Interviews de M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale de la recherche et de la technologie, dans "Le Midi libre" du 9 octobre 1998, à RTL le 14 et à TF1 le 18 octobre 1998, sur la grève des lycéens et les réponses apportées à leur revendications, notamment la poursuite de la déconcentration de la gestion de carrière des enseignants, l'allègement des programmes scolaires, la mise en place d'un conseil de la vie lycéenne à l'intérieur des lycées.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Manifestations des lycéens en province et à Paris à partir du 12 octobre 1998

Média : Emission L'Invité de RTL - Emission Public - Le Midi Libre - Midi libre - RTL - Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

MIDI LIBRE - 9 octobre 1998

Midi Libre :
Saccages dans les lycées, fermeture des établissements, comment le ministre réagit-il à cette situation ?

Claude Allègre :
Sur cet aspect-là des choses, cela relève de mon collègue de l'Intérieur. Ce sont des incidents de casseurs : le Premier ministre a dit jeudi soir ce qu'il fallait dire de ces phénomènes de violence et je n'ai pas autre chose à ajouter.

Midi Libre :
Sur le fond, comment analysez-vous cette poussée de fièvre lycéenne ?

Claude Allègre :
Il y a deux aspects. Des problèmes locaux d'abord. Quand on me dit qu'il y a des problèmes d'entretien dans le lycée Alphonse-Daudet à Nîmes, je suis d'accord mais ils relèvent du Conseil régional, responsable de la gestion des lycées. Je ne peux pas intervenir.

Plus largement, en Languedoc-Roussillon : c'est la seule région de France où le nombre de lycéens est en augmentation. Partout, les effectifs sont en régression. Or comme l'Éducation nationale est gérée nationalement, cette croissance a bouleversé nos prévisions.

Midi Libre :
Cette augmentation était pourtant prévisible...

Claude Allègre:
Oui mais cette gestion nationale est absurde. Il y a un temps de latence très important dans l'Éducation nationale. Pensez que se met en place actuellement, dans les classes de troisième la réforme de mon prédécesseur François Bayrou. Deux à trois ans de temps de réaction ! Or les gens aujourd'hui veulent des réactions rapides.

Midi Libre :
Mais puisque vous diagnostiquez le mal, que faut-il faire ?

Claude Allègre :
Il est évident que deux millions et demi de lycéens gérés depuis Paris, ça ne peut plus continuer.
Même chose pour les profs. Quand un enseignant demande à être muté de Pézenas à Sète, c'est Paris qui décide. Beaucoup de professeurs demandent une mutation en Languedoc-Roussillon et nous sommes incapables quand ils font leur demande de dire combien de postes seront disponibles. Dans le même temps, il y a sur Paris des enseignants sans poste. Tout cela est absurde.
Nous allons donc déconcentrer. Le problème est que nous sommes dans une phase critique de cette déconcentration. Des mesures vont être prises, plus de moyens, plus de compétences aux régions et aux rectorats qui géreront en particulier les affectations. Mais cette réforme n'est pas encore opérationnelle sur le terrain.

Midi Libre :
Élément de tension supplémentaire en Languedoc-Roussillon : la présence d'élus FN dans les conseils d'administration des lycées qui est régulièrement dénoncé » dans les manifestations...

Claude Allègre :
Il est certain que ça n'aide pas. M. Blanc a créé un climat qui ne facilite pas les choses.

Midi Libre :
Quels moyens allez-vous débloquer pour mettre un terme à cette crise ?

Claude Allègre :
Il est évident que quand les lycées se plaignent de ne pas avoir de professeur en telle ou telle matière, ils ont raison. Nous allons mettre en place des mesures, je pense après les vacances de la Toussaint, où tout le monde va être gagnant : les enseignants et les élèves tout simplement parce qu'il y aura moins d'élèves par classe. Je ne peux pas déplacer les enseignants parisiens dont je parlais, évidemment.
Je ne peux pas non plus créer des profs ex-nihilo. Mais nous allons puiser dans un vivier qui existe : les admissibles au CAPES.

Midi Libre :
Plus largement, les lycéens réclament une meilleure adéquation des programmes à leurs attentes. Allez-vous faire un pas dans cette direction ?

Claude Allègre :
Première chose : je ne peux pas modifier les programmes, ce n'est pas légal. Mais dès la Toussaint j'annoncerai des allègements.
Les lycéens ont largement exprimé l'occasion des propositions Meirieu (chargé par Claude Allègre de réfléchir au lycée de demain) qu'ils voulaient un changement de l'enseignement. Ils en ont assez des programmes surchargés. Les mesures que j'annoncerai vont dans ce sens.

Midi Libre :
Craignez-vous une extension de la crise à l'ensemble du pays ou pensez-vous que la spécificité démographique du Languedoc-Roussillon évitera la propagation ?

Claude Allègre :
Je ne fais pas de prévisions. Le gouvernement est là pour écouter et pour gérer au mieux.


 RTL – 14 octobre 1998

O. Mazerolle :
Plus vous dites être d'accord avec la plupart des demandes lycéennes, et plus ils descendent nombreux dans les rues. Ce n'est pas décourageant pour Vous ?

C. Allègre :
« Non. Chacun réagit avec sa sensibilité. Je crois qu'il y a là beaucoup d'espoirs et beaucoup de volonté de faire des études dans de bonnes conditions. Je voudrais dire, juste avant de commencer, tout de même, mon émotion devant l'accident qui a eu lieu à Saint-Maixent, parce qu'une jeune fille a été victime d'un accident mortel, et je voudrais dire que tout le monde doit faire attention dans ces circonstances, les adolescents eux-mêmes, et puis les adultes doivent maîtriser un peu leurs nerfs, parce que c'est vraiment tragique ».

O. Mazerolle :
Mais cela, c'était vraiment un accident. Tout de même, est-ce que vous, ministre de l'Éducation nationale, vous vous sentez visé par ces manifestations ?

C. Allègre :
« Ces manifestations, d'une certaine manière, justifient la démarche qui a été la mienne de commencer par la réforme des lycées, parce que je sentais, quand je suis arrivé, que c'était là où se situaient les problèmes les plus tendus. Elles justifient le fait que nous avons consultés les lycéens l'année dernière, et nous avons dépouillé deux millions de questionnaires – souvenez-vous certains jugeaient cette interrogation démagogique ; il y avait eu beaucoup d'articles là-dessus – et nous avons pris des mesures. Simplement, il y a, dans le monde d'aujourd'hui, je crois, un décalage entre la volonté des gens, qui est d'avoir des réponses tout de suite, et puis les possibilités. Je ne peux pas bouleverser les programmes en un mois, parce qu'il faut faire des livres, il faut que les professeurs préparent les cours, etc. Donc, nous avons pris des mesures tout à fait rapides en ce qui concerne les droits des lycéens – ils veulent des droits, et ils ont raison de vouloir des droits ; ils sont majeurs, ils veulent des droits –, et nous prenons des mesures, à la rentrée de la Toussaint, pour simplifier les programmes ».

O. Mazerolle :
Comment allez-vous simplifier les programmes, comment les professeurs saurons-ils...

C. Allègre :
« On va faire une circulaire pour tous les professeurs, suivant les disciplines, qui leur dira : telle partie du programme n'est pas à traiter ; telle partie du programme est à traiter. Le bac ne portera que sur cette partie. Nous travaillons avec les commissions ».

O. Mazerolle :
On va leur indiquer ce qui sera prévu pour le baccalauréat ?

C. Allègre :
« Également pour ce qu'ils auront à enseigner. On travaille avec les associations de spécialistes, des professeurs de sciences naturelles, des professeurs de physique, etc., qui nous disent : cela, on peut le laisser. Si vous prenez le programme de physique, je vais vous donner un exemple : en seconde, vous avez quelque chose qui s'appelle l'amplificateur opérationnel. On enseigne cela, mais cela ne s'utilise plus en électronique : on peut le laisser de côté. Et ainsi de suite. Donc, moi, je suis pour des programmes plus légers, mais mieux sus. Ce n'est pas un abaissement de niveau, je veux élever le niveau. Je ne veux pas que les choses soient plus faciles, je ne veux pas que les choses soient plus concentrées. Je veux que les enfants comprennent ce qu'ils font, je veux que les adolescents aiment la science en comprenant ce qu'ils font, et je veux en même temps que les enseignants, par exemple ceux de Français, aient plus de liberté. Pourquoi imposer absolument tel auteur, et telle oeuvre ? Il faut laisser plus d'initiative... »

O. Mazerolle :
On peut enseigner Djian plutôt que Victor Hugo ?

C. Allègre :
« Je pense qu'il faut enseigner Victor Hugo d'abord, parce que cela fait partie des bases de notre culture. Mais pourquoi choisir Hernani ou plutôt Ruy Blas ? On peut laisser cela aux professeurs ».

