Interview de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe parlementaire socialiste à l'Assemblée nationale, dans "Le Figaro" le 29 septembre 1998, "Libération" le 10 octobre et à RTL le 12, sur le rejet de la proposition de loi sur le Pacs et l'absence des responsables des groupes parlementaires de la majorité plurielle, les critiques du PCF sur les dispositions fiscales du projet de budget pour 1999 et celles de Jacques Chirac sur le projet de loi d'orientation agricole.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Adoption d'une motion d'irrecevabilité sur le Pacs à l'Assemblée nationale le 9 octobre 1998

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Emission Forum RMC Libération - Emission L'Invité de RTL - Le Figaro - Libération - RTL

Texte intégral

LE FIGARO : 29 septembre 1998

LE FIGARO. - On attendait une rentrée sans passions excessives. Le Pacs ne va-t-il pas mettre le feu aux poudres ?

JEAN-MARC AYRAULT - Le Pacs a évolué, s'est affiné, et je crois que la plupart des députés socialistes me sont finalement reconnaissants d'avoir pris, en tant que président de groupe, l'Initiative d'empêcher l'enregistrement du Pacs à la mairie, afin d'éviter toute polémique sur l'aspect matrimonial de ce contrat. Malgré toutes ces précautions, On sent que la droite cherche un angle d'attaque. Certains caricaturent le débat en espérant réaliser un coup tactique. Ne faisons pas dire au Pacs ce qu'il il n’est pas. Et n'oublions pas qu'il concerne cinq millions de personnes qui attendent que nous comblions un vide juridique.

LE FIGARO. - Le Pacs est loin de faire l’unanimité à droite, mais il y a également des réticences chez les socialistes.

- Ceux qui, dans nos rangs, étaient favorables à l'enregistrement du Pacs à la mairie - ce qui représente une dizaine de députés socialistes sur plus de 250 - sont revenus sur leur position. Comment auraient-ils pu ignorer que l'écrasante majorité de nos parlementaires, mais aussi de nos élus locaux, attachés à la cérémonie du mariage, refuse que le Pacs soit contracté à la mairie ? Pour éviter tout malentendu, notre rapporteur, Patrick Bloche, a finalement proposé que la Pacs soit enregistré à la préfecture, qui est un lieu plus neutre.

LE FIGARO. - Le Premier ministre, qui n'a jamais été un inconditionnel du Pacs, n'a-t-il pas donné le feu vert à cette proposition de loi dans un souci tactique : diviser une fois de plus la droite tout en offrant une mesure de gauche à ses alliés, au moment précis où ceux-ci s'apprêtent à examiner le projet de budget ?

- Certainement pas. Lionel Jospin est attaché aux principes républicains. Il ne souhaite pas se laisser entraîner par des effets de mode, mais il est également soucieux de prendre en compte les évolutions profondes de la société. Dans cette affaire, le Premier ministre a toujours eu le souci d'éviter le mélange des genres. Dans la version actuelle du Pacs, il n'y a pas de contusion possible avec le mariage. De même qu'il n'y à pas de confusion possible par rapport à l'adoption ou à la filiation.

LE FIGARO. - Comment allez-vous bâtir un budget qui soit compatible avec nos engagements européens et avec les revendications de vos alliés communistes ?

- Je ne comprends pas bien où les communistes veulent en venir sur le plan budgétaire. Attendent-ils uniquement des mesures fiscales symboliques par rapport à leur électorat, qui leur permettraient de retrouver l'Identité qu'ils ont perdue ? Ce n'est pas la bonne approche. Avant d'examiner les mesures fiscales, les communistes devraient se demander si les priorités de l'action gouvernementale respectant bien les engagements pris devant les électeurs par les composantes de la majorité plurielle. Car Il n'y a pas que les impôts dans un budget, Il ya aussi les dépenses.

Or, que voit-on au chapitre des dépenses ? La poursuite du financement du plan emplois-jeunes, des 35 heures, des mesures contre l'exclusion, mais aussi une augmentation des dépenses en faveur de la politique de la ville, des jeunes en difficulté, ou de l'environnement. Ce budget est bien un budget de gauche, qui répond aux engagements que nous avons pris en commun devant les électeurs. Par ailleurs, je rappelle aux communistes, qui avalent demandé un durcissement de l'ISF et des baisses ciblées de TVA, qu'Ils obtiennent satisfaction sur ces deux points.

LE FIGARO. - Que vous inspirent les résultats des élections de dimanche ?

