Interviews de MM. Jean-François Hory, président du MRG, à France 2 le 29 juin 1994 et Bernard Tapie, député européen MRG, à France 2 le 30 juin et dans "Libération" le 12 juillet, sur les poursuites judiciaires contre M. Tapie, son placement sous contrôle judiciaire, son arrestation et la préparation des élections municipales à Marseille.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Interpellation de M. Bernard Tapie à son domicile à Paris le 29 juin 1994

Média : France 2 - Libération

Texte intégral

Q. : Votre sentiment sur ce qui s'est passé ce matin ? 

R. : Je suis très choqué, à titre personnel d'abord, parce que B. TAPIE est un ami et dans une journée comme celle-là, je veux redire ma confiance, mon amitié personnelle et mon soutien politique à B. TAPIE. Je suis très choqué aussi par les circonstances de fait, parce que B. TAPIE est un élu de premier plan, deux fois parlementaire, et on l'a traité comme on traite un voyou ou un terroriste. Je crois que ça n'est pas digne de la justice d'un pays démocratique. Je suis choqué aussi par les aspects juridiques : B. TAPIE a invoqué sa nouvelle immunité parlementaire de député européen et le juge d'instruction a cru devoir passer outre, et je crois qu'il y a là un sérieux problème juridique. Nous allons en reparler. 

Q. : Est-ce qu'il n'a pas, dans ce discours à l'Assemblée nationale, un petit peu agité le chiffon rouge devant le juge d'instruction ? 

R. : Je ne crois pas. Je crois que la justice ne répond pas à des chiffons rouges. On dit qu'elle doit agir dans la sérénité et la neutralité. Donc, provocation ou pas, la justice doit garder son calme. J'observe d'ailleurs qu'elle garde son calme jusqu'à la placidité, dans un certain nombre d'affaires qui ont un arrière-plan politique. Mais il y a un autre problème juridique dans cette affaire, je viens d'apprendre que le contrôle judiciaire comportait l'interdiction de sortir du territoire national. C'est comme si on interdisait à un député français d'aller à Paris, parce que nous avons, pour préparer la session, un certain nombre de réunions, à Bruxelles et au Luxembourg. Nous devons nous réunir demain à Bruxelles pour constituer un nouveau groupe parlementaire à l'alliance radicale européenne et, là, on a un magistrat qui pèse sur le pouvoir législatif, sur la qualité de parlementaire et sur les conditions dans lesquelles on exerce notre métier. Mais surtout, ce qui est choquant, ce sont les aspects politiques.

Q. : Jusqu'à présent, B. TAPIE épargnait plutôt la majorité. Hier, il a désigné la droite. Vous-même, ce matin, vous dites que c'est le gouvernement qui veut l'abattre. 

R. : C'est très clair, j'en donne un indice : pour qu'une procédure comme celle de ce matin soit possible, il faut qu'une transmission de la décision de l'Assemblée nationale ait été acquise à 19 heures, hier soir, au Garde des Sceaux, et notification par le Garde des Sceaux au magistrat concerné. Tout ça s'est fait dans la nuit, je n'ai jamais vu la justice agir aussi rapidement. Manifestement, le gouvernement a voulu agir très vite, un peu dans la fébrilité, pour abattre B. TAPIE. De la même façon, nous l'avions vu hier le vote sur l'immunité parlementaire – qui est un vote réputé individuel, personnel, où chaque député vote en conscience – était en fait un vote quadrillé politiquement par les groupes. Les groupes de droite votant massivement contre B. TAPIE et le gouvernement observant par ailleurs le lâchage de B. TAPIE par ses amis socialistes, lâchage qui a contribué à son isolement. Le gouvernement en a profité. Le pouvoir veut abattre B. TAPIE, tout simplement parce qu'il a réuni près de 2,5 millions de voix, il y a quinze jours, aux élections européennes, sur des thèmes qui dérangent le conformisme politique, l'orthodoxie politique ambiante et qui lui attire un puissant courant de sympathie populaire. 