O. Mazerolle :
Autre problème, c'est l'affectation des professeurs. Il manque des professeurs dans certaines classes, et des professeurs sont parfois, eux, sans affectation. Alors, aujourd'hui, vous présentez en Conseil des ministres un décret dont vous attendez beaucoup !

C. Allègre :
« Oui, qui est la déconcentration, qui avait été commencée par L. Jospin, qui, malheureusement, n'a pas été poursuivie pendant quatre ans, et qui est arrêter de gérer les 350 000 professeurs du secondaire depuis Paris, de permettre qu'ils soient gérés... Je vous donne un exemple : aujourd'hui, les demandes des professeurs se font en janvier, leurs résultats vont de juillet à septembre. Certains ont été affectés le 4 septembre ! Désormais, ils feront leurs demandes en février ou en avril, et tout sera fini le 20 juin. Et à partir de là, nous aurons tout l'été pour ajuster les choses ».

O. Mazerolle :
Donc, cela va se faire au niveau régional, par académie ?

C. Allègre :
« Cela va se faire par académie... »

O. Mazerolle :
C'est le « dégraissage du mammouth », cela !

C. Allègre :
« Le mouvement restera national pour ceux qui veulent changer d'académie, mais pourquoi voulez-vous pour aller à Roubaix à Tourcoing, que cela soit Paris qui décide ? C'est ridicule ! »

O. Mazerolle :
J'y reviens : c'est « le dégraissage du mammouth » !

C. Allègre :
Je pense que c'est l'assouplissement d'un système trop rigide. De la même manière, pourquoi y aurait-il beaucoup de professeurs de philosophie, à Paris, qui n'ait pas de service, et pourquoi aurait-on besoin de professeurs de philosophie dans d'autres régions de la France sans les affecter ? Car c'est cela, le régime actuel. Il faut savoir que dans l'enseignement secondaire, il y a un enseignant pour onze élèves ; alors que dans l'enseignement primaire, il y a un enseignant pour vingt-six élèves ; que dans l'enseignent supérieur, il y a un enseignant pour vingt-quatre ; dans l'enseignement secondaire, il y en a un pour onze ! Par conséquent, s'il y a des classes surchargées – ce qui est vrai dans certains endroits – s'il y a des manques de professeurs – ce qui est vrai dans certains endroits – c'est à l'évidence que la gestion n'est pas adaptée ».

O. Mazerolle :
Tout de même, quand vous avez fait le questionnaire, au printemps dernier, vous saviez bien que vous alliez également susciter des attentes, puisque là, ils allaient pouvoir exprimer tout ce qu'ils avaient sur le coeur...

C. Allègre :
« Bien sûr ».

O. Mazerolle :
... et vous saviez bien aussi que c'est la société contemporaine ! On est dans une société où on veut tout de suite obtenir ce qu'on demande. Vous saviez bien que vous alliez être confrontés à ce qu'il vous arrive aujourd'hui !

C. Allègre :
« Vous êtes en train de dire qu'il ne faut pas réformer ? »

O. Mazerolle :
Non, je ne dis rien, mais vous avez une contradiction, et vous pouviez l'attendre, celle-là, quand même !

C. Allègre :
« Non, je n'ai pas de contradiction. Je n'ai pas dit que je ne l'attendais pas. Je pense que les attentes des lycéens, sur plus de citoyenneté, plus de respect, une évolution sur la manière de faire des cours, des programmes moins chargés... Pensez qu'il y a deux ou trois jours, recevant des lycéens, l'une m'a tendu son emploi du temps : elle faisait 45 heures dans un lycée technique ! 45 heures ! Est-ce que vous croyez que c'est normal ? »

O. Mazerolle :
Mais comment allez-vous sortir de cette situation ?

C. Allègre :
« On va mettre une limitation au nombre d'heures ! Déjà, on pourrait commencer par passer aux 39 heures... »

O. Mazerolle :
Ils vous disent : les promesses, les promesses, très bien, M. Allègre, mais nous on veut cela tout de suite !

C. Allègre :
« Mais attendez ! « Tout de suite » ; par exemple, les lycéens de Nîmes, qui avaient un certain nombre de revendications, elles sont satisfaites. Moi, je travaille dans le concret. Toutes les demandes qui sont venues des rectorats ont été satisfaites hier. Deuxièmement, j'ai écrit à M. Giscard d'Estaing pour que nous discutions de l'entretien des lycées, puisque l'entretien et la construction des lycées relèvent des régions. Ensuite, j'ai, hier soir, vu le ministre de la Défense pour que les enseignants qui doivent faire leur service militaire puisent être dispensés lorsqu'ils sont dans des endroits où on en a besoin. Ainsi de suite. Moi, je règle les problèmes un par un ».

O. Mazerolle :
Mais les jeunes dans les rues, quand même, cela ne vous inquiète pas ? On ne sait jamais où cela va, les mouvements de jeunes !

C. Allègre :
« Je vous répète que je gère le problème rationnellement. Mon travail, c'est de donner les moyens aux jeunes de faire des études dans de bonnes conditions. Et je m'emploie à faire cela, même avec un système – je l'ai dit l'année dernière – qui est un système délabré, parce que trop centralisé. Donc, je fais ce que je peux, parce que je comprends bien que ces jeunes ne peuvent pas attendre que j'ai remis le système en état avant de poursuivre leurs études. Et j'ai des problèmes difficiles. Par exemple, un manque de professeurs d'espagnol. Il n'y a pas de candidats ! Un manque de professeurs de musique. Il n'y a pas de candidats ! »

O. Mazerolle :
Par moment, on se dit : mais cela doit démanger C. Allègre, il irait peut-être bien en tête de manifs pour dire : il faut vraiment réformer tout cela !

C. Allègre :
« En fait, peut-être que j'y étais en me déguisant. Mais je pense que beaucoup des revendications des lycéens... vous savez, je suis un père de famille, je suis un enseignant, je connais bien les jeunes et je comprends cette impatience. En même temps, la société a beaucoup changé. Ces jeunes, beaucoup sont majeurs. Ils veulent donc avoir des droits, des accès. Là, on leur a donné une journée pour discuter des problèmes citoyens. On va faire en sorte qu'ils aient un lieu de rencontre à l'intérieur des lycées, qu'ils soient représentés, effectivement. Ces conseils de la vie lycéenne qu'avait créés L. Jospin, pourquoi n'ont-ils pas été mis en place pendant quatre ans ? Je ne veux pas faire de la politique politicienne, mais... »

O. Mazerolle :
Et là, ce matin, vous êtes inquiets, vous vous dites : voilà, il y a eu un accident, il y a des incidents aussi ...

C. Allègre :
« Je ne suis pas inquiet. Je suis déterminé à résoudre les problèmes. Je n'ai pas d'attitude, je ne lis pas dans le marc de café les évolutions. Je suis socialiste, et donc je suis attentif à ce qu'il se passe, aux mouvements sociaux, aux mouvements généraux, je les écoute, j'essaie de les comprendre. Je ne suis pas toujours sûr de comprendre complètement ce qu'ils disent et j'essaye d'apporter des solutions concrètes à leurs problèmes. La question, c'est qu'aucun enfant, aucun adolescent, qui fait des études aujourd'hui, ne doit être handicapé par tel ou tel mauvais fonctionnement de l'Éducation nationale, même si, dans le passé, un certain nombre de gens n'ont pas eu le courage de faire ce que nous essayons de faire maintenant, c'est-à-dire de rénover ce système en le décentralisant, en le déconcentrant. Cela veut dire que les décisions soient plus proches des gens, que les gens soient écoutés, et que les décisions soient plus rapides ».


TF1 - 18 octobre 1998


Michel Field :
Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Merci de rejoindre « Public ». Claude Allègre, bonsoir.

Claude Allègre :
Bonsoir.

Michel Field :
Merci infiniment d'avoir réservé à « Public » et à TF1 l'exclusivité d'une prestation que tout le monde attend puisque depuis la grande manifestation lycéenne de l'autre jour, on attend évidemment vos propos, à la fois le bilan que vous faites de cette première semaine de mouvement lycéens et puis surtout comment en sortir. Je crois que les Français attendent de leur ministre de l'Éducation un certain nombre de propositions concrètes pour que les lycéens dont les sondages, notamment le sondage paru chez notre confrère « Le Journal du Dimanche » monte qu'il est accueilli à la fois avec sympathie par la population mais en même temps que les gens aimeraient bien que les lycéens retournent en cours plutôt que dans la rue. J'imagine que c'est votre souhait également.

