Texte intégral
M. Dupuy : Philippe, j'espère que ma question ne te mettra pas en colère mais penses-tu que la colère est un moyen d'affirmer avec force une conviction ou est-ce un vilain défaut qu'il convient de corriger ?
Mme Sinclair : Bonsoir, Philippe Séguin. Bonsoir à tous.
Puisque vous êtes Président de l'Assemblée nationale, Liliane Junkfer est allée à la sortie du Palais Bourbon pour interroger quelques parlementaires et c'est vrai que vos colères, paraît-il, sont fameuses et ils en parlent de temps en temps.
M. Séguin : Vous me posez une question, là ?
Mme Sinclair : Oui. En tout cas, c'est Christian Dupuy qui vous l'a posée.
M. Séguin : Écoutez, je vais vous répondre que je suis fier, je suis fier d'avoir conservé ma capacité de révolte, de rejet et de refus. D'ailleurs, si je suis rentré en politique, c'est précisément parce que je refusais, je rejetais un certain nombre de choses comme le mensonge et l'injustice. Il n'y a aucun mérite, c'est une question d'histoire personnelle.
Mme Sinclair : C'est de l'indignation.
M. Séguin : Selon toute vraisemblance, compte tenu de ce qui se passe et de ce qui se passera encore, j'ai encore beaucoup de colères en perspective.
Mme Sinclair : Parmi les parlementaires interrogés, il y avait beaucoup de préoccupations qui revenaient sur la revalorisation du rôle du Parlement qui est un de vos soucis. Est-ce que tout cela n'est pas un leurre dans le cas de la Constitution telle qu'elle existe aujourd'hui, sans qu'on la réforme, on sait bien que, dans la Ve République, le Parlement n'a pas le premier rôle ?
M. Séguin : Non, non, c'est tout à fait inexact, il y a eu des dérives des institutions depuis l'origine. Si déjà nous parvenions à l'objectif qui est de revenir à l'esprit et au fonctionnement du Parlement au début de la Ve République, ce serait un résultat tout à fait bénéfique. En fait, il y a eu une dérive, une dérive progressive qui a été liée à deux phénomènes, d'une part, la présidentialisation, d'autre part, le fait majoritaire. Il faut absolument rendre de la force, de l'influence, du Pouvoir au Parlement et puis il faut, d'autre part, réhabiliter le Parlement aux yeux de l'opinion publique et, d'autre part, aux yeux des parlementaires eux-mêmes. Il faut que les parlementaires qui sont les premiers concernés se remettent à croire, eux-mêmes, au Parlement.
Il y a deux voies principales à explorer, en dehors des initiatives qui ont déjà été prises, que les Français connaissent, je n'ai pas besoin d'y revenir : qu'il s'agisse des visites de chefs d'État, de l'autre mode de questions, d'organisation des commissions d'enquête, que sais-je encore ? Et du vote personnel car, désormais, pour la première fois depuis 100 ans, on vote quand on est là et on ne tourne plus les clés pour les absents.
C'est, d'une part, le renforcement du pouvoir de contrôle. Là, il y a beaucoup à faire parce qu'il y a une question de mentalité, y compris du côté du Gouvernement. Le Gouvernement considère que le contrôle de la part de sa Majorité, tout Gouvernement, est un acte de défiance, un acte d'agression alors que c'est une façon de l'aider.
Et puis, d'autre part, il y a impérativement à mieux participer à l'élaboration des règles communautaires car bientôt, c'est Jacques Delors qui l'a dit et, de ce point de vue-là, il a raison, je ne le dirais pas sur tous les points mais, de ce point de vue-là, il a raison, bientôt 80 % des lois qui nous seront applicables viendront de Bruxelles. Or, ces lois n'auront aucune légitimité si nous n'avons pas pris part à leur élaboration.
Voilà les deux grands objectifs.
Mme Sinclair : Il reste tout de même le vice de base, c'est que, sur l'ordre du jour, c'est-à-dire les questions qui viennent en discussion devant l'Assemblée, c'est le Gouvernement qui en a la maîtrise et pas le Parlement. Ceci est dans la Constitution.
M. Séguin : Ceci est logique pour ce qui concerne la loi mais l'activité législative n'est qu'une des activités parmi d'autres du Parlement qui a, d'une part, le pouvoir de contrôle et, d'autre part, le pouvoir de débat. Ce sont deux pouvoirs extrêmement importants.
Mme Sinclair : Deuxième question non pas d'un parlementaire mais d'une dame rencontrée dans la rue.
Mme Rambaldi : Monsieur Séguin, je vais vous poser une question directe, très directe même : Pour qui roulez-vous ? Une fois, vous penchez vers monsieur Pasqua, une fois vers monsieur Chirac. Où vous situez-vous et quelle est votre ambition ? Nous aimerions avoir une réponse.
Mme Sinclair : Une réponse très courte parce que nous allons y venir à la fin.
M. Séguin : Il va être difficile de faire une réponse courte parce que je crains qu'on ne confonde souvent, comment dirais-je, la politique qui est défense des idées, promotion d'idées auxquelles on croit et, d'autre part, la politique, adhésion à un club de supporters. Moi, je ne conçois pas la politique de cette manière, pour autant, moi, j'ai plutôt l'impression, mais vous me démentirez le cas échéant, que j'ai toujours été très constant dans mes idées, fidèle à mes convictions et je n'en ai pas dévié. Alors maintenant si les autres varient et tournent autour de moi, cela peut donner une impression de mouvement mais si j'ose dire je suis en quelque sorte le point fixe.
Mme Sinclair : Bruno Seznec qui est chef du Service politique d'Europe 1 vous consacre un livre très intéressant, – vous avez déjà votre biographe et votre biographie –, il s'appelle "SÉGUIN", il sort en ce moment chez Grasset. C'est un livre intéressant parce qu'il permet de mieux vous connaître et il écrit que vous êtes, sans doute, un homme embarqué pour une traversée de complaisance, arc-bouté sur une ambition collective au service d'un projet personnel ?
M. Séguin : Il m'est difficile de dire que ce n'est pas une bonne façon de voir les choses. Je crois vraiment, – enfin, je mentirais en disant que je n'ai pas d'ambition personnelle, j'en ai, j'imagine, autant que d'autres mais je crois vraiment mettre cette ambition personnelle au service d'une ambition collective. J'ai souvent eu le choix, le choix à opérer, entre la fidélité à mes convictions et la satisfaction immédiate de telle ou telle ambition, j'ai toujours choisi les convictions. C'est peut-être pour cela que j'ai une si mauvaise réputation.
