Texte intégral
Grand Jury – RTL - Le Monde, dimanche 24 avril 1994
Ex-Yougoslavie : que faire ?
Les événements dramatiques qu'ont connue Gorazde et ses habitants sont la conséquence d'échecs et du fait que (…) les responsables de l'unité européenne, les Américains, les Russes ont tardé dans cette affaire. (…)
Je ne crois pas qu'on puisse être trop sévère à l'égard de l'ONU (…) à qui on demande beaucoup mais à qui on ne donne pas tout ce qui serait nécessaire pour mener une action. (…)
C'est toujours au début d'un conflit qu'il faut agir vite et fort. (…) M. Chirac disait en août 1991 (…) qu'il ne fallait pas hésiter à faire des frappes aériennes. (…) Ces derniers temps, la diplomatie française a joué un rôle très positif et c'est en grande partie grâce à elle et au ministre Alain Juppé qu'on est parvenu à mettre autour d'une table (…) les Russes, les Américains, les Européens et ceux qui sont parties prenantes du conflit. (…)
La France ne peut pas être le gendarme du monde. Elle participe aux opérations conduites sous la direction de l'ONU. Qu'il faille, sur le plan européen, aller plus loin dans le domaine de la sécurité, le groupe gaulliste y est favorable, mais ce sera une évolution lente. (…)
Du procès Touvier au procès Papon ?
Le procès Touvier a été exemplaire. Il s'est déroulé dans des conditions parfaites, avec beaucoup de rigueur. C'est ce que les Français attendent de la justice. Les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles. Par conséquent, celui-ci était parfaitement justifié. (…)
L'affaire Papon est une affaire différente. (…) Il s'agit d'un ancien haut fonctionnaire (…) qui a participé, sur ordre du Gouvernement de Vichy, (…) à la déportation de Juifs et qui est entré dans la Résistance en 1943, ce qui lui a permis de poursuivre une carrière administrative après la Libération, et de faire ensuite une carrière politique. (…)
Lorsque la première instance a été ouverte, il s'est trouvé de grands noms de la Résistance pour témoigner de l'engagement de Maurice Papon à l'époque. (…)
Il faut que la justice suive son cours et que les responsabilités de Maurice Papon soient précisées avant et après 1943. (...)
En la matière, je trouverais tout à fait normal que le Garde des Sceaux donne des instructions au Parquet. (...)
Le Président de la République et Vichy
Je ne suis pas suspect de tendresse à l'égard du Président de la République sur le plan politique. (...) Mais je dirai que, quand il exprime sa préoccupation pour le rassemblement des Français, il est tout à fait dans sa fonction de chef d'État. (...) Il n'en reste pas moins que le rôle du chef d'État (…) est aussi de permettre que la justice suive normalement son cours. (...)
Concernant cette période noire et dramatique, il faut que toute la lumière soit faite. (...) Quand il s'agit de crimes contre I ‘humanité, on ne peut admettre l'oubli. (...)
Les magistrats et l'action du Gouvernement
Question : M. Pasqua a dit que les magistrats avaient la volonté de créer une jurisprudence contraire à la loi. Qu'en pensez-vous ?
Réponse : Il est inexact de dire que les magistrats mettent en péril l'action du Gouvernement. (...)
Le ministre de l'Intérieur a une responsabilité très lourde en ce qui concerne l'ordre public et il est le tuteur de la police (...), laquelle est nécessaire pour qu'une société fonctionne normalement. (...)
Je suis profondément attaché à l'indépendance de la justice et j'ai une grande admiration pour l'ensemble des magistrats. Je crois qu'ils font bien leur métier, et souvent dans des conditions extrêmement difficiles. (…)
Question : Avez-vous été choqué par les deux annulations d'expulsion prises récemment ?
Réponse : Je n'ai pas été choqué, puisqu'il s'agit d'une décision de justice. (…) Nous sommes dans un État de droit, et de droit écrit. (…)
Il faut redonner aux français une certaine confiance dans la justice. C'est la raison pour laquelle le groupe du RPR demande qu'elle dispose de moyens supplémentaires. (…)
Les sanctions contre l'OM et ses dirigeants
Je suppose que M. Tapie avait dût bien lire les règlements de la Fédération française de football. (…) Celle-ci a pris un certain nombre de décisions. Tous les membres du comité compétent ont (…) reconnu qu'il y avait eu corruption. (…) Que le club lui-même ait été sanctionné, je trouve cela un peu choquant. (…)
Tapie martyr ?
