Texte intégral
La Lettre de la Nation : Vous êtes ministre du Travail : quelles sont aujourd'hui vos priorité matière d'emploi ?
Michel Giraud : L'emploi est une priorité pour tout le gouvernement et tout le gouvernement avec l'appui de sa majorité parlementaire est effectivement mobilisé pour que la France retrouve le chemin de la croissance et de l'emploi.
Naturellement, je suis en première ligne et ma priorité a été double.
D'abord, faire adopter et mettre en œuvre des mesures d'urgence pour l'emploi des jeunes : c'est la loi du 27 juillet 1993.
Avant mars 1993, l'insertion professionnelle des jeunes (apprentissage et contrats de qualification) n'avait cessé de décliner. Le chômage des jeunes était devenu me spécificité française. Aujourd'hui, cette dégradation est enrayée : les contrats d'apprentissage ont augmenté de 42 % et les contrats de qualification de 34 %. J'ai par ailleurs signé 25 conventions avec, au total. 120 grands groupes des secteurs économiques aussi divers que l'hôtellerie, la métallurgie, la chimie, la banque, le bâtiment, les transports, la distribution, etc., qui se sont engagés, pour deux ans sur la création de 56 000 emplois supplémentaires pour des jeunes. Ma deuxième priorité a été de réformer profondément, pour les moderniser, à la fois les outils qui incitent à la création d'emplois nouveaux ou à la préservation d'emplois existants, et les règles qui gouvernent l'organisation du travail dans les entreprises et le développement de la formation professionnelle.
La loi quinquennale du 21 décembre 1993, par cette approche globale, structurelle, s'attaque aux causes profondes du chômage, aux archaïsmes, aux conservatismes qu'ont laissé se perpétuer nos prédécesseurs.
L'allégement, pour la première fois dans notre histoire, des charges qui pèsent les salaires, qui pénalisent les moins qualifiés, qui incitent à la délocalisation ou à la substitution des robots a été ainsi engagé, et sa progression, programmée sur 5 ans (il en coûtera déjà près de 40 milliards de francs au budget de 1995).
Désormais de nouveaux champs de négociation sont ouverts aux partenaires sociaux, dans les entreprises ou dans les branches, pour développer le temps partiel et le temps choisi, l'annualisation du temps de travail, l'activation, au profit de l'emploi, des dépenses d'indemnisation du chômage. Le service public de l'emploi a été profondément dynamisé, des contrats de progrès lient désormais l'État avec l'ANPE, d'une part, et l'AFPA, d'autre part.
Au sein des espaces "Jeunes", ces organismes offriront, en partenariat avec les collectivités locales et en liaison, avec les missions locales, un service global : cinq régions sont déjà engagées dans ce partenariat. L'accord de juillet 1993 avec les partenaires sociaux a permis de sauver le régime d'assurance chômage de la faillite et d'établir une meilleure gestion des droits des assurés par l'UNEDIC et l'ASSEDIC. La décentralisation de la formation professionnelle des jeunes au niveau régional se met en place : elle permettra, au plus près des réalités locales, de mieux préparer l'avenir de nos enfants.
Si la loi quinquennale constitue effectivement un immense chantier de réformes, elle n'épuise pas les sujets sur lesquels des efforts sont encore à faire. J'en donnerai deux exemples : celui de la mise en œuvre effective du chèque-service, à compter du 1er décembre 1994, pour une période expérimentale d'un an, qui nous permettra d'évaluer les effets de cette mesure, révolutionnaire à plus d'un titre. Celui du projet de loi que je souhaite soumettre prochainement au Parlement sur les formations en alternance, qui permettra de développer, plus encore, l'accès des jeunes aux entreprises.
La Lettre de la Nation : Qu'attendez-vous de la mise en place du chèque-service ?
Michel Giraud : C'est le gouvernement de Jacques Chirac, par la création de l'aide à la garde des enfants à domicile (AGED), qui a ouvert la voie du développement des emplois de service par la simplification des procédures auxquelles sont astreints les employeurs particuliers. Ces procédures ont été, ensuite, développées et élargies. Le chèque-service permet, aujourd'hui, une simplification radicale des relations de travail qui peuvent s'établir, à son domicile, entre un particulier employeur et un salarié. Le chèque-service représente, en effet, non seulement le moyen de paiement le plus simple, mais aussi, pour l'employeur, la façon sans contrainte de s'acquitter des cotisations sociales et, pour l'employé de garantir ses droits sociaux. Ainsi l'argument ou le prétexte de la complication des formalités ne pourra plus alimenter le travail au noir dont on sait qu'il prive le salarié de ses droits sociaux et l'employeur, des garanties de la loi. Le chèque-service est l'outil attendu permettant le développement légal des emplois de service. En Europe et plus généralement parmi les ayant des systèmes complexes de protection sociale, nous serons les premiers à mettre en œuvre le chèque-service. Plusieurs de nos partenaires européens attendent la réussite de notre expérience pour s'engager à leur tour.
La Lettre de la Nation : Diriez-vous de l'Ile-de-France qu'elle est une région comme les autres ?
