Texte intégral
La politique sociale du gouvernement se réduit pour l’essentiel à une communication frénétique sur les 35 heures et à la création au forceps de nouveaux emplois publics. Des réformes structurelles importantes sont sans cesse annoncées, mais jamais engagées.
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 en fournit une nouvelle illustration.
Seul le pari d’une forte croissance économique l’année prochaine permet d’envisager le retour à l’équilibre des comptes sociaux qui ont déjà bénéficié de l’amélioration de la conjoncture en 1998.
Satisfait de ce résultat dont rien n’assure la pérennité, le gouvernement choisit l’immobilisme. Les charges sociales sur les bas salaires ne sont pas allégées ; l’avenir des retraites n’est pas sérieusement préparé.
De nouveaux efforts seront demandés aux familles, qui contribueront encore davantage au financement du régime général de la Sécurité sociale, et aux professionnels de la santé, qui seront sous la menace de dispositifs arbitraires et contraignants.
1. Le pari de la croissance
Le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999 retient les mêmes hypothèses optimistes que celles choisies pour le budget de l’État. La croissance du PIB est attendue à 2,7 % l’année prochaine, et la masse salariale, sur laquelle se trouve indexée la majeure partie des recettes du régime général, progresserait de 4,3 %.
Ayant tiré grand profit de la croissance en 1998, le gouvernement s’est satisfait d’objectifs modestes atteints sans effort.
Cette année, l’amélioration de la conjoncture aura ainsi apporté plus de 40 milliards de recettes nouvelles pour les comptes sociaux, permettant même de dépasser de 3 milliards les prévisions retenues à l’automne dernier.
Le gouvernement escompte une évolution aussi favorable en 1999, et communique sans complexe sur le redressement des soldes financiers. Comme il y a dix ans, l’amélioration des comptes publics et sociaux provient très largement de la croissance.
Ainsi, l’équilibre du régime général qui est promis en 1999, pour la première fois depuis 1989 et dans un contexte économique similaire, signifie que seulement 13 milliards des recettes de la croissance seront utilisés pour assainir les comptes de la Sécurité sociale.
Cela correspond à un effort inférieur au tiers des marges disponibles. Martine Aubry sera donc aussi prodigue que Dominique Strauss-Kahn en 1999, les dépenses sociales progressant sensiblement plus vite que l’inflation.
Dans cette logique, l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) est fixé à + 2,6 %, soit une croissance de 1,4 % en volume.
Le pari d’une croissance robuste en 1999 masque finalement l’absence totale d’un redressement structurel de la Sécurité sociale.
Pourtant, le très mauvais chiffre du chômage au mois d’août (+ 33 000), la consommation des ménages en baisse de 2,9 % le même mois, le ralentissement de 0,4 % de la production industrielle en juin ou encore les plus mauvais résultats de l’enquête industrie de l’INSEE depuis le début de l’année auraient dû inciter à davantage de prudence.
2. Des mesures dérisoires
Cette absence de précaution vient finalement compenser une absence de courage politique. Pour l’essentiel, la gestion sociale du gouvernement se traduit en effet par des abandons et des reculs.
Le projet d’assurance maladie universelle est ainsi oublié au profit d’une couverture maladie universelle qui est loin d’avoir les mêmes ambitions. Rien n’est entrepris pour les hôpitaux publics. Au contraire, l’évaluation et l’accréditation qui devaient être organisées par l’ANAES sont abandonnées dans les faits.
La réforme des cotisations sociales, et notamment des charges pesant sur les bas salaires, est également reportée après avoir été promise à grands renforts de communication. Le gouvernement se maintient donc en deçà de la situation qu’il avait trouvée, après avoir restreint en 1997 le dispositif existant d’allégement des charges.
L’organisation de réseaux et de filières de soins est seulement mentionnée dans le projet de loi, mais n’a pas de réel contenu.
Les mesures qui figurent dans le projet Aubry sont bien souvent dérisoires. C’est le cas du droit de remplacement des médicaments par leurs équivalents génériques accordé aux pharmaciens, qui ne peut tenir lieu d’une réelle politique de maîtrise de la consommation de ces produits.
C’est surtout vrai du « fonds de réserve » qui devrait soutenir les régimes de retraite par répartition. La publicité faite à ce projet relève de l’indécence si l’on compare sa vacuité à la gravité du problème de financement des retraites dans notre pays.
3. Des sanctions arbitraires
La politique sociale du gouvernement consiste à faire reposer sur certaines catégories de la population tout le poids des efforts à consentir.
Les familles sont les plus pénalisées, avec un surcroît de prélèvements d’environ 6 milliards en 1998, pérennisé en 1999. La branche famille du régime général de la Sécurité sociale devrait dégager un excédent de plus de 4 milliards l’année prochaine.
Dans le même temps, les allocations familiales sont sévèrement encadrées puisque leur revalorisation sera de 0,7 % au 1er janvier, soit une perte de 0,5 point de pouvoir d’achat. Le gouvernement fait au moins preuve de cohérence dans sa politique familiale.
Les retraites seront indexées sur les prix en 1999, gelant ainsi le pouvoir d’achat des pensions, à défaut de toute autre réflexion d’ensemble sur le sujet.
La branche des accidents du travail, pourtant fortement excédentaire en 1998 et 1999, enregistrera un supplément de recettes du fait d’une revalorisation de 2,2 % des cotisations qui contribuent à son financement. Le principe de la responsabilité individuelle est abandonné au bénéfice d’une logique de pénalités collectives proportionnelles aux revenus, qu’il s’agisse des praticiens ou des laboratoires pharmaceutiques.
Mais surtout, le gouvernement choisit le système de la lettre-clé flottante, en se permettant de baisser unilatéralement les tarifs des actes médicaux en cours d’année. Les médecins ne pourront plus, par ailleurs bénéficier d’une « seconde chance » lorsqu’ils auront dépassé les objectifs assignés : les sanctions seront immédiates.
Enfin, et ce n’est pas le moins choquant, le gouvernement utilise la Sécurité sociale pour financer ses projets les plus discutables. Ainsi, au mépris du principe fondamental de compensation intégrale des exonérations, le coût des 35 heures sera supporté pour un tiers par les caisses de la Sécurité sociale. C’est sûrement, pour le gouvernement, la meilleure façon de préserver l’avenir de notre système de protection sociale.