Mme Sinclair : Une première pause de deux minutes et juste derrière les affaires.
À tout de suite.
Publicité
Mme Sinclair : 7 sur 7 en compagnie de Philippe Seguin, Président de l'Assemblée nationale.
Le sujet qui a dominé la semaine a été l'affaire Longuet. Chronologie et analyse, Claire Auberger, Wilfried Davoine.
Zoom
Un mois de sursis pour Gérard Longuet. Au terme d'âpres tractations, le Garde des Sceaux ordonne une enquête préliminaire sur le financement de la villa du ministre à Saint-Tropez avant de décider des suites à donner à ce dossier.
Mme Sinclair : Philippe Seguin, hier, à Vittel et puis au 20 heures à TF1, Édouard Balladur a expliqué que le délai d'un mois que s'est donné le Gouvernement, il l'a expliqué en disant : "Je ne suis pas de ceux, lorsque leur intérêt personnel est en jeu, piétinent les autres". C'est vrai qu'il aurait pu paraître plus simple de sacrifier tout de suite Gérard Longuet ?
M. Séguin : Je vais peut-être vous étonner mais je vous dirai que ce n'est pas le problème qui m'intéresse. Le problème, à mes yeux, ce n'est pas de savoir comment le Gouvernement, comment le Premier ministre va se sortir de l'affaire ou des affaires, le problème, c'est de savoir comment la France va se sortir du climat et des pratiques qui lui causent un tel préjudice, un préjudice intérieur et un préjudice en termes d'image internationale ?
Mme Sinclair : Je suis tout à fait d'accord, mais vous êtes, vous- même, un responsable politique, j'ai envie de vous demander si le Gouvernement a bien ou a mal géré cette affaire ?
M. Séguin : De toutes façons, le Premier ministre a pris la décision qu'il pensait devoir prendre, elle avait des avantages et des inconvénients, la solution alternative avait également des avantages et des inconvénients, il la justifie aujourd'hui, tout cela est dans la nature des choses mais tout cela n'est pas le vrai problème.
Le vrai problème est un problème de valeurs et de fonctionnement de notre République, le vrai problème est un problème de perte de repères par les Français. Perte de repères, oubli des valeurs, mauvais fonctionnement de la République sont à l'origine, d'une part, des phénomènes de corruption et, d'autre part, de réponses aux problèmes de la corruption qui sont autant d'expédients. Parce que même ceux qui sont en face du phénomène de la corruption, ils n'ont pas toujours des réactions conformes aux vrais et aux bons principes. Le secret de l'instruction est bafoué au nom de la vérité, etc. et parce qu'on se dit que si on ne bafouait pas le secret de l'instruction, il y aurait un risque d'étouffement. Cela montre que cela ne va pas bien.
On dit que lorsqu'un ministre est mis en examen, il doit démissionner, or, cela remet en cause un principe qui est tout de même que quelqu'un qui est mis en examen est quelqu'un qui est présumé innocent, un ministre comme un autre. Alors là aussi c'est un principe qui est remis en cause.
Mme Sinclair : Je reste un instant là-dessus, c'est-à-dire que, vous, vous contestez ce principe d'un ministre mis en examen qui doit démissionner ?
M. Séguin : Je ne conteste pas, je conteste…
Mme Sinclair : … Parce qu'il y a une donnée politique au-delà d'une donnée juridique.
M. Séguin : C'est bien possible ! Je conteste que nous sommes dans un climat, dans un contexte de désordre de perte de repères qui a pour effet, d'abord, les phénomènes de corruption et, d'autre part, des réponses qui ne sont pas toujours en conformité avec les principes. Alors, il faut prendre des initiatives, prendre des mesures.
Mme Sinclair : Quelles sont les réponses de Philippe Séguin aux problèmes concrets qui se posent ?
M. Séguin : Et dans ce qu'a dit, hier, le Premier ministre, il y a quelque chose qui m'a, je l'avoue, déplu, c'est la réticence qu'il a semblé, pour ne pas dire davantage, exprimer devant les initiatives qui se sont faites jour pour faire évoluer notre législation…
Mme Sinclair : … Il a dit : "Appliquons déjà la loi telle qu'elle est".
M. Séguin : … Je n'ai pas compris ses réticences, je les ai comprises d'autant moins qu'ici même, si je me souviens bien, Anne Sinclair, le Premier ministre avait annoncé qu'il mettait en place une Commission composée d'un juge, depuis c'est de madame Rozès qu'il s'agit, de monsieur Bergeron, un syndicaliste, et de monsieur Ceyrac, l'ancien Président du CNPF. Je constate d'ailleurs que les responsables publics, les hommes publics, n'étaient pas représentés, n'étaient pas appelés à cette réflexion…
Mme Sinclair : … Vous regrettez qu'il n'y ait pas de politiques au milieu de cette Commission ?
M. Séguin : Je souhaite, parce que c'est notre responsabilité, parce que l'immense majorité des responsables publics sont des gens honnêtes et ne méritent pas les suspicions même implicites, qu'ils conduisent leurs réflexions de leurs côtés car il y a à faire évoluer la législation non seulement pour limiter et combattre la corruption mais également pour retrouver ce bon fonctionnement de la République, cette mise en œuvre des valeurs républicaines et ce respect des principes dont je vous ai dit que, depuis un certain nombre d'années, il était perdu de vue.
Mme Sinclair : Vous disiez : "Aujourd'hui, les principes sont un peu bafoués par tout le monde", je voudrais juste vous poser une question sur les juges d'instruction : À votre avis, font-ils leur devoir ou en font-ils trop ?
M. Séguin : Je pense qu'ils ont le sentiment de faire leur devoir dans un certain contexte. Je pense que lorsqu'on viole le secret de l'instruction, – j'observe d'ailleurs qu'il n'y a jamais d'enquête ensuite pour déterminer d'où cela vient, comment ça s'est passé, etc. je le note simplement au passage –, je pense que lorsqu'ils violent ou lorsqu'ils laissent violer le secret de l'instruction, ils pensent que c'est dans…
Mme Sinclair : … Que c'est le dernier moyen pour faire sortir des affaires ?
M. Séguin : J'imagine que c'est cela ! S'agissant des juges d'instruction, je crois que toutes les affaires qui viennent de se produire ces derniers temps nous remettent en mémoire l'existence d'un problème réel. Nous sommes tout de même un des rares pays au monde où l'honneur d'un homme et a fortiori sa liberté peut dépendre seulement de la décision d'un seul autre.