- Les sénatoriales ne sont pas une surprise mais une confirmation. Celle qu'il faut réformer le mode de scrutin si on veut obtenir une représentation équitable au Sénat. Quant aux législatives partielles, elles appellent deux types de réflexion. L'échec du candidat socialiste à Dunkerque est une surprise. II faut se demander pourquoi il a échoué, d'autant que le résultat final ne correspond pas à celui du premier tour. Sur l'élection de Toulon, c'est la confirmation qu'on peut élever un barrage républicain contre le FN. Symboliquement et politiquement, c'est fort de signification. Cela ne pale pas de ne pas aller jusqu'au bout contre le FN. L'Alliance ferait bien d'y réfléchir.


LIBÉRATION : 10 octobre 1998

Q - Pourquoi les députés socialistes étaient-ils aussi peu nombreux à siéger ?

Cette question doit aussi être posée aux députés des sous-groupes Verts, MDC, Radicaux ou du groupe communiste, dont le président n'était pas présent. Le vendredi, pour ce qui nous concerne, seuls les députés permanents sont là : une cinquantaine au total. Les élus ont des obligations de circonscription. Il est totalement faux de dire que des députés socialistes étaient absents parce que certains seraient hostiles au Pacs. Ils ont fait campagne en 1997 avec un programme qui contenait cette proposition, et entendent respecter leurs engagements. Nous avons en revanche sous-estimé l'intention tactique de la droite de vouloir faire un coup sur le Pacs.

Q - Sur un texte aussi emblématique pour elle, n'était ce pas prévisible ?

Peut-être avons-nous péché par un excès de confiance. Comment imaginer que, sur un problème de société qui concerne près de cinq millions de personnes, la droite puisse être aussi conservatrice et réactionnaire ? Je crois qu'elle a cherché à envoyer un message clair aux électeurs du Front national et à ses dirigeants. Ceux-ci n'ont d'ailleurs pas tardé à se réjouir de l'irrecevabilité du Pacs.

Q - Quelles conséquences allez-vous tirer d'un tel ratage !

Je n'en tire pas de conséquences pour le fonctionnement du groupe. Notre système de permanence a jusqu'ici bien fonctionné. Nous allons seulement être plus vigilants pour faire face aux coups tordus de la droite et donc demander aux députés d'être là plus souvent et plus nombreux. Quant à moi, je ne peux pas porter tous les chapeaux. Il y a, certes, le groupe socialiste et son président, mais aussi un premier secrétaire du PS et un ministre des Relations avec le Parlement. Et puis, je le répète, l'incident concerne toute la majorité plurielle et les responsables des différents groupes et partis. Enfin, je crois qu'il ne faut pas dramatiser : le texte va revenir dans quelques jours devant les députés et finira par passer.

Q - En êtes-vous si sûr ?

Le groupe socialiste ne fait jamais défaut au gouvernement et ne pratique pas, comme d'autres, la surenchère. Je peux vous assurer que les députés absents vendredi seront là lors du prochain examen du Pacs. Ce qui s'est passé ne sera alors plus qu'un épisode regrettable.


RTL - lundi 12 octobre 1998

Q - Jeudi soir à la télévision, L. Jospin annonce que le Pacs sera voté normalement ; et le lendemain, patatras ! il n'est pas voté parce qu'il n’y a pas suffisamment de députés socialistes à l'Assemblée. Vous vous sentez personnellement responsable de ce hiatus ?

- « Non. Le groupe socialiste a fait son travail, il le fait toutes les semaines, tous les jours. Chaque député sait exactement quand il est de permanence, Nous les avons relancés. Nous avions pris la précaution d'avoir un nombre supplémentaire de députés, donc... »

Q - Vous n'étiez que trente-neuf !

- « Soixante s'étaient engagés à être là, et beaucoup, qui s'étaient engagés personnellement jusqu'à l'avant-veille à être là, ne sont pas venus. Donc, nous allons nous en expliquer demain à la réunion du groupe socialiste. Mais en tout cas, ce n'est pas un problème d'organisation comme cela a été dit. Alors si on me demande de faire preuve d'autorité, je crois en faire preuve ; si on me demande de faire preuve d'autoritarisme, c'est autre chose, mais on en parlera également demain. Mais en tout cas, il y a une chose qu'on ne peut pas me demander : c'est d'envoyer des gendarmes pour aller chercher les députés. Donc, c'est aussi une question de responsabilité individuelle. Si chacun avait réagi de façon responsable, je crois que ce problème ne se serait pas posé. Il n'y a qu'un écart de dix voix entre la droite et la gauche sur ce texte, et il manquait aussi beaucoup de monde chez les communistes et chez le groupe RCV. D'ailleurs, j'ai noté que ni le président du groupe communiste, ni le président du groupe RCV n'avait pensé se déplacer. »

Q - Donc, beaucoup de députés socialistes, qui devaient être présents, n'étaient pas là ?

