Interviews de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans "Le Journal du dimanche" le 20 septembre 1998 et "L'Express" le 1er octobre, sur le choix de la procédure parlementaire et non référendaire pour la ratification du traité d'Amsterdam et sur la victoire des sociaux démocrates (SPD) en Allemagne.

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Média : Emission Forum RMC L'Express - L'Express - Le Journal du Dimanche

Texte intégral

Le Journal du Dimanche: 20 septembre 1998

Q – Il y a six ans jour pour jour, le traité de Maastricht avait été ratifié par référendum, qu'en sera-t-il de celui d'Amsterdam ?

– Le processus de ratification du traité d'Amsterdam est ouvert : il sera parlementaire. Cela tient à la nature du traité. Amsterdam, ce n'est pas Maastricht 2, c'est un certain nombre de compléments techniques aux traités européens, plutôt positifs dans un certain nombre de domaines : le social, les services publics, l'emploi, le droit des citoyens, par exemple l'interdiction de toute discrimination fondée sur la race, le sexe ou les convictions. Ne nous trompons pas d'objectif, ni de combat. Si, à propos d'un traité technique comme celui d'Amsterdam, on demandait de répondre pour la énième fois par « oui » ou par « non » à la construction européenne, alors on se tromperait de débat au risque de malhonnêteté intellectuelle.

Q – Pourtant, avant leur arrivée au pouvoir, les socialistes contestaient ce traité. Leurs doutes de l'époque ne devraient-ils pas conduire il un débat public tel qu'une campagne référendaire ?

– Le débat public aura lieu. Nous sommes dans un pays démocratique, le fait que le Parlement se prononce, qu'il puisse y avoir plusieurs lectures, qu'il y ait d'abord un débat sur une révision constitutionnelle, puis sur la ratification du traité permet un grand débat sur l'Europe. Ce débat aura lieu devant la représentation nationale qui, comme son nom l'indique, est l'émanation politique des Français. Nous croyons beaucoup au rôle du parlement. En l'occurrence, il va avoir à s'exercer pleinement en matière constitutionnelle. Quant à nous, socialistes, il est vrai qu'Amsterdam ne peut pas nous satisfaire complètement car le traité comporte des lacunes importantes, comme l'absence totale de réformes institutionnelles, alors que c'était précisément l'objet de la conférence intergouvernementale qui a précédé Amsterdam. Mais quand on regarde le traité plus en détail, on s'aperçoit qu'il comporte des avancées positives qu'il faut capitaliser. Comme l'idée d'un « M. Pesc » (Politique étrangère et de sécurité commune) qui est une idée positive contenue dans Amsterdam. Cela permettra à l'Europe d'être mieux identifiés et plus active sur ces sujets essentiels. Donc, il ne faut pas renoncer aux acquis de ce traité au prétexte qu'il n'est pas parfait. C'est ce que j'ai expliqué aux députés socialistes mardi dernier. J'ai d'ailleurs senti une évolution dans leurs rangs. Encore faudra-t-il que la droite soit capable de faire preuve du même esprit de responsabilité et de se mettre en cohérence avec le président de la République qui a négocié ce traité.

Q – Mais certains, justement à droite, réclament un référendum et estiment que, s'il n'a pas lieu, c'est par peur du « non »…

– Je laisserai les gauchistes trancher entre eux leurs querelles idéologiques. Je suis totalement incompétent pour me prononcer sur le fait de savoir qui, chez eux, représente la vraie foi. Mais je pense que le président de la République a raison de considérer, avec le gouvernement, que c'est un traité très complexe et que la question posée, s'il y avait référendum, risquerait de manquer totalement de clarté. Ce serait alors, selon moi, la porte ouverte à toutes les démagogies, à toutes les confusions. Donc, à traité technique, travail technique. C'est-à-dire travail parlementaire, sérieux, objectif auquel la majorité comme l'opposition, l'Assemblée nationale comme le Sénat pourront contribuer. Ce n'est donc pas du tout par crainte du « non » que nous ne souhaitons pas le référendum, c'est pour éviter une fausse campagne sur de faux sujets dont le traité d'Amsterdam ne serait qu'un prétexte et qui ne permettrait pas les avancées complémentaires que nous voulons. Je ne prends pas ce traité tel quel, ni comme un aboutissement, mais comme une étape, certes insuffisante. Sortons des querelles de religion qui opposent la souveraineté, la notion et l'Europe, essayons plutôt de faire avancer ensemble l'Europe et la France. Amsterdam, à condition d'être complété, va dans ce sens.

