Interviews de M. Gérard Longuet, ministre de l'industrie des postes et télécommunications et du commerce extérieur et président du PR, à France 2 le 20 septembre, dans "Le Figaro" du 30 septembre et "Paris-Match" du 13 octobre 1994, sur les enquêtes menées sur son patrimoine et les finances du PR (construction d'une maison à Saint-Tropez, sociétés Investel et Avenir 55).

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Média : France 2 - Le Figaro - Paris Match

Texte intégral

France 2  : mardi 20 septembre 1994

E. Leenhardt : Vous vous estimez complètement soutenu par le Premier ministre ?

G. Longuet : Monsieur Balladur est un homme qui respecte le droit et qui a le sens de l'humain. Il considère qu'une mise en cause par des violations du secret de l'instruction ne constitue pas, en elle-même, une condamnation quelconque. Je trouve son attitude très digne. Le Premier ministre a trop connu, lorsqu'il était secrétaire général auprès de Monsieur Pompidou, ce type de rumeurs pour savoir l'importance qu'il faut leur donner. Les choses sont très claires : nous travaillons avec ma femme depuis 25 ans. Nous avons fait construire une maison de vacances, une maison de familiale dans le Midi. Je l'ai fait par une entreprise de la Meuse qui n'est pas une petite entreprise. C'est une entreprise de 140 salariés. Je l'ai fait parce que j'ai des liens personnels de confiance. Cette construction, je l'ai payée sur la base du prix – plus élevé d'ailleurs – des constructions du même type dans le même endroit. Ce que je souhaite, c'est de pouvoir le dire très clairement. Or, nous sommes dans une information qui est tronquée, partielle, qui n'est pas contradictoire, ou l'on a entendu qu'un son cloche.

E. Leenhardt : Monsieur R. Van Ruymbeke ne fait pas correctement son travail ?

G. Longuet : Je considère que, comme client, j'ai payé une maison sur le prix du marché ; 20 % plus cher même, car les prestations sont de bonnes qualités. Je suis donc dans une situation de transparence totale. J'ajoute : pourquoi ne pas faire une expertise judiciaire avec plusieurs experts, et non pas par des policiers qui ne sont pas des professionnels et qui n'entendent que quelques avis ? Pour l'anecdote, j'ai fait faire un métré contradictoire dont les enquêteurs ne sont pas souciés, et l'architecte m'a dit : à ce prix-là, je vous en construis tous les jours, même aujourd'hui !

E. Leenhardt : Pourquoi avoir fait venir une entreprise de la Meuse pour construire une maison à Saint-Tropez ?

G. Longuet : Deux raisons : 1. Quand vous construisez un chantier, vous voulez être certain que l'entreprise aille jusqu'au bout. Vous ne voulez pas qu'il y ait un dépôt de bilan et que vous vous retrouviez avec des ardoises. Or j'avais une confiance totale en CEREDA qui est la première entreprise de la Meuse. 2. J'ai étalé les travaux dans le temps. J'ai de l'argent, mais je ne suis pas Crésus. Je l'ai étalé en quatre ans. Les travaux ont commencé en 88 et la maison définitivement finie en 91 avec établissement du certificat de conformité en 92. Donc, l'entreprise travaillait en hivers pour l'essentiel. C'est-à-dire quand en Lorraine, il fait trop froid et qu'il y a des intempéries. C'est un choix personnel, et je dois trop à la Lorraine et à la Meuse pour ne pas renvoyer aux entreprises lorraines lorsque j'ai des investissements à faire. Cela me paraît de bonne politique.

E. Leenhardt : Vous avez l'impression que c'est l'acharnement contre vous ?

G. Longuet : Le juge R. Van Ruymbeke fait son métier, mais je souhaite avoir les mêmes droits que n'importe quel citoyen pour pouvoir, sur mes affaires personnelles, me défendre et répondre. Je n'ai pas l'intention du tout de démissionner. J'ai l'intention d'utiliser, comme je l'ai fait jusqu'à présent, la transparence, la communication. Il y a quelques mois, les mêmes journaux indiquaient que je n'avais pas payé du tout ma maison, du tout ! Aujourd'hui, on dit : oui, il l'a payée, mais elle coûte plus cher. Je leur demande d'accepter une expertise judiciaire, qui dira très clairement que je suis de bonne foi.

