Déclaration de M. Jacques Chirac, député RPR maire de Paris et candidat à l'élection présidentielle 1995, sur son projet présidentiel, Strasbourg le 16 mars 1995.

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  • Jacques Chirac - RPR, député. Candidat à l'élection présidentielle de 1995

Circonstance : Meeting à Strasbourg le 16 mars 1995 dans le cadre de la campagne pour l'élection présidentielle 1995

Texte intégral

DISCOURS DE MONSIEUR JACQUES CHIRAC
STRASBOURG
JEUDI 16 MARS 1995

Chers amis alsaciens,

Je suis heureux de me retrouver parmi vous, ici, à Strasbourg. Tant de liens m’attachent depuis longtemps à l’Alsace et à votre ville.

Strasbourg, le serment de Koufra, incarnent le symbole de la liberté reconquise, la fidélité à notre patrie.

Comment pourrais-je oublier que c’est ici, en 1947, que le général de Gaulle a appelé les Français à se rassembler ? Et que c’est à Strasbourg que Georges Pompidou lançait, en avril 1969, son message à la jeunesse, pour l’avenir d’une France moderne dans une Europe renforcée.

Votre région donne à la France l’exemple de sa vitalité et de ses réussites. Vous comptez de nombreuses entreprises, petites ou grandes, dynamiques et exportatrices, souvent à la pointe du progrès, qui sont autant d’atouts et de forces dans la compétition économique.

Pourtant, l’Alsace, où près d’un jeune sur trois est inscrit au chômage, est touchée par la crise. 
Pourtant, l’Alsace, à la frontière de l’Allemagne, s’interroge sur sa place dans une Europe de plus en plus continentale.

Et c’est précisément de l’avenir de la France et de l’Europe que je suis venu vous parler ce soir.

I. – Une France pour tous

Certains disent de la politique qu’elle est l’art du possible. C’est oublier, comme je l’ai souvent dit, que la politique est d’abord l’art de rendre possible ce qui est nécessaire.

C’est vrai, certains en sont arrivés à penser que nous n’avons prise sur rien. Le pouvoir des gouvernements se bornerait à gérer, modestement, les disciplines que nous imposent la concurrence extérieure, la circulation des capitaux et l’ouverture des frontières. Les dés seraient jetés : nous devrions nous contenter d’un chômage qui pourrait baisser un peu.

Je ne me reconnais pas cette approche qui consiste à soigner les effets de la crise, plutôt que d’en traiter les causes. Je ne me reconnais pas dans cette politique en forme de « service minimum ». Je suis de ceux qui croient à la force de la volonté. Je suis de ceux qui pensent que l’économie moderne ne condamne pas les nations, mais les oblige à forcer leur destin. A condition de revenir à l’essentiel.

L’essentiel, c’est de redéfinir nos priorités, en replaçant l’homme au cœur de nos préoccupations économiques et sociales. C’est le sens du projet que j’ai proposé aux Français. Il tient en quatre engagements : 

1er engagement : Mettre les forces vives de la Nation au service de l’emploi.

L’emploi est la première des dignités, la meilleure protection sociale, la condition de la citoyenneté. C’est vers lui que doivent tendre tous nos efforts.

L’esprit d’entreprise, celui qui anime nos forces vives, est le principal levier de la croissance. Pour faire le plein emploi du talent et l’énergie des Français, j’entends donner les moyens de leur développement à tous ces entrepreneurs, petits et grands, ces commerçants, ces artisans, ces agriculteurs, ces professionnels libéraux, tous ceux qui investissent et qui recrutent.

2,4 millions d’entreprises en France, c’est 2,4 millions de chances de créer des emplois et des activités nouvelles. Si l’on veut que la France avance, il faut faire sauter les verrous qui les paralysent.

Libérer l’initiative, c’est d’abord s’attaquer aux contraintes administratives dont la France s’est fait une spécialité. C’est réduire les formalités au strict minimum, imposer le guichet unique aux administrations, faire des lois plus simples, plus courtes, plus claires. C’est une vraie révolution culturelle à accomplir dans l’administration, dont l’impulsion devra être donnée au plus haut niveau de l’État.

