Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
J'avais indiqué, lors des débats devant l'Assemblée nationale, combien les réformes des lois du 1er mars 1984 sur la prévention des difficultés des entreprises et du 25 janvier 1985 sur le redressement et la liquidation judiciaires étaient une nécessité et j'avais constaté que celle-ci était partagée par tous.
L'enjeu de cette proposition est d'importance. Il s'agit :
a) de renforcer le dispositif de prévention de difficultés des entreprises.
b) d'améliorer les règles selon lesquelles les entreprises peuvent être redressées et à défaut de redressement possible les conditions dans lesquelles elles doivent être liquidées.
L'ambition que s'était donnée le législateur de 1985 n'a pas résisté à l'épreuve des faits. La loi aujourd'hui n'assure pas mieux que par le passé le paiement des créanciers. Notamment, les chirographaires continuent de ne percevoir que 5 % de leurs créances en moyenne. Cet échec n'est pas pour autant compensé par un nombre plus important d'entreprises sauvées ou d'emplois sauvegardés.
Les buts à atteindre demeurent donc les mêmes : permettre chaque fois que cela est possible le redressement de l'entreprise, maintenir autant que faire se peut les emplois, payer les créanciers. Mais les voies pour y parvenir, tirées de l'expérience de plus de huit années sont différentes.
La législation de 1984-1985 ne mettait certainement pas assez l'accent sur la prévention : seule l'entreprise en dépôt de bilan était l'objet de son attention, voire même de son indulgence. Les actions de prévention étaient centrées sur les entreprises d'une certaine taille, les actions spécifiques en faveur des PME-PMI qui constituent chacun le sait, le tissu industriel de notre pays étaient quasi inexistantes.
Ce seul souci de l'entreprise défaillante qui sous-tend la loi de 1985 a contribué à détériorer l'environnement économique de l'entreprise en redressement. Les avantages qui lui ont été accordés, l'effacement de ses engagements contractuels ont contribué à l'instauration d'un climat de méfiance entre opérateurs économiques qu'il faut maintenant combattre. Les fournisseurs, les bailleurs de fonds, la clientèle d'une entreprise subissent directement les conséquences de sa défaillance. Les difficultés de l'entreprise ne doivent plus être la cause de celles de ses partenaires. Tout au moins, la loi doit donner à ceux-ci les moyens d'une information plus fiable et leur assurer une plus grande protection.
Ces objectifs sont partagés par les Assemblées et le Gouvernement. Vous les avez repris, Monsieur le rapporteur, en renforçant les moyens d'y parvenir. Je tiens à saluer tout particulièrement le considérable et remarquable travail de consultation et de concertation que vous avez entrepris, ainsi que le climat de sérénité et de confiance, mutuelle qui s'est instauré avec mon ministère. Nous sommes ainsi assurés que les choix du législateur auront été "éclairés", à la mesure des difficultés inhérentes à la matière. Celle-ci est, en effet, techniquement complexe, et lourde d'enjeux économiques et sociaux.
Enjeux sociaux. Les défaillances d'entreprises ont affecté en 1992 d'après l'INSEE, plus de 270 000 salariés. À ce nombre il convient d'ajouter celui des chefs d'entreprises, privés de leurs emplois par la liquidation de celle-ci. Il serait de 30 000 environ. Ces chiffres montent bien l'impact sur l'emploi des procédures de prévention et de traitement des difficultés des entreprises. Ils soulignent aussi la responsabilité dans ce domaine qui pèse sur les tribunaux de commerce, les parquets et les mandataires de justice.
Enjeux économiques. Les chiffres sont là aussi éloquents.
La société française d'assurance-crédit (SFAC) évalue à 100 milliards de francs l'ensemble des créances non recouvrées en 1992.