E. Leenhardt : Si la Chancellerie décide d'ouvrir une information judiciaire, et qu'éventuellement vous êtes mis en examen, est-ce que, pour ne pas embarrasser le gouvernement, comme l'a fait Monsieur Carignon, vous démissionnerez ?

G. Longuet : Dans cette affaire qui ne concerne en rien mes responsabilités politiques nationales, ni mes responsabilités politiques régionales, ni mon engagement de ministre, je considère que cela n'a strictement rien à voir. La Chancellerie prendra ses responsabilités comme elle l'entend, mais je ne me sens absolument pas mis en cause dans les fonctions que j'exerce et que j'ai l'intention d'exercer.

E. Leenhardt : Si Monsieur Balladur vous demande de démissionner si une information judiciaire est ouverte, vous le ferez ?

G. Longuet : Une information judiciaire n'est pas une condamnation. Ce que je demande c'est d'avoir le droit à la réponse. Il est extraordinaire que l'on puisse prendre à parti un homme, à travers des fuites d'instruction qui sont délibérément adressées à tel ou tel journaliste ! C'est la fax-connexion ! Vous n'avez pas le droit de vous exprimer, d'apporter vos réponses. R. Céréda, qui est vraiment un brave homme, n'a même pas eu le droit s'exprimer. Lorsqu'il a été convoqué à la police judiciaire, on ne lui a pas demandé d'amener sa comptabilité ou ses résultats. Et l'on voudrait que, sur cette information unilatérale, non-contradictoire, diffusée par la presse en contradiction avec toutes les lois sur le secret de l'instruction, qu'un homme politique qui a des responsabilités que je tiens du peuple lorrain, du peuple meusien, on voudrait que je parte ! Mais il n'en est pas question ! Monsieur R. Van Ruymberke est un magistrat que je respecte, il fait son métier. Mais je m'en tiens aux formes du droit.


Le Figaro : 30 septembre 1994

Le Figaro : Le garde des Sceaux vient de préciser que, « sauf élément nouveau », une information judiciaire sera ouverte contre vous fin octobre. Comment vivez-vous cette situation ?

Gérard Longuet : La semaine dernière, vous auriez trouvé un homme en colère, blessé par l'injustice et les attaques incessantes dont il est l'objet. C'est vrai que cette affaire est dure à vivre, surtout pour ma famille, mais j'ai obtenu de pouvoir me défendre. II est vrai que je n'ai qu'un délai très bref. Mais je vais pouvoir démontrer ma bonne foi et mon honnêteté. Tous mes revenus s‘expliquent ; tous mes revenus ont été déclarés en temps voulu. Pour le prouver, j'ai fait expertiser tous nos comptes personnels par un grand cabinet d'expertise-comptable qui les a certifiés (le cabinet De Calan). Cette analyse, je la mets à la disposition de la justice. Elle montre en particulier que nos revenus permettaient de faire construire la maison de Saint-Tropez.

Le Figaro : Confirmez-vous que vous démissionnerez du gouvernement si une information judiciaire est ouverte ?

Gérard Longuet : S'il le faut et par respect et solidarité pour Édouard Balladur, j'appliquerai la règle que le Premier ministre a fixée à la formation du gouvernement. Mais je ne voulais pas être exécuté par un article de presse constituant un délit de violation du secret de l'instruction.

Le Figaro : Bernard Tapie dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy, puis Alain Carignon dans celui d'Édouard Balladur avaient, eux, démissionné avant d'être mis en examen. Pourquoi n'avez-vous pas adopté cette attitude ?

Gérard Longuet : Aujourd'hui, certains voudraient que les hommes publics soient condamnés avant même qu'une information judiciaire soit ouverte. C'est ainsi. Pourtant, on cesse d'être innocent seulement lorsqu'on est condamné. Si j'avais démissionné après la publication des rapports du juge, l'affaire s'arrêtait là. Mais on condamnait ainsi un homme sans jugement. Par le biais de la violation répétée du secret de l'instruction. C'est inadmissible. J'avais et j'ai encore le droit de me défendre. J'ai donc préféré me battre pour obtenir un examen contradictoire, à savoir une extension de l'enquête préliminaire et une expertise concernant ma villa de Saint-Tropez. Je vais mettre à profit ce laps de temps très court, un mois, pour montrer ou est la vérité. Je ne regrette pas cette attitude. Je pense que ma bonne foi sera établie dans les semaines à venir, même si la procédure en cours doit se poursuivre.