 

Jeudi 30 juin 1994
France 2

Q. : Avez-vous insulté les policiers, hier ? 

R. : Ça ne m'intéresse pas. Toutes ces affaires doivent se régler dans le contexte d'une procédure légale, dans un pays de droit, c'est-à-dire par l'intermédiaire des avocats, dans la sérénité et pas sur la place publique. Par conséquent, j'éviterai, moi, de dire les raisons pour lesquelles j'ai insulté, pas les, mais le policier qui me mettait les menottes. Je garderai ça pour la justice, et je n'ai pas envie de me mettre sur la place publique. Je ne sais pas s'il n'y avait pas d'autre moyen. En tout cas, je crois qu'il y a une différence énorme et un décalage très grand entre les fautes qui me sont apparemment reprochées, et la manière qu'on a utilisée, en me trouvant le matin, à 6 heures. 

Q. : Comment ça s'est passé ? Vous dormiez ? 

R. : À 6 heures, je dors, le matin. Ils ont d'abord, à coups de voiture, défoncé la porte parce qu'elle était fermée. Ils se sont servis de leurs voitures comme d'un bélier. Ensuite, à 6 heures le matin, au lieu de dire à l'un des membres de mon personnel qu'il fallait que je me présente pour telle et telle raison, ils sont entrés, avec la discrétion que vous supposez, dans ma chambre. Et quand vous avez dix policiers, dans votre chambre, à 6 heures du matin, on a un peu l'impression qu'on a dû commettre quelque chose de très grave. Mais je n'ai pas à me plaindre de ça. 

Q. : Ils vous ont passé les menottes ? 

R. : Je ne me réfugierai pas derrière l'histoire des menottes, parce que je ne me suis pas bien conduit à leur égard, disent-ils, et c'est la justice qui déterminera si j'ai bien fait ou pas ou si eux ont bien fait ou pas. Jamais je n'ai utilisé la facilité que j'avais de parler à la télévision pour faire varier le cours de la justice. Je dois me comporter comme un citoyen comme tout le monde, c'est ce qui vient d'être dit et c'est ce que je souhaite. Mais pas pire que tout le monde. Or, dans les affaires qu'on appelle les affaires fiscales, jamais de tels procédés ne sont utilisés. Alors, on prétend que des écoutes téléphoniques auraient permis de penser que j'étais en mesure de me soustraire aux autorités de la justice. 

Q. : On dit que vous vous apprêtiez à partir pour le Rwanda ? 

R. : C'est vrai, mais pas pour l'immédiat. Il y avait une procédure qui était possible, si vraiment cela avait été la crainte, et qui démontre que tout ça est faux. Un officier de police judiciaire aurait pu se présenter à mon domicile, le matin, pour me signifier que j'étais mis en examen, et me donner une convocation pour aller voir la juge l'après-midi même. 

Q. : Vous l'auriez fait ? 

R. : Je l'ai toujours fait. Ce que je voudrais dire maintenant est très important. Je suis un parlementaire, homme politique de l'opposition. Je suis donc, à ce titre, démuni des moyens de contrôle dont le gouvernement a la responsabilité. Une polémique a été engagée pour savoir si j'avais le droit ou non d'être écouté. Si ce qu'on m'a dit est vrai, il y avait, en face de mon domicile, tout un dispositif de policiers, plusieurs jours avant que mon immunité soit levée, avec, paraît-il, des moyens d'investigation et des moyens pour écouter, pour surveiller, pour voir ce que je faisais, qui n'est pas compatible avec la démocratie quand on est dans l'opposition. Un homme politique de l'opposition ne peut pas, au prétexte qu'on lui reproche quelque chose qui n'est pas prouvé, commencé à être écouté. 

Q. : Ce n'est l'homme politique qui était écouté, mais l'homme d'affaire qui est accusé par la justice d'avoir commis des irrégularités dans la gestion du Phocéa ? 