L'Association Française des Banques (AFB) estime que le financement des PME est devenu le risque bancaire n° 1. C'est ainsi que les banques ont dû, à ce titre selon leurs propres estimations, constituer des provisions d'une vingtaine de milliards en 1992, et de l'ordre d'une trentaine de milliards en 1993.
Dans ce contexte, le Gouvernement depuis un an a pris diverses mesures pour faire face à cette situation de crise. Je ne citerai que les plus significatives.
D'une façon générale, le Gouvernement s'efforce d'encourager la constitution des fonds propres des PME-PMI. Nous savons que leur insuffisance est une cause structurelle de leur fragilité. Dans cette optique, "l'épargne de proximité" doit pouvoir être plus largement mobilisée. Le plafond des réductions d'impôt consenties aux personnes physiques investissant dans les PME a été récemment relevé par la loi sur l'initiative et l'entreprise individuelle que vous avez votée au mois de février dernier.
Les incitations fiscales sont à mon avis plus efficace que l'augmentation du capital minimum des sociétés que votre commission a adopté ; augmentation à laquelle le gouvernement ne pourra, comme il l'avait fait lors du débat sur la loi initiative et entreprise donner son accord.
1. La suppression du décalage d'un mois de remboursement de la TVA est certainement selon des sondages effectués parmi les entreprises la mesure qui a reçu le meilleur accueil. Elle a entraîné un transfert de 46 milliards de francs au profit des entreprises.
2. La création d'un fonds de garantie SOFARIS doté de 300 millions de francs pour inciter les banques à augmenter leurs encours sur des entreprises structurellement saines, mais confrontées à des difficultés conjoncturelles.
3. Le renforcement substantiel des moyens des comités de restructuration industrielle (le CIRI, les CORRI et les CODEFI) : l'enveloppe de 400 millions de francs qui leur a été attribuée et l'abaissement des taux de prêts ordinaires du FDES de deux points leur donnent les moyens d'une intervention plus efficace.
4. Le relèvement du plafond CODEVI et la baisse simultanée de son taux d'intérêt : cette mesure accroît les possibilités de financement des investissements PME-PMI.
Enfin le gouvernement ne doit pas relâcher les efforts entrepris ces dernières années pour réduire les délais de paiement publics et privés. Ces efforts devraient aboutir à une diminution de la part du crédit inter-entreprises dans le financement de celles-ci. Monsieur le rapporteur de la Commission des affaires économiques, vous avez fort bien analysé, dans un récent avis, les effets négatifs sur la solidité des entreprises de la situation actuelle, caractérisée par les délais de paiement les plus longs d'Europe, et proposé des solutions pragmatiques.
Toutes ces mesures devraient permettre que la reprise dont on commence à observer ici et là des signes précurseurs soit un ferment de croissance pour nos PME-PMI.
Votre Commission a confirmé les objectifs définis en plein accord avec le gouvernement que la réforme devrait atteindre. Elle a renforcé, sur un certain nombre de points, les moyens d'y parvenir. J'ai eu l'occasion d'indiquer que cette réforme devait trouver son équilibre par "un déplacement des curseurs" sur trois points essentiels.
1. Le premier vise la situation respective des créanciers antérieurs à l'ouverture de la procédure et des créanciers postérieurs.
Un constat s'impose : les dispositions de l'actuel article 40 ont créé un climat de défiance chez les bailleurs de fonds. Comment, en effet, financer à moyen ou long terme l'entreprise si sa mise en redressement judiciaire, éventualité qui ne peut être d'emblée écartée, doit avoir pour conséquence de faire perdre toute valeur aux sûretés prises ? Il est donc primordial, avant tout de rassurer les réseaux de financement. C'est dans cette perspective que l'Assemblée nationale a modifié l'ordre de paiement des créanciers de l'entreprise lorsque la liquidation est prononcée. Ainsi dans ce cas les créanciers titulaires de sûretés dont les droits sont nés avant le dépôt de bilan devraient être payés en priorité, après toutefois les créances salariales super privilégiées. Vous avez suivi Monsieur le Rapporteur, l'Assemblée nationale sur ce point et ce rééquilibrage important paraît acquis.