Q – Quelle serait la meilleure tête de liste de gauche pour les européennes de 1999 ?

– La première des choses, c'est qu'il faut être capable de politiser ces élections européennes, de faire en sorte qu'elles ne soient pas uniquement le décalque de nos traditionnelles batailles nationales. Il est donc très important que les partis politiques se structurent au niveau européen et qu'il y ait des programmes européens. Pourquoi pas, comme le proposait Jacques Delors, des candidats des deux grandes formations – le Parti socialiste européen et le Parti populaire européen – s'opposant sur un programme pour la présidence de la Commission ou celle du Parlement européen ? Je souhaiterais vraiment des élections européennes qui soient européennes, qui soient entraînantes, qui parlent des enjeux concrets quotidiens de l'éducation, de la culture, de l'action de l'Europe dans des régions. Bref, qui dessinent l'Europe du futur. C'est à cela que doivent travailler d'abord les socialistes européens : avoir un programme. Et comme le dit François Hollande, le premier secrétaire du PS, ce qui compte, ce ne sont pas les enthousiasmes de septembre mais ceux de janvier ! Quand je lis les journaux, je vois que nous avons un certain nombre de candidats potentiels qui sont tous extrêmement valables, nous choisirons le meilleur en fonction de la situation un peu avant l'élection.


L'EXPRESS: 1er octobre 1998

Q - Existe-t-il aujourd'hui, selon vous, une majorité parlementaire pour ratifier le traité d'Amsterdam ?

– On peut imaginer qu'un texte négocié par le président de la République, sous une majorité de droite, et accepté par le gouvernement actuel, soit approuvé par une large majorité. Il sera soumis tel quel aux parlementaires, et la révision constitutionnelle sera limitée comme le président et le gouvernement l'ont décidé pour répondre au Conseil constitutionnel. Il s'agira de débattre du fond du problème : pour moi, les avantages indéniables du traité, en matière d'emploi, de politique sociale, de services publics, de politique étrangère et de sécurité, l'emportent sur ses lacunes importantes, à savoir l'absence de réformes institutionnelles.

Q - Le Parlement n'aura-il aucune marge de manoeuvre ?

– Le Parlement jugera sans doute nécessaire de compléter la révision constitutionnelle et, notamment, d'étendre le contrôle des Parlements nationaux sur les actes communautaires. De même, les parlementaires voudront affirmer leur souci qu'il soit procédé à des réformes institutionnelles avant tout élargissement de l'Union européenne. Mais, en tout cas, il n'y aura pas de ratification sous condition.

Q - Le chef de l'État et le gouvernement sont-ils, ici, exactement sur la même longueur d'onde ?

– Jacques Chirac et Lionel Jospin partagent le sentiment que le traité doit être ratifié. J'ajoute qu'il n'y a rien dans le traité qui me gêne. Ce qui me gêne, c'est ce qui manque, puisque, de fait, ce n'est pas le grand traité refondateur de l'Europe politique.

Q - Le Parti du président. Le RPR, n'est pas enthousiaste. Êtes-vous prêt à des concessions ?

– C'est du RPR que doit venir la clarification. Ce texte, faut-il le rappeler, a été négocié par le gouvernement Juppé, sous l'autorité de Jacques Chirac, avec un ministre des Affaires européennes, Michel Barnier, membre du RPR. Si ce parti adoptait une attitude défavorable, ce ne serait pas une difficulté pour les socialistes, mais ce serait un problème pour la France.

Q - L'arrivée de Gerhard Schröder au poste de chancelier en Allemagne est-elle une aubaine pour l'Europe ?

– C'est un changement nécessaire et salutaire. En termes de volontarisme économique, de cohésion sociale et même de rénovation des institutions, les positions de Gerhard Schröder sont proches des nôtres. Helmut Kohl a beaucoup apporté à la construction européenne. Mais, depuis plus d'un an, l'Europe était paralysée. Avec le nouveau chancelier, une relance européenne et un renouveau des relations franco-allemandes deviennent possibles.