Claude Allègre :
C'est également mon souhait.

Michel Field :
Donc on a une heure pour essayer de les ramener au bercail et à leurs cours plutôt que dans la rue et dans les manifestations. Alors ce sera un dialogue avec le ministre, ce sera aussi un dialogue entre des lycéens, des enseignants, des parents d'élèves, des proviseurs et le ministre. Avec des lycéens qui sont à Paris et puis d'autres qui sont à Bordeaux et je les remercie d'être là ; on leur donnera la parole tout à l'heure. Voilà. Une émission donc chargée mais l'actualité l'oblige. Une page de pub et on démarre.

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Michel Field :
Retour sur le plateau de « Public » avec Claude Allègre sur le mouvement des lycéens et le chantier de la réforme des lycées. C'était il y a un peu moins d'un an, sur ce plateau de « Public », que vous aviez annoncé le démarrage de ce chantier lycées avec un colloque national puis une consultation. On va faire le point sur une année de chantier de réformes des lycées. Un sujet de Jérôme Paoli.

Claude Allègre  "Public" 9 novembre 1997 :
Nous lançons un grand colloque national sur les lycées qui est le point clef à mon avis, qui travaillera à la fois sur le plan disciplinaire et sur le plan régional puis national...

Journaliste :
9 novembre 97 : Claude Allègre donne le coup d'envoi à une gigantesque consultation sur les lycées et confie à Philippe Merieux la synthèse des quatre millions de questionnaires qui seront envoyés aux lycéens et aux enseignants. Résultat de cette consultation : en septembre dernier, le ministre dévoile dix grands principes pour les lycées avec notamment la création d'un nouveau bac mention gym et d'une nouvelle filière littéraire dans le secondaire. Pour le mois de novembre, il promet une simplification des programmes. Mais depuis son arrivée au gouvernement, Claude Allègre ne se contente pas de s'intéresser au contenu des enseignements. Après s'être attaqué à l'absentéisme et aux formations des professeurs pendant les heures de cours, le ministre mène un véritable parcours du combattant pour assurer la présence d'un enseignant dans chaque classe, le fameux zéro défaut. Côté effectifs, outre la réembauche en septembre dernier de tous les maîtres auxiliaires, le projet du budget 1999, en hausse de plus de onze milliards pour le primaire et le secondaire, prévoit la création de 3 900 emplois pour la rentrée prochaine. Autre initiative, la parution cette semaine au Journal Officiel d'un décret qui confierait aux recteurs le soin de gérer les mutations et les affectations des professeurs. Relance des zones d'action prioritaires, création d'un fonds social pour la cantine de 290 millions de francs, relèvement de l'allocation de rentrée scolaire à 1 600 francs et augmentation du nombre de bourses, le ministre tente enfin de rétablir l'égalité des chances sur les lycées. Reste que pour les lycéens qui protestent contre le surpeuplement des classes, le manque d'enseignants et de surveillants et la vétusté des locaux, les problèmes de fond n'ont toujours pas été résolus.

Michel Field :
Claude Allègre, un budget de 343 milliards, puisque c'est celui que vous allez défendre, en augmentation en dix ans, de 150 milliards, je crois qu'il était de 198 milliards il y a dix ans, 60 000 postes supplémentaires depuis ces dix ans, enfin beaucoup de choses faites et je dirais payées par la collectivité nationale et tout ça pour en arriver là, à savoir entre 4 et 500 000 lycéens dans la rue. Comment faire ? Je crois que c'est la question que tout le monde se pose. Est-ce que c'est un puits sans fond ? Est-ce que c'est en rajoutant toujours plus d'argent qu'on va s'en sortir ? Et en même temps, comment ne pas répondre à l'attente de ces lycéens qui vous demandent plus de crédits, plus d'enseignements, des conditions de travail plus dignes ?

Claude Allègre :
D'abord, ce n'est pas 340 milliards, c'est 340 milliards plus 140 milliards qui sont mis par les collectivités territoriales. Donc c'est près de 500 milliards que la puissance publique française consacre à l'enseignement, l'une des toutes premières au monde. Deuxièmement, parmi les efforts faits, l'effort le plus important est dans l'enseignement secondaire. Nous avons, quand on fait des comparaisons internationales, à peu près les mêmes dépenses pour le primaire, des dépenses très inférieures à nos principaux concurrents comme on dit, pour le supérieur, mais des dépenses très supérieures pour l'enseignement secondaire. Je vais vous donner quelques chiffres : dans les écoles, nous avons... la proportion entre le nombre d'élèves et le nombre d'enseignants, c'est 25. Dans les collèges, c'est 14. Dans les lycées professionnels, c'est 9,5.

Michel Field :
Mais ça c'est la magie des statistiques, Claude Allègre. Il n'y a pas un prof qui se retrouve devant 14 élèves en France !

Claude Allègre :
Non...je vais vous expliquer, laissez-moi finir ; et pour l'enseignement général, 11. Bien. Si vous comptez qu'il y a 18 heures de travaux pour un professeur et disons 32 heures pour un élève, vous devez avoir des classes de 20 ou 19 élèves. Ça, c'est la mathématique qui vous le dit, simplement. Or voilà des encadrements qui ne sont pas ridicules. Dans les écoles, il y a 23 élèves par classe, dans les collèges, il y a 24 élèves par classe...

Michel Field :
En moyenne statistique.

Claude Allègre :
Dans lycées professionnels... je vais y venir Michel Field, 21,7 et dans les lycées, 29,3. Mais ce qui se passe, c'est que c'est mal réparti. C'est vrai qu'il y a des endroits qui sont sur-encadrés et des endroits qui sont sous-encadrés. Il y a des endroits où il y a des professeurs sans clase et il y a des classes surchargées. Pourquoi ? Parce que cette gestion est faite depuis des années d'une manière centralisée ; et encore aujourd'hui il est anormal que ce soit Paris qui soit en train de résoudre les problèmes qui peuvent se passer à Bordeaux, à Toulouse ou encore à Amiens. Ça devait être possible d'être résolu localement. Eh bien ce n'est pas possible. Il faut le savoir. Pour résoudre les problèmes entre Tourcoing et Roubaix, il faut passer par Paris. Pour résoudre les problèmes entre Montauban et Toulouse, il faut passer par Paris. Voilà la structure de l'Éducation nationale. Et d'ailleurs vous le voyez bien : dans le primaire où c'est déconcentré, où le recteur a le pouvoir ; ou dans le supérieur dans lequel le président d'université a le pouvoir, les ajustements se font. Dans le secondaire, il y a forcément des tensions. Et je dis simplement une chose : la France ne peut pas sans arrêt dire il faut plus de profs, il faut plus de moyens... ou alors il faut dire : ou bien vous voulez qu'on paie plus d'impôts – le gouvernement est en train de réduire les impôts et je pense qu'il continuera à les réduire – ou bien il faut dire : il faut moins d'infirmières, il faut moins de juges, il faut moins de policiers, parce qu'on prend ici, on le met là. L'État, ce n'est pas la hotte du Père Noël qui sort les affaires, encore moins le ministre de l'Éducation nationale.

Michel Field :
Ça veut dire qu'aux lycéens qui sont dans la rue aujourd'hui, vous dites « une réforme du ministère »... à mon avis, ça ne va pas suffire.

Claude Allègre :
Non, je ne dis ça. Je ne réponds pas ça parce que chaque lycéen, chaque personne a le droit de faire ses études dans de bonnes conditions et s'il y a, bien que ce ne soit pas de ma faute – j'ai fait la réforme, je suis en train de faire la réforme du ministère – mais la réponse rapide, c'est chaque cas doit être résolu. Et ce qu'on va faire, c'est résoudre tous les cas. Aucun élève ne doit se trouver sans enseignant, aucune classe ne doit se trouver en état de ne pas faire les choses. Ça c'est mon devoir d'obtenir du gouvernement les moyens de résoudre ces choses-là et j'obtiendrais les moyens nécessaires. Nous sommes en train de faire le bilan de ce qu'il faut ; nous sommes en train de discuter ces affaires-là. Mais ce n'est pas... si je ne faisais pas derrière la réforme qualitative de l'Éducation nationale, eh bien je pense que je continuerais à faire toujours plus, toujours plus, toujours plus. Et malheureusement c'est ce qu'on a eu tendance à faire, en particulier récemment. Ce n'est pas comme ça qu'on fait. Quand je suis arrivé, eh bien ce n'était pas difficile, il fallait mettre à la porte 28 000 maîtres auxiliaires. Moi j'ai estimé que c'était anormal, je les ai gardés, pourquoi ? Parce que ces 28 000 maîtres auxiliaires, c'était les variables d'ajustement dans cet ancien système. Moi je veux un système qui respecte le gens et qui permette de donner à tous les élèves français, qu'ils soient en banlieue ou à Paris, qu'ils soient en province ou en Ile-de-France, la même instruction. Premièrement, l'égalité des chances, égalité entre les régions, égalité entre les catégories socioprofessionnelles, égalité des chances, c'est la chose la plus importante. Et elle n'est pas assurée actuellement malgré les efforts qui ont été faits parce que le mode de gestion, de répartition, n'était pas correct.