2. Le second point sur lequel la réforme doit trouver un juste milieu est le suivant : comment concilier la nécessité de disposer d'une procédure efficace et rapide avec l'indispensable respect des droits des créanciers ? L'institution des contrôleurs, mise en place par le législateur de 1985 n'a pas répondu à l'attente des créanciers, convaincus le plus souvent, à tort ou à raison, d'être trop peu associés, voire exclus, de la procédure.
Certes, je suis profondément attaché au principe d'une représentation collective des créanciers. La loi de 1985 a supprimé la constitution d'une "masse" des créanciers, collectivité dotée de la personnalité morale. Elle n'a pas fait disparaître pour autant "l'intérêt collectif" des créanciers. Toutefois ceux d'entre eux qui le souhaitent doivent pouvoir être associés plus étroitement à la procédure. C'est pourquoi les pouvoirs des contrôleurs devront être très sensiblement renforcés.
3. Enfin, le troisième point d'équilibre doit satisfaire à une condition essentielle : la reprise d'une entreprise ne doit pas s'effectuer dans des conditions telles qu'elle obère, par l'effet même de la loi, la situation de ses partenaires économiques.
Les cessions d'entreprise s'effectuent souvent dans des conditions économiques et financières abusivement avantageuses pour le cessionnaire. Elles faussent ainsi le jeu normal du marché et créent une forme de concurrence déloyale préjudiciable aux entreprises saines.
Quatre améliorations de la législation de 1984-85 m'apparaissent dès lors essentielles. Elles portent sur :
- les mécanismes de prévention,
- la représentation des créanciers,
- les conditions de paiement de leurs créances,
- la moralisation des conditions de cession des entreprises.
1. Renforcer le dispositif actuel de prévention des difficultés des entreprises
Deux types de situations sont à distinguer : celles avant toute intervention du tribunal et celles qui s'inscrivent dans un cadre judiciaire.
1) Avant toute intervention du tribunal, j'évoquerai deux questions : celle tout d'abord de la participation du trésor public et des organismes sociaux aux mécanismes de prévention.
Je ne pense pas que l'obligation qui leur serait faite et que M. Robert propose d'introduire dans le texte, d'avertir le président du tribunal de tout retard de paiement de plus de trois mois aurait un effet déterminant sur la détection précoce des difficultés des entreprises. En effet le trésor public a d'ores et déjà l'obligation de publier au greffe du tribunal de commerce ses créances impayées depuis plus de trois mois, dès lors qu'elles atteignent 100 000 F, sous peine de perdre son privilège. Le Président du Tribunal a un accès facile à cette information par l'intermédiaire du greffe. Il faut éviter de créer de nouveaux circuits d'information, source de complications et de double emploi.
En revanche l'abaissement des seuils à partir desquels le trésor public et les organismes sociaux ces derniers n'étant pas à ce jour assujettis à un seuil, seront tenus de publier leurs créances est une excellente proposition. Les modalités pratiques et notamment le montant du seuil pourront faire l'objet d'un échange entre nous au cours du débat.
En second lieu, je voudrais vous dire un mot du nouveau devoir d'alerte qui s'impose au commissaire aux comptes lorsque l'entreprise connait des difficultés. Là aussi, le Gouvernement souscrit au principe de cette modification. Nous devrons discuter toutefois du moment auquel le commissaire aux comptes pourra "extérioriser" vers le président du tribunal de commerce l'information sur les difficultés de l'entreprise.
2) Lorsque le tribunal est saisi, c'est la procédure issue de la loi du 1er mars 1984 qui va s'appliquer. Amiable et confidentielle elle n'a certainement pas fait suffisamment ses preuves. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a mis en place un nouveau dispositif "de suspension provisoire des poursuites". Il permet au président du tribunal de suspendre, pour une durée de trois mois, les poursuites contre le débiteur. De ce fait, les moyens d'intervention du conciliateur sont renforcés sans, qu'en contrepartie, ne soit institué un véritable dessaisissement du débiteur, ni une représentation des créanciers.