Très vite, aux yeux de l'opinion publique, M. Tapie est apparu comme un martyr, comme quelqu'un contre qui on s'acharne. (…)
Question : S'acharne-t-on injustement contre Bernard Tapie ?
Réponse : Ce n'est pas moi qui le dis : c'est l'impression que l'on a. (…) À partir du moment où la justice ne s'est pas prononcée, le doute doit bénéficier à celui qui est l'objet d'une accusation. (…)
M. Balladur face à des Français à la télévision
L'exercice était difficile. (...) Il l'est encore plus quand on est interrogé par un « échantillon » de l'opinion publique. (...) Chacun de ceux qui se sont exprimés était surtout préoccupé par son vécu personnel. Il est bien évident que le Premier Ministre ne pouvait régler tous les problèmes dont on lui parlait. (...)
Pendant la première partie de l'émission, c'était difficile. Puis le Premier ministre a récupéré un bon rythme et il a su expliquer aux Français qui étaient en face de lui (...) la gravité de la situation que son gouvernement avait trouvée en 1993, d'une part, et les efforts que celui-ci avait entrepris depuis un an, soutenu par sa majorité, d'autre part. (...) Il a voulu rappeler l'ampleur des difficultés et montrer l'action conduite par le Gouvernement. (...) Il a voulu revenir aussi sur quelques critiques qui avaient été formulées. (...)
M. Balladur et la majorité parlementaire
Chaque lois que le Gouvernement demande à sa majorité de le soutenir par un vote, la majorité est là. Peut-être a-t-elle eu tort de trop le soutenir. (...)
Lorsqu'au congrès CDS un ministre déclare que, dans la majorité, tout le monde doit (...) avoir le petit doigt sur la couture du pantalon, je dis : non !
Il est indispensable que le Parlement joue son rôle. D'ailleurs, M. Balladur ne disait pas autre chose dans son dictionnaire de la réforme. (...)
La majorité soutient le Gouvernement dans le cadre de la déclaration de politique générale du Premier Ministre. (...) Mais elle doit conserver sa libre expression quand elle estime que le Gouvernement commet des erreurs. (…)
Politique économique : « Aller un peu plus loin »
Le Gouvernement modifie un peu sa politique ; il ne se contente pas de voir qu'un certain nombre d'indicateurs commencent à bouger dans le bon sens. Il veut aller un peu plus loin et relancer la consommation : il a tout à fait raison. Je pense que c'est encore trop timide et qu'il faudrait qu'il aille un peu plus loin. (...) Il faut trouver d'autres formes d'aide à la consommation et ne pas avoir peur d'aller un peu plus loin. (...)
Le projet sur la famille et le travail des femmes
Deux textes vont poser des problèmes au Gouvernement. Le premier est celui sur la famille. (...) Le projet du Gouvernement est un peu en retrait par rapport au travail effectué par une collègue du groupe RPR, Mme Codaccioni. (...) Un certain nombre de mes collègues du groupe RPR vont essayer d'amender le texte du Gouvernement. (...) La politique familiale est un élément essentiel dans la société d'aujourd'hui. (...) Il faut que les femmes puissent choisir librement. Si pour élever des enfants, elles acceptent d'abandonner pendant une certaine période leur travail, il faut qu'elles soient assurées de le retrouver dans les mêmes conditions lorsqu'elles désireront le reprendre. (...) Le salaire parental est la meilleure formule dès lors que la mère peut décider à tout moment de reprendre son travail. (...)
L'aménagement du territoire et l'emploi
Le second texte est celui sur l'aménagement du territoire. (...) C'est une très grande ambition, une absolue nécessité. (...) Certains experts pensent que 7 millions de nos concitoyens sont menacés assez rapidement d'être frappés soit par le chômage, soit par l'exclusion. Toute l'action du Gouvernement, de la majorité et des responsables politiques doit être orientée vers la lutte contre cette situation qui est intolérable, qui est en train de détruire notre société, de créer une société à deux vitesses. (...) Savez-vous qu'en l'espace de quatre mois, le « SAMU social » a réalisé plus de 20 000 interventions à Paris ?