Le Figaro : Avez-vous été choqué par les voix, nombreuses au sein même de la majorité, qui ont critiqué ce sursis accordé par le garde des Sceaux et exigé l'ouverture immédiate d'une information judiciaire ?

Gérard Longuet : En me comportant de la sorte, j'ai conscience d'avoir focalisé les tensions entre le judiciaire et l'exécutif. Je pose donc un problème de fond, d'où les multiples réactions venues de tous les bords. Mais je vous avoue que je vis ces réactions avec un certain recul et un peu de mépris devant certaines petites lâchetés. Je pose une seule question : pourquoi un homme public serait-il privé du traitement qu'on applique généralement à tous les citoyens ? Peu s'étonnent qu'on ne me condamne. La décision d'une information judiciaire dans le contexte médiatique actuel est en effet bien une condamnation – sans même me donner une possibilité de défense.

Le Figaro : Vous parlez de recul : tout de même, ce dossier a dû être l'occasion de compter vos amis…

Gérard Longuet : Oui, c'est vrai, et ils sont nombreux. Le premier ministre, Édouard Balladur, est exemplaire. Il mesure que, si l'instruction doit aller à son terme, le droit de la personne n'est pas sans importance. En me serrant la main mercredi, en sortant du Conseil des ministres, il ne m'a pas seulement apporté un soutien personnel, mais il a aussi rappelé le principe de la présomption d'innocence. Quant à ceux qui me montrent du doigt, je rappelle que ce qui m'arrive aujourd'hui peut arriver à tous les hommes publics. Il n'y en a pas un qui, confronté à la volonté d'un juge d'instruction de mettre en cause tel ou tel aspect de sa vie professionnelle ou personnelle, pourrait résister au déferlement médiatique entretenu par les violations systématiques du secret de l'instruction.

Le Figaro : Le contexte politique actuel, à savoir la préparation de l'élection présidentielle, n‘a-t-il pas pesé sur le déroulement de l'affaire ?

Gérard Longuet : C'est évident. Il y a ceux qui veulent attaquer le gouvernement mais aussi d'autres qui veulent déstabiliser la démocratie sur le thème « tous pourris ». Mais sont-ils eux-mêmes des modèles de droiture ?

Le Figaro : Pensez-vous à Philippe de Villiers qui a claqué la porte du Parti républicain et a eu des mots très durs à votre endroit ?

Gérard Longuet : Notamment. Mais, très souvent, ceux qui ont dit des choses dures ne sont pas des ennemis. Je pense à Jean-Louis Debré, ou encore à Pierre Mazeaud pour qui j'ai beaucoup d'estime. Je crois simplement qu'ils se trompent sur les droits de la personne qui méritent que l'on s'y arrête un peu.

Le Figaro : À propos de la procédure dont vous faites l'objet, continuez-vous à contester avec la même vigueur les faits relevés par la justice ?

Gérard Longuet : Oui. Après des mois de travail, le juge Van Ruymbeke n'a pu établir le moindre lien entre la « commission Trager », point de départ de son enquête, et le Parti républicain. En revanche, il s'en est servi comme d'un tremplin pour examiner le financement du Parti républicain, les dons reçus avant la loi sur le financement public des partis politiques, l‘achat des bureaux rue de Constantine et jusqu'aux travaux effectués dans ma villa de Saint-Tropez.

Le Figaro : Prenons l'exemple de votre société Avenir 55. Le juge s'interroge sur un contrat signé avec la Cogedim, dont le président Michel Mauer a été mis hier en examen pour trafic d'influence aggravé par le juge Van Ruymbeke (lire ci-dessous), et des liens étroits que vous avez entretenu avec ce groupe…

Gérard Longuet : La Cogedim avait un besoin précis et j'avais une compétence : cette société était en effet sollicitée pour des investissements avec notamment un aspect technologique qui n'était pas en l'occurrence un simple prétexte. Le conseil général des Hauts-de-Seine, par exemple, voulait lancer un « téléport des boucles de la Seine » … J'ai travaillé en 1989 et 1990 sur les projets de la Cogedim dans le cadre de ce téléport et, notamment, sur le concept d'immeuble intelligent. J'ai fourni un vrai travail, qui justifiait une rémunération.