Michel Field :
Alors si je résume ce que vous venez de dire, on peut s'attendre peut-être à un petit coup de pouce budgétaire symboliquement ou réellement pour ajuster et répondre aux cas d'urgence...

Claude Allègre :
Pas symboliquement.

Michel Field :
Réel.

Claude Allègre :
Pas symboliquement !

Michel Field :
Vous pouvez déjà dire de quel ordre il sera ?

Claude Allègre :
Non, je n'ai pas à dire...

Michel Field :
Mais ce n'est pas l'essentiel, l'essentiel c'est la réforme.

Claude Allègre :
Je dis globalement, ça permettra de résoudre les problèmes actuels mais que si on ne s'attaque pas tous ensemble à une amélioration du système, le problème se reposera l'année suivante. Regardez l'ensemble du problème, il faut s'attaquer au problème qualitatif pour les enseignants, pour les proviseurs, pour leur donner de meilleures conditions de travail. On a passé tout notre temps à parler d'augmentation... augmentation. Les proviseurs par exemple, ils ont un métier essentiel dans notre système, essentiel et très difficile, on les a augmentés plusieurs fois mais ce n'est pas là le problème. Le problème, c'est qu'ils sont soumis à des tensions terribles, ils sont en plus condamnés injustement par les tribunaux, ils ont très peu d'aides et ils ont des charges administratives de plus en plus importantes parce que la paperasserie continue à augmenter. Il faut simplifier la paperasserie, il faut leur donner plus de moyens, il faut leurs donner d'autres conditions de travail. Prenez les enseignants, les enseignants... toujours plus, toujours plus. Mais est-ce que la situation enseignante s'est améliorée dans ce pays ? Non. Dans la réforme, les enseignants vont avoir une modulation de leur service : au lieu de faire 18 heures de cours, il y en a qui feront 16 heures de cours, deux heures pour aider les élèves ; il y en a qui feront 15 heures de cours, trois heures pour aider les élèves. Ils auront moins de classes. Les enseignants, on est train de travailler pour faire en sorte.... On dit les nouvelles technologies. Alors on leur fait faire un stage pendant trois jours et puis ils rentrent chez eux, ils n'ont pas d'ordinateurs. On va faire en sorte que dans l'équipement des établissements, il y ait l'équipement en priorité des enseignants pour qu'ils puissent avoir un ordinateur, travailler chez eux. Les jeunes enseignants, ils sont lâchés.... Ils sortent de l'IUFM, on les lâche dans la nature et deux ans après, on se met à les noter. Il faut arrêter ça. Il ne faut pas les noter, il faut les aider. Il faut les accueillir, il faut les aider. C'est ça la réforme qualitative de l'Éducation nationale. Les enseignants sont isolés ; il faut leur permettre sur leurs heures de travail, de travailler ensemble, de parler, de parler aux élèves, de parler aux parents d‘élèves, il faut le prévoir. Mais ça, ça demande des bureaux pour les enseignants à l'intérieur des établissements car c'est vrai que les problèmes de locaux qui ne dépendent pas de l'État, sont des problèmes essentiels. Il y a beaucoup de lycées qui n'ont pas d'amphithéâtre. Comment voulez-vous réunir, comment voulez-vous faire du théâtre, comment voulez-vous faire de la musique si vous n'avez pas d'amphithéâtre ?! Les lycéens réclament des lieux lycéens, ils ont raison. Il faut qu'ils aient des lieux lycéens. Pensez que les lycéens... on passe le bac général avec 18 ans de moyenne, donc on est majeur, on passe le bac professionnel avec 21 ans de moyenne, donc on est largement citoyen. Ils veulent une citoyenneté, il faut leur donner cette citoyenneté, et tout cela, on l'a engagé.

Michel Field :
Oui, vous l'avez engagé, mais vous avez joué aussi à l'apprenti sorcier avec cette consultation des lycéens dont vous venez de résumer finalement beaucoup des thèmes de vote réforme à venir, vous avez créé une attente et vous ne vous êtes peut-être pas donné les moyens de répondre à cette attente. C'est un peu ça qu'ils disent les jeunes aujourd'hui dans la rue.

Claude Allègre :
Monsieur Field, vous ne pouvez pas réformer des programmes en trois mois. Vous avez été professeur. Vous savez bien qu'on ne peut pas écrire des manuels en trois mois et obliger les profs à préparer des nouveaux cours en trois mois, qu'il faut un certain temps pour faire cela. Donc qu'est-ce que nous faisons ? Nous répondons rapidement sur ce qui peut-être fait rapidement, c'est-à-dire les droits lycéens, la citoyenneté lycéenne, une meilleure organisation au lycée. Ça, ça sera fait dès la rentrée de la Toussaint. Nous allégeons les programmes aussi parce qu'il y a des programmes qui sont trop lourds, pas tous, pas tous... le français, la philosophie, il n'y a pas de raison de changer fondamentalement... mais vous le voyez d'ailleurs, les programmes les plus lourds sont ceux sur lesquels la science a fait le plus de progrès, les sciences naturelles par exemple, qui sont extrêmement lourds. Donc ça, nous allons les alléger tout de suite. Et puis... et puis il faut avant tout résoudre tout de suite les cas et je vous assure que depuis quinze jours, on passe notre temps à résoudre les cas où il manque des enseignants car il en manque dans certains endroits, c'est vrai ça.

Michel Field :
On va écouter tout de suite les réactions des lycéens qui se sont réunis à Bordeaux, d'abord aux propos du ministre et peut-être entamer un début de dialogue. C'est Marie qui va commencer ? Bonsoir.

Marie Vergon :
Bonsoir. Je me présente, je suis Marie Vergon du lycée Fernand-Daguin du lycée de Mérignac et je voulais demander à Monsieur Allègre si les structures qu'il a mise en place, les nouveaux profs qu'il a nommés, vont être systématiques et définitives parce qu'on nous a annoncé des emplois-jeunes pour animer la vie lycéenne, or les emplois-jeunes, c'est des contrats à durée indéterminée, donc dans cinq ans, les emplois-jeunes, on n'en entend plus parler. Or nous, ni à la rentrée de la Toussaint ni à la rentrée 99 ni dans les années à venir, on veut se retrouver à quarante par classe et sans professeur pour assurer le cours.

Michel Field :
On va faire un tir groupé. Marlène qui doit être à côté de vous ?

Marlène Sanguine :
Bonsoir Michel, bonsoir Monsieur Allègre. Moi je voudrais vous parler des lycées techniques et professionnels qui ont besoin de matériels très importants. Or nous n'avons pas le budget nécessaire pour répondre aux besoins. Nous voudrions savoir quelles mesures seront prises de ce côté-là aussi.

Michel Field :
Troisième question je crois, celle de Malika, dans ce premier tour de table.

Malika :
Bonsoir Michel, bonsoir Monsieur Allègre. Je voudrais, moi, vous posez la question de l'information qui se fait dans les lycées, « la vie lycéenne » entre autres, qui aurait dû se mettre en place dans tous les lycées et qui est vraiment inconnue pour tout le monde.

Michel Field :
Alors trois questions. Bon, la deuxième, elle ne dépends pas exactement de vous.

Claude Allègre :
Je répondrai à toutes les trois. Mademoiselle, les emplois-jeunes, ce n'est pas fait pour remplacer les enseignants. Que les choses soient très claires. Les emplois-jeunes, c'est fait pour aider les proviseurs, c'est une demande de l'association des proviseurs pour aider à animer les lieux lycéens et ces emplois-jeunes seront mis là pour cela. Les enseignants seront remplacés par des enseignants qualifiés. Donc les choses sont claires.

Michel Field :
Mais alors pourquoi vous dites ça... mais en même temps les postes aux concours se réduisent, ça, les syndicats d'enseignants vous le reprochent...