Nous nous gaussons, aujourd'hui, des Américains avec le procès de O.-J. Simpson, la façon dont ça se passe, etc. mais je dois dire que, de ce côté-là, je préfère, et de loin, la procédure anglo-saxonne.
Mme Sinclair : Quand la Commission Delmas-Marty avait revendiqué trois juges d'instruction pour qu'ils ne soient pas solitaires, elle avait votre sentiment ?
M. Séguin : Je suis favorable à la collégialité sur ces actes forts de l'instruction. Écoutez, par la force des choses, aujourd'hui, quand vous mettez quelqu'un en examen, vous le désignez comme coupable. J'observe cela également à l'Assemblée nationale, lorsqu'on lève l'immunité parlementaire de quelqu'un, cela ne veut pas dire qu'on le déclare coupable, cela veut dire qu'on autorise la Justice à le traiter comme n'importe quel citoyen.
Mme Sinclair : Vous proposez justement qu'il n'y ait plus d'immunité parlementaire...
M. Séguin : … Bien sûr !
Mme Sinclair : Oui, mais l'immunité parlementaire avait un sens, cela voulait dire qu'à la tribune de l'Assemblée on pouvait s'autoriser à dire des choses qui, théoriquement, étaient répréhensibles ou diffamatoires ?
M. Séguin : Non, non, l'immunité parlementaire est faite pour protéger le parlementaire contre des mauvais coups de l'Exécutif qui pourrait utiliser la Justice comme un alibi pour faire taire un opposant...
Mme Sinclair : … Donc, cela a son utilité.
M. Séguin : Nous avons largement dépassé ce stade. Ce que j'observe aujourd'hui, c'est que l'immunité parlementaire ne protège plus le parlementaire, elle le désigne comme coupable avec une mise en scène à grand spectacle aux yeux de chacun. Vous êtes mis en examen, vous êtes forcément coupable ; on lève votre immunité parlementaire, vous êtes forcément coupable. Eh bien non, on doit remédier à tout cela et je suis de ceux qui pensent qu'il faut faire évoluer la législation. C'est pourquoi, en dépit de ce que j'ai pu entendre hier, je maintiens ma position et je répète que, ayant entendu les propositions des uns et des autres, de Charles Millon, de Valéry Giscard d'Estaing, de Philippe Vasseur, que sais-je encore ?… Je leur propose de se mettre tous, quel que soit le Groupe auquel ils appartiennent, autour d'une table et qu'on essaie de faire évoluer la législation dans le sens, d'une part, d'un meilleur combat, d'une meilleure prévention de la corruption et, d'autre part, pour remédier à tous ces errements que je viens de dénoncer.
Mme Sinclair : Vous voyez, vous proposez, vous-même, de créer une commission supplémentaire ?
M. Séguin : Je critiquais le fait qu'il y avait une commission, j'ai simplement regretté que des trois partenaires de la corruption présumée, à savoir le juge qui arbitre, le patron qui est théoriquement, dans le monde économique, le corrupteur ou la victime et puis, d'autre part, le corrompu qui serait normalement et forcément l'homme politique, eh bien que l'homme politique puisse aussi dire son mot.
Mme Sinclair : Charles Millon, dans un papier dans Le Monde, qui réclamait une refondation de la République, un certain nombre de valeurs; proposait sur le financement des partis politiques ce qu'un certain nombre de gens proposent aujourd'hui, c'est-à-dire un découplage total entre le financement des politiques, des campagnes politiques et le monde de l'entreprise en disant : "Ce n'est plus possible" ?
M. Séguin : Je crois que c'est effectivement un chantier qu'il nous faut ouvrir…
Mme Sinclair : Ce qui veut dire qu'il faut carrément dire aux gens que c'est leur impôt qui servira à financer les politiques. Il faut du courage pour dire cela dans le climat ?
M. Séguin : S'il faut du courage, armons-nous de courage. Il faut même aller au-delà, je vais même aller au-delà et faire quelque chose qui ne vous paraîtra probablement pas très démagogique : je crois aussi que, pour mettre les responsables publics à l'abri, il faut faire en sorte qu'ils n'aient pas de besoins non satisfaits dont ils vont chercher les financements ailleurs car, madame, si la corruption a un coût, la démocratie a un prix et ce prix, il faut le payer.
Mme Sinclair : C'est-à-dire qu'il faut augmenter la rémunération…
M. Séguin : C'est-à-dire faire très exactement le contraire de ce qu'on a fait ces derniers temps dans un souci démagogique, c'est-à-dire dire : "Les parlementaires sont trop payés", ce n'est pas vrai, c'est inexact, c'est faux, ils ont tout juste de quoi assumer correctement leur mandat et c'est la raison pour laquelle, trop souvent, ils vont chercher des compléments dans des mandats locaux. On part dans les cumuls, on part dans des cumuls de fonctions qui sont pourtant difficilement compatibles et on a tous les problèmes que vous savez. Parce que je vous ferai observer une chose, c'est qu'il y a des parlementaires qui ont été inquiétés mais ce n'est jamais en raison de leur fonction de parlementaire, c'est toujours en raison de fonctions connexes, locales ou partisanes qu'ils avaient par ailleurs.
Mme Sinclair : C'est pour cela que le problème n'est peut-être pas le cumul mais simplement le mandat local ?
M. Séguin : Si, si, si…
Mme Sinclair : … C'est le mandat local.
M. Séguin : C'est le cumul, c'est faire en sorte… Alors, là, nous tombons sur le problème de la décentralisation. Qu'il y ait un lien entre la décentralisation et l'atténuation des règles de contrôle qui existaient jusqu'ici et, d'autre part, le développement de la corruption, c'est évident !
Mme Sinclair : Pour terminer cette discussion, je propose le sondage qu'a fait la SOFRES pour 7 sur 7 dans l'affaire qui met en cause Gérard Longuet : Le ministre de la Justice a décidé de compléter, pendant un mois, l'enquête préliminaire avant d'ouvrir s'il y a lieu une information judiciaire avec mise en examen.
Estimez-vous que c'est une bonne décision ? 55 % répondent "oui".
Une mauvaise décision ? 27 %, donc la moitié.
Sans opinion : 18 %.