Pour comprendre les raisons de cette activité de conseil que j'ai menée de 1988 à 1990, il faut se replacer en juillet 1988. Je me suis retrouvé à 42 ans député de la Meuse, dans l'opposition, avec la certitude de n'avoir aucune responsabilité nationale dans les cinq ans à venir. J'ai fait alors le choix, à côté de mon mandat parlementaire, de créer une entreprise. Cette aventure personnelle, je l'ai naturellement conduite avec ceux que je connaissais. Cette activité professionnelle ne m'a pas rapporté plus qu'un mandat politique supplémentaire que j'aurais pu solliciter.

J'ajoute que, si j'ai choisi la Cogedim, c'est qu'elle fut la première à me proposer de travailler et je ne pouvais pas prendre d'autre engagement. Bien d'autres propositions m'ont été faites par la suite.

Le Figaro : Parlons des soupçons qui pèsent sur le financement de votre villa de Saint-Tropez. Pourquoi avez-vous choisi un entrepreneur lorrain pour conduire les travaux ?

Gérard Longuet : Tous les Lorrains le font ! Quand vous ne pouvez pas suivre personnellement un chantier, vous avez intérêt à avoir confiance et dans l'architecte et dans l'entrepreneur. J'ai donc choisi un architecte et un entrepreneur en qui j'avais totalement confiance. Je ne voulais pas me retrouver avec des interruptions de chantier ou des litiges. J'ai donc pris une entreprise de la Meuse dont je connaissais le patron, René Céréda, qui est président de la Fédération départementale du bâtiment. M. Céréda travaille d'ailleurs dans toute la France, notamment en région parisienne. Pour lui, gérer un chantier dans le Midi pendant les mois d'hiver ne représentait pas une contrainte particulière.

Le Figaro : Cela ne devait-il pas coûter plus cher au client ?

Gérard Longuet : Non, car Céréda soustraite un certain nombre de postes à des entreprises du Midi. J'ajoute que je dois ma position politique à la Meuse. Pouvoir faire travailler une entreprise et des salariés lorrains me paraît bien naturel. Enfin, j‘affirme que je n'ai pas signé un marché public en Meuse depuis 1984. Je n'ai aucune responsabilité dans l'exécutif du département. Quelles contreparties aurais-je donc pu promettre, voire allouer à Céréda, comme le juge le prétend ?

Le Figaro : Soit. Mais lorsque vous avez discuté du forfait, n'avez-vous pas eu l'impression que votre entrepreneur vous faisait un cadeau ?

Gérard Longuet : Nous sommes d'abord convenu d'un prix de base à partir d'un devis portant sur un projet simplifié. Il fallait lancer les travaux rapidement, sous peine de devoir attendre l'hiver suivant. Ce devis signé en janvier 1989 s'élevait à 1,5 million de francs. Il a été complété par deux avenants. D'environ 500 000 francs chacun – en juillet et octobre 1990 – pour tenir compte des suppléments que nous souhaitions. Pour être tout à fait complet, deux points supplémentaires : certains travaux sur mon terrain ont été payés à Céréda par mon beau-frère, car il en est le bénéficiaire. D'autres travaux, comme la peinture extérieure, n'ont pas été réalisés par Céréda et je les ai réglés directement aux fournisseurs. La facture totale – terrain (1,05 million de francs), architecte, travaux – est de l'ordre de 4,5 millions. Avec mon appartement parisien, c'est mon seul placement. Je n'ai ni titres ni actions. Les seuls biens que j'ai sont des biens immobiliers.

Le Figaro : Quelle leçon tirez-vous de cette affaire ?

Gérard Longuet : Une réflexion : un citoyen, parce qu'il est un homme politique, doit-il passer plus de temps à expliquer sa vie qu'à la vivre ?

Le PR a annoncé hier qu'il déposait plainte pour violation du secret de l'instruction et qu'il « se portait partie civile dans l'instruction ouverte à Rennes à l'encontre de René Trager ». Le PR a pour conseils M. Georges Flécheux, ancien bâtonnier de Paris, et André Soulier.


Paris Match : 13 octobre 1994

Paris Match : Comment supportez-vous les attaques dont vous êtes l'objet et surtout l'ensemble des procédures judiciaires qui vous vise ?