Votre commission propose de ne pas reprendre ce dispositif bien qu'il soit facultatif. Le Gouvernement, quant à lui, s'est opposé à l'Assemblée nationale à une suspension automatique des poursuites.
L'échec de l'ordonnance de 1967 est, en effet encore présent dans les esprits. Toutefois, le gouvernement, dans un souci de conciliation, et parce que l'Assemblée nationale acceptait que soit laissée une faculté d'appréciation au tribunal s'était rallié à ce dispositif.
Sur ce point, je m'en rapporterai donc à la sagesse de votre assemblée et à sa prudence. Il est difficile, en effet, d'apprécier précisément l'incidence pratique de cette mesure.
2. Améliorer la représentation des créanciers et mieux les associer au déroulement de la procédure
L'Assemblée nationale a augmenté de deux à cinq le nombre des contrôleurs et a renforcé sensiblement leurs pouvoirs : ils pourront saisir à tout moment le tribunal pour qu'il examine l'opportunité de prononcer la liquidation de l'entreprise. Ils pourront ainsi exercer un contrôle de la durée de la période d'observation. Le Gouvernement est d'accord avec cette orientation.
Vous avez apporté, Monsieur le Rapporteur, deux modifications qui me semblent souhaitables :
Le texte adopte par l'Assemblée faisait obligation au tribunal de désigner aux fonctions de contrôleur tout créancier qui en faisait la demande. Une telle obligation aurait été source de rigidités et n'aurait pas permis la représentation d'intérêts diversifiés. Votre texte permet au tribunal de retrouver son pouvoir d'appréciation et cela était nécessaire.
Les contrôleurs, en raison de la connaissance privilégiée qu'ils acquièrent ainsi de l'entreprise ne doivent pas pouvoir se porter acquéreur des actifs de celle-ci. Cette mesure de moralisation que vous proposez doit être retenue.
Enfin reste la question controversée de l'élargissement des voies de recours en faveur notamment des contrôleurs. Vous le savez le gouvernement n'est pas favorable à un tel élargissement qui nous semble en l'état actuel recelé des inconvénients supérieurs aux avantages. La question concerne à la fois les plans de continuation à l'égard desquels l'appel serait ouvert aux contrôleurs. Je m'interroge sur la rupture d'égalité qui pourrait en résulter entre créanciers. N'y a-t-il pas un risque d'inconstitutionnalité ? En ce qui concerne l'appel des jugements arrêtant le plan de cession de l'entreprise, il doit rester de la compétence exclusive du Parquet. Toute autre solution serait source d'insécurité pour les repreneurs et pourraient bien souvent les conduire à retirer leurs offres. Gardons présents à l'esprit que la cession de l'entreprise a un effet positif sur l'emploi. L'absence de voies de recours au bénéfice des contrôleurs sera largement compensée par leur association plus étroite au déroulement de la procédure.
3. Améliorer les conditions de paiement de créanciers
Un certain nombre de mesures ont été prises à cet effet. La première concerne l'ordre de paiement des créanciers fixé par l'article 40 de la loi.
J'ai évoqué tout à l'heure la modification de cet article adoptée par l'Assemblée nationale en indiquant qu'elle était nécessaire. La nouvelle priorité de paiement accordée, en cas de liquidation, aux créanciers antérieurs munis de sûretés sera un facteur d'apaisement et de restauration de la confiance.
Mais cette mesure doit s'accompagner de ce que l'on peut appeler "un dégonflement de l'article 40" : les créances qui ne sont pas strictement liées à la poursuite de l'activité de l'entreprise pendant la période d'observation notamment parce qu'elles ne contribuent pas à son financement ne doivent pas pouvoir bénéficier de la priorité de paiement. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a exclu du bénéfice de l'article 40 les indemnités et pénalités de résiliation des contrats intervenue après l'ouverture de la procédure.