R. : Aucun homme, aucun, jamais, pour avoir été soupçonné d'être dans un conflit fiscal s'est vu mettre, à 6 heures le matin, dans les conditions dans lesquelles j'ai été mis ! Par conséquent, on ne m'a pas traité comme un citoyen comme les autres. 

Q. : Pourquoi cette idée de partir pour le Rwanda ? 

R. : Mais enfin, vous savez qu'en ce moment, il y a des problèmes au Rwanda. Il se fait que PRADIER, un de mes colistiers, est fondateur de "Médecins du monde". Il a été, avec J.-F. HORY, sollicité par une des deux parties belligérantes pour que nous fassions une mission de conciliation. 

Q. : Vous saviez que vous alliez être convoqué ? 

R. : Ça n'a rien à voir. De grâce, il n'y a pas de relation à faire entre ceci et cela. D'autre part, ne croyez pas que la Communauté européenne est plus laxiste. L'immunité parlementaire européenne n'est pas meilleure que l'immunité parlementaire française. Pour l'instant, ce qui devient insupportable, c'est que j'ai l'impression, et quand je me suis trouvé seul dans ce camion avec des bruits de motards autour de moi, j'avais vraiment l'impression d'être un délinquant. Je voudrais vous dire qu'à l'heure où on se parle, j'ai mon casier vierge, comme le vôtre, et que les mises en examen pour des abus de biens, pour des détournements, etc. n'ont pour l'instant fait aucun préjudice que moi-même. Il n'y a pas question d'argent public détourné. Je n'ai commis aucun préjudice. Les enquêtes et les instructions sont faites pour savoir si ce qui m'est reproché aujourd'hui, tiendra après que la défense se soit exprimée. Or les procès médiatiques qui sont faits donnent la priorité à l'attaque sans que la réponse puisse se faire. 

Q. : Vous avez dit, il y a un instant : c'est l'homme politique d'opposition qui est harcelé. Est-ce que ce n'est pas aussi l'homme médiatique qui a droit à ce traitement, parce que les magistrats ne peuvent pas parler ? 

R. : Les magistrats ne peuvent pas parler ! Mais de qui se moque-t-on ? 

Q. : E. JOLY n'a pas parlé. 

R. : Mais vous vous moquez de moi. 

Q. : Le juge BEFFY n'a pas parlé ? 

R. : Mais vous vous moquez de moi. Je pense que vous vous moquez de moi. Quand la porte s'est ouverte et que les policiers sont sortis, il y avait tous les journalistes qui étaient là, déjà. Il était 6 heures du matin. Ce n'est moi qui les ai prévenus. Mais vous vous moquez de moi ! La police, et maintenant et les magistrats, Dieu sait si certains en souffrent. J'ai à faire à des magistrats à Marseille, à Béthune, etc. qui déploient des tonnes de précaution pour que leur dossier ne soit pas médiatisé. Il l'est tout de même, parce qu'en amont, en aval de leur métier, il y a des gens qui communiquent avec les médias et malheureusement qui déforment le procès, car ça devient des procès publics, avant même qu'ils aient lieu. 

Q. : Est-ce que ça veut dire, à vos yeux, que ces magistrats peuvent avoir, certains d'entre eux, aussi un comportement politique ? 

R. : Je ne crois pas ça. Le magistrat, d'abord c'est un métier étonnamment difficile et où malheureusement, ils sont soumis maintenant à une pression, à une gourmandise d'informations qui les oblige, pour certains, à céder à la tentation de devenir un peu célèbre. Le fait est que certains magistrats franchissent le pas de la recherche de la célébrité. Ce n'est pas le cas de tous. Dieu merci. J'ai eu la chance, moi, de n'en connaître que ceux de Valenciennes. 

Q. : Quand vous êtes entré dans le bureau du juge d'instruction, E. JOLY, est-ce que vous avez craint, à ce moment-là, de vous retrouver le soir en prison ? 