Gérard Longuet : Toutes les demandes d'explications sont légitimes. En revanche, la mise sur la place publique de la totalité de ma vie privée est insupportable. Pour ma femme, mes enfants et nos parents. Je suis capable d'assumer seul ce que je fais. Mais ce n'est pas à mes proches de supporter hypermédiatisation de ces attaques. Tout cela est sans commune mesure avec la réalité des faits.

Paris Match : À Vittel, tous vos amis du PR et de l'UDF vous ont soutenu en vous acclamant, alors qu'une information judiciaire risque d'être ouverte bientôt contre vous. Cela vous a-t-il réconforté ?

Gérard Longuet : Cela m'a fait chaud au cœur. Au PR mes amis me connaissent depuis vingt ans. Ils savent que je suis fidèle en amitié et généreux avec ceux qui traversent des épreuves. À Vittel, ils m'ont rendu mon amitié.

Paris Match : Même Édouard Balladur, souvent prudent, vous a aidé…

Gérard Longuet : Le Premier ministre est un homme de cœur et de raison qui déteste les excès. Il considère que la rigueur de la règle qu'il impose à ses ministres a pour contrepartie de leur donner le droit de se défendre quand ils sont attaqués. Et puis, chacun constate la disproportion manifeste entre les faits reprochés – trois pages d'une commission rogatoire analysant des factures de plomberie et des heures de travail – et la tension politique majeure que l'on voulait créer.

Paris Match : À propos des actuelles procédures judiciaires, continuez-vous à contester tous les faits révélés par les différentes enquêtes ?

Gérard Longuet : Aucun fait n'a été révélé. Il n'y a que des insinuations. Elles sont dans la presse par des violations répétées du secret de l'instruction d'un magistrat. Le Parti républicain n'a rien à voir avec l'affaire Trager, et Trager lui-même a déclaré à RTL qu'il n'a jamais impliqué le PR… Le reste est à l'avenant.

Paris Match : Parlons d'abord de votre maison de Saint-Tropez. Pouvez-vous affirmer réellement qu'elle est surévaluée par le juge par rapport au prix que vous l'avez payée ? Décrivez-la-nous.

Gérard Longuet : C'est une belle maison, mais la plupart des photos et des reportages télévisés se sont trompés de maison. Mon terrain n'est pas au bord de la mer, mais au bord de la route (la route des Salins). Une route plutôt bruyante en été. Il n'y a pas non plus de piscine dans mon jardin, c'est celle de mon voisin. Il y a trois chambres d'enfants, deux chambres de parents et un grand salon, soit six pièces. Nous avons quatre filles, qui viennent souvent avec des amis. Le mobilier est simple. Le terrain fait 2 000 mètres carrés. Je l'ai payé 1 050 000 francs, ce qui est le prix habituel pour un terrain de ce type.

Paris Match : L'instruction avance que le prix de la maison a été sous-évalué fortement. Il y aurait une différence de prix de 1 500 000 francs, ce qui laisserait penser qu'il y a eu des versements en liquide. Qu'en est-il ?

Gérard Longuet : Le litige avec le SRPJ de Nancy porte sur le coût de la construction. C'est une différence entre la somme que j'ai réglée et les dépenses de l'entrepreneur. Mais l'entrepreneur conteste formellement cet écart en faisant valoir que la masse salariale a été exagérée par le SRPJ de 400 000 francs et que certains retours de chantiers ainsi que des erreurs n'ont pas été pris en compte. J'ajoute ceci : l'entrepreneur est en conflit avec un de ses sous-traitants dont le devis a plus que triplé entre le début et la fin des travaux. Ce litige entre mon entrepreneur et son sous-traitant n'est pas mon affaire. Ce que je sais, c'est que j'ai payé en tout plus de 4 millions de francs une maison qui n'est pas luxueuse, sans piscine et sans climatisation. La construction elle-même m'a coûté près de 3 millions de francs, dont 2,6 millions pour l'entreprise générale. Je suis dans la norme de ce type de construction en Provence.

Paris Match : Pourquoi alors avoir commencé à payer votre maison après que l'enquête fiscale sur l'entrepreneur Céréda eut débuté ?

Gérard Longuet : C'est faux. L'enquête fiscale démarre en février 1990. Or, dès janvier 1989, j'avais déposé un permis de construire, payé les honoraires d'architecte, signé le devis de l'entrepreneur et versé un acompte de 10 %. En revanche, il est vrai que j'ai pris un certain retard pour les règlements suivants : faute de moyens ! Ce qui est sûr, j'ai réglé la moitié du devis de base pendant l'été 1990 et la totalité des dépenses fin 1991.