Le débat sur l'aménagement du territoire est un élément essentiel pour l'emploi. (...) Le Gouvernement semble avoir l'intention de proposer à l'Assemblée nationale une loi-cadre qui renverra à des lois ultérieures. (...) J'estime qu'il vaudrait peut-être mieux différer ce débat et arriver devant le Parlement avec des propositions concrètes. (...) Le Gouvernement a peut-être tort de vouloir aller trop vite. (...) Il faut prendre le temps pour ce grand débat sur l'aménagement du territoire et pour élaborer un texte qui comportera des propositions concrètes car il ne faut pas se contenter de déclarations d'intention : ce serait pire que la situation que nous connaissons aujourd'hui. (...) Le Gouvernement doit ouvrir un dialogue avec les parlementaires et décider, avec courage et volonté, d'aller au-delà d'un projet de loi-cadre en présentant un texte ayant peut-être des incidences financières importantes. (...)
La réforme de la sécurité sociale
C'est une bonne chose de clarifier la situation financière de chacune des branches. (...) Dès lors qu'on ne porte pas atteinte au principe de la solidarité, on peut discuter et amender. (...) Je suis sûr que le Gouvernement n'est animé d'aucune mauvaise intention à l'égard de la sécurité sociale. (…) Ce Gouvernement a sauvé le régime des retraites, et il est préoccupé avec raison de l'équilibre des régimes sociaux. Cela étant, il ne faut pas qu'il porte atteinte à ces régimes sociaux et surtout pas à la solidarité. (...)
Grandes réformes et élection présidentielle
Je ne crois pas que la période soit favorable à de grandes réformes. (…) C'est au cours d'une campagne présidentielle que les grands axes de la politique qui va être conduite pendant le septennat suivant sont développés devant les électrices et les électeurs. C'est au lendemain d'une élection présidentielle que les grandes réformes peuvent se taire, et encore dans un délai assez court et dans la mesure où elles ont été annoncées avec beaucoup de clarté à l'ensemble des électrices et des électeurs. (...)
Édouard Balladur ou Jacques Chirac
Nous affirmons tous les jours dans nos actions, dans nos déclaration notre fidélité à Jacques Chirac, qui est le président du RPR, et qui est celui par qui tout a commencé, et notre soutien au Gouvernement. Fidélité à Jacques Chirac et soutien loyal au Gouvernement, telle est notre démarche et telle sera notre démarche jusqu'au moment de l'élection présidentielle. (...)
Question : Pourquoi M. Balladur ne considérerait-il pas qu'il est légitime pour lui de se présenter à l'élection présidentielle ?
Réponse : Tout le monde peut changer d'avis. Mais à partir du moment où on a dit certaines choses, et surtout où on les a écrites, cela devient plus difficile.
Question : Quelle est la bonne date pour une déclaration de candidature ?
Réponse : Je pense que la fin de l'année est un délai un peu lointain. Il y aura sans doute dans les différentes formations politiques concernées par l'élection présidentielle des initiatives qui seront prises avant la lin de l'année. (...) L'automne est une bonne période... (...)
Question : Vous croyez encore au projet de loi sur les primaires ?
Réponse : Absolument pas ! Je n'y croyais d'ailleurs pas plus il y a un an. (…) Le ministre de l'Intérieur n'y croit plus beaucoup.
Le Figaro : 28 avril 1994
Le Figaro : Etes-vous satisfait des rapports que le Premier ministre a établis avec la majorité, en particulier de la dernière rencontre à l'hôtel intercontinental ?
Bernard Pons : On ne peut pas reprocher au Premier ministre de ne pas multiplier les efforts pour arriver à de très bonnes relations entre son gouvernement et sa majorité. Je crois que le premier ministre développe toutes les actions qui sont nécessaires. C'est au niveau inférieur qu'il me parait y avoir une légère lacune. On a le sentiment que le dialogue est très difficile à établir entre l'administration qui prépare le texte et les parlementaires. Ce que je souhaiterais, c'est qu'avant de passer le texte en Conseil des ministres, la concertation ait lieu entre les ministres compétents et les parlementaires qui s'intéressent particulièrement à tel ou tel problème. Je crois que cela éviterait un certain nombre de difficultés.