C'est une décision qui est visiblement bien reçue par l'ensemble de l'opinion et bien accueillie, comme on va le voir, aussi bien à Droite qu'à Gauche puisque, à Gauche, il y a 54 % des gens qui trouvent que c'est une bonne décision. Plus on est jeune, plus on est pour, les cadres sont les plus critiques. Pas de commentaire ?
M. Séguin : Pas de commentaire.
Mme Sinclair : Beaucoup de drames cette semaine avec, notamment, celui de l'Algérie, Hocine Aït-Ahmed, démocrate algérien, va nous rejoindre pour nous en parler mais cette semaine ne nous aura pas épargnés non plus, quelques fléaux terribles : le naufrage, la peste et le sang contaminé.
Panoramique :
Après les médecins, les politiques. Georgina Dufoix, Edmond Hervé et Laurent Fabius sont mis en examen pour complicité d'empoisonnement dans l'affaire du sang contaminé.
Épidémie : La peste s'abat sur l'Inde. En moins de dix jours, 54 personnes sont mortes, 2 500 hospitalisés et plus d'un million jeté sur les routes.
Naufrage : Plus de 900 morts, seulement 140 rescapés, le naufrage du ferry Estonia est la plus terrible des catastrophes maritimes survenues en Europe depuis un demi-siècle.
Algérie : Après les étrangers, les intellectuels, les islamistes s'attaquent aux chanteurs populaires. Le prince du Rai, Cheb Hasni, est assassiné à Oran, il avait tout juste 26 ans.
Mme Sinclair : Hocine Aït-Ahmed, vous nous avez rejoint. Vous êtes Secrétaire général du FFS, le Front des Forces Socialistes, qui est le Parti des démocrates algériens. Vous êtes un leader historique de l'Algérie démocratique, vous avez été le seul Parti à émerger lors des élections, il y a trois ans, décembre 91, dans le raz-de-marée du FIS.
Cette semaine, enlèvement de Matoub Lounès, chanteur berbère, assassinat du chanteur Raï, Cheb Hasni, c'est le chanteur Klaled qui vit en France, n'est-ce pas lui qui a raison quand il dit : "Quand on commence à tuer les intellectuels et les artistes, cela signifie tuer sa Culture et un pays sans Culture n'est plus un pays" ?
M. Aït-Ahmed : Je crois qu'il a résumé le fait que la liberté artistique résume toutes les libertés, liberté d'expression, liberté de culture, liberté syndicale, mais ce n'est pas le peuple algérien qui est en cause, c'est la puissance publique qui a fait que, depuis 30 ans, l'Algérie s'est acheminée vers un statut de désert culturel.
Mme Sinclair : Même chanter l'amour est devenu un délit ?
M. Aït-Ahmed : Est devenu un délit, heureusement que la musique, l'art, la poésie sont devenus le refuge et je dirais le bastion de l'identité et en même temps de l'ouverture sur le Monde.
Je suis atterré et révulsé par l'assassinat de Cheb Hasni. Je partage la douleur de mes compatriotes oranais et de toute la jeunesse algérienne qui se retrouvent dans le Raï comme ils se retrouvent dans leur propre âme. Par ailleurs, l'enlèvement de Matoub Lounès est un acte innommable, ceux qui l'ont enlevé doivent savoir qu'ils ne pourront pas démobiliser la solidarité de la population, solidarité qui se veut pacifique mais déterminée.
Mme Sinclair : y a une manifestation très importante, aujourd'hui, à Tizi-Ouzou de centaines de milliers de militants de berbéristes pour réclamer justement la libération du chanteur et la reconnaissance de la culture berbère.
Dans un entretien à la revue "Témoin" au mois de juillet, vous disiez : "On ne sait plus qui tue, qui égorge", est-ce qu'on ne le sait pas vraiment ?
M. Aït-Ahmed : Tant que nous n'avons pas de preuves, on ne peut pas dire qui a tué. C'est une situation insensée, la mort sans visage. Je dirais davantage : "Il est difficile de faire dire à la population en Algérie, ce sont les intégristes islamistes qui assassinent, pourtant ce sont eux qui se rendent coupables des assassinats les plus nombreux. Par contre, il y a des assassinats perpétrés par les hommes du régime et notamment par les Services". Aujourd'hui, les représailles sont aussi terribles que les assassinats.
Mme Sinclair : Il y a les représailles du Gouvernement aujourd'hui qui, pour vous, sont aussi terribles.
Mme Sinclair : Par l'armée, par la Police, sont aussi terribles contre des jeunes qui n'ont qu'autre délit que d'habiter dans les quartiers chauds, dans les quartiers populaires. Aujourd'hui, nous en sommes à près de 30 000 morts, c'est tout de même intolérable.
Mme Sinclair : Vous réclamez, on va y venir, le dialogue avec insistance mais n'êtes-vous pas presque plus indulgent avec le FIS aujourd'hui qu'avec le Gouvernement algérien ?
Mme Sinclair : Laissez-moi vous dire une chose d'abord, c'est que l'émotion qu'il y a en Kabylie, bien sûr, est suscitée par l'enlèvement de Matoub Lounès et nous voulons sa libération mais elle vient se greffer sur 30 ans d'exclusion de la culture et de la langue berbère. C'est cela qui a fait qu'il y a une radicalisation et le Pouvoir est totalement responsable de cette radicalisation.
Mme Sinclair : Philippe Séguin.
M. Séguin : Je suis partagé, je suis partagé comme tout Français quand il s'agit de l'Algérie, partagé entre la volonté de parler, de dire ma solidarité parce que j'aime l'Algérie, parce que je suis bouleversé par ce qui s'y passe et parce que je suis convaincu, je crois que vous l'êtes aussi, que les destins de l'Algérie et de la France restent largement solidaires. Et puis, d'un autre côté, j'ai peur que les propos que je puis tenir puissent être mal interprétés et aller à l'encontre de ce que je souhaite.
J'aurais néanmoins, monsieur le Président, avec votre permission, deux questions à vous poser : la première question brûle les lèvres : comment en sortir ? La deuxième question qu'elle appelle est celle-ci : vous souhaitez, monsieur le Président, un dialogue avec toutes les composantes politiques de l'Algérie, que toutes les composantes politiques de l'Algérie entament un véritable dialogue et pas le dialogue dont vous avez dénoncé les conditions actuellement et, par ailleurs, vous souhaitez, et combien vous avez raison, que la réconciliation nationale algérienne se fasse sur le socle des libertés et de la démocratie mais est-ce que, malheureusement, le FIS étant ce que nous percevrons qu'il est, il n'y a pas une contradiction entre ces deux propositions ?