Libérer l’initiative, c’est aussi donner à nos entreprises de nouveaux moyens financiers : aides à la création d’activités nouvelles ; garanties pour faciliter l’accès au crédit bancaire ; incitations fiscales pour encourager les placements en capitaux propres dans les PME ; institution de fonds de pension investissant une partie de leurs ressources dans les sociétés non cotées ; réforme de la fiscalité sur les transmissions qui, dans sa forme actuelle, nous fait perdre 80 000 emplois par an.

Mais le retour de la croissance ne suffira pas.

Il faudra aussi des mesures fortes et simples pour lutter contre le chômage de longue durée, véritable antichambre de l’exclusion. C’est le sens du contrat initiative-emploi que j’ai proposé aux chefs d’entreprise, et dont je suis heureux de voir qu’il suscite déjà une large adhésion.

Il faudra aussi imaginer une croissance différente, plus créatrice d’emplois, c’est-à-dire développer le temps choisi et le temps partiel, encourager puissamment les emplois de service, notamment de service aux personnes, qui restent embryonnaires dans notre pays.

L’État, pour sa part, devra remettre de l’ordre dans ses finances et maîtriser les dépenses publiques, dans un souci d’économie. Des arbitrages seront indispensables, entre les domaines prioritaires, comme l’emploi, l’école, la justice, la sécurité, et ceux qui ne le sont pas. Moins de déficits publics, c’est moins de prélèvements obligatoires et des taux d’intérêt plus bas. C’est le meilleur service que l’État puisse rendre à notre économie.

Une grande réforme fiscale permettra de rendre notre système de prélèvement plus favorable à l’argent qui s’investit plutôt qu’à l’argent qui dort. Je pense, par exemple, à la fiscalité de l’épargne qui doit encourager fortement les placements dans les PME et les investissements  en logement, à la fiscalité agricole, qui doit rendre nos exploitations plus compétitives, et, surtout, à la fiscalité sur les ménages, qui doit permettre de récompenser, comme ils le méritent, l’effort et le travail.

L’objectif est clair : réduire les prélèvements obligatoires. C’est possible : la politique que j’ai menée entre 1986 et 1988 le prouve. Oui, nous avons alors démontré que l’allégement de la pression fiscale stimule l’activité économique et augmente, en fin de compte, les recettes de l’État.

Bien entendu, les salariés ne devront pas être les oubliés de la croissance. Je suis de ceux qui considèrent que la feuille de paye n’est pas l’ennemi de l’emploi. Un franc de salaire distribué n’est pas un franc perdu pour l’économie. C’est un franc qui va à la consommation ou à l’épargne, donc à l’investissement. C’est un franc utile.

L’objectif d’augmentation des salaires directs, sur lequel notre majorité et le Gouvernement s’étaient engagés en 1993, reste donc parfaitement valable. Profitons de la fiscalisation de certaines charges sociales pour l’atteindre. Parallèlement, il faudra donner un nouvel élan à l’intéressement et à la participation pour que les salariés soient mieux associés aux résultats et à la vie de leur entreprise. Le retour de la croissance doit profiter à tous.

2e engagement : Rétablir l’égalité des chances

C’est en vérité, la colonne vertébrale de mon projet pour la France, son fil conducteur. Il inspire l’essentiel de ma demande et justifie, à mes yeux, un certain nombre de grandes réformes.

L’égalité des chances se joue d’abord à l’école. La République a besoin d’une école capable d’intégrer, qui fait du mérite le vrai moteur de la promotion sociale.

Une réforme du système éducatif s’impose, pour limiter les risques de l’échec scolaire, repenser l’organisation des rythmes scolaires, multiplier les parcours de formation, reconnaître la diversité des formes de réussite, admettre l’entreprise comme lieu de formation à part entière.

Mes objectifs sont, c’est vrai, ambitieux. Mais ils sont à la mesure des enjeux : faire que l’école donne, à chaque enfant, sa chance, toute sa chance. La chance de maîtriser les bases du savoir, de développer ses talents, sans considérations de ses origines sociales ou familiales. La chance d’acquérir une culture, d’apprendre un métier, d’apprendre à apprendre.
Le choix de la République commence, en fait, avec l’idée que la culture et le savoir, c’est bon aussi pour les enfants des autres.

L’égalité des chances nous oblige. Elle doit inspirer en fait l’essentiel de nos politiques : formation initiale bien sûr, mais aussi enseignement supérieur, accès à l’emploi, politique de santé, lutte contre l’exclusion, prise en charge des générations les plus âgées, solidarité envers les personnes handicapées, politique de la ville, aménagement du territoire, actions en faveur des départements et territoires d’outre-mer.