R. : Je sais que c'est quelque chose dont on parle sans cesse pour aller en prison, il faut tout de même faire des choses graves. On n'est pas un pays où on met en prison comme ça. De temps en temps, la prison préventive vise des gens qui sortent après, tout à fait blanchis de tout ce qu'on avait dit qu'ils avaient fait, ou soupçonné qu'ils avaient fait. Pour l'instant, je souffre d'une chose : c'est de tous les procès qui n'ont pas encore eu lieu, et qui sont dénoncé comme des actes déjà réalisés. J'ai eu deux procès, monsieur, vrais, depuis un an, qui, là, ont mis en œuvre une attaque, une défense. Deux tribunaux : celui de Béthune pour Testut, celui de Marseille pour l'OM. Les deux, contre les procès que vous aviez déjà faits dans les médias, qui avaient déjà condamné Testut. On donnait raison à Testut, Testut est sorti indemne ; Et le deuxième, récemment, qui touche beaucoup de Français, qui ont cru ce qu'on leur disait, en disant que l'OM allait être en faillite. L'OM n'était pas en faillite, parce que les magistrats, ceux qui doivent juger, heureusement restent imperméables aux rumeurs, aux fausses informations. 

Q. : Et maintenant ? Vous êtes placés sous contrôle judiciaire. Ça veut dire quoi, que vous ne pouvez pas vous déplacer hors de France ? 

R. : Le juge et le magistrat marin, qui était là, a fait valoir selon ses convictions, avec son bon droit, un certain processus qui me met dans la situation qu'on connaît. Maintenant, du point de vue le plus légal possible, je vais essayer de faire valoir mes droits pour faire en sorte que cette procédure soit cassée. Elle doit être cassée, selon moi, dans la limite où elle ne peut pas s'appuyer sur des procédés qui sont totalement incompatibles avec la démocratie. 

Q. : Vous faites allusion aux écoutes téléphoniques ? 

R. : Mais enfin, M. NIXON… 

Q. : Il y a l'article 100 du nouveau code pénal qui permet les écoutes téléphoniques. 

R. : Sauf qu'il y a un article qui dit que, pendant l'immunité parlementaire, on ne peut pas faire d'investigation, ce qui est logique. 

Q. : C'est l'article 26 de la Constitution qui ne parle pas d'écoutes téléphoniques.

R. : C'est quoi l'immunité ? 

Q. : C'est la protection. 

R. : C'est pour protéger contre quoi ? Contre les pressions politiques. Or, si le parquet peut, sans avoir démontré, puisque pour l'instant, il n'y a rien de démontré, peut dire : cet individu-là, nous le soupçonnons de quelque chose, par conséquent, à ce titre, on le met sur écoutes, ça veut dire qu'il n'y a plus du tout de barrage, et ça veut dire que le parti au pouvoir peut mettre sur écoute, peut investiguer, peut espionner… Moi j'ai été espionné par des gens dans un hôtel, pendant trois jours. Ça ne correspond pas à ce que la France doit donner comme image de la démocratie. M. NIXON n'est plus président des États-Unis pour beaucoup moins que ça. On avait trois, quatre jours, ça pouvait attendre. 

Q. : Vous ne doutiez pas un seul instant que votre téléphone pût être écouté ?

R. : Non, je ne pouvais pas penser ça, même le juge BEFFY, pourtant, Dieu sait si on n'a pas des relations qui sont bonnes. Et Dieu sait si lui, il investiguait sur un fait qui a eu lieu : la corruption a eu lieu. Il voulait savoir qui. Même lui a eu l'élégance de prendre le relevé de téléphone qui était en contact avec moi. Mais il ne m'a pas mis sur écoutes téléphoniques. 

Q. : À votre avis, elles ont été commandées par le juge d'instruction ? 

R. : Sans aucun doute, par le juge d'instruction. 

Q. : Donc, vous n'accusez pas C. PASQUA ? 

R. : C. PASQUA, ça ne dépend pas de son service. 

Q. : Vous n'êtes pas d'accord avec J.-F. HORY ? 

R. : Sans aucun doute par la juge d'instruction. Vous ne me ferez pas croire qu'elle l'a fait sans l'aval de son autorité, pas de son autorité hiérarchique, mais de l'autorité de la Chancellerie. 

