Texte intégral
O. Mazerolle
La Bibliothèque nationale de France a coûté 8 milliards de francs. Elle est fermée au public depuis deux semaines pour cause de grève. Elle n’est pas en état de marche. Comment cela se fait ?
C. Trautmann
– « Je crois qu’il faut revenir aux justes proportions. Ce qu’il s’est passé, c’est une panne d’informatique le 13 octobre dernier, mais qui a été, au fond, un peu le catalyseur de tous les problèmes qui pouvaient être ressentis par le personnel. Passer de la rue de Richelieu, cette vénérable maison, à la Grande bibliothèque de France était une difficulté. Je crois qu’il faut prendre la mesure de ce qui est le rodage d’un bâtiment, d’un système informatique. Il peut y avoir – cela a été le cas pour tous les grands équipements de ce genre – une période d’adaptation. Mais surtout, je comprends le trouble et les difficultés du personnel. Je rencontre, d’ailleurs, l’intersyndicale cet après-midi. Il y a des problèmes d’organisation du travail, de prise en compte de cette période d’adaptation de l’outil et de l’organisation. »
O. Mazerolle
Justement, D. Jamet, qui a été le premier patron du projet, dit ce matin, dans France-Soir : au point où on en est, puisqu’il faut un temps de rodage, on n’a qu’à fermer de nouveau la bibliothèque, et puis lui permettre de redémarrer sur de bonnes bases !
C. Trautmann
- « C’est bien facile de dire cela, mais c’est oublier qu’une bibliothèque est là pour le public, le grand public et les chercheurs, et qu’à l’heure actuelle, beaucoup de chercheurs ne peuvent pas et sont gênés, en fait, dans leur travail, que ce soit pour leur thèse ou pour leurs enseignements, leurs recherches. Il faut absolument qu’un équipement public serve au public. Par contre, et nous en discuterons cet après-midi, je crois qu’il faut prévoir ces plages de temps à la fois pour la formation complémentaire des agents, et, en même temps aussi, pour pouvoir pallier à cette organisation. Je souhaite que tout le monde s’y mette, que cela soit à la fois le travail de la direction et le travail de l’ensemble du personnel – et j’y veillerai personnellement. »
O. Mazerolle
Quand vous lisez dans la presse, ou vous entendez dans la bouche des députés de l’opposition, qu’il s’agit d’un projet « pharaonique » de F. Mitterrand, qui a coûté donc 8 milliards et qui a privilégié l’esthétique sur les conditions de travail et la bonne conservation des livres, vous répondez ?
C. Trautmann
– « Je réponds que cela a été un grand projet, difficile à mettre en route. Je suis bien placée pour le savoir. J’ai voulu donner les moyens pour que cette bibliothèque tourne : les moyens en financement, la possibilité d’ouverture, et je maintiendrai cette orientation, en particulier pour le lundi. Je crois que, même s’il faut trouver une plage de temps pour cette période intermédiaire, il faut absolument que le public comprenne qu’on ait dépensé autant d’argent. Il ne serait pas compréhensible, pour les usagers, qu’on la ferme. Il faut dire aussi, d’ailleurs, que contrairement à toutes idées pessimistes, le succès de l’ouverture de cette bibliothèque a été immense, puisque pratiquement toutes les places étaient prises 15 jours après l’ouverture. »
O. Mazerolle
Passons à la télévision publique. Moins de pub à la télé publique, vous avez un projet qui consiste à réduire de plus de moitié le temps de la publicité sur France 2 et France 3. Mais comment ces chaînes vont-elles être financées ? Par une augmentation de la redevance ?
On a parlé de l’augmenter jusqu’à 1000 francs !
C. Trautmann
– « Alors cela, je vais vous dire, cette nouvelle, qui est partie d’un article d’un quotidien français, national, est tout à fait une erreur de compréhension, et même de reprise des propos d’un collaborateur. Et je voudrais vous dire qu’il n’a jamais été question, et il n’est pas question de demander aux Français de payer la compensation de la baisse des ressources publicitaires liée à la diminution de cette pub. Pourquoi la diminution de la pub ? … »
O. Mazerolle
Il n’y aura pas d’augmentation de la redevance, alors ?
C. Trautmann
– « Ce n’est pas la redevance qui va payer. Ce sont les crédits budgétaires de l’État. Cela représente 2,5 milliards… »
O. Mazerolle
La redevance va monter ou pas ?
C. Trautmann
– « La redevance évolue tranquillement, en fonction du coût du service public, comme cela a été le cas, comme je peux le prouver, en 1999, où la redevance évolue au niveau du coût de la vie. »
O. Mazerolle
Donc, il n’y aura pas de corrélation ?
C. Trautmann
– « La redevance évolue normalement et régulièrement, ce qui est important. Jusqu’à présent, elle a été parfois mobilisée pour compenser des baisses de ressources. Ce qui est quand même la nouveauté et l’importance dans la décision politique qui a été prise par le Gouvernement, c’est que c’est le budget de l’État qui paye la baisse des crédits publicitaires. Cela représente un millième des ressources fiscales de l’État, cela n’aura donc aucun impact sur la feuille d’impôt du contribuable. »
O. Mazerolle
Mais alors, quelles garanties pour la télévision publique ? Vous savez bien qu’un ministre des Finances, quand il a un petit problème budgétaire, il dit : la télé, cela coûte un peu cher ; donc, un peu moins de sous !