L’égalité des chances, c’est une ambition digne de la France.

3e engagement : Bâtir de nouvelles solidarités

On a tendance, aujourd’hui, à poser le problème de notre protection sociale à travers le niveau des prestations. C’est une approche erronée : la question posée, la seule qui importe, est celle de son financement.

Le système actuel de prélèvement, concentré sur le travail, pénalise directement l’emploi. Il est devenu une mécanique à fabriquer du chômage. C’est pourquoi j’entends accélérer le transfert à l’impôt des dépenses de solidarité, en consacrant nos premiers efforts aux bas salaires. C’est un enjeu national.

N’oublions pas que si nous avons un niveau d’emploi comparable à celui de l’Allemagne, par exemple, la sécurité sociale serait à l’équilibre et personne n’envisagerait d’encadrer les dépenses de santé. La vérité, c’est que l’avenir de notre protection sociale dépend, à terme, de l’efficacité de notre politique de l’emploi. C’est dire qu’il y a urgence à lutter autrement contre le chômage.

J’écarte donc tout idée de rationnement des dépenses. Mais je ne prétends pas, pour autant, que notre sécurité sociale soit parfaite et n’appelle pas des réformes de structure.

J’entends, au contraire, la rendre plus performante et plus juste.

Nous devons, en particulier, nous intéresser à l’efficacité des dépenses sociales. Nous ne pouvons plus, par exemple, continuer à consacrer chaque année près de 300 MdF à l’hôpital, sans nous demander comment ces sommes sont réparties et utilisées. Le budget global, c’est une évidence, n’est pas satisfaisant. Il ne permet pas de récompenser les performances, pas plus qu’il ne permet d’ailleurs de maîtriser les dépenses. Le moment est venu d’une grande réforme hospitalière, permettant de motiver et de responsabiliser l’ensemble des personnels sur la base de contrats d’objectif. Il s’agit de substituer à une logique d’encadrement comptable une démarche fondée sur la responsabilité des personnels.

Autre défi pour nos solidarités : l’allongement de l’espérance de vie.

Les personnes âgées sont une force et non une charge. Leur place est au cœur de notre société et non à ses marges. Elles sont notre mémoire dans laquelle s’enracine notre avenir. Mais il faut savoir que l’augmentation de la durée de la vie s’accompagnera, dans les prochaines années, d’une forte progression du nombre de personnes âgées dépendantes.

Au nom de la solidarité entre les générations, je propose de mettre en œuvre, sans attendre, une politique d’ensemble de la dépendance. Une politique globale, qui permette d’imaginer de nouvelles formes d’aide aux familles accueillant des personnes âgées dépourvues d’autonomie, d’encourager la création de nouveaux établissement médicalisés, de créer une allocation de dépendance à l’image du « chèque autonomie » que j’ai mis en place à Paris.

Oui, je crois que la solidarité est toujours une idée neuve.

4e engagement : Rendre aux Français la maîtrise de leur destin

La République, c’est le pouvoir aux citoyens, le pouvoir au peuple.

Je redoute le monopole du pouvoir par une petite minorité. Une minorité éloignée des Français, repliée sur elle-même, secrétant un certain conformisme de la pensée, se partageant les places et les faveurs. Très souvent les Français ont le sentiment que la loi n’est pas la même pour tous.

Le Président, seul, peut changer la pratique de nos institutions, et je m’y engage. Point n’est besoin, pour cela, de bouleverser les institutions que le général de Gaulle nous a léguées. Elles ont démontré, depuis plus de trente-cinq ans, leur souplesse et leur solidité.

Il suffit de revenir à la pratique du début de la Ve République. Le Président préside. Le Gouvernement gouverne. Le Parlement doit, pour sa part, débattre, faire réellement la loi et contrôler plus efficacement l’action du gouvernement. N’oublions pas qu’au cœur de la République, il y a ce grand principe suivant lequel la loi est l’expression de la volonté générale.