Claude Allègre :
Les postes aux concours se réduisent parce que le nombre de mises aux concours est supérieur au nombre de retraites, figurez-vous. Et par conséquent, le nombre d'enseignants augmente. Ce qu'il faut regarder, ce n'est pas le nombre mis aux concours, c'est le nombre mis aux concours moins le nombre de retraites et ce nombre est positif.

Michel Field :
Continuez à répondre.

Claude Allègre :
Donc je réponds sur le matériel. Le matériel, ça ne dépend pas de nous malheureusement. L'équipement dépend des régions, qui ont fait un gros effort, mais ça ne dépend pas de l'État. Les choses sont comme cela.

Michel Field :
C'est vrai que quelquefois on a l'impression qu'on se gargarise rue de Grenelle, des nouvelles technologies, d'Internet et tout et puis quand on voit l'état des établissements... Il n'y a pas un portable qui se balade ou qui est en état de marche.

Claude Allègre :
Non, ce n'est pas exact... Mais enfin le matériel ne dépend pas de nous... et par conséquent dans les discussions que nous avons ces jours-ci à l'occasion des manifestations parce que les manifestations, je ne vais pas vous dire qu'elles ne m'apprennent rien, bien sûr qu'elles m'apprennent des choses. J'écoute, je regarde les problèmes, je vois où il y a des problèmes. Donc nous sommes en train de discuter avec les régions, avec le président d'associations des régions et nous allons essayer de l'aider à répondre à cela. Quant à la vie lycéenne, je suis obligé de dire.... Lionel Jospin avait prévu après ces évènements de 90 tout un panorama sur la vie lycéenne, malheureusement, je ne veux pas faire de politique, mais ça a été abandonné ensuite par les quatre années pendant la droite. Et je vais vous dire, je suis très attaché à ce problème de la vie lycéenne, je pense que c'est essentiel et je pense que j'y mettrai toute l'énergie que je peux et je crois que mes recteurs le feront. Alors vous me parlez de l'information. L'information, c'est vrai, n'est pas très bonne. Moi je reconnais franchement que l'information n'est pas très bonne.

Michel Field :
Comment on peut faire pour l'améliorer ?

Claude Allègre :
Écoutez, je n'ai pas de solution instantanée sur un problème comme celui de l'information. On va essayer de le faire à travers d'abord un affichage systématique dans les établissements. Et ce problème d'affichage, je crois qu'il faut donner beaucoup plus d'initiative aux lycéens eux-mêmes. On va faire une série d'affiches qu'on mettra dans les établissements pour donner les droits aux lycéens. Il y aura une journée dès la semaine prochaine pour parler dans chaque classe, dans chaque établissement du problème des droits lycéens ; et puis on réfléchit pour que l'information descende. J'ai bien vu ça, l'autre jour, je recevais à la suite de la manifestation, la coordination, et certains m'ont dit : mais Monsieur le Ministre, on n'était pas au courant du tout que vous étiez en train de faire ça, on ne sait rien. Et je reconnais qu'il y a un vrai problème.

Michel Field :
Alors qui bloque ? Les proviseurs, les enseignants, le système lui-même ? C'est de faute au système ?

Claude Allègre :
Mais non, ce n'est pas de la faute au système, mais vous le voyez bien Michel Field, il y a trois millions de lycéens et tout part d'un ministre. C'est une structure qui est une structure féodale. Vous avez le ministre et puis trois millions de personnes. Il faut que ce soit déconcentré, il faut que ce soit décentralisé, il faut que les choses se passent au plus près des gens. Et je pense que les proviseurs n'attendent que ça, n'attendent que d'avoir des instructions pour déconcentrer et faire eux-mêmes l'information.

Michel Field :
Alors pratiquement, ça veut dire... quand est-ce qu'elle se met en oeuvre cette réforme de la déconcentration qui donnera par exemple aux recteurs d'académie une grande autonomie ?

Claude Allègre :
Dès cette année, là maintenant, elle est en train d'être en place mais elle... toute cette année, les chose vont fonctionner comme ça et à partir du 1er septembre de l'an prochain, là, ça sera fait. Mais je vais vous donner un exemple : aujourd'hui.... Les derniers enseignants ont été nommés le 4 septembre. Autrement dit les recteurs ont eu quatre jours pour réagir. L'an prochain, l'année qui vient, avec le nouveau système, tout le mouvement sera fini le 20 juin. C'est-à-dire qu'il y aura quatre mois pour ajuster. Et les concours de recrutement se passeront après le mouvement. En ce moment, ils se passent pendant le mouvement. Autrement dit l'ajustement par les concours de recrutement ne peut pas se faire.

Michel Field :
Eptissem, vous faites partie de la coordination parisienne... vous êtes convaincue par les propos du ministre ?

Eptissem :
Bonsoir tout d'abord. Je m'appelle Eptissem. Je suis en terminale SMS au lycée de Sarcelles. Monsieur le Ministre, si mardi nous appelons à une manifestation nationale encore une fois, c'est que le bureau de coordination qui a été reçue donc dernièrement au ministère de l'Éducation... ce qui nous a été dit, ne nous a pas satisfait pour la simple et bonne raison que nous voulons du concret. Si les lycéens redescendent dans la rue mardi, c'est parce que nous voulons du concret. Bien sûr, il y a un rapport de force entre le ministère et les lycéens, c'est tout à fait normal. Nous avons des revendications...

Claude Allègre :
Il n'y a pas de rapport de force...

Eptissem :
Si, on a des revendications.

Michel Field :
S'il vous dit non, c'est que non...

Claude Allègre :
Non, ce n'est pas un rapport de force.

Eptissem :
Je peux terminer ? Merci. Donc c'était une première prise de contact, un dialogue avec vous. Maintenant nous voulons du concret et c'est pour ça que nous vos sollicitons et que mercredi, nous avons rendez-vous encore une fois avec la délégation qui va être reçue au ministère, pour obtenir des choses concrètes. Si les lycéens redescendent dans la rue mardi, ce n'est pas pour rien.

Michel Field :
Mais est-ce que vous seriez séduits par cette démarche que vous propose Claude Allègre, à savoir de vous retourner plutôt vers les recteurs, c'est-à-dire plus près du terrain, vers les proviseurs, vers les inspecteurs d'académie, les recteurs, pour précisément ajuster sur le terrain, au plus près du terrain... ajuster vos revendications aux possibilités que l'administration peut vous donner ?

Eptissem :
Écoutez, sur vos conseils, j'ai pris rendez-vous avec le recteur de l'académie de Versailles lundi. Donc voilà, vous nous renvoyez au recteur, donc nous allons voir.... Je vais voir le recteur lundi, je reviendrai vous voir mercredi au ministère.

Claude Allègre :
Non, non, je ne renvoie à rien. Chacun fait son travail. Moi je considère qu'il est légitime de la part d'un lycéen de réclamer de bonnes conditions de travail. Je n'ai rien à dire. Il n'y a pas de rapport de force. Je n'essaie pas de résister en quoi que ce soit. Moi parallèlement à ça, je regarde les moyens réels qu'il faut et je me bats à l'intérieur du gouvernement dans les conditions que j'ai dites, pour obtenir ces moyens. Mais nous travaillons en équipe à l'intérieur de ce gouvernement, je ne suis pas tout seul. Il n'y a pas la politique de Claude Allègre et de Ségolène Royal, il y a une politique du gouvernement qui est discutée collectivement, qui est arbitrée par le Premier ministre, qui est menée par le Premier ministre. Donc nous parlons ensemble. Là nous avons parlé. Nous avons parlé du problème des lycéens...

Michel Field :
C'est-à-dire que vous êtes en train de convaincre Dominique Strauss-Kahn et Bercy de vous assouplir un petit peu leur position...

Claude Allègre :
Ça ne se passe pas exactement comme ça. Je pense que Dominique Strauss-Kahn est conscient des problèmes qu'il y a dans un certain nombre de lycées par suite d'une mauvaise répartition des moyens. Et donc nous ferons ce que nous pensons devoir faire pour que les problèmes urgents soient satisfaits. Mercredi, vous venez nous voir, vous faites une manifestation. Alors peut-être que vous apprendrez un peu plus mercredi.

Michel Field :
Vous pourriez nous le dire maintenant, ça leur éviterait peut-être de manifester mercredi !

Claude Allègre :
Non, parce que...

Michel Field :
Ça serait plus intelligent, franchement.

Claude Allègre :
Non, parce que...

Michel Field :
Vous préférez qu'ils manifestent d'abord ? Moi ça m'arrangerait pour mon émission et eux, ça leur permettrait de se reposer.