- « Non. Mais ce que je voudrais, c'est qu'on arrête de faire un procès, quand même, au groupe socialiste. Parce que c'est un peu facile, même si cet incident - et il s'agit d'un incident, et d'un épisode, parce que nous allons revenir au Pacs - est tout à fait regrettable. Jusqu'à présent, depuis le début de la législature, tous les textes, y compris les plus difficiles, y compris ceux pour lesquels, peut-être, certains députés socialistes avaient des réticences, ont été votés, et nous nous sommes souvent trouvés seuls, les députés socialistes, de la majorité à voter les textes du Gouvernement. Donc, c'est quand même cela qu'il faut rappeler. »

Q - Dites-moi, vous avez vu F. Hollande depuis vendredi. Vous lui avez demandé pourquoi il n'était pas là en tant que premier secrétaire du PS ?

- « F. Hollande est premier secrétaire du Parti socialiste. Je pense qu'il a des responsabilités nationales beaucoup plus larges. Donc, je ne le mettrai pas du tout en cause personnellement. Mais beaucoup d'autres, qui ont des responsabilités politiques, qui ne sont pas des débutants en politique, n'ont pas besoin d'être reconvoqués sans cesse. Ils savaient très bien qu'ils avaient à être là. Je pense à ceux qui ont exercé des responsabilités gouvernementales ou des responsabilités politiques ici ou là. Entre une inauguration et une permanence quand il y a un texte important, c'est facile de choisir. Alors, on a beau les relancer, ils ne sont pas venus. On va s'expliquer demain. »

Q - Vous parlez bien l'anglais, vous avez entendu L. Jospin sur CNN, qui a parlé de « good whip ». Alors est-ce que vous êtes un good whip ?

- « Je ne suis pas là pour me décerner des récompenses... »

Q - Vous savez ce que cela veut dire, whip ?

- « Bien sûr, mais en tout cas, il ne s'adressait pas aux Français. Il s'adressait à des auditeurs plutôt étrangers. »

Q - Vous êtes populaire aux Etats-Unis, maintenant !

- « Peut-être. Je ne sais pas. Je ne crois pas que cela intéresse beaucoup les Américains, parce que c'est des affaires, quand même, très franco-françaises. La droite se réjouit, mais n'a gagné qu'une bataille de procédure, elle n'a pas gagné une bataille politique. Le Pacs va revenir. Et surtout, quand je vois M. Séguin, qui jubile, cela le sort peut-être un instant, comme si c'était un comprimé euphorisant qui lui faisait du bien, de sa déprime politique chronique. Mais il n'empêche que le Pacs va revenir, parce que le Pacs est une réforme sociale qui doit être votée. Et ce qui me parait particulièrement choquant, c'est de voir M. Séguin, qui déserte de plus en plus les bancs de l'Assemblée nationale, venir un vendredi pour diriger une cohorte de députés extrémistes, sur des bases les plus réactionnaires, et il est content de lui ! Mais enfin, à qui a-t-il fait un clin d'œil, sinon à J.-M. Le Pen, qui, dans la minute qui a suivi, s'est réjoui. Et on a entendu des noms d'oiseaux, des propos totalement inqualifiables. Je crois qu'aujourd'hui, il y a des hommes et des femmes, des couples, homosexuels ou hétérosexuels, qui attendent ce texte. Et nous, nous pensons qu'il faut voter ce texte très rapidement. »

Q - Mais pourquoi, au PS, n’y a-t-il pas la liberté de vote ou la liberté d'expression, comme c'est le cas à droite ? Après tout, on a entendu R. Bachelot, à droite, dire qu'elle était favorable.