Quant à l’administration, elle doit éclairer les choix du pouvoir politique, les mettre en œuvre, mais jamais se substituer à lui. Elle doit avoir pour préoccupation de simplifier toujours davantage la vie des citoyens et non de la compliquer inutilement. Rendons l’État à ses vraies missions, les missions essentielles qu’il est seul à pouvoir assumer. Pour le reste, donnons la priorité aux collectivités locales. Une administration efficace est d’abord une administration proche des citoyens.

De façon plus générale, j’entends rendre aux Français qui se sentent écartés du pouvoir, les moyens de peser sur les grands choix qui engagent leur avenir. Comme dans la plupart des grandes démocraties, je propose d’élargir le champ d’application du référendum. Ainsi, par  exemple, la grande réforme de l’Éducation nationale, qui s’impose pour donner plus d’efficacité à notre système de formation, aura d’autant plus de légitimité qu’elle aura été largement débattue, puis approuvée dans ses principes par le peuple tout entier.

II. – Une Europe forte

J’ai beaucoup d’ambition pour la France. J’en ai aussi beaucoup pour l’Europe. L’heure est venue de réconcilier les Français sur l’Europe. Comme au lendemain de la guerre, quant il s’agissait de préserver la liberté et la prospérité de la partie occidentale du continent, nous avons besoin de l’Europe dans les domaines où les politiques nationales méritent d’être complétées, voire harmonisées : l’agriculture, la pêche, la politique commerciale, l’aménagement des territoires, le droit de la concurrence, la protection de l’environnement ; demain, la monnaie, la défense, la politique étrangère. Isolée, la France serait affaiblie. 
Démunis, les Européens seraient impuissants. Notre rayonnement dans le monde dépend de notre union.

Mais si la nécessité de poursuivre la construction européenne subsiste, rien ne sera plus comme avant. La construction européenne, jusque-là cantonnée à l’Ouest du continent, doit désormais s’étendre à l’Est. C’est un devoir moral et politique à l’égard des peuples qui, après avoir tant souffert, aspirent à revenir dans la famille européenne. C’est aussi une condition essentielle de la paix sur notre continent.

La grande Europe n’est plus un rêve. Hier, l’Autriche, la Finlande et la Suède nous ont rejoints. Ce sera demain le tour de la Pologne, de la Hongrie, de la République tchèque et de la Slovaquie ; de la Roumanie et de la Bulgarie ; de Chypre et de Malte ; des trois pays baltes ; de la Slovénie et, un jour, des autres Etats issus de l’ex-Yougoslavie.

Pourrons-nous réaliser la Grande Europe dans le cadre actuel de l’Union ?

Le traité de Maastricht constituait, comme je l’ai dit à l’époque, un « petit pas dans la bonne direction », celui d’une solidarité toujours plus forte entre nos nations. Il a été ratifié par le peuple Français et personne ne prétend sérieusement le remettre en cause. Mais force est de reconnaître que l’Europe façon « Maastricht » ne constitue pas un aboutissement.

En dépit de quelques progrès, souvent à l’initiative de la France, comme le pacte de stabilité ou le plan de paix pour l’ex-Yougoslavie, la politique étrangère et de sécurité commune prévue par le traité n’a pas été à la hauteur des enjeux. La nouvelle coopération prévue dans le domaine des affaires (…rieures) et de la justice n’a pas encore dépassé le stade des ( ?) traité n’a fait qu’élargir un peu plus le divorce entre l’Europe des technocrates et celle des peuples. Les arcanes du pouvoir européen sont devenus de plus en plus complexes et de plus en plus obscurs pour nos compatriotes, qui ont souvent le sentiment d’être tenus à l’écart de la construction européenne.

La première priorité est de définir une nouvelle architecture pour l’Europe de demain.

Je ne suis pas sûr que l’on ait bien pris la mesure des conséquences de la chute du mur de 
Berlin et du réveil de l’Europe de la liberté.

Au moment où l’implosion du système communiste rend, enfin, à l’Europe cet « Occident kidnappé » dont nous parlait Milan Kundera, l’audace commande. Je crois depuis toujours à l’Europe, comme à une grande famille de nations.

Nous devons donc mettre en place une stratégie de rapprochement qui réponde aux réalités de chacun des pays concernés, accélérer leur participation aux travaux du Conseil et du Parlement européen, et faciliter leur accession à certaines politiques communes, tout en prévoyant, pour le reste, les périodes transitoires, qu’imposent les contraintes économiques.