Q. : Comment la percevez-vous, cette juge d'instruction ? 

R. : Elle m'a paru calme, sereine. Je crois que les femmes, de ce point de vue-là, elles sont tout à fait compétentes. 

Q. : Vous allez répondre aux convocations ? 

R. : À chaque fois qu'on le fera. Je l'ai toujours fait. J'espère qu'on ne me traitera pas comme quelqu'un qui a tué des enfants, ou qui a des chances d'avoir un pistolet sur soi. 

Q. : Vous restez, vaille que vaille, un homme politique ? 

R. : Ça va être de pire en pire. 

Q. : Pour qui ? 

R. : Pour ceux qui n'ont pas compris ça.

Q. : Pas pour vous ? 

R. : Non. Il y a plein de gens qui ont compris qu'on souhaitait que je ne fasse pas de politique. D'ailleurs, beaucoup de vos confrères le disent et l'expriment. Vous vous rendez compte que, pour certains, j'arrive même à être le danger de la démocratie. Qu'est-ce que j'ai donc fait, dans ma vie, pour qu'on puisse dire que je suis le danger de la démocratie ? 

Q. : Si vous permettez que je pose des questions à l'homme : jamais vous n'avez fait des bêtises ? 

R. : Bien sûr. Tout le temps. Comme tous ceux qui font plein de choses. 

Q. : Pourquoi ne pas le dire simplement ? 

R. : Je vais vous expliquer quelque chose. Celui qui raconte ce que font les autres, heureusement qu'il ne fait pas de bêtises. Les bêtises qui sont reprochées à mes collaborateurs, puisque ça s'est fait au moment où j'étais ministre, ils en ont fait, des bêtises. Vous savez pourquoi ? Parce que, de temps en temps, quand une société a de l'argent, ici, à droite, et que celle-là, à gauche, n'en a pas et qu'elle risque de mourir, vous savez ce qu'il fait ? Il prend l'argent de la société à droite, et avant de se demander s'il a vraiment le droit de le faire, parce qu'il doit sauver celle de gauche. Il y a un texte de loi qui est franchi, oui ou non est-ce que vous avez fait une faute ? La réponse est oui. Mise en examen. Vous savez à quoi elle sert, toute la période d'instruction ? Elle sert à savoir si la faute était grave ou pas grave, s'il y a eu préjudice ou non. 

Q. : Vous dites des collaborateurs. Phocéa, c'était vous ou pas ? 

R. : C'est moi. Vous voulez que je vous parle de l'affaire. Malheureux ! Je suis fier d'avoir fait de ce bateau, qui était une épave, un des plus beaux bateaux du monde, qui a été fait dans le chantier naval de Marseille, par les seuls ouvriers qui étaient capables de le faire, car aucun chantier n'avait accepté. Il a été fait sans subvention. Il est resté sous pavillon français et il a été managé en permanence par des gens de la marine marchande. 

Q. : Vous savez que vous êtes un homme très déroutant ? 

R. : C'est peut-être pour ça qu'il y a 12 % des gens qui votent pour moi. Si je mets un gendarme dans le coffre de M. AMAR pendant une année, à la fin de l'année, je lui retire son permis de conduire. 

Q. : Pourquoi ? 

Parce que vous ne pourrez pas faire une année sous surveillance sans faire quelque faute. Ce que je dénonce, ce n'est pas l'attitude des magistrats, c'est la pression. Si je mets 150 membres du SRPJ dans toutes les compagnies qui sont, de tout le monde, connues pour avoir des relations équivoques avec le monde politique, si j'investis autant de moyens pour découvrir ce qu'ils ont fait, c'est plus d'abus de biens que ces gens seront redevables. 

Q. : Toujours candidat à la mairie de Marseille ? 

R. : Plus que jamais. J'en ai vraiment très envie, parce que je me sens capable de le faire. 

Q. : Pensez-vous aux présidentielles ? 

R. : Toujours pas. Incapable d'être président de la République, je n'ai pas fait le parcours pour, mais je serai content d'aider à choisir celui que j'ai envie d'avoir à la tête de notre pays. 