Paris Match : Mais alors, vous rouliez à ce moment-là sur l'or ?

Gérard Longuet : Mais non, l'analyse de tous nos comptes qu'a réalisée à notre demande un des plus grands cabinets d'experts-comptables démontre que, du 1er janvier 1988 au 31 décembre 1993, les revenus de ma femme, qui est avocate, sont pratiquement équivalents aux miens. Mes revenus proviennent pour l'essentiel de mes mandats électoraux et de mes fonctions politiques. Mes activités de conseil – celles qui me sont reprochées aujourd'hui – ont représenté, sur cette période, moins de 15 % de nos revenus totaux, dont la moitié seulement au titre de la Cogedim. J'ajoute que, comme responsable du PR, je n'ai jamais touché de rémunération. Et qu'après 1990, lorsque j'ai été élu président du PR, j'ai mis fin à toutes mes activités privées.

Paris Match :  Selon les enquêteurs, Investel et Avenir 55, les deux sociétés que vous avez créées, ont effectué plusieurs versements pour payer votre maison aussitôt après que la Cogedim et la Générale des eaux vous eurent versé de l'argent pour vos conseils. La simultanéité de ces versements avec des encaissements est tout de même troublante.

Gérard Longuet : C'est faux. Nous avons payé cette maison directement sur nos revenus après impôts et le reste par emprunts. Et entièrement par chèques. Aucune entreprise, à aucun moment, n'a versé la moindre somme pour payer la construction de notre maison. Comme je vous l'ai dit, j'étais plutôt en retard dans mes règlements et chaque fois qu'une rentrée intervenait, elle me servait naturellement à rattraper ce retard. Je rappelle que tous nos revenus ont été déclarés, ont supporté l'impôt et que toutes nos dépenses immobilières ont été réglées par chèques.

Paris Match : Quel est le lien entre Avenir 55 et Investel ?

Gérard Longuet : Avenir 55 est une société unipersonnelle dont la vocation essentielle est le conseil. Investel, en revanche, est une société anonyme avec des actionnaires importants, par exemple des banques et des sociétés d'assurances. Investel a cherché à réaliser de nombreuses opérations de fusions-acquisitions. Elle n'en a réussi qu'une seule : la prise de contrôle de Radio Nostalgie, qui, peu après, a connu des résultats remarquables. C'est ma fierté d'avoir détecté les potentialités de cette entreprise et d'avoir participé à son développement. Son chiffre d'affaires a triplé et elle est passée d'une situation de perte a une situation bénéficiaire. J'ai beaucoup travaillé sur ce dossier et lorsque j'ai revendu ma participation en février 1991, j'ai bénéficié de cette amélioration de la situation de l'entreprise.

Quant à la Cogedim, c'est la première à m'avoir fait confiance lorsque j'ai contacté plusieurs sociétés en 1988 pour leur offrir mes services de conseil. J'ai effectué pour elle plusieurs études sur des sujets techniques que je connaissais bien et j'ai aussi contribué à l'avancement de plusieurs projets. Ces activités de conseil, exercées de 1988 à 1990, m'ont rapporté environ 20 000 francs brut par mois avant impôt. Si l'argent avait été ma seule préoccupation, j'aurais demandé un salaire au titre du Parti républicain ou j'aurais pu briguer un poste de vice-président du conseil général de la Meuse. Je n'y aurais pas perdu. J'ajoute que si j'ai accepté tous ces contrats, c'est parce que je n'avais aucune responsabilité d'élu local sur l'attribution de marchés publics ou de permis de construire et qu'il ne pouvait y avoir ni confusion ni contrepartie.

Paris Match : Et le siège du Parti républicain ? Selon l'enquête, il apparaîtrait que près de 28 millions de francs auraient été déposés entre 1987 et 1991 sur les comptes du PR Certains se demandent s'il ne s‘agit pas d'une « véritable caisse noire » du PR, qui n‘aurait rien à voir avec des dons d'entreprises ou de militants.

