Interviews de M. Marc Blondel, secrétaire général de FO, à Europe 1 le 20 août et dans "Le Progrès" le 25 septembre 1998, sur les accords de réduction du temps de travail dans l'industrie sucrière et la métallurgie et sur la gestion de la Sécurité sociale.

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Média : Europe 1 - La Tribune Le Progrès - Le Progrès

Texte intégral

Europe 1 - 20 août 1998

Vous êtes encore sur votre lieu de vacances mais ça sent la fin pour vous aussi puisqu’hier, vous avez pris à parti Martine Aubry au sujet de cet accord sur les 35 heures dans l’industrie sucrière, qu’est-ce que vous lui reprochez à cet accord ?

M. Blondel
« Ecoutez, je n’ai pas pris Martine Aubry plus particulièrement. J’ai voulu noter les faits tout simplement, j’ai voulu noter que Mme Aubry avait qualifié d’accord virtuel ce que nous avions négocié dans la métallurgie et considéré l’accord qui a été conclu ces derniers temps dans les sucreries comme étant un accord modèle. Or les deux observations qu’elle a faites, c’est notamment que ça ne créait pas d’emploi. Or c’est vrai, compte tenu des dispositions de la métallurgie, ça ne crée pas automatiquement des emplois, et c’est vrai aussi pour l’accord de la sucrerie. Alors elle ne peut pas dire d’un côté qu’un accord est bon et l’autre mauvais si l’objectif qu’elle s’est fixé n’est pas atteint. »

Europe 1
Sauf que si vous regardez bien, vous voyez que dans la métallurgie, il y a un recours massif aux heures supplémentaires, ce qui n’est pas le cas…

M. Blondel
« Pardonnez-moi, je ne peux pas vous laisser dire ça. Ce que je peux vous laisser dire, c’est que dans la métallurgie, il y a eu volonté des patrons d’obtenir le droit de faire effectuer des heures supplémentaires. Ce qui n’est pas des heures supplémentaires. Du fait que nous passons de 94 à 180 heures et pendant ces 180 heures d’heures supplémentaires, les patrons n’auront pas à demander l’autorisation de faire des heures supplémentaires. Cela n’est pas l’obligation de faire des heures supplémentaires, c’est… »

Europe 1
Mais ils aiment bien cela, les heures supplémentaires, ils préfèrent cela plutôt que de devoir embaucher forcément, donc…

M. Blondel
« Est-ce que, lorsque nous avons par exemple une commande d’Airbus à l’Aérospatiale, il y a possibilité d’embaucher immédiatement pour créer des emplois pour satisfaire la commande ou faut-il faire faire des heures supplémentaires parce que le marché le permet ? Est-ce que l’on va se féliciter maintenant lorsqu’on va faire du chômage partiel ? Il ne faut pas marcher à contre-courant. Il faut au moins qu’il y ait dans ce pays une certaine croissance, un certain développement. Alors il y a des professions dans lesquelles c’est possible de provoquer l’embauche. Moi, je l’ai dit dès qu’on a négocié, les 35 heures. J’ai dit que c’était une revendication sociale, qu’il fallait réduire la durée du travail mais que je ne croyais pas à la création automatique de postes de travail supplémentaires. Je ne crois toujours pas à la création automatique, parce que vous aurez toujours des patrons qui se poseront la question de savoir, s’il faut mieux investir dans des équipements pour avoir une meilleure productivité ou s’il faut embaucher. Le seul moyen de résoudre ce problème, cela serait d’être au régime socialiste et qu’on dise aux patrons, vous êtes obligés d’embaucher. Et cela, ce n’est pas possible. »

Europe 1
Est-ce qu’au moins M. Aubry a raison de dire qu’il y a, semble-t-il, dans cet accord la possibilité de sauver des emplois qui sont menacés dans cette branche ?

M. Blondel
« Ecoutez, permettez-moi de vous dire que si l’objectif des 35 heures c’est de sauver des emplois, je commence là à m’interroger bougrement. »

Europe 1
Faute de pouvoir en créer, c’est déjà ça ?

M. Blondel
« Mais écoutez, qui vous fait dire que dans la métallurgie, ce n’est pas pour créer des emplois alors ? »

Europe 1
Mais quelle est au juste votre idée des 35 heures ?

M. Blondel
« Mon idée des 35 heures, c’est tout simplement… »

Europe 1
Pas de perte de salaire.

