
Ce que je voudrais d’abord dire, c’est que le bicentenaire de la Révolution française n’appartient ni à un gouvernement ni même à la France. C’est un événement international d’abord, qui est célébré dans le monde entier. J’aimerais au cours de l’année 89 essayer – grâce à votre concours éventuel – de faire découvrir aux Français, à notre pays, de quelle manière aux États-Unis, en Amérique latine, en Russie, un peu partout dans le monde, c’est d’abord la fête de la liberté et de la libération de tous les peuples. Et puis ce n’est pas seulement l’affaire d’un gouvernement. Partout à travers le pays, dans des villages, des associations, des jeunes, des moins jeunes ont des idées et des projets.
Question :
Oui, mais il revient au gouvernement de coordonner tout cela. Parce que là on a l’impression que tout n’est pas prêt.
J. Lang :
D’abord, il revient à un homme très remarquable, qui a été choisi par le Président de la République : Jean-Noël Jeanneney, historien qui, par ses qualités d’homme d’action (il a été le patron de Radio France), d’assurer la coordination et l’organisation. Il le fait avec beaucoup de force et beaucoup de talent. Mon rôle consiste à faciliter l’action et en particulier avec l’ensemble des autres ministres.
Question :
Alors, quel est l’état des lieux, si je puis poser la question comme cela ?
J. Lang :
Eh bien, nous partions d’une mauvaise situation, vous le savez, puisque malheureusement le malheur s’était abattu sur la mission du bicentenaire, hélas, à travers des phénomènes graves, notamment la mort et la disparition de ses deux présidents successifs. Et je crois que les choses vont bien et que… Je préférerais, au fond, pour parler très franchement, vous surprendre. Pas seulement moi, Jean-Noël Jeanneney, qui organise, vous surprendre par la qualité des événements plutôt que par le brio d’annonces plus ou moins tapageuses. Les choses se préparent sérieusement, activement, et en particulier, naturellement, les grandes festivités qui marqueront les grandes dates de la Révolution française.
Question :
Qu’est-ce qu’il s’est passé pour Jean-Michel Jarre alors ?
J. Lang :
Il s’est passé que pour le 14 juillet le souhait a été de conserver à cette journée un certain caractère, lié à la célébration de l’événement de La Marseillaise, de la prise de la Bastille. Et avec Jean-Michel Jarre nous avons eu un échange de vues et nous lui avons dit que nous voulions que les festivités ne se déroulent pas en un seul jour : le 14 juillet, jour où seront présents les chefs d’État des pays industrialisés, mais puissent se dérouler du 13 au 15 juillet. Nous lui avons proposé, à ce moment-là, soit la date du 15, soit la date du 16 juillet, pour la manifestation à laquelle il avait réfléchi. Et nous nous étions séparés, il y a deux mois, sur un accord. Et puis, c’est moi qui vous pose la question : qu’est-ce qui s’est passé pour que cette proposition acceptée ait pu être remise en cause ? Mais moi je ne le vois pas d’une manière dramatique ; je le regrette. Et encore une fois, si Jean-Michel Jarre changeait d’avis, naturellement, ce serait une bonne chose qu’il soit présent soit le 15, soit le 16, au cours de ce long week-end – ne l’oublions pas – du 14 juillet.
Question :
Vous manifestez une volonté, je dirais, très consensuelle sur cette affaire-là, sur le bicentenaire ; est-ce que vous travaillez en harmonie avec la mairie de Paris ou est-ce que vous vous heurtez là aussi au RPR ?
J. Lang :
Non, j’ai souhaité, avec le président d’action du bicentenaire, établir avec le maire de Paris et ses collaborateurs des relations de travail. Et ce serait vraiment détestable que pour la célébration d’un tel événement les puérilités politiques habituelles viennent se greffer sur cette préparation. Je dois dire que les choses se passent bien. Cela vous étonne peut-être, mais les choses se passent bien.