M. Aït-Ahmed : C'est vrai que, aujourd'hui, la population est prise entre un Pouvoir autoritaire qui ne veut pas s'en aller, qui est corrompu et corrupteur, divisé et diviseur et un mouvement intégriste dont le projet est d'instaurer un autre totalitarisme.
Il faut vous dire que, pour nous, le dialogue, ce n'est pas une capitulation. Jamais dans notre esprit discuter avec qui que ce soit, cela veut dire : "faire bon marché de nos principes", un compromis n'est pas une compromission mais comment mettre fin à une situation de violence sans discuter ? Cela fait deux ans et demi que le Pouvoir pratique une politique du tout répressif et la violence n'a fait que s'étendre, s'aggraver et prendre les aspects d'horreur que vous connaissez.
Alors un dialogue doit être un vrai dialogue, il ne doit pas être un dialogue préparé à l'avance dont l'ordre du jour est arrêté, dont les textes sont arrêtés mais dont le cadre et les objectifs doivent être déterminés d'un commun accord.
Mme Sinclair : Le Gouvernement a essayé de lancer le dialogue, apparemment, cela n'a débouché sur rien puisque le FIS…
M. Aït-Ahmed : … Le Pouvoir, lui-même, a constaté que son dialogue a échoué…
M. Séguin : … Mais vous n'y êtes pas allé, monsieur le Président ?
M. Aït-Ahmed : Attendez, monsieur le Président, c'est vrai, nous n'y sommes pas allés parce que nous y étions, cela fait trois mois que nous sommes en dialogue bilatéral avec le Pouvoir et, pendant trois mois, nous l'avons engagé à bien préparer la multilatérale, à ne pas aller à un show médiatique dans l'échec pour être désespéré et découragé davantage. Cela fait trois mois.
Depuis l'interruption du processus électoral, nous sommes encore à des simulacres de dialogue, c'est pour cela que nous disons : "La Communauté internationale peut aider par des pressions concertées, des pressions séparées, à passer d'un simulacre de dialogue à un vrai dialogue".
Mme Sinclair : Pressions sur le Gouvernement…
M. Aït-Ahmed : … Sur le Gouvernement algérien. Et, par ailleurs, notre souci est que même si nous arrivons à un accord avec la partie en présence, il risque d'être remis en cause. L'histoire du régime algérien est que, chaque fois qu'il y a un processus susceptible de le remettre en cause, il intervient pour l'annuler. Les garanties internationales qui ont été données à l'Afrique du Sud et aussi aux Israéliens et aux Palestiniens a permis aux Noirs et Blancs d'aller vers un processus démocratique malgré' les horreurs de la répression commise par les services secrets de la Droite et malgré aussi l'action des Zoulous et, par ailleurs, Palestiniens extrémistes et Israéliens extrémistes ont été marginalisés par le fait qu'il y avait une volonté réelle de la Communauté internationale et des deux partenaires d'arriver à un accord.
Mme Sinclair : Et à la France puisque vous avez là un des dirigeants…
M. Aït-Ahmed : … À la France en particulier. Vous savez, la France, c'est toujours les Droits de l'Homme. Ce qui se passe en Algérie, ce ne sont pas des violations artisanales des Droits de l'Homme, ce sont des violations massives. Nous arrivons à ce qu'en Droit on appelle une situation de conflit et je pense que le silence de la Communauté internationale risque d'encourager les deux partis.
Vous savez, Monsieur le ministre, nous avons perdu une fille assassinée, la petite Katya, parce qu'elle se disait FFS, elle refusait le voile. On vient d'assassiner deux ou trois responsables du FFS, plus encore les membres de la Direction du FFS qui participent à la Commission bilatérale sont sujets de pressions, on cambriole leur maison. Hier, un professionnel est entré dans la demeure d'un de nos responsables…
Mme Sinclair : … C'est-à-dire que vous craignez que les démocrates algériens soient pris entre deux feux et fassent les frais, éventuellement, d'un dialogue qui se passerait par-dessus vos têtes ?
M. Aït-Ahmed : Ça, c'est un autre problème et, évidemment, c'est une éventualité que nous craignons mais, pour l'heure, je veux signaler que, comme il n'y a aucun recours d'ordre interne pour protéger la population, pour protéger les démocrates, il est nécessaire qu'il y ait des garanties internationales.
C'est vrai ce que vous dites : l'une des craintes que nous avons, c'est qu'on donne la prime à la violence, c'est-à-dire qu'on remet le destin à ceux qui, précisément, ont mis notre pays dans la situation que vous connaissez alors qu'on veut mettre le bâillon à tous ceux qui se tiennent sur la paix civile et qui, comme en Kabylie, revendiquent la reconnaissance de leur langue dans le cadre unitaire de la nation algérienne.
Mme Sinclair : Monsieur Aït-Ahmed, merci d'être venu nous alerter, lancer ce cri à la Communauté internationale et aux responsables français. Je vois que Philippe Séguin vous a écouté avec beaucoup d'attention.
Merci à vous.
On va se retrouver dans un instant, une dernière pause de deux minutes avant de parler du sang, du chômage et de la politique. À tout de suite.
Mme Sinclair : Alors, il y avait l'Algérie dans les images que l'on a vues. Il y avait le procès du sang contaminé. Qu'est-ce que vous ressentez, Philippe Séguin, face à la mise en examen des ministres avec le chef de "complicité d'empoisonnement" ?
M. Séguin : J'éprouve un très grand sentiment de malaise, un très grand sentiment de malaise, et en particulier s'agissant de Laurent Fabius.
Je pense Laurent Fabius n'a strictement rien à faire là où on l'a mis. Dans les circonstances de l'époque et au poste où il était, il a fait ce qu'il devait. Je crois – j'ai même la conviction – que personne n'aurait fait mieux que lui.
Mme Sinclair : Donc, vous estimez que c'est une sorte de purge collective, de bouc-émissaire ?
M. Séguin : En tous cas, il y a là quelque chose qui ne va pas, dans un pays où cela aussi peut se passer.
Mme Sinclair : Les autres grands titres de la semaine :
– la mort de Pierre Sabbagh ;
– la violence en Haïti ;
– et le procès qui "colle" – vous en parliez tout à l'heure – des millions d'Américains devant leur téléviseur.
Panoramique :
O.-J. Simpson : l'Amérique se passionne pour l'histoire de cette star déchue du football accusée du double meurtre de sa femme et de son ami.