M. Blondel
« Absolument. Parce que sinon, ce sont les salariés qui paient les embauches. Et cela, je ne suis pas d’accord. C’est clair, et je l’ai d’ailleurs dit à M. Aubry avant que la loi soit adoptée. Je ne vois pas comment nous pourrions accepter, notamment s’il y a des participations pour création d’embauche ; vous savez qu’il y a une possibilité d’obtenir une indemnité de l’ordre de 9 000 francs par poste s’il y a création d’embauche. Et bien j’ai dit, cela devrait être conditionné au fait que les salariés ne doivent pas être réduits. Bon, elle n’a pas tenu compte de ma position, peu importe. Mais ceci étant, dans les faits, cela correspond, je dirais, à la réalité des entreprises. »

Europe 1
Mais est-ce que c’est juste pour vous que, lorsque l’emploi est menacé, que certains salariés travaillent plus, pour gagner plus évidemment, au lieu de sauver l’emploi en le répartissant mieux ?

M. Blondel
« Moi, j’ai demandé au patronat en 1995 que l’on discute justement des heures supplémentaires et que l’on prenne un accord global pour essayer de les réduire. Je n’ai pas eu de succès, je l’ai rappelé d’ailleurs le 10 octobre quand nous avons discuté en conférence pendant toute la journée à Matignon et j’ai demandé que l’on prenne les heures supplémentaires. Alors je vais vous dire d’ailleurs au passage – et vous êtes le premier à qui je dirais ce genre de chose - … »

Europe 1
Merci.

M. Blondel
« Moi, je n’exclus pas que l’on taxe les heures supplémentaires d’une manière supplémentaire, de manière par exemple à financer les retraites où nous allons avoir des problèmes bientôt. Je n’exclus pas une formule de ce genre. Je n’encourage pas aux heures supplémentaires, mais ce que je sais, c’est que dans la réalité ça n’est pas aussi simple que nous le disons… »

Europe 1
Quand vous dites, je n’exclus pas, vous dites que vous êtes éventuellement en faveur de cette solution ?

M. Blondel
« Cela veut dire que je vais revendiquer cela. Cela veut dire que je vais demander au ministère d’étudier la question et que je vais moi-même faire des calculs pour voir ce que cela pourrait donner. Nous allons avoir de gros problèmes de ressources en ce qui concerne les retraites. Cela serait peut-être un moyen d’essayer, en taxant un peu plus les heures supplémentaires, de financer les retraites. Et permettez-moi une observation qui est technique mais qui permet de mieux comprendre le sujet. Un accord professionnel sur le plan national, par branche, ne peut pas créer d’emploi. Vous n’allez quand même pas dans la métallurgie dire, il y a 1,8 millions salariés, on va créer 200 000 emplois, qui va les créer ? On va en affecter 200 chez Renault, 300 chez Peugeot, 500 à l’Aérospatiale, ce n’est pas possible. »

Europe 1
Il y a des négociations ensuite dans les entreprises.

M. Blondel
« Et bien c’est très exactement ce qui va se passer, à la fois pour les deux accords : à la fois pour l’accord de la métallurgie et à la fois pour l’accord des sucreries. Donc je ne comprends pas que Mme Aubry choisisse en quelque sorte l’un des deux accords pour le valoriser par rapport aux autres, à moins qu’elle veuille interférer dans le débat qui est le débat de négociation entre les organisations syndicales et le patronat. »

Europe 1
Elargissons un peu, après il faudra dire quand même un mot de la Sécu. Parce que je vois que FO a réussi à suspendre un accord chez Vivendi en Bretagne pour des raisons juridiques, au motif que le comité d’établissement n’avait pas été consulté. Est-ce que vous menez une bataille de fond contre les accords d’application des 35 heures ?