Vous demandez, Monsieur le Rapporteur, que seules les pénalités de résiliation bénéficient de la protection de l'article 40. La portée de la mesure en est atténuée mais il est vrai que les créances liées à la résiliation d'un contrat intervenue pendant le délai imparti à l'administrateur pour prendre parti, sont considérés comme des créances antérieures.
D'autres mesures amélioreront le paiement des créanciers chirographaires, lesquels sont le plus souvent d'autres entreprises. Le gouvernement bien entendu les approuve.
Il s'agit tout d'abord de l'assouplissement des conditions dans lesquelles le titulaire d'une réserve de propriété pourra faire valoir son droit. Cette mesure bénéficiera aux fournisseurs de l'entreprise qui pourront désormais revendiquer à certaines conditions une marchandise incorporée dans un autre bien. Le gouvernement complètera ce dispositif en permettant plus facilement la revendication des biens fongibles.
Il s'agit ensuite d'apporter une meilleure garantie de paiement aux entrepreneurs de travaux : Ce mécanisme de garantie avait fait l'objet de nombreuses propositions de loi tant la question des défaillances en chaîne est aigüe dans le secteur du bâtiment. Le dispositif qui vous sera proposé, mis au point par le sénateur Fauchon à partir des conclusions d'un groupe de travail réuni à l'initiative de mes collègues de l'équipement et du logement permettra de mieux couvrir les risques d'impayés.
Il s'agit enfin de permettre au cocontractant de l'entreprise en période d'observation d'exiger, du fait même de l'ouverture de la procédure, un paiement comptant. Cette mesure est très demandée par les fournisseurs même si elle ne fait qu'entériner la pratique.
Enfin, je veux rappeler, à cette occasion, l'effort des pouvoirs publics dans ce domaine.
L'Assemblée nationale a en effet adopté, avec l'accord du Gouvernement, l'abandon des pénalités et majorations exigibles lorsqu'une entreprise a déposé son bilan. Cette mesure, qui allège le passif de l'entreprise, se traduira par un meilleur paiement des autres créanciers.
Ce dispositif s'accompagne de mesures dont l'objectif est de moraliser les cessions d'entreprise.
4. La moralisation des cessions d'entreprises après dépôt de bilan
Il est malheureusement banal de constater que certains plans de redressement d'entreprise par voie de cession ont donné lieu à des abus. Les abus ont d'ailleurs commencé avec la "cession à forfait" de la loi de 1967. Loin de les réduire la loi du 25 janvier 1985 les ont, je ne crains pas de le dire, aggraver. Ce n'est pas un hasard d'ailleurs si les dispositions de la loi de 1985 qui en régissent les conditions sont parmi les plus critiquées.
Le Gouvernement est décidé à favoriser toutes les propositions qui permettront d'empêcher ces pratiques. On a pu voir, en effet, des repreneurs peu scrupuleux, après avoir obtenu à vil prix et grâce à des engagements sociaux vite oubliés une entreprise en redressement judiciaire, la revendre "par appartements" et bénéficier ainsi d'une substantielle plus-value. La loi de 1985, malgré ses bonnes intentions, n'a pas en ce domaine, changé les comportements.
Toutefois, cette nécessaire moralisation ne doit pas remettre en cause l'existence même des plans de cession. Si les cessions devenaient trop difficiles, de nombreuses entreprises, et parmi les plus importantes seraient vouées à la liquidation.
N'oublions pas en effet que ce sont les entreprises d'une certaine taille, celles qui emploient plus de 50 salariés, qui peuvent le plus aisément être redressées. Elles appartiennent en très grande majorité au secteur industriel et leur "savoir-faire" est la meilleure garantie de leur redressement.