Haïti : les incidents tant redoutés se multiplient.
Chômage : après deux mois de baisse, le chômage repart à la hausse au mois d'août : + 15 200 demandeurs d'emploi
Politique : Journées parlementaires – L'UDF réuni à Vittel.
Congrès du Parti socialiste.
Décès de Pierre Sabbagh : Le Journal Télévisé, c'est lui.
Mme Sinclair : Alors, Philippe Séguin, je voudrais vous interrogez sur le chômage puisque l'on a appris des mauvais chiffres pour le mois d'août. Pensez-vous que c'étaient juin et juillet qui étaient un répit ? Ou, au contraire, que c'est au mois août, que c'est une exception dans une perspective plutôt meilleure ?
M. Séguin : l'avenir le dira, mais je serais tenté de vous dire que ce n'est pas là l'essentiel. L'essentiel, c'est qu'il y a un chômage conjoncturel que l'on peut réduire, lorsque, par définition, la conjoncture va bien, à condition d'un petit peu l'accompagner, et puis, d'autre part, un chômage structurel qui pose un problème tout à fait différent.
Vous savez, il y a des précédents. Moi, quand j'étais ministre des Affaires Sociales, on a eu une première année difficile, le temps de mettre en place les mesures, le temps aussi que la conjoncture évolue.
Et puis, ensuite, sur la deuxième année du gouvernement Chirac, à l'époque où j'étais ministre de l'emploi, le chômage a baissé de 126 000 personnes, 12 000 ! C'est, si j'ose dire, mon bilan.
Je ne crois pas que qui que ce soit ait fait mieux depuis. Alors je suis mieux placé que quiconque pour vous dire que ça n'est pas le vrai problème…
Mme Sinclair : … il y avait une conjoncture internationale plutôt mauvaise, avouez !
M. Séguin : … mais, écoutez, on l'a fait baisser de 126 000, alors, a fortiori, si la conjoncture n'était pas bonne, le mérite est très grand ! Mais, pour autant, nous n'avions pas attaqué le cœur du problème. Et ce que je redoute aujourd'hui, quand j'entends ce que j'entends, c'est qu'on redise, à peu de choses près, ce qu'avait dit monsieur Mitterrand en 1981, et je me demande si l'on n'en prend pas le chemin, c'est-à-dire que l'on fasse à nouveau deux erreurs : la première, c'est de faire des promesses chiffrées. II ne faut pas faire de promesses chiffrées, parce qu'on ne peut pas faire de promesses chiffrées ; la deuxième erreur, c'est de croire qu'il suffit de renouer avec la croissance pour retrouver un jour le plein emploi, c'est fini… terminé…
Mme Sinclair : … vous faites référence à ce qu'a dit Édouard Balladur, quand il a dit ici même et qu'il l'a répété hier soir, il espère – si tout le monde s'y met – dans les 5 ans qui viennent de faire baisser de 100 000 par an…
M. Séguin : … je fais référence par exemple a ce qu'a dit Valéry Giscard d'Estaing – j'ai la faiblesse de penser que je l'avais dit 7 ou 8 ans avant, d'ailleurs ici même, vous vous en souvenez probablement – : c'est que la croissance est une condition nécessaire mais non suffisante…
Mme Sinclair : … Tout le monde ne dit pas cela…
M. Séguin : … de la solution de l'emploi. Ce n'est pas encore le cas, mais surtout, tout le monde n'en tire pas les conséquences. II ne s'agit pas seulement d'arriver sur l'analyse, il s'agit d'en tirer les conséquences.
L'analyse, je la résume, parce qu'on peut l'affiner : il y a un découplage entre la croissance et l'emploi. Mais il y a encore après un découplage…
Mme Sinclair : Vous voulez dire que la croissance peut s'améliorer mais ce n'est pas pour autant que l'on créera suffisamment d'emplois pour enrayer l'avancée du chômage…
M. Séguin : … Maintenant que vous avez expliqué ce qu'était un découplage, je poursuis…
Mme Sinclair : Pardonnez-moi ! Je traduisais.
M. Séguin : II y a également découplage entre l'emploi et le chômage de longue durée, et il y a encore découplage entre chômage de longue durée et l'exclusion.
Je veux dire par là que l'emploi peut s'améliorer, pour autant le chômage de longue durée peut augmenter. C'est ce qu'on observe actuellement. Et, d'autre part, le chômage de longue durée pourrait, à la limite, se stabiliser, ça n'empêcherait pas l'exclusion de se développer. Pourquoi ? Parce que l'exclusion a un développement autonome. L'exclusion se nourrit elle-même : des parents exclus font des enfants enfants. Et quand ces enfants exclus vont à l'école, ils passent, en quelque sorte, le risque d'exclusion à une partie de leurs camarades de classe. Alors, il faut en tirer toutes les conséquences.
Ces conséquences, je crois qu'elles sont au nombre de trois : la première, il semblerait que, progressivement, il y ait l'ébauche d'un consensus. II faut effectivement baisser les charges sociales sur les salaires des moins qualifies…
Mme Sinclair : Ça, c'est la proposition que faisait Valéry Giscard d'Estaing…
M. Séguin : … oui, et il n'est pas le seul…
Mme Sinclair : … que vous avez saluée à Vittel…
M. Séguin : … il n'est pas le seul. Ça c'est très bien. Ça ne suffit pas. II faut donc des cotisations sociales aller vers l'impôt. Mais ça ne suffit pas.
II faut aussi que l'impôt soit moins défavorable qu'il ne l'est aujourd'hui au travail, donc qu'il y ait un meilleur arbitrage entre le travail et le capital ?
Mme Sinclair : … c'est-à-dire, pour être clair : s'il y a moins d'impôt sur le travail, il y en aura un peu plus sur les revenus du capital ?
M. Séguin : Et il faudra en tirer toutes les conséquences. Ça, c'est la première chose à faire. La deuxième, que les entreprises qui sont exposées à la concurrence internationale, fassent des efforts de productivité, c'est nécessaire, c'est leur devoir, leur devoir pour survivre et je dirais même : leur devoir national.