Question :
Monsieur le ministre, que pensez-vous de tous ces sondages d’opinion autour de la révolution ? On refait même, je dirais presque par correspondance, le procès de Louis XVI. Est-ce qu’on n’assiste pas à des tentatives de relecture de 89 ? Et en tout cas quelle est votre lecture à vous de la Révolution française ?
J. Lang :
J’ai volontiers tendance à faire bien le mot de Clemenceau : « La révolution est un bloc. » C’est un ensemble, c’est un mouvement. Je dirais, si vous voulez mon sentiment personnel, j’ai pour les hommes de la révolution, quelles qu’aient pu être leurs tendances, un respect, une admiration. Ce sont des gens qui ont eu une audace, une intrépidité, une vision, un panache extraordinaires. Naturellement, une révolution, ce n’est pas une conversation autour d’une tasse de thé. Les choses, parfois, se sont passées durement et brutalement. Mais quand même. Que ces hommes, quelles qu’aient pu être leurs erreurs – ils en ont commis – aient pu réussir à faire basculer notre société et faire que l’événement qu’il bâtissaient, ces hommes de la révolution, soit non seulement un événement français, mais un événement mondial, j’ai envie de leur dire rétrospectivement : chapeau. Et nous vivons, encore aujourd’hui, de leur héritage, de leur grandeur et de leurs messages. Et quand vous voyez, j’en reviens à cette cérémonie qui s’est déroulée autour de Danielle Mitterrand ces dernières heures, quand vous voyez de quelle façon, venant du monde entier, par exemple des jeunes d’Afrique du Sud, des jeunes de l’Est de l’Ouest, se sont retrouvés autour de la Déclaration des droits de l’homme, c’est très émouvant et très touchant. Et en particulier, je crois cet aspect qui, à mon avis – Walesa l’a bien dit justement encore aujourd’hui – tout ce qui peut toucher, je dirais, aux exclus de notre société, de nos sociétés. Danielle Mitterrand, avec sa fondation France libertés, qui a accompli un travail magnifique, montre qu’avec le cœur on peut changer beaucoup de choses et redonner à cette déclaration des droits sa dimension, toute sa dimension de tendresse, de bonté, de générosité ; non seulement en paroles, mais par des actes quotidiens. Je crois qu’il faut que nous retrouvions tous, comme le font les dirigeants de France libertés, ce don d’aimer. C’est un peu ce que je retiens, si vous voulez, au fond, d’une certaine manière, de la Révolution française : retrouver le don d’aimer ; et encore une fois, le don d’aimer, comme je le disais à propos du débat audiovisuel, ce n’est pas seulement des discours, c’est aussi des preuves concrètes.
Alors, sachons, au cours des prochains mois, donner des preuves concrètes de notre capacité d’aimer.
Question :
Il y a aussi une vision très gauchisante de la révolution, contre les privilèges. Elle garde une actualité ?
J. Lang :
Oui. Non pas du tout sous la forme de violence que nous réprouvons, mais sous la forme de bastilles encore à conquérir ou à abattre.
Question :
Des exemples ?
J. Lang :
Dans notre société les privilèges sont innombrables.
Question :
Vous parlez de Bastille et de privilèges. Est-ce que vous considérez que le contrat accordé à Daniel Barenboim pour la direction de l’opéra de la Bastille est un privilège exorbitant ? Il y a un débat qui se crée autour de ce cas aujourd’hui.
J. Lang :
Je ne voudrais pas mettre en cause une personne ou une autre. D’ailleurs vous savez que cette question que vous posez met en question plutôt l’ancien gouvernement qui a conclu ce contrat. J’espère – nous sommes les responsables de l’opéra Bastille par l’intermédiaire de Pierre Bergé, qui a la confiance du gouvernement – il s’efforce, au cours des prochains jours, de bâtir une nouvelle organisation. Et j’espère que chacun y mettra du sien et que nous réussirons, conformément au projet d’origine, à créer un théâtre lyrique populaire et établir un système d’organisation qui sera économe des fonds publics.
Question :
Précisément, est-ce que vous souhaitez que Daniel Barenboim reste ou pas ?