Plusieurs dispositions adoptées par l'Assemblée nationale avec le soutien du Gouvernement permettent d'ores et déjà de lutter contre les abus les plus manifestes.
a) Améliorer la transparence des offres
L'opacité qui entoure le choix du repreneur de l'entreprise en redressement judiciaire est couramment dénoncée. Cette opacité est aggravée par une publicité insuffisante de date limite du dépôt des offres.
L'Assemblée nationale a prévu qu'un délai minimal de 15 jours devrait s'écouler entre la réception de l'offre et la décision du tribunal. Le Gouvernement est convaincu de l'utilité de cette disposition qui permettra aux créanciers de faire valoir leur point de vue et aux offrants de se trouver sur un strict pied d'égalité.
Toutefois, le délai de 15 jours peut s'avérer incompatible avec une situation d'urgence. Un simple aménagement des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale sur ce point permettra de pallier cette lacune sans remettre en cause le principe.
b) Améliorer le contrôle des engagements pris par le cessionnaire
Chacun sait que les engagements pris par le cessionnaire en matière sociale sont souvent déterminants dans le choix du tribunal. Or, jusqu'à présent, seul le nom paiement du prix de cession permettait au tribunal de prononcer la résolution du plan. Ainsi, on a pu voir certains repreneurs impunément violer leurs engagements sur la foi desquels ils avaient été choisis et procéder à des licenciements massifs.
Le repreneur doit donc être tenu par l'intégralité de ses engagements, à peine pour lui de voir le tribunal annuler le plan ou choisir un autre cessionnaire.
C'est cette mesure qui a été adoptée par l'Assemblée nationale et il ne faut pas en sous-estimer l'intérêt pratique.
L'expérience des errements passés montre que cette seule réforme aurait été de nature à éviter la plupart des abus généralement cités en exemple.
c) Le sort des sûretés attachés aux biens repris
Jusqu'à présent, dans le cadre d'un plan de cession, le repreneur bénéficie des biens de l'entreprise qu'il a acquise au moyen d'un crédit non encore remboursé. La garantie constituée par ce bien est alors effacée.
Ce mécanisme est particulièrement critiqué par les créanciers bailleurs ou titulaires de sûretés. En effet, la part du prix de cession qui leur revient est très généralement bien inférieure au montant des sommes leur restant dues.
L'Assemblée nationale a adopté une disposition qui prévoit qui si le bien grevé d'une sureté est vendu avant un délai fixé par le tribunal, qui ne peut être inférieur à deux ans, les créanciers titulaires de suretés sur ce bien retrouveront leurs droits sur celui-ci. Ce dispositif est de nature à éviter les abus.
Votre commission des lois propose d'aller plus loin puisqu'elle a adopté le mécanisme suivant :
Lorsque la sureté garantit le financement d'un bien nécessaire à l'activité de l'entreprise, sa charge est transmise au cessionnaire en même temps que le bien. Une telle mesure permettrait aux créanciers titulaires de sûretés d'agir en paiement contre le cessionnaire en cas de non-paiement des échéances à venir. C'est en quelque sorte étendre à toutes les garanties de financement le régime dont bénéficie actuellement le seul nantissement sur outillage et matériel d'équipement.
Cette mesure serait de nature à faire renaître la confiance entre prêteurs et entreprises.
On ne peut toutefois ignorer qu'elle peut comporter le risque de décourager des cessionnaires sérieux.
Mais il est vrai aussi que les effets de cette mesure, seront dans la pratique corrigés par la négociation qui ne manquera pas de s'engager sous la responsabilité de l'administration judiciaire entre le candidat cessionnaire et les créanciers concernés.
Nul n'a, en effet, intérêt à la liquidation. En tout état de cause, si l'article 93 est adopté tel que votre commission vous le soumet, l'article 90-1 ne serait pas maintenu.
Nous réévoquerons cette importante question au cours des débats.