 

12 juillet 1994
LIBÉRATION

MAIRIE DE MARSEILLE : TAPIE CARTONNE VIGOUROUX 

Fort de ses 28,69 % à Marseille aux européennes, Bernard Tapie est désormais en campagne pour les municipales. Il demande au PS d'être plus "modeste" et s'en prend vivement au maire. Son programme : développer le commerce grâce à une personnalité capable de "dealer" avec l'État. 

Marseille, de notre correspondant.

Ça s'agite sur le front marseillais. Les élections européennes ont levé les dernières incertitudes. Bernard Tapie, qui avait déjà annoncé sa probable candidature aux prochaines municipales en mars dernier, au soir de sa victoire aux cantonales, s'est trouvé confirmé dans ses ambitions par son score de juin : 28,59 % des voix sur l'ensemble de la ville. Plus déterminant encore, il est arrivé en tête dans 14 arrondissements sur 16, et apparaît comme le grand favori de la course à la succession de Robert-Paul Vigouroux. Henri Emmanuelli, le nouveau patron d'un PS plus divisé que jamais sur le cas Tapie, en a tiré les conclusions en invitant les socialistes marseillais à discuter avec lui, ce qui a provoqué la colère du maire sortant. Robert-Paul Vigouroux a aussitôt coupé la semaine passée le dernier fil qui le reliait encore à ses anciens amis, en claquant la porte du groupe socialiste au Sénat. De leur côté, les communistes ont tenté la semaine dernière de retrouver une voix commune à Marseille pour expliquer qu'ils ne se reconnaissaient "ni dans Tapie ni dans Vigouroux". Quant à Jean-Claude Gaudin, il attend le moment favorable pour se déclarer. Bernard Tapie donne le coup d'envoi. 

BERNARD TAPIE : Il me faut une grosse équipe de management, parce que le problème de Marseille est difficile. Derrière les apparences d'un assainissement des finances de la ville, Vigouroux a vidé les caisses. On n'a plus rien. On a filé au clou les bijoux de famille. Or, qu'on le veuille ou non, Marseille ne s'en sortira jamais par l'industrie. Je ne sais pas où ils ont inventé ça. Marseille, c'est du commerce. Normalement, on saura si le maire a gagné son pari si, deux ou trois ans après avoir pris la mairie, sur la Canebière il n'y a que des raisons sociales de sociétés de trading international. Un peu comme les marchands de diamants à Bruges ou les marchands de meubles sur le faubourg Saint-Antoine. Pour ça, il faudra redessiner la ville, et ça ne peut se faire que si l'État, la région et le département mettent ensemble un milliard de francs par an pendant quatre ou cinq ans. 

LIBÉRATION : Bernard Tapie saura les obtenir ? 

B.T. : Contrairement à ce qu'on croit, tu n'auras pas ça parce que tu es UDF et que le président de la République est UDF. Tu as ça si tu représentes politiquement un poids à l'échelle nationale. Tu peux dealer avec un Président de droite en étant à gauche, si tu fais 15 ou 20 % de l'électorat français. Tu dois donc avoir sur place une personnalité qui pèse, parce que Marseille est la deuxième ville de France. Comme Gaston Defferre, sous Giscard ou Pompidou. 

LIBÉRATION. Et aujourd'hui, seul Tapie fait le poids ? 

B.T. : Ils peuvent faire venir quelqu'un. Je ne vois pas la droite se contenter de Gaudin comme candidat, parce que je pense qu'il ne peut pas gagner la mairie de Marseille. Les Marseillais n'en veulent pas, et à l'intérieur de la droite, beaucoup n'en veulent pas non plus, à commencer par l'UDF. 

LIBÉRATION : Et vous, avec qui allez-vous faire alliance ? À gauche, on ne paraît pas pressé de vous suivre. Les communistes, Guy Hermier en tête, en ont même rejeté l'idée ? 