Mais les entreprises qui ne sont pas exposées à la concurrence internationale, les pompes à essence – pour reprendre l'exemple bien connu –, celles-ci non seulement elles doivent cesser de faire un arbitrage contre remploi, contre la qualité du service qui, financièrement n'a aucun intérêt pour la collectivité nationale parce que, ce que l'on va économiser en salaire, on va le dépenser en indemnisation du chômage, mats il faut se donner les moyens réglementaires du maintien de l'emploi et du retour à la qualité du service…
Mme Sinclair : … c'est-à-dire obliger les entreprises à ne pas augmenter leur productivité quand il y a une concurrence internationale…
M. Séguin : … absolument !
Si vous n'avez plus d'essence dans votre voiture, vous n'allez pas me dire que la pompe à essence de Hong-Kong ou de New-York, elle est en concurrence avec la pompe à essence la plus proche du Siège de TF1.
Troisième chose à faire – tout ça ne suffira pas encore – : il faut créer des emplois de service dans le secteur non marchand, y compris avec de l'argent public et, en particulier, avec de l'argent que l'on transfèrera des fonds d'indemnisation du chômage, de manière à ce que ne soit plus des dépenses passives de combat du chômage mais que ce soit des dépenses actives. Et, plus précisément, il faut faire en sorte que ces activités, que l'on va créer, non seulement répondent à l'attente des chômeurs mais nous aident à créer une Société plus conviviale.
Je vais vous donner là encore un exemple extrêmement concret : actuellement, la mode, c'est la semaine de 4 jours à l'école qui est une aberration. Une aberration, pourquoi ? Parce que ça fait trop d'heures dans la journée. La semaine de travail est mal organisée. Tout le monde le sait. La journée de travail est beaucoup trop lourde pour les enfants, d'où ceux qui ont des difficultés chez eux, ceux qui ont des handicaps culturels, ont des difficultés à suivre. L'exclusion s'en trouve nourrie, et, d'autre part, l'année scolaire est organisée en dépit du bon sens.
Ce qu'il faut, c'est évidemment une autre organisation de l'année : moins de vacances scolaires, plus de jours à l'école. II faut, d'autre part, une semaine plus équitable de 5 jours mais ou on ne travaille que la moitié de la journée, et l'autre moitié de la journée on est pris en charge dans des structures collectives pour des activités culturelles, des activités sportives, et autres. Et, avec cela – on le fait à Épinal, on le fait sur 1 500 élèves bien que nous soyons une commune pauvre – non seulement vous améliorez les résultats scolaires, vous luttez centre l'exclusion en donnant leur chance de ceux qui, sinon, seraient condamnés à l'échec scolaire et, en plus, vous créez des emplois.
Rien que sur le réaménagement du temps scolaire qui est une nécessité reconnue par tous les spécialistes des biorythmes – comme l'on dit – par tous les grands médecins, etc., et tous les grands pédagogues, rien qu'en faisant cela, vous pouvez créer des centaines de milliers d'emplois, c'est-à-dire apporter une réponse à la fois au problème du chômage et, d'autre part, au problème de la qualité vive, la convivialité dans ce pays qui, sinon, sera un pays de plus en plus dur.
Mme Sinclair : Vous parliez tout à I'heure d'un consensus qui se crée en ce moment. Moi, j'ai l'impression que j'entends des bribes de tout cela, à la fois chez Michel Giraud, chez Martine Aubry, chez Édouard Balladur, chez Valéry Giscard d'Estaing…
M. Séguin : … Merci de reconnaître que vous entendez l'ensemble chez moi.
Mme Sinclair : … vous êtes le pivot central autour duquel s'organisent les autres ?
M. Séguin : … je ne vous le fais pas dire !
Mais vous conviendrez, Ià encore, sur ce point, pour revenir à ma première ou ma deuxième réponse, que de ce côté-là mon discours ne vous étonne pas et que cela fait 7 ou 8 ans qu'avec une belle constance je viens, lorsque vous voulez bien m'inviter, le développer devant vous.
Mme Sinclair : Quand il y a 15 mois vous préconisiez une autre politique, en disant que la préoccupation de l'emploi était seconde dans les préoccupations qui étaient autres, qui était la monnaie, qui était la productivité, qui était la réduction des déficits, etc., rediriez-vous la même chose pour le budget, que nous avons aujourd'hui, estampillé "budget pour l'emploi" ?
M. Séguin : … je redirais la même chose, la tête sur le billot, aussi longtemps que l'on pensera…
Mme Sinclair : Ça ne m'étonne pas de vous !
M. Séguin : … que la croissance suffit à régler le problème de l'emploi, la tête sur le billot.
Mme Sinclair : Demain on connaîtra en détail les réponses des jeunes au questionnaire Balladur, que pensez-vous de cette consultation et des bribes que l'on a déjà ?
M. Séguin : … je pense que ça traduisait une démarche sympathique de la part du gouvernement vers les jeunes. Maintenant, reste à savoir ce qu'il tirera…
Mme Sinclair : … sympathique mais utile…?
M. Séguin : … on verra s'il est utile !
Mme Sinclair : Revenons à la Présidentielle : vous avez clairement exprimé votre soutien à Jacques Chirac. Pouvez-vous nous dire pourquoi, pour vous, c'est lui le meilleur ?
M. Séguin : Si Jacques Chirac se déclare candidat ou plus précisément : lorsqu'il se déclarera candidat…
Mme Sinclair : … vous n'avez pas de doutes ?
M. Séguin : … J'en ai peu ! Je lui apporterai mon aide pour un certain nombre de raisons : tout d'abord, pour des raisons de fidélité personnelle ; ensuite, parce qu'il est vrai qu'il y avait une sorte de "pacte" qui avait passé entre un certain nombre de gaullistes et que, pour ma part, j'entends le respecter ; et, enfin, la troisième raison....
Mme Sinclair : Ça, c'est contraire à l'idée de gaullisme : les pactes passés entre dirigeants…
M. Séguin : … Non, pour être gaulliste, on n'en est pas moins fidèles aux engagements moraux que l'on peut prendre, y compris en politique. Et, enfin, troisièmement, parce que je crois que Jacques Chirac est le plus disponible pour les idéaux auxquels je crois.
Mme Sinclair : … Vous aviez justement dit, ici même, que vous feriez en sorte que vos idées soient présentes dans la campagne. Vous êtes rassuré, elles le seront. Vous n'aurez pas besoin d'y aller vous-même ?