Claude Allègre :
Je ne pense pas ça. Je vous dis les choses très franchement, je pense d'abord parce que nous avons la discussion... il se trouve que la discussion de notre budget est mercredi. Nous ne pouvons pas, vous le savez bien, changer des choses sans le vote des députés. Nous avons ensuite à faire le tour de ce que je vous ai dit. Les recteurs travaillent pour faire le tour des besoins concrets. Nous voulons résoudre lycée par lycée les besoins. Ça demande un certain temps et on ne fait pas des trucs comme ça, on ne fait pas des coups...

Michel Field :
On va se retrouver après la publicité, puisqu'on parle d'argent, chacun son truc, mais, on se souvient quand même de ce que nous avons dit tout à l'heure, c'est-à-dire vous nous laisser entendre qu'il y aura un petit coup de pouce budgétaire sur le budget du ministère de l'Éducation nationale.

Claude Allègre :
Il y aura la solution des problèmes qui peuvent être résolus et qui sont dans l'intérêt des lycéens car je vous vous dire une chose, toutes les mesures seront pour les lycéens.

Michel Field :
Alors ne zappez pas, comme disait quelqu'un, on se retrouve après.

- Pause publicitaire.

Michel Field :
Retour sur le plateau de « Public ». Claude Allègre, le ministre de l'Éducation, est mon invité. Nous sommes avec des lycéens, des enseignants, des parents d'élèves à Paris - Ile-de-France et puis aussi avec des lycéens à Bordeaux qui voulaient redemander la parole je crois, donc je la leur redonne tout de suite. On vous écoute.

Lycéenne :
Oui, alors moi je voudrais insister sur le fait que Monsieur Allègre ne répond vraiment pas à nos questions. On a posé des questions, il n'y a pas répondu. Donc je voudrais bien savoir...

Michel Field :
Reposez une question.

Lycéenne :
Nous, on n'avait pas posé les questions auxquelles il a répondu, ça n'a rien à voir.

Michel Field :
C'est quoi alors ? La question à laquelle vous voudriez instamment avoir une réponse ?

Lycéenne :
Je lui ai parlé de la vie sociale, il ne m'a strictement pas répondu. Pourrais-je avoir une vraie réponse s'il vous plaît, merci.

Michel Field :
Sur la vie lycéenne, une vraie réponse. C'est-à-dire que vous avez vraiment répondu mais pour eux, ce n'est pas une vraie réponse.

Lycéenne :
Non, ce n'est pas pour nous une réponse, nous, on veut du concret.

Claude Allègre :
Si vous considérez que je n'ai pas répondu, je vais essayer de m'expliquer, c'est que j'ai été mauvais pédagogue, donc comme je suis professeur, je sais tirer les leçons. Je vais essayer de répondre. Je vous ai dit que la vie lycéenne, nous l'avons inscrite dans les principes de la rénovation des lycées ce que j'ai présenté à l'Assemblée nationale était absolument déterminant pour notre réforme de rénover cette vie lycéenne. J'ai dit que dès lundi, il y aura une journée, la semaine prochaine, de discussions pour la démocratie lycéenne et toutes les mesures qui ont été faites dans circulaire qui a été envoyée, qui a été négociée avec un bon nombre de représentants lycéens, notamment le CNVL qui s'est fait après le colloque Mérieux, seront mis dès la rentrée.

Michel Field :
C'est-à-dire que les établissements ont pour consigne du ministère d'organiser une journée sur la démocratie.

Claude Allègre :
Voilà, premièrement. Ça veut dire un conseil de la vie lycéenne qui discute concrètement des problèmes qui se posent à l'intérieur du lycée. Ça veut dire le droit d'affichage pour les lycéens, de pouvoir s'organiser. Ça veut dire le droit de se syndicaliser à l'intérieur des lycéens, ça veut dire le droit de pouvoir parler avec l'administration, non pas de faire les emplois du temps comme quelqu'un l'a écrit... Les emplois du temps, c'est tellement difficile et c'est une charge tellement lourde des proviseurs, qu'il n'est pas question que ce soit quiconque d'autres qu'eux les fassent, mais de pouvoir avoir une discussion sur les emplois du temps avec les proviseurs. Ça veut dire également pouvoir avoir d'une manière générale droit au chapitre dans les discussions concernant l'orientation du lycée et notamment le contrat d'établissement, chacun étant à sa place parce que je vais vous dire, autant j'essaie de vous répondre de manière précise, autant je veux être clair. Je ne veux pas faire de démagogie : à l'intérieur d'un lycée, la pédagogie, c'est les enseignants ; la direction du lycée, c'est le proviseur. Et il y a les élèves qui sont là pour étudier et passer le bac et ça c'est clair, c'est net et précis. Et ça doit être fait comme ça. Il n'est pas question de faire faire par les uns, par les autres...Ce n'est pas du tout ce que je veux organiser. Mais à l'intérieur de cela, à l'intérieur de ce cadre qui est le cadre normal de l'éducation, je crois que les lycéens doivent avoir droit à la parole, droit d'interrogation et ne pas être traités simplement comme étaient traités les lycéens disons de 1950, c'est-à-dire quand moi j'étais lycéen par exemple.

Michel Field :
Jean-Jacques Romero, vous êtes proviseur au lycée Marcelin-Berthelot de Saint-Maur, vous êtes secrétaire général du Syndicat des Proviseurs. Claude Allègre évoquait votre rôle. On a l'impression qu'il est en effet considérable mais quand même temps, il peut être aussi un vrai lieu et facteur de blocage. Alors est-ce que les proviseurs sont partisans de cette réforme concernant la vie des lycées ?

Jean-Jacques Romero :
Je ne connais pas ou je n'imagine pas beaucoup de proviseurs qui refuseraient de discuter ou de mettre en place dans leur lycée la démocratie et le fonctionnement...

Michel Field :
On en a eu quand même...

Jean-Jacques Romero :
Oui, peut-être de votre temps Monsieur Field, mais beaucoup moins maintenant !

Michel Field :
Je vous en prie !

Jean-Jacques Romero :
Je crois que... Monsieur le ministre faisait allusion à ce que l'on a pu dire sur les emplois du temps. Faire un emploi du temps, c'est une technicité extraordinaire ; c'est un travail très difficile qui demande plusieurs semaines et ce qui nous gêne avant tout pour faire un emploi du temps, ce n'est pas le fait que les professeurs soient nommés sur telle ou telle académie, c'est qu'on n'ait pas assez d'heures. Les heures, lorsqu'elles nous sont attribuées par le rectorat, nous obligent bien souvent à regrouper des enseignements. Parfois par exemple à regrouper en langue vivante des préparations à une épreuve écrite avec des préparations à une épreuve orale, ce qui est aberrant.

Michel Field :
C'est ce qu'on a entendu dans le mouvement lycéen, ou lors 40 ou 45 élèves par classe pour une discipline orale...

Jean-Jacques Romero :
C'est vrai et c'est aberrant mais nous y sommes bien obligés parce que nous avons une enveloppe qui est fermée...

Michel Field :
Mais est-ce que la déconcentration vous aiderait à gérer ça mieux ?

Jean-Jacques Romero :
J'ai déjà dit à Monsieur le Ministre que ça, j'attends de voir dans les établissements... j'attends de voir l'élément concret que ça nous apportera. Moi tant que je n'ai pas de certitude que notre enveloppe globale est augmentée, je ne vois pas très bien ce que ça va changer mais peut-être cela se fera-t-il. La démocratie...nous bloquons parfois effectivement des affichages mais nous bloquons les affichages sauvages. Le droit d'expression, il est reconnu aux lycéens lorsque les textes sont signés et lorsqu'ils sont affichés là ou ils doivent être affichés et c'est vrai qu'ils se sont plaint que nous décollions... que nous faisions décoller un certain nombre d'affiches, c'est lorsqu'elles sont collées au beau milieu d'une fenêtre ou autre. C'est ça que nous faisons.

Michel Field :
Olivia Jean, vous faites partie de la FIDL, une des organisations lycéennes partie prenante de ce mouvement. Vous êtes convaincue par les propos de Claude Allègre ce soir ?