- « Au groupe socialiste, puisque vous me demandez comment cela se passe, il y a une liberté de parole totale, et il y a une liberté de vote au sein du groupe socialiste, Et donc, demain matin, je vais redemander à tous les députés socialistes s'ils sont d'accord pour qu'on redépose un nouveau texte sur le Pacs, qu'ils voteront : et là, on verra. Et je suis convaincu d'avoir une réponse positive. Et que tout ce qui a été dit, au moins aura le mérite de balayer tous les mensonges et tous les ragots qu'on a pu raconter sur les députés socialistes qu'ils soient de Paris ou qu'ils soient de province, parce qu'il y a quand même, parfois, des procès qui sont faits aux provinciaux. Vous savez, à Nantes, ici, où je suis en direct, on délivre, depuis plusieurs années, des certificats de vie commune à des couples hétérosexuels et homosexuels. On en délivre à peu près 1 000 par an. Cela n'a pas la valeur juridique d'un Pacs, c'est certain, mais c'est une petite reconnaissance, petite avancée. Eh bien, ici, peut-être qu'il y a eu des polémiques, il y a eu des gens de droite et d'extrême droite qui ont protesté. Mais les Nantais sont aussi des gens tolérants. Il n'y a pas que des gens ouverts et tolérants dans le VIe arrondissement, comme le disait M. Cotta tout à l'heure, il y en a aussi en province. Il faut arrêter de prendre les provinciaux pour des gens attardés. »

Q - Quand le Pacs va-t-il revenir à l'Assemblée. On disait le 24 octobre, et puis maintenant...

- « 24 et 25 octobre - dans la précipitation, ces dates ont été annoncées - c'est un samedi et un dimanche. Or, moi, je vous dis tout de suite que si on veut se réunir le samedi et le dimanche pour faire travailler dignement le Parlement, moi je n'en suis pas, cela ne me parait pas sérieux, cela me parait tout à fait débile. Alors, il faut trouver une date, d'abord qui respecte la loi... »

Q - C'est D. Vaillant qui avait annoncé cela !

- « Non, il avait annoncé que si le Pacs devait continuer son examen - et c'est ce qui avait été prévu, si la droite n'avait pas gagné cette petite bataille de procédure jeudi - et qu'il avait fallu finir ce texte, nous l'aurions fait le 24 et 25 octobre. Mais commencer un texte aussi important le samedi et le dimanche, je peux vous dire que cela ne sera pas le cas, et c'est au Gouvernement, puisqu'il en a la responsabilité - c'est lui qui décide l'ordre du jour - de trouver la bonne date, au bon moment, pour que ce texte soit voté rapidement, dans les semaines qui viennent, avant la fin de l'année à l'Assemblée nationale. Ensuite, il ira au Sénat ; et puis ensuite, il reviendra ; et puis il sera voté définitivement : et cela sera la loi de la République. »

Q - Vendredi, vous vous en êtes pris également au Président de la République, à J. Chirac. Pourtant, ce n'était quand même pas lui le responsable de l'absentéisme des députés socialistes !

- « Non, mais il est quand même responsable de toutes les dérives ultra de ses amis. Vous savez, on est en train de voter une loi d'orientation agricole, qui est une loi moderne, qui prend en compte à la fois les besoins d'emplois dans ce domaine, dans ce secteur, et en même temps, les questions d'environnement, la gestion de l'espace, et la qualité des produits. C'est une loi d'orientation agricole, qui va de l'avant et qui tient compte de l'aspiration des Français. Eh bien, il est redescendu sur le terrain pour lancer la bataille contre cette loi, comme s'il se croyait à l'époque de G. Pompidou, d'un productivisme excessif, où on produit n'importe quoi. Je crois qu'il faut arrêter cela, arrêter de polluer aussi - on voit les problèmes que cela pose. J. Chirac, c'est d'abord le chef de l'opposition, et c'est pour cela que je me suis permis de l'attaquer. Et donc, avec P. Séguin, qui était son voltigeur de pointe, vendredi à l'Assemblée nationale, il défend les mêmes thèses, des thèses réactionnaires et conservatrices. Donc, arrêtons de déifier le Président de la République qui, au fond, est aussi un peu le Président... il me fait penser à V. Auriol. Il est tout à fait respectable, V. Auriol, je viens de lire un livre sur lui pendant l'été, il avait le ministère de la parole. Il n'avait pas grand-chose d'autre à faire... »

Q - La béatitude de la cohabitation, c'est fini ?

- « Ce n'est pas le problème. Ceux qui gouvernent, ceux qui ont les difficultés du quotidien, ceux qui essaient d'apporter des réponses aux Français, des réponses sur leur vie quotidienne et leur assurer leur avenir, réformer la société française, faire en sorte que la croissance se poursuive pour que l'emploi se développe, cela, c'est la tache du Gouvernement »