Le temps de s'exprimer
Le Figaro : Le choix de Dominique Baudis comme tête de liste aux élections européennes ne risque-t-il pas de refroidir l'enthousiasme de plus d'un député RPR pour cette liste commune.
Bernard Pons : Ma réponse est non. Nos élus sont des gens responsables. Sur l'Europe, on a souvent caricaturé la position du RPR. Ce qui nous importe c'est le projet politique à partir duquel les candidats de la liste d'union feront leur campagne. Ce projet est le résultat du rapprochement qui a été établi par un groupe de travail entre le projet du RPR et celui de l'UDF. Ces projets étaient d'ailleurs peu différents dès le départ. Le projet commun a été approuvé à l'unanimité par le bureau politique du RPR. Je fais confiance à M. Baudis pour le respecter et il peut être assuré du soutien du RPR.
Le Figaro : Vous avez récemment dit que les futurs candidats à l'élection présidentielle devraient se déclarer dès l'automne plutôt que d'attendre l'année prochaine comme le préconise le Premier ministre. Il est facile d'en conclure que vous pensiez à Jacques Chirac…
Bernard Pons : La présidence de la République, c'est la clé de voûte de nos institutions. C'est à partir du débat pour l'élection présidentielle que nous prendrons conscience de ce que sera la politique conduite sous le prochain septennat. C'est donc l'engagement de la France pour sept ans.
Les électeurs doivent être bien informés, ils choisiront en fonction du projet des candidats. Ceux-ci doivent donc avoir le temps de s'exprimer pour faire connaître leur projet. Je trouve qu'un délai de quatre mois pour une campagne présidentielle est beaucoup trop court. Je suis convaincu – je le dis par expérience – que toutes le formations politiques se détermineront pour désigner leur candidat avant la fin de l'année 1994. Il faut qu'il y ait un débat en profondeur et non pas un débat escamoté.
Je ne m'exprime donc pas ainsi en fonction de mes affinités personnelles ou d'un candidat particulier, mais d'une manière générale, pour tous les candidats qui participeront à cette élection.
Le Figaro : N'avez-vous pas une préférence ?
Bernard Pons : Je rappelle qu'au RPR, notre fidélité va à Jacques Chirac, et notre soutien au gouvernement. J'ai participé de 1988 à 1993 à de nombreuses réunions en présence de Jacques Chirac et d'Édouard Balladur, et j'ai constaté tout au long de ces réunions que la vision que les deux hommes avaient du proche avenir, était cohérente : Jacques Chirac ne voulait pas assumer à nouveau les fonctions de Premier ministre afin de pouvoir prendre du recul pour se livrer à la réflexion à l'analyse, à l'écoute, sans être prisonnier du travail difficile et harassant qu'est celui de Premier ministre. Édouard Balladur estimait, lui, que si on le lui demandait il pourrait assumer les fonctions de Premier ministre, mais libéré de la préoccupation de l'élection présidentielle de manière à ne pas perturber sa gestion par des considérations électoralistes.
Pour le moment je n'ai pas le sentiment que les choses officiellement soient modifiées, puisque Jacques Chirac se livre à la réflexion et à la préparation d'un projet politique et qu'Édouard Balladur assume avec beaucoup de talent et de courage la fonction difficile de chef du gouvernement. Il n'a jamais dit qu'il avait changé d'avis.
Le Figaro : On prête pourtant au Premier ministre l'intention de briguer la présidence de la République. N'est-ce pas légitime de sa part, dans la mesure où sa candidature paraîtrait souhaitée par de nombreux électeurs ?
Bernard Pons : Un souhait peut en effet avoir été exprimé par Pierre, Jacques ou Paul. Ce que je sais c'est que, pour le moment, le Premier ministre s'est refusé à toute déclaration en la matière.
Le spectre électoral n'est pas extensible à l'infini. Quand vous aurez mis sur le spectre un candidat d'extrême gauche, un socialiste, un communiste, un candidat du Front national, un candidat de tendance x, y ou z à droite, le candidat du RPR et celui de l'UDF et je ne vois pas où pourrait se situer un autre candidat. On l'a vu à certaines époques. Dans ces conditions, il y a un des candidats qui est totalement marginalisé. Moi, je crois que les choses se feront naturellement, tranquillement et, je l'espère, sans affrontement.