C. Trautmann
– « Vous savez, le Premier ministre s’est engagé, tout le Gouvernement s’est engagé, y compris le ministre des Finances, y compris le ministre du Budget. L’État prend ses responsabilités, il est actionnaire. Il doit donner les moyens à ses entreprises de pouvoir fournir les programmes, de pouvoir, aussi, répondre à leurs missions… »
O. Mazerolle
Il y aura un engagement pluriannuel ?
C. Trautmann
– « Il y aura un engagement pluriannuel. Il est prévu dans la loi, avec un contrat qui liera le groupe de télévision publique et l’État, pour leur donner les moyens, et surtout réussir deux choses : d’une part, réussir une télévision publique qui convienne au téléspectateur – cette réforme est d’abord destinée au téléspectateur, bien sûr – ; deuxièmement, être dans la situation où, au lieu d’être à la course derrière les télévisions commerciales, la télévision publique s’affirme sur le contenu. Et puis, marquer sa place face aux télévisions privées, qui existent – et c’est bien normal – face aussi aux grands groupes de télévisions publiques européennes, et puis, étendre son influence internationale, et réussir la révolution technologique de la télévision numérique. Voilà les objectifs. »
O. Mazerolle
Une question très concrète pour les téléspectateurs : cela veut dire, avec moins de pub, les programmes pourraient démarrer aux alentours de 20 h 30 au lieu de 21 h ?
C. Trautmann
– « Alors, moins de pub, c’est une grille beaucoup plus dynamique. Les programmes de soirée démarrent plus tôt, les gens n’ont plus de tunnel de publicité, et n’ont donc pas besoin de zapper comme ils ont zappé jusqu’ici. Je crois que c’est ce qui convient, aussi, aux Français. À force d’attendre – et c’est ce que m’ont dit les téléspectateurs – parfois très longtemps les programmes de début de soirée, ils se lassent et ils quittent, au fond, les écrans. »
O. Mazerolle
Alors, y compris chez vos amis socialistes, au début, on a applaudi, et puis, maintenant, on dit : quel cadeau fait aux télévisions privées !
C. Trautmann
– « Il n’y a pas de cadeau fait aux télévisions privées. Bien sûr, elles ne refuseraient pas d’avoir un peu plus d’argent, personne ne refuse d’avoir plus de moyens. Enfin, il faut être très clair. Le Premier ministre l’a annoncé, je me suis engagée, au moment du débat, à la mi-décembre, à l’Assemblée nationale à fournir le moyen, en l’occurrence l’évolution du compte de soutien, c’est-à-dire ce qui sert à financer la production audiovisuelle, ce qui fournit des émissions, des fictions, des jeux, etc. pour, finalement, écrêter cette part de ressources… »
O. Mazerolle
Donc, il y aura plus de taxes !
C. Trautmann
– «… éviter l’enrichissement sans cause, ou ce que l’on a appelé l’effet d’aubaine, de façon à le reverser vers la production, ce qui servira tout le monde. D’abord aux entreprises de production audiovisuelle, aux téléspectateurs, parce que, finalement, ils gagnent en diversité de programmes, et puis, bien sûr, aux diffuseurs dans leur ensemble. »
O. Mazerolle
Alors, le CSA vous a donné un avis. Il a dit : il n’est pas mal, votre projet ; tout de même, il faudrait mieux garantir l’indépendance de la télévision. Dans votre projet, 7 conseillers sur 12 du Conseil de surveillance émanent de l’État ! Alors, il faudrait réduire un peu le nombre ?
C. Trautmann
– « D’abord, je voudrais dire que l’indépendance est pleinement garantie, puisque le président du groupe France-Télévision, qui est en charge de la collégialité de l’exécutif, est nommé par le CSA, et contrairement à ce qui était le cas, il est, en fait, président de chacune des filiales, y compris d’Arte et de La Cinquième, ce qui n’était pas le cas. »
O. Mazerolle
Mais enfin, sept sur douze émanant de l’État !
C. Trautmann
– « En ce qui concerne le Conseil de surveillance, il ne s’agit pas de se mêler de la gestion. Mais il s’agit de garantir la bonne réalisation du contrat pluriannuel d’objectifs, de moyens, et vérifier que les engagements se font, les choix stratégiques de développement et, en même temps, la conduite financière du groupe. En ce qui concerne l’activité, qui mérite qu’on discute d’indépendance, c’est celle des filiales, c’est-à-dire des chaînes. Les conseils d’administration des chaînes sont composés tout à fait comme aujourd’hui. Il n’y a donc pas de difficultés par rapport à l’indépendance, et vous pensez bien que le Premier ministre et le Gouvernement n’ont pas voulu remettre cela en question. Par contre, ce qui est notre souci, c’est que l’État assume ses responsabilités et qu’il ait les moyens d’agir, puisque c’est lui qui est garant, en même temps, de l’usage des deniers publics. »