L’Union européenne, aujourd’hui à quinze, demain élargie à vingt ou trente, doit constituer le socle de l’édifice européen. Elle doit comporter une union douanière et des politiques communes, dans les domaines d’intérêt communs. Elle doit disposer d’une véritable politique étrangère et de sécurité commune.

Au sein de cette première famille de l’Union, doivent pouvoir s’instaurer, entre les États qui le souhaitent, des liens privilégiés et des solidarités renforcées. Les États membres qui entendent aller plus vite et plus loin dans l’Union doivent pouvoir le faire.

Cette idée n’est ni nouvelle, ni révolutionnaire. D’Airbus à Ariane, en passant par l’Eurocorps et le système monétaire européen, les précédents sont nombreux. Nul besoin, pour y parvenir, de créer de nouvelles institutions. Et ces actions communes, une fois mises en œuvre, resteront bien sûr ouvertes aux État membres qui souhaiteraient s’y associer. La souplesse et le pragmatisme doivent inspirer la construction européenne.

Au-delà du périmètre de l’Union, un ensemble de relations s’étendra aux nations qui, depuis des siècles, appartiennent à la grande famille européenne, et aspirent à des rapports plus étroits avec le reste de l’Europe : au premier chef, la Russie, mais aussi les autres pays de la Communauté des États indépendants. Nous établirons avec eux une relation de partenariat privilégié : liberté des échanges étendue ; coopération technique, industrielle et financière ; dialogue politique. Le Conseil de l’Europe, institution pionnière pour la défense en Europe des droits de l’homme et des libertés, et l’O.S.C.E. permettront, dans le droit-fil de leur vocation, de consolider ce vaste partenariat.

La perspective de nouveaux élargissements ne fait que renforcer la nécessité de réformer les institutions européennes. Imagine-t-on le déroulement d’un conseil des ministres de trente membres, alors qu’un simple tour de table à quinze prend déjà plus de deux heures ?

Les institutions de l’Union européenne doivent donc évaluer. Veillons, pour cela, à ne pas susciter de débats artificiels. L’Union européenne constitue, et constituera toujours à l’avenir, un modèle original.

Certains prétendent que les divergences entre les États membres sont telles, qu’un accord ne sera pas trouvé lors de la conférence intergouvernementale de 1996 sur la réforme des institutions. Je suis, pour ma part, optimiste, en raison des points de convergence qui se dégagent : le caractère irréversible de l’élargissement ; la conscience qu’une réforme institutionnelle est un préalable indispensable ; la nécessité de favoriser l’émergence de solidarités renforcées : l’introduction d’une plus grande démocratie dans le fonctionnement de l’Union européenne.

De toute évidence, le Conseil des ministres doit voir son rôle renforcé. Il s’agit, faut-il le rappeler, de la seule instance qui tire sa légitimité de la souveraineté des États. Pourquoi ne pas allonger, d’ailleurs, la durée de la présidence, afin de bénéficier du temps indispensable à toute action d’envergure ? Comment ne pas songer aussi à renforcer la capacité de proposition du Conseil, alors que la Commission a aujourd’hui en pratique un rôle exclusif ? Ne faudra-t-il pas également réviser l’actuelle pondération des voix pour mieux tenir compte des réalités politiques ?

Le Conseil européen et le Conseil des ministres doivent jouer un rôle central, tant dans le fonctionnement interne de l’Union, que dans ses relations extérieures. Pour assumer pleinement cette fonction, le Conseil doit avoir un visage et une voix. C’est pourquoi, je suis favorable à l’institution d’un président du Conseil européen qui serait désigné pour trois ans. Il représenterait l’Union dans ses relations extérieures et assurerait la défense de ses intérêts.

Il faut aussi recentrer la Commission sur ses compétences, dans le respect du principe de proposition et d’exécution. Mais en aucun cas elle ne doit se substituer au conseil des ministres, devant lequel elle doit être responsable. Elle ne doit être autorisée à agir que sur la base de mandats précis de négociation et d’orientations définies par le Conseil européen.

Le Parlement européen qui a contribué à la prise de conscience de problèmes transeuropéens, tels que la défense des droits de l’homme ou la sauvegarde de l’environnement, doit s’adapter également aux dimensions de la nouvelle Europe. Quant aux Parlements nationaux, il faut les associer plus étroitement à l’œuvre communautaire, rien de grand ne se faisant sans le concours des peuples, qui sont l’expression même de la démocratie.