Olivia Jean :
Je tiens d'abord à dire une chose à Monsieur Romero : c'est vrai que je ne jette pas la pierre aux proviseurs en général. Mais la réalité, c'est que dans certains cas, on a vu par exemple là dans les mouvements lycéens, des proviseurs menacer des élèves qui étaient partis manifester, de les renvoyer, de leur imposer des sanctions. Sur ce qu'a dit Monsieur Allègre, je pense que ce qui est important de souligner dans la mobilisation des lycéens, c'est qu'eux, ce qu'ils réclament, c'est un changement de fond dans la structure du lycée, un changement de leur vie quotidienne au lycée. Et quand Monsieur Allègre, je pense que c'est ce qu'il a dit, depuis dix jours... et ce qu'il a dit aujourd'hui : qu'il comprend les lycéens, qu'il met en place une réforme. D'une certaine manière, effectivement les lycéens ont tous répondu, ceux qui étaient dans la rue, la plupart ont répondu à la consultation. Ce qu'ils attendent aujourd'hui, d'une part, c'est que... je pense... d'être partie prenante de cette réforme jusqu'au bout, d'être de réels interlocuteurs parce que ne serait-ce que dans le lycée, ils n'ont pas réellement droit à la parole. Le discours général, c'est quand même soit jeune et tais-toi ! On ne peut pas le nier. Et dans la réforme, je pense que par exemple, sur la création du conseil de vie lycéenne, la question qui est soulevée de la démocratie lycéenne...ce que les lycéens demandent, c'est une vraie place dans le lycée. On leur répond : on vous donne une instance pour discuter entre vous. C'est une bonne chose, pour discuter avec les adultes, etc., c'est une bonne chose mais les lycéens demandent un droit représentatif, une citoyenneté, c'est ça la citoyenneté pour les adultes, c'est un vote où ils ont... parmi les citoyens, un vote, un suffrage... donc je pense que sur tous ces éléments-là, ce qui est important de voir c'est que les lycéens, ce qu'ils demandent aujourd'hui, c'est d'abord effectivement de changer leur vie quotidienne parce que aujourd'hui le problème des banlieues, le problème des lycéens en difficulté, ce n'est pas seulement les moyens, ce n'est pas seulement le manque de profs et le fait que les locaux sont parfois dégradés, c'est aussi le fait que ces lycéens-là, il faut leur donner à un moment donné ce que les lycéens du centre-ville ont et que eux n'ont pas, c'est-à-dire de la culture, des activités culturelles, citoyennes, du soutien scolaire. Et toutes ces choses-là, ça passe déjà par un changement d'emplois du temps.

Michel Field :
C'est vrai aussi que ça ne peut pas se faire en 24 heures.

Olivia Jean C'est vrai que ça ne peut pas se faire en 24 heures mais c'est ce que je disais au début sur le fait que les lycéens là-dessus, quand ils disent « on attends du concret, des actes », c'est aussi qu'ils soient partie prenante de ce qui va se passer jusqu'à la fin de l'année.

Claude Allègre :
Je voudrais juste dire que dans le colloque que nous avons organisé avec Philippe Mérieux, c'est la première fois qu'on consulte les lycéens. Et nous avons fait un choix et nous sommes fait mitrailler par des tas de gens...

Michel Field :
Verbalement...

Claude Allègre :
Mitrailler verbalement, en nous disant que c'était de la démagogie. Et nous pensions que c'était important et excusez-moi de dire ça, mais le mouvement montre aujourd'hui qu'il y avait cette aspiration. Donc j'ai dit au colloque de Lyon... nous avons dépouillé les questionnaires, nous avons compris, nous avons entendu et nous le ferons. Donc vous serez associés à la réforme mais je le répète sans démagogie, vous serez associés pour ce qui concerne, ce qui concerne l'organisation de la vie lycéenne, le fait que tous les lycéens doivent bénéficier des enseignements artistiques, je pense à ceux des lycées professionnels, ou même de la philosophie – il y a des expériences qui ont été faites à Nantes pour faire des cours de philosophie aux lycées professionnels, qui marchent très bien et que je trouve tout à fait remarquables. Il y a aussi le fait que quand nous demandons que les professeurs...on réduise leurs heures de cours, ce qui allégera leur change de préparation parce que pour certains, c'est quand même très lourd, mais fassent de l'aide aux élèves, les élèves doivent être aidés, l'égalité des chances, c'est ça, c'est d'aider. Quand vous pensez qu'aujourd'hui, la plupart des mentions bien et très bien au bac, sont obtenues soit par les élèves qui sont des fils d'enseignants, soit par des élèves qui prennent des leçons particulières, et là vous voyez que l'égalité des chances, elle n'existe pas. Et par conséquent, nous voulons des programmes qui soient plus centrés, nous voulons plus d'aides aux élèves, nous ne voulons pas moins d'école, nous voulons mieux d'école, c'est ça l'égalité républicaine. Pour moi, égalité des chances, l'élève au centre du système éducatif, l'élève au centre... c'est-à-dire on ne laisse pas des classes, on n'oublie pas l'élève ; et troisièmement moderniser notre système éducatif. Ça veut dire un changement. Ce changement, il se fera progressivement. Moi je vais vous dire une chose aussi parce que je n'ai pas envie de vous tenir un discours démagogique. D'abord dans le lycée, le lycée est un lieu de travail, la pédagogie c'est ceux qui savent, c'est les maîtres, c'est les enseignants. L'organisation, c'est les proviseurs, c'est l'administration. Mais la démocratie, il faut que vous la conquerrez, c'est une conquête la démocratie. Moi je vais vous aider. Moi je vais faire un règlement et je pense que les proviseurs aideront à ce que le règlement soit appliqué. Mais il faudra aussi, jour après jour, que vous soyez vigilants, que vous voyiez ce qu'il y a. Et nous aurons des organisations à la fois départementales, académiques, nationales et vous serez là pour dire... là par contre, il y a un dialogue à avoir.

Michel Field :
Daniel Lartichaut qui est de coordination aussi... vous êtes lycéen à Montaigne à Paris.

Daniel Lartichaut :
À vous entendre, tout le monde il serait beau, il serait gentil. Or quand même il y a un demi-million de lycéens qui sont mobilisés dans la rue. Et ce qu'on attend nous, c'est du concret. Il y a des problèmes matériels...

Michel Field :
Pas à Montaigne.

Daniel Lartichaut :
Non, pas à Montaigne.

Claude Allègre :
Non, mais c'est important que vous le précisiez, pas à Montaigne.

Daniel Lartichaut :
J'essaie de parler pour des lycéens qui ont des problèmes plus graves que les nôtres. On assiste en ce moment à une éducation à deux vitesses. Or à chaque fois vous nous donnez d'autres interlocuteurs. Il y a des problèmes de locaux, vous nous dites qu'il faut se tourner vers les régions, eh bien que chaque président de conseil général, s'engage de manière chiffrée. Vous nous dites aussi : il faut s'adresser aux recteurs, eh bien que chaque recteur aussi s'engage précisément. Et puis sur les questions des profs, vous nous dites que les sureffectifs, très bien, il faut les régler et que ça peut se régler maintenant juste par une question de redéploiement. Vous nous dites qu'il y a des profs qui n'ont pas de classe actuellement, eh bien donnez-nous des chiffres parce qu'on n'en sait rien, vous ne nous dites pas combien il y a de profs qui pourraient être disponibles pour régler tous les problèmes. Nous, on a une revendication précise par exemple, c'est que dans chaque classe, il n'y ait pas plus de trente élèves et que dans les cours de langue, il n'y ait pas plus de quinze élèves ; Ce n'est pas le cas pour le moment. On en est loin.

Michel Field :
Ça, vous êtes incapables de le faire même d'ici la Toussaint, enfin je vous le demande.

Claude Allègre :
Je vais vous répondre sur le problème de...Je ne fais pas de démagogie. Je voulais simplement préciser : à Montaigne, il n'y a aucun problème.

Michel Field :
C'est toujours risqué de dire ça de la part du ministre parce que demain, vous allez avoir Montaigne en grève parce qu'il y aura forcément quelque part quelqu'un qui trouvera...

Claude Allègre :
Non, il n'y a pas des problèmes qui sont comparables aux problèmes qu'il peut y avoir dans les banlieues par exemple. Bon. Et d'ailleurs c'est bien ce qu'on voit : à Paris centre, ce n'est pas la banlieue. Maintenant, le problème des effectifs par classe. Il ne faut pas faire une mythologie...il y a des classes où il faut avoir peu d'effectifs...si vous voulez apprendre les langues, il faut des effectifs allégés. Si vous avez des cours magistraux, il faut savoir que l'an prochain, ils seront en faculté, ils seront dans des amphis dans lesquels il y aura trois cents ou quatre cents ou mille élèves s'ils sont en droit, en face d'un prof qui fait cours, c'est comme ça à la faculté. Donc ce n'est pas là que ce situe le problème, ce n'est pas globalement justement. A chaque fois on a posé dans le passé les problèmes globalement, quantitativement, il faut les poser cas par cas. Mais sur le problème des langues, je vais vous donner un exemple : la plus grande tension, c'est en espagnol, il n'y a pas de prof, il n'y a pas de candidat ! On en a pris cette année au CAPES...six ! Il n'y a pas assez de profs d'espagnol. Et donc c'est un problème. On en est à voir si on ne peut pas utiliser des locuteurs natifs faire les cours d'espagnol.