M. Blondel
« Pas du tout. Nous ne menons aucune bataille de fond, au contraire. Nous avons revendiqué les négociations. Je vous rappelle que j’ai dit partout et je le répète que je suis prêt et que je demande au patronat de négocier dans tous les secteurs d’activité et c’est clair. Parce que je sais que le danger, c’est la négociation exclusivement dans les branches. C’est le choix fait par certains, et moi celui-là, je le combats. Je pense que le choix de négociation dans les entreprises, moi je suis pour les négociations par les branches, si ce n’était que pour des raisons concurrentielles. Cela veut donc dire que là où nous pensons que les choses se passent bien, nous essayons de participer à la négociation. Je ne conteste pas même pas l’accord des sucreries que je n’ai pas signé. Mes camarades ne l’ont pas signé, je vais vous dire pourquoi, notamment parce que les salaires conventionnels sont bloqués de 1995 à 1999. »

Europe 1
C’est la philosophie aussi de la loi, c’est modération salariale en échange de…

M. Blondel
« Mais bien sûr, c’est une philosophie que je combats. Je suis contre la modération salariale, ou alors c’est dire… Si on modère les salaires, on va faire baisser la consommation, c’est réglé par avance, on ne va pas profiter de la croissance. Et c’est clair, ce n’est pas une redistribution entre ceux qui gagnent beaucoup d’argent et ceux qui n’en gagnent pas, c’est tout simplement les salariés entre eux. Et ça, c’est du partage du temps et du partage des revenus, c’est une politique que je combats effectivement. »

Europe 1
Un mot de la Sécu quand même avant que l’on n’ait plus le temps. Les rapports contractuels notamment avec les médecins vont être revus, pour ne prendre que cet aspect de la rentrée sur la Sécu. Cela devrait être moins contraignant, nous dit les services de M. Aubry que le plan Juppé que vous avez dénoncé avec la vigueur que l’on sait.

M. Blondel
« Avec les raisons aussi, permettez-moi, de le faire remarquer. Deux ans après le Juppé, j’avais dit que cela ne changerait rigoureusement rien et qu’il y aurait des déficits et que la Sécurité sociale serait remise en cause et je ne trompe pas. »
Elle va mieux la Sécurité sociale

M. Blondel
« Elle va mieux ! Moi, je veux bien, mais elle est toujours déficitaire et elle est même assez largement déficitaire puisque Mme Aubry est dans l’obligation, maintenant, de reprendre en quelque sorte le dialogue en lieu et place de la CNAM. Ceci étant vous noterez aussi que l’on n’a toujours pas stabilisé de manière sérieuse les rapports conventionnels. Là aussi, je crois qu’il faut être tout à fait clair, on ne peut pas faire du socialisme et de l’étatisme dans un système libéral. Cela veut donc dire qu’il faut savoir négocier avec les organisations de médecins sinon on n’y arrivera jamais à rien. »

Europe 1
C’est ce que va faire le Gouvernement ?

M. Blondel
« C’est ce que va faire le Gouvernement mais, à mon avis, c’était le rôle de la CNAM ou alors je ne comprends plus à quoi sert la CNAM. »

Europe 1
Les choses ont changé, il est vrai, en matière de Sécurité sociale.

M. Blondel
« Parce que le système est étatisé ! Permettez-moi de vous faire remarquer que si mes informations sont exactes et ce que je dis est très grave, il y a maintenant des hôpitaux dans lesquels on met des listes d’attente. Cela n’existait pas en France ! Cela existait dans les systèmes étatisés, en Angleterre ; cela existait aussi en Suède. Cela existait dans les systèmes où l’Etat a mis son nez. Maintenant, nous y sommes ! Dans quelques temps, on entendra dire j’ai besoin d’une prothèse de hanche, il faut que j’attende trois mois parce qu’à l’hôpital on m’a dit… »

Europe 1
Les bons hôpitaux, ceux qui ont bonne réputation peut-être ?

M. Blondel
« Non ! D’après les informations qui me sont données, ce sont des hôpitaux de province, sérieux effectivement, de bonne qualité. Mais il n’y a pas quand même un tel nomadisme et les gens ne se précipitent pas dans tel ou tel hôpital, généralement, ils vont dans l’hôpital de leur circonscription. Ce qui veut dire qu’il y a une détérioration assez sérieuse de la situation. Il est grand temps d’essayer de redresser tout cela. Je dois avouer que cela va faire partie de l’une des préoccupations de septembre. Je n’hésiterai pas à interpeller toutes les fois qu’il le faudra, non seulement M. Aubry, mais elle n’est pas la seule tutelle, il y a aussi le Gouvernement dans la limite où je rappelle que maintenant, ce sont les parlementaires qui sont compétents pour définir… Il va y avoir d’ailleurs la loi de financement de la Sécu. Nous nous ferons entendre à ce moment-là. »

Europe 1
Et on verra ce que Martine Aubry répondra.