Je demanderai au gouvernement que le Parlement puisse être saisi, comme il l’est déjà pour les actes communautaires comportant des dispositions de nature législative, de propositions dans les domaines de la politique étrangère et de sécurité commune, de la justice et des affaires intérieures, ainsi que des projets d’accord interinstitutionnels.

C’est ainsi que nous parviendrons à préserver les identités nationales au sein de l’Union européenne. Naturellement, il ne s’agit pas de refuser l’attribution de pouvoirs importants à l’Union. Mais l’Europe ne doit pas se substituer aux États membres. Elle doit apporter, par son action, une plus-value incontestable aux politiques nationales. Tel est le sens du principe de subsidiarité, auquel la France, l’Allemagne et l’Angleterre notamment sont légitimement attachées. Prenons garde, sinon, de créer une Union qui ne correspondrait ni à la perception, ni aux attentes des citoyens.

Les accords de Schengen sont révélateurs de l’état d’esprit avec lequel nous devons aborder la construction européenne. La mise en œuvre de ces accords, entre sept pays européens, permettra d’ici peu de lever les contrôles aux frontières, conformément à l’esprit auquel s’identifie la civilisation européenne. Mais, ce que nous attendons de Schengen, c’est d’abord une maîtrise renforcée des flux migratoires. S’il en allait autrement, il appartiendrait à la France d’en débattre avec ses partenaires. Cette étape correspond à une grande aspiration de nos peuples ; elle ne doit être ni déçue ni dévoyée.

L’essentiel est de faire l’Europe à notre image, telle que nous la souhaitons, sans la subir. Et pour susciter l’adhésion des Français, de tous les Français, à l’idée européenne, il faut que l’Union soit capable de répondre aux préoccupations concrètes des citoyens, en commençant par la principale : l’emploi. Songeons à l’angoisse des vingt millions d’Européens qui sont au chômage.

Sur le sujet essentiel de l’Union économique et monétaire, je veux rappeler ma position constante : j’ai voté oui au traité de Maastricht, et je me suis personnellement engagé en faveur de la pleine réalisation de l’Union économique et monétaire, lorsque les conditions prévues par le traité seront réunies.

J’ai conscience que cela ne sera pas facile, compte tenu du niveau de déficit public que nous avons atteint : près de 6 % du PIB, alors que le maximum autorisé est de 3 %. Nous devons donc entreprendre un effort de réduction de nos déficits publics et de maîtrise de nos dépenses budgétaires. C’est le préalable à notre entrée dans la future Union économique et monétaire.

Mais n’oublions pas que le taux de chômage est un élément essentiel de la performance économique. L’emploi doit être placé au cœur de nos préoccupations communes.

L’Union européenne doit soutenir davantage le développement du continent. Ce « plus », elle peut l’apporter en contribuant à la réalisation des grands réseaux transeuropéens dans le domaine de l’énergie, des transports et des télécommunications, en favorisant les programmes de recherche scientifique, en aidant à l’aménagement du territoire européen et à la protection de notre environnement, en permettant, grâce à une politique intelligente de la concurrence, de véritables coopérations industrielles entre les entreprises européennes.

Surtout, l’Union doit veiller à ses intérêts dans le cadre de la nouvelle Organisation mondiale du commerce. Elle ne doit pas hésiter à renforcer ses instruments de politique commerciale et à mettre en œuvre le principe de la préférence européenne. Il serait inadmissible que l’Europe reste ouverte à tous les vents, alors que ses grands partenaires commerciaux ne joueraient pas le jeu loyalement.

Mais, au-delà des problèmes commerciaux, se pose la question de la stabilité des monnaies à l’échelle internationale. C’est un enjeu capital.

Songeons au nombre d’emplois qu’ont coûté à notre économie, dans les dernières années, les dévaluations « compétitives », qu’elles soient le fait de pays européens ou non. La progression vers la monnaie unique doit être l’occasion pour la France de prendre une initiative forte en faveur de la stabilité du système monétaire international. Il s’agit d’aller au- delà de la concertation prévue au sein du G7, qui est manifestement insuffisante. Il s’agira aussi de renforcer sensiblement la sécurité des marchés financiers, avec leurs conséquences souvent très fâcheuses pour