Michel Field :
Je voudrais laisser la parole à une parente d'élève, Marie-Pierre Ben Haddou, vous êtes parente d'élève dans un collège d'Asnières, qui a été occupé je crois pour des raisons de manque de sécurité, deux surveillants pour près de mille... plus de mille élèves, c'est ça ?

Marie-Pierre Ben Haddou :
Oui, tout à fait. Alors c'est vrai que notre démarche, elle est un peu différente de celle des lycéens. Mais quand vous indiquez qu'il y a effectivement deux vitesses. Bien évidemment, nous sommes sur un collège donc à Asnières, dans le quartier nord, il y a 1 250 élèves pour une capacité de huit cents élèves. Si bien que nous avons eu effectivement à la rentrée de septembre énormément d'enseignants qui n'avaient pas été nommés sur le collège. Alors il est évident que ça pose énormément de difficultés parce qu'un enseignant...le zéro défaut, un enseignant devant chaque classe, nous, on ne les a pas eus...

Claude Allègre :
Je n'ai pas dit que je le ferai d'un coup.

Marie-Pierre Ben Haddou :
On le sait très bien mais si vous voulez, on est quand même sur des secteurs en grande difficulté et si vous voulez, c'est des secteurs où on ne peut pas se permettre des irrégularités comme ça ! On a aussi beaucoup d'enseignantes qui doivent partir en congé de maternité notamment et ça pose de difficultés puisque nous avons donc... en plus nous sommes un collège en pleine rénovation, ce qui pose d'énormes soucis si vous voulez, de violence telle, gérés par une structure complètement inadaptée. Alors quand vous dites effectivement, deux vitesses, soit, ça on le sait parfaitement ; nous à Asnières, on a ciblé trois collèges qui sont en sureffectif. On attend un quatrième collège bien évidemment qui nous a été promis mais nous sommes quand même relativement réservés par rapport à cela. Mais bon, l'enseignement aussi est tout à fait primordial sur des zones qui sont complètement sinistrées comme la nôtre.

Michel Field :
Claude Allègre... On a toujours cette impression-là, c'est-à-dire de vraies intentions générales et en même temps chaque fois, le réel insiste malgré vous.

Claude Allègre :
Mais non Michel Field ! Je suis obligé de vous dire non, excusez-moi. Il y a des dizaines de milliers de lycées et naturellement c'est ceux dans lesquels il y a des problèmes dont on parle. Comme disait l'un de vos confrères journalistes, les trains qui arrivent à l'heure ne m'intéressent pas et néanmoins le problème du gouvernement c'est de faire que les trains arrivent à l'heure. Donc il y a un certain nombre de problèmes mais il ne faut pas décrire ça comme une généralité sur tout le territoire. Il y a un certain nombre de problèmes et nous sommes là pour les résoudre. Je ne voudrais pas qu'on déborde sur les collèges mais Madame a soulevé un problème qui est vrai, qui est réel pour les lycées aussi, c'est que depuis des années, on n'a pas fait assez d'efforts sur les surveillants et que la présence à l'intérieur du collège, à l'intérieur du lycée, de surveillants, n'est pas suffisante à mon avis.

Michel Field :
Des mesures concrètes, là, pour qu'il y ait plus de surveillants dans les collèges et les lycées ?

Claude Allègre :
Il faut des mesures concrètes, non seulement on prendra des mesures concrètes là mais on prendra des mesures concrètes pendant plusieurs années pour remettre des surveillants à l'intérieur...

Michel Field :
Emplois jeunes ? je ne sais pas...

Claude Allègre :
Non, des surveillants, dans l'esprit...excusez-moi de rappeler ça, dans l'esprit de 37.

Michel Field :
Des pions...

Claude Allègre :
Oui, et qui sont de futurs enseignants, des gens qui se préparent à être enseignants et qui sont là en avance pour déjà commencer et qui apprendront en même temps leur métier.

Michel Field :
Des étudiants qui se destinent au professorat...

Claude Allègre :
C'est le statut. Il n'est pas appliqué depuis des années mais c'est le statut.

Michel Field :
Et c'est un réservoir de combien de gens, ça, à vue de nez ?

Claude Allègre :
C'est un réservoir important. Actuellement, on a laissé le statut dériver. Ils doivent faire 28 heures, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent pas faire d'études normales. Je crois qu'il faut rénover ce statut mais il faut créer davantage de surveillants.

Michel Field :
Il y a une jeune fille qui veut absolument parler depuis le début de l'émission, mais une minute, parce que ce n'est pas du tout prévu.

Lycéenne :
Bonsoir, je suis élève en première économique et sociale au lycée Auguste-Blanqui à Saint-Ouen et je suis responsable du journal que vous avez devant vous, « Les passages », et je voulais intervenir sur le fait que je crois que les lycéens ont manifesté...c'est bien au-delà des moyens, je crois qu'ils veulent vraiment faire partie...et pouvoir parler et s'exprimer, ce que nous, nous faisons au travers d'un journal ; et ils veulent vraiment être acteurs. Quand on voit des membres du Front National, être membres du C.A.(phon) ; je crois qu'il y a de quoi s'affoler, non ? Et les lycéens sont sortis...je pense que toute ma classe est solidaire, sont sortis pour parler et pour montrer leur mécontentement, pour montrer que l'école doit rester un lieu ou les inégalités...où les chances sont là pour tous, pour que tout le monde puisse réussir. Et lorsqu'on voit que partout, ce n'est pas la même chose et qu'il faut bien montrer que lorsqu'un élève est en échec scolaire, c'est sûr qu'il sera plus facilement manipulé par quelque groupe extrémiste quel qu'il soit. Et je pense qu'il est important de souligner ce fait-là car ce n'est pas pour rien qu'in descend dans la rue pour parler et pour crier. Je crois qu'il y a vraiment une volonté d'investir totalement et de pouvoir prendre part à toutes les décisions quelles qu'elles soient et surtout lorsqu'elles nous concernent.

Michel Field :
Si vous décevez ce mouvement, si mercredi, les réponses que vous apportez...vous les répéterez inlassablement jusqu'à ce qu'ils comprennent, jusqu'à ce qu'ils retournent dans leurs classes ? Vous risquez quelque chose là non ? De ce dialogue que vous essayez d'avoir avec les jeunes...

Claude Allègre :
Pourquoi voulez-vous par avance...pourquoi voulez-vous me dire, si vous les décevez ?

Michel Field :
Prenons l'hypothèse la pire !

Claude Allègre :
Et si vous décevez vos téléspectateurs...

Michel Field :
Ils zappent et ils s'en vont tout de suite et je suis viré ! Est-ce que ça pourrait vous arriver ?

Claude Allègre :
Non...vous verrez bien. Je vous le répète encore une fois que les réponses sont données...ne personnalisez pas les choses. Il y a une politique qui est une politique du gouvernement. C'est une politique collective et c'est pourquoi on ne fait pas n'importe quoi. Moi je suis... Quand vous me parlez, vous demandez à Dominique Strauss-Kahn... je suis solidaire de la politique économique que mène Dominique Strauss-Kahn. Je suis solidaire des arbitrages budgétaires que donne le Premier ministre par rapport à ça. Et il n'y a pas quarante voleurs en train d'essayer de taper dans la caisse, il y a une politique cohérente qui est animée...arbitrée par Lionel Jospin et sur laquelle nous adhérons. Nous faisons au mieux. Il faut que les lycéens de ce pays aient les conditions de faire leurs études dans la limite de ce que nous pouvons faire. Nous sommes déjà, je le répète, l'un des pays du monde qui met le plus d'argent sur l'éducation. Par conséquent, ceci veut dire qu'il y a des limites. Il ne suffit pas de dire « plus de postes », plus de postes, plus de postes ! Je répète ce que j'ai dit tout à l'heure : ceux qui disent « plus de postes, plus de postes », ils disent « moins d'infirmières, moins d'infirmières », je dis : il y a un équilibre à avoir mais il faut satisfaire les demandes des lycéens et je crois que nous les satisferons.

Michel Field :
Claude Allègre, merci. Pardon à ceux et celles que je n'ai pas pu faire parler ou pas assez parler, c'est le sort de ce type d'émission. Vous avez rendez-vous avec Claire Chazal au journal de vingt heures dans un instant.