M. Séguin : Vous avez déjà commence à faire un premier bilan vous-même. Pour ce qui concerne l'exclusion, vous aurez pu constater, même si je peux intenter des procès…
Mme Sinclair : … de droits d'auteur…
M. Séguin : … des procès de droits d'auteur, l'exclusion est maintenant au centre du débat présidentiel.
Je constate – mon deuxième objectif : le rétablissement de la République – avec beaucoup d'intérêt que l'idée est reprise – j'ai entendu Charles Millon avec beaucoup d'intérêt, je l'ai entendu s'en prendre aux féodalités – telle que, jusqu'à présent, j'étais assez seul à défendre. II reste à faire, pour tout ce "petit monde", quelques progrès sur l'Europe, c'est-à-dire sur les deux objectifs nécessaires, à savoir la démocratisation des institutions et, d'autre part, l'Europe rendue à ses véritables dimensions. Mais je ne désespère pas, il reste 6 ou 7 mois, ça ira !
Mme Sinclair : Je vais vous poser une question qui va vous permettre de dire ce que vous pensez – comme quoi les autres s'organiseront en effet autour de vous – : est-il pensable qu'il y ait deux candidats issus du RPR ou est-ce que vous dites, comme Charles Pasqua l'a dit et répété : "je ne laisserai pas faire cela !"
M. Séguin : C'est d'autant plus pensable qu'il y ait deux candidats issus du RPR, que ça s'est déjà produit. La mémoire est vraiment la chose la moins répandue en politique, c'est vraiment dommage ! En 1981 il y avait deux candidats issus du RPR : il y en avait un qui s'appelait Jacques Chirac et l'autre qui s'appelait Michel Debré.
Je n'ai pas dit que c'est ce que je souhaitais ! Je ne souhaite qu'il n'y en ait qu'un, et a fortiori que ce soit le mien. Bien. Mais c'est le corollaire d'une règle de la Ve République, une règle non écrite mais d'une régie extrêmement importante, aux termes de laquelle ce ne sont pas les Partis qui choisissent les candidats. Dés lors que, en tant que candidat, vous ne représentez pas un Parti, par définition il peut y avoir plusieurs candidats émanant d'un Parti.
Mme Sinclair : Et qu'est-ce qui se passe pour le Parti, en l'occurrence le RPR ? II ne tranchera pas ? II n'aura pas à choisir ? II n'aura pas à s'engager derrière…
M. Séguin : … Moi je professe, et j'étais très heureux de constater que Pierre Mesmer qui n'est pas suspect d'antigaullisme primaire, partageait le même point de vue, qu'il ne revient pas à un Parti politique de designer un candidat, ni même ensuite de lui apporter son soutien. D'ailleurs ce serait absurde ! Si d'autres, au sein du Parti, soutiennent quelqu'un d'autre ou si un autre se présente…
Mme Sinclair : … donc, il n'y aura que des individualités derrière des candidats ?
M. Séguin : … On ne représente pas le RPR. On ne représente pas l'UDF. On est issu du RPR, on est issu de I'UDF, mais l'élection présidentielle, c'est une affaire entre un candidat ou une candidate et le peuple français, entre chaque candidat, chaque candidate et le peuple français. Les Partis n'ont rien à y voir ! Je sais bien que les Partis concourent à l'expression du suffrage, mais c'est vrai que les élections cantonales, les municipales, les législatives, les sénatoriales, que sais-je encore ! Ça n'a rien à voir avec l'élection présidentielle.
Mme Sinclair : En ce moment beaucoup s'interrogent, y compris les instituts de sondage eux-mêmes, sur le rôle que jouent les sondages, rôle absolument inédit dans cette précampagne. Est-ce qu'à votre avis, si l'on suit les sondages, les jeux sont faits aujourd'hui ou est-ce qu'une campagne ça change beaucoup de choses ?
M. Séguin : J'ai entendu dire – je me suis même entendu dire –…
Mme Sinclair : – citez-vous donc…
M. Séguin : … que jusqu'à présent toutes les personnes qui étaient en tête dans les sondages, à 7 mois de l'élection, avaient battues.
Mme Sinclair : Bien.
M. Séguin : C'est une vérité historique. Rappelez-vous, en 1988, c'était monsieur Barre qui était en tête. Monsieur Barre n'est pas Président de la République…
Mme Sinclair : … en 1988, c'était François Mitterrand qui était en tête…
M. Séguin : Non, non... À 7 mois, je suis tout à fait désolé…
Mme Sinclair : … À 7 mois ? Monsieur Barre était en tête ?
M. Séguin : … Monsieur Barre était en tête. Et en 1981, je vous rappelle que monsieur Giscard d'Estaing était donna pour réélu, et en plus il était donné comme réélu contre monsieur Rocard parce que monsieur Rocard devançait dans les sondages monsieur Mitterrand dont la capacité à être candidat était niée par les instituts en question.
Mme Sinclair : … Donc votre optimisme…
M. Séguin : … il ne s'agit pas d'optimisme. II s'agit simplement : vous m'avez interrogé scientifiquement sur le rôle des sondages, j'essaie de vous répondre.
Mme Sinclair : Il n'y a que du Séguin en librairie en ce moment : je cite aussi le livre de Pierre Guiral sur Clémenceau, que vous avez préfacé, C'est parce que Clémenceau, c'est un insurgé ou un chef de gouvernement ?
M. Séguin : C'est d'abord parce que Pierre Guiral à mon professeur. Et puis, ensuite, s'agissant de Clémenceau, c'est parce que c'est un homme qui savait dire non. C'est un homme qui a été fidèle à ses convictions et que c'est un homme qui a gouverné. Et puis aussi parce que c'est la preuve que l'on peut gouverner lorsque l'on est un homme qui sait dire non.
Mme Sinclair : Qui s'oppose.
Alors, je signale aussi aux fans de Philippe Séguin que "Les discours encore et toujours républicains" sont à paraitre chez Denoël à la fin du mois d'octobre.
Merci Philippe Séguin d'être venu ce soir.
Dimanche prochain, la parole sera à la jeune génération politique. Je recevrai : François Baroin, Patrick Devedjian, Marie-Noëlle Linemann et Pierre Moscovici. Ils ont entre 30 et 40 ans. Ils viendront nous dire pourquoi ils ont envie de s'engager dans le combat politique. Je pense que vous serez d'accord avec leur enthousiasme.
Je recevrai aussi Françoise Giroud qui a accepté de différer sa venue de cette semaine à la semaine prochaine…
M. Séguin : Ça m'a valu de lire son livre qui est excellent…
Mme Sinclair : Elle viendra nous en parler comme romancière. Elle viendra aussi juger de cette nouvelle classe politique.
Je vous remercie à tous d'avoir suivi cette émission. À la semaine prochaine. Dans un instant, le journal de Claire Chazal, bonsoir.