Gérard Longuet : Il est évident que le PR a bénéficié, avant la loi de 1990 sur le financement des partis politiques, du soutien de très nombreuses entreprises. Comme les autres partis. Et pour financer ses activités politiques ! Je mets au défi les autres formations politiques de prétendre qu'avant cette loi de 1990 ils n'ont pas reçu de soutiens de cette nature. Je rappelle que durant cette période, de 1988 à 1990. Il a fallu financer une élection présidentielle, une élection législative, une élection municipale et une élection européenne ! Il a fallu aider des candidats qui n'étaient pas connus ou qui avaient peu de chance d'être élus, et qui donc avaient du mal à mobiliser les ressources nécessaires à une campagne électorale. J'ajoute enfin que ces faits sont, par la loi, amnistiés et prescrits. Car il s'agit du passé et, depuis, ces pratiques ont disparu, au moins au Parti républicain.

Paris Match : Est-il exact que, depuis la loi de 1990, certaines méthodes occultes de financement du P.R. ont continué ?

Gérard Longuet : Non, je suis catégorique. Ces pratiques ont disparu depuis que la loi est effectivement en place. Car cette loi est un progrès considérable.

Paris Match : Le Groupement des régies (GRR) dirigé par Jean-Pierre Thomas faisait peu de véritables prestations et pourtant avait un chiffre d'affaires de 12 à 15 millions de francs. Était-il « la pompe à finances » du PR ?

Gérard Longuet : GRR a fonctionné comme une régie publicitaire normale. Avec deux activités : proposer les surfaces commerciales des nombreux journaux de notre organisation politique, mais également acheter des espaces publicitaires dans la grande presse nationale. Toutes tendances confondues. Pour des annonceurs qui souhaitaient traiter avec cette régie publicitaire.

Paris Match : Pourquoi avez-vous acheté le siège du Parti républicain au nom d'une société civile et immobilière (SCI) en nom propre, Léotard, Madelin, Thomas et vous-même ? Pourquoi pas au nom du PR ?

Gérard Longuet : Nos « banquiers », les sociétés qui nous faisaient crédit, voulaient avoir comme interlocuteurs des personnes physiques, capables de répondre des dettes. Et pas une association de 1901 sans patrimoine, ni grandes ressources. C'est pour cela que les dirigeants du PR ont accepté cette formule qui permettait de donner leur caution et de surveiller la gestion de ces dettes. Ces parts de SCI, ont toujours eu une valeur négative. Elles n'ont donc rien apporté à aucun d'entre nous. Et, quand nous sommes arrivés au terme de la location-bail, ces parts ont été revendues pour un franc symbolique au PR, qui en est devenu pleinement propriétaire. Mais tout cela est public, tout le monde était au courant. Toutes les instances du part. Il n'y avait aucune ambiguïté sur la propriété de ces locaux, qui sont ceux du PR.

Paris Match :  Pourquoi cette SCI a justement modifié ses statuts aussitôt après le début de l'enquête ?

Gérard Longuet : Cela n'a rien à voir. C'était le terme de la location-bail.

Paris Match :  Vous estimez donc être victime d'une sorte de mise à mort injuste ?

Gérard Longuet : Aujourd'hui, la justice veut à tout prix affirmer son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique, ce qui est – en soi – honorable. Malheureusement, dans toute mon affaire, un magistrat a choisi une cible. Or il est un principe de droit : si un justiciable ne peut pas choisir son « juge » un juge ne peut pas choisir « son » justiciable. Il n'y a aucun lien entre la commission perçue par Trager et le PR. Il n'y a aucun lien entre Trager et moi-même. Depuis dix-huit mois, un juge recherche une somme en liquide de 4,4 millions versée en février 1988. Il n‘en a retrouvé aucune trace, ni au PR ni dans mes comptes personnels.

Paris Match : Croyez-vous donc être un bouc émissaire ?

Gérard Longuet : Je constate qu'aucune déviation de la procédure, qu'aucune violation du secret de l'instruction – et elles ont pourtant été systématiques – n'ont été combattues. Comme si nous avions vocation à jouer, en effet, les boucs émissaires – ou les paratonnerres – pour d'autres.

Paris Match : Et dans votre cœur et votre tête, comment vous sentez-vous ?

Gérard Longuet : Si c'était cela la vie politique, si je devais passer plus de temps à justifier ma vie qu'a la vivre, je préférerais faire autre chose. Mais j'ai une autre conception de la vie politique. Je crois en la justice et je sais que ma bonne foi sera établie, que mon honnêteté sera reconnue. Jusqu'au bout, je me battrai pour faire respecter mon honneur.