J. Lang :
Tout est fait pour qu’il puisse rester dans le cadre des missions d’origine, c’est-à-dire bâtir un TMP d’art lyrique ouvert à la création et en même temps faire la preuve que ce nouvel opéra sera plus efficace, et je répète, plus économe des fonds publics. Et je pense que chacun y mettra de la bonne volonté pour concilier des points de vue qui, peut-être, méritaient d’être rapprochés.
Question :
Généralement, est-ce qu’une politique culturelle cela bouge et, si oui, cela bouge comment ? Parce que, on se demande, après ces grands travaux, toutes ces grandes machines que vous mettez en place, on se demande Jack Lang, ce que vous pourrez bien faire ?
J. Lang :
Je crois que… Il me semble, enfin chacun peut avoir ses conceptions là-dessus, ce que je crois être une bonne politique culturelle aussi bien pour un État que pour une ville – et ce qui me réjouit par ailleurs c’est de voir à quel point, partout à travers la France, de nombreux maires se sont mis, je dirais, à l’heure de la culture vivante – une bonne politique culturelle, c’est une politique qui, j’ose dire, tiens les deux bouts d’une même chaîne. D’un côté un bout de la chaîne : encourager la création au plus haut niveau, avec exigence ; chercher à faire que dans tous les domaines de la création notre pays – surtout à l’époque de l’Europe – soit un des pays les plus créatifs, les plus vivants, les plus exigeants sur le plan artistique. Et puis à l’autre bout de la chaîne, faire pénétrer la culture dans la vie quotidienne. Faire que chaque Français puisse avoir un droit effectif à l’apprentissage d’un art, la découverte de la beauté, au partage des belles choses que nous essayons de faire naître. Voilà, si vous voulez, l’idéal d’une politique de la culture. Et ces deux bouts de la chaîne, ce sont les deux bouts d’une même chaîne : la beauté pour chacun, la beauté pour tous.
Question :
Vous parlez des villes, Monsieur le ministre. Alors vous allez voir comment on fait un passage à la limite. Qui dit ville dit municipalité, qui dit municipalité dit municipales : êtes-vous candidat et si oui l’êtes-vous à Blois ?
– Ou bien à Paris ?
J. Lang :
Vous ne me croirez pas, mais tant pis. En ce moment j’ai un tel travail, c’est vrai, la loi audiovisuelle… Un travail passionnant ; je ne me plains pas, je suis un ministre heureux d’accomplir cette haute mission que m’a confiée le Président de la République. Mais cette mission me prend en ce moment jour et nuit. Alors, j’attends que les choses se calment un peu… Je pense que quelques jours avant Noël je prendrai ma décision.
Question :
Quel sera le critère du choix ?
- Les sondages ? Ils sont bons à Blois il paraît.
J. Lang :
Ils paraissent ne pas être mauvais à Paris non plus. Alors, j’en parlerai à quelques amis et j’essayerai de prendre la moins mauvaise décision.
Question :
Un dernier mot : je crois que vous allez organiser un voyage à travers la France pour inciter les gens à s’inscrire sur les listes électorales. Qu’est-ce qui vous motive ?
Jack Lang :
Ce qui me motive ? C’est que c'est toujours triste, quand je fais une campagne électorale, de découvrir que des jeunes de 18 ans, 20 ans, me disent : « Ah, j’ai oublié de m’inscrire, je ne peux pas voter. » Dans une semaine j’organise un grand concert et toute une série de manifestations à travers la France, avec d’autres amis pour dire aux jeunes : « Si vous voulez, en mars prochain, choisir votre maire, le maire de votre commune, il faut absolument que vous soyez inscrits avant le 31 décembre prochain. Et si vous n’êtes pas inscrit dans votre commune, sur la liste électorale, vous ne pourrez pas choisir votre maire. » Je souhaite que les jeunes participent davantage à la vie culturelle, à la vie civique, dans chaque commune de France. Je vais me battre, dans ce reste de temps, avant le 31 décembre, pour les convaincre de s’inscrire dans la mairie de leur commune.