Michel Giraud : L'Ile-de-France, comme les 22 autres régions françaises, est unique, avec son identité propre, où l'histoire et la culture tiennent une place privilégiée. Son rayonnement économique et technologique est exceptionnel. Mais cela posé, l'Ile-de-France, par bien des aspects, est aussi une région semblable aux autres. La France ne forme qu'une seule et même nation.
Ainsi, l'Ile-de-France connaît les grands défis qui se posent actuellement à l'ensemble de notre société. Ceux liés à l'évolution économique mondiale. Ceux de l'adaptation à un monde beaucoup plus ouvert qu'auparavant qui l'oblige à un gros effort de mise à niveau de ses infrastructures. Ceux de la qualité de vie, de la protection de l'environnement et de la lutte contre les nuisances.
Sur de nombreux points l'Ile-de-France – et alors, elle n'est plus vraiment une région comme les autres – doit faire face à des problèmes d'adaptation qu'elle seule connait dans de telles proportions : je pense à l'immigration, au sida, à l'exclusion sociale dont les effets se font d'autant plus sentir que la densité de la population est importante.
L'Ile-de-France demeure donc une région à l'identité bien affirmée, qui découle de sa fonction de région capitale dont chacun sait que, si elle est au service de tous, elle ne peut être partagée.
La Lettre de la Nation : L'Ile-de-France peut-elle, selon vous, va jouer un rôle moteur dans l'aménagement du territoire ?
Michel Giraud : L'Ile-de-France peut et doit jouer un rôle important dans l'aménagement du territoire. Traditionnellement, c'est la région qui entraine toutes les autres. Cela tient au fait qu'elle est région capitale, au poids économique qu'elle représente – 28 % du PNB – à sa notoriété internationale. L'Ile-de-France est une vitrine pour la France entière. C'est, le plus souvent, le point de passage obligé des étrangers qui nous visitent. Son rôle dans l'aménagement du territoire est aujourd'hui renforcé, au moins de deux manières.
La première concerne l'aménagement de ce qu'il est convenu d'appeler le "grand Bassin parisien", c'est-à-dire ce grand territoire qui représente près de 1/5 du pays, qui englobe la région capitale et les 7 régions qui l'entourent. Désormais, l'aménagement est pensé dans ce nouveau cadre. Le premier contrat de plan interrégional vient d'être signé, le 20 juillet dernier, entre l'État, la région Ile-de-France et les sept autres régions. Il porte sur les domaines structurants de demain : voies de communication, recherche, environnement. Il y a là une avancée extraordinaire pour l'aménagement concerté d'un bloc interrégional, reposant sur la dynamique créée par l'Ile-de-France.
L'autre manière, pour l'Ile-de-France, de participer à l'aménagement du territoire national tient à la redistribution fiscale. Les transferts annuels, par le biais de l'ensemble des mécanismes de péréquation atteignent environ 180 milliards de francs, soit près de quinze fois le budget régional francilien. Les dispositions prises par le gouvernement, notamment lors du Comité interministériel d'aménagement du territoire (CIAT) de Mende, sont venues renforcer ces mécanismes, les régions les plus riches, telle l'Ile-de-France, étant encore davantage sollicitées pour aider les moins favorisées et notamment les régions qui ont à faire face aux problèmes de restructuration de leurs activités ou qui sont sujettes à la désertification.
Ainsi, par l'ensemble des mesures volontaires qui sont prises et par ces redistributions, l'Ile-de-France participe grandement à l'aménagement général du territoire, remplissant pleinement son rôle de région capitale.
La Lettre de la Nation : Quelles sont les grandes orientations du SDAURIF pour les vingt prochaines années ?
Michel Giraud : Sans doute faut-il, pour mieux comprendre les orientations du SDAURIF, se souvenir de celles de l'ancien. Celui-ci avait pour objectif de faire place au formidable développement, en particulier démographique, qu'avait connu l'Ile-de-France. Il fallait transformer la ville et sa banlieue en une métropole régionale. Ainsi, ses grands axes concernaient la création des villes nouvelles et la mise en œuvre d'un nouveau réseau de transport, grâce aux nouvelles lignes du RER et autoroutes circulaires, A 86 et Francilienne.
Désormais, la problématique est différente. Il convient d'adapter notre métropole pour conjuguer les impératifs du développement par lequel passe l'emploi et ceux de la qualité de vie auxquels aspirent tous nos concitoyens. Trois orientations principales permettent de répondre à ces impératifs. La première consiste à placer l'aménagement régional dans le cadre élargi du grand Bassin parisien qui forme un grand bassin de solidarité. Cela permet d'assurer le développement nécessaire, notamment dans une optique européenne, tout en garantissant les préoccupations environnementales, grâce à une croissance maîtrisée.
L'environnement représente en effet, la seconde orientation prioritaire. Il convient de préserver la nature, capital essentiel mais hélas fragile, de réduire les nuisances et les différentes sources de pollution. Mais l'environnement, c'est aussi la qualité de vie au quotidien, qui passe directement par l'habitat et les transports. Le logement doit retrouver, à travers le SDAU, sa mobilité et sa qualité par une offre plus large et plus diversifiée.