B.T. : Guy Hermier, ce n'est pas le Parti communiste. Il ne cesse d'expliquer qu'il est contre la droite, en faisant tout pour qu'elle gagne. Je l'ai vu faire aux régionales ou aux dernières cantonales. Je crois qu'il a des amitiés tenaces avec Gaudin et qu'il emmène le parti dans le mur. Car, regardez les résultats du PC dans les Bouches-du-Rhône, et à Marseille en particulier, depuis qu'Hermier est à sa tête, c'est une calamité.

LIBÉRATION : Vous ne rechercherez donc pas d'accord avec les communistes ? 

B.T. : Moi, j'ai le respect des électeurs communistes. Je vous le dis, même s'il n'y avait pas d'accord réciproque de la part des élus communistes pour la mairie de Marseille, je ferais quand même tout mon devoir pour faire gagner les communistes dans les municipalités où ils seront en mesure de le faire. Parce que moi, je veux qu'ils battent la droite. Et on verra à la fin si les électeurs communistes écouteront les conseils de monsieur Hermier à Marseille.

LIBÉRATION : Et les socialistes ? 

B.T. : C'est étonnant, vous n'avez pas compris que rien n'est pareil qu'avant ! Ça n'est plus un problème d'accord d'états-majors. Regardez aux européennes, les cinq gros partis réunis ont fait moins de 40 % des votants, c'est-à-dire moins de 20 % des inscrits. Ils ne représentent plus rien ! Transposez ça à Marseille : qui représente quoi ? Et j'entends les socialistes marseillais, qui ont fait 6 % des votants, 3 % des inscrits, nous dire : oui, ben, pour les municipales, on va peut-être voir avec Tapie ? Un peu de modestie ! Ils feront ce qu'ils voudront. Mais je sais qu'on ne peut pas faire Marseille tout seul. Ma seule angoisse, c'est de trouver les quinze hommes ou femmes qui formeront la meilleure équipe possible, pas de savoir si en fin de compte tel socialiste voudra venir avec moi au premier tour. 

LIBÉRATION : En 1989, vous souteniez Robert-Paul Vigouroux. Que s'est-il passé pour que vous deveniez adversaires ? 

B.T. : Je l'ai soutenu à fond. Mais il a cru qu'il me servirait de tremplin s'il restait associé avec moi.

LIBÉRATION : A-t-il vraiment eu tort ? 

B.T. : Oui. On serait peut-être restés ensemble. Il serait peut-être repassé et j'aurais été candidat la prochaine fois. Ou j'aurais pris la suite à mi-mandat. Mais c'est lui qui m'a donné envie d'y aller contre lui. Il ne m'a d'ailleurs pas donné le choix. 

LIBÉRATION : Les affaires vont peser sur la campagne ? 

B.T. : La campagne sera dure, comme toutes les campagnes municipales à Marseille, on ne peut pas dire que c'est ma faute. Mais je vais leur mener une vie d'enfer. Qu'est-ce qu'ils vont dire, que je suis inculpé ? Ils le savent, les Marseillais. Mais ils savent aussi que pas un seul soupçon ne met en cause mon honnêteté. Deux choses seulement pourraient me porter préjudice parce qu'elles touchent à la morale : si j'avais participé à une tricherie pour gagner un match, ou si j'avais utilisé les comptes de l'OM pour sortir de l'argent à l'étranger. Je dis tout de suite que ce serait pour moi éliminatoire. Mais il faudrait la faute, pas seulement l'intime conviction de Pierre, Paul ou Jacques. C'est pour ça que je ne suis pas inquiet. 

LIBÉRATION : Et si l'on vous déclarait inéligible ? 

B.T. : C'est leur rêve. Mais pour ça, il ne faut pas seulement que le parquet ouvre une information, ni qu'un juge d'instruction soit ravi de me mettre en examen. Il faut encore être jugé inéligible par un tribunal, et que ce soit confirmé en appel, puis en cassation. L'inéligibilité, c'est quelque chose de très grave que l'on garde pour des cas exceptionnels.