Quant aux transports, ils continuent de constituer une priorité, même si l'approche est sensiblement différente, puisqu'une métropole qui s'étend sur 12 000 km2 doit être parfaitement desservie. Le nouveau réseau "Orbitale" de transport en commun, circulaire et non plus radial, et, plus largement, la mise en place de liaisons de banlieue à banlieue telles qu'elles sont prévues au SDAU, répondront à cette nécessité, pendant que les grandes infrastructures routières connaîtront leur achèvement.
Ainsi, le nouveau schéma d'aménagement traduit un projet tout à la fois ambitieux et réaliste, un projet concret pour les années à venir, permettant à l'Ile-de-France de devenir une métropole moderne capable de soutenir la concurrence des autres grandes métropoles, et permettant aux Franciliens de vivre de plus en plus confortablement.
8 décembre 1994
Paris-Match
Michel Giraud, ministre du Travail, vous explique le fonctionnement du chèque service. Enfin une formule simple et pratique pour payer et déclarer les personnes employées à la maison, et qui, ne l'oubliez pas, ouvre droit à des abattements fiscaux importants. De quoi décourager le travail au noir.
Découvrez les avantages du chèque service
Paris-Match : Vous venez de créer le chèque emploi service, de quoi s'agit-il ?
Michel Giraud : C'est un nouveau dispositif qui permet à la fois de régler et de déclarer les personnes employées à domicile. Ce chéquier, dont l'utilisation est très facile à comprendre, évite toutes les déclarations fastidieuses à l'Urssaf, les calculs de cotisations sociales, l'établissement de bulletins de paie, etc. Il est mis en place ce 1er décembre, dans la France entière, à titre d'essai pour un an.
Paris-Match : Qui peut utiliser ce chéquier ?
Michel Giraud : Tous les particuliers qui emploient du personnel de maison (femme de ménage, baby-sitter…), un répétiteur scolaire, un jardinier, un garde-malade, etc., à condition que ces personnes ne soient pas employées plus de huit heures par semaine (ou un mois par an). Sont exclues du système les jeunes filles au pair, les personnes travaillant à des tâches qui ne seraient pas familiales (par exemple, du secrétariat, des travaux d'entretien) ou qui relèvent de professions spécifiques (infirmières…). Vous ne pouvez pas non plus payer par chèque service l'assistante maternelle pour laquelle vous bénéficiez d'une réduction fiscale (frais de garde d'un enfant de moins de 7 ans à l'extérieur du domicile).
Paris-Match : Quelles sont les formalités à remplir par l'employeur ?
Michel Giraud : Elles ont été réduites au strict minimum. L'employeur doit demander un chéquier en remplissant un simple bulletin d'adhésion dans l'établissement où il a un compte (banque, poste, caisse d'épargne…). Ce chéquier comporte 20 chèques de paiement (présentés ci-dessous) avec 20 volets sociaux et 20 enveloppes préimprimées.
À la fin de la première semaine, ou du premier mois, l'employeur remet un chèque à son employé et envoie le volet social au centre indiqué (c'est l'Urssaf de Saint-Étienne qui centralise l'ensemble de l'opération). Il n'y a donc pas à faire de lettre d'engagement ni de déclaration à l'Urssaf. Si l'employé n'a pas de numéro de Sécurité sociale, il suffit d'indiquer sa date et son lieu de naissance. L'employé recevra directement son bulletin de paie et l'employeur, le relevé des cotisations prélevées sur son compte.
Paris-Match : Peut-on se reconvertir à ce système même si l'on emploie quelqu'un depuis longtemps ?
Michel Giraud : Bien sûr. Il suffit de demander par simple lettre, à son organisme habituel d'Urssaf, la résiliation de son compte. On peut aussi très bien cumuler les deux systèmes pour plusieurs salariés.
Paris-Match : Qu'attendez-vous de l'instauration du chèque service ?
Michel Giraud : En plus d'une simplification pour le paiement de la déclaration des emplois familiaux, j'espère que cette nouvelle formule va permettre de créer de véritables métiers de service, perçus et reconnus comme tels, et qui conduiront peut-être à des filières de formation. Enfin, je souhaite contribuer à la lutte contre le travail au noir. Avec le chèque emploi service, les employeurs sont totalement couverts (accidents ou dégradations diverses…), l'employé aussi retraite, maladie, chômage et accidents du travail. En plus, les employeurs bénéficient d'avantages fiscaux conséquents.
Paris-Match : Si au bout d'un an l'expérience n'est pas concluante, allez-vous revenir en arrière ?
Michel Giraud : Certainement pas. Je suis sûr qu'elle sera une réussite. Si la formule doit être corrigée, ce sera pour l'assouplir et l'élargir encore. Nous avons dû restreindre son application à des emplois limités à huit heures par semaine pour respecter la directive européenne sur le travail. Peut-être pourra-t-on aller au-delà, si nos voisins européens, qui suivent avec intérêt l'expérience menée en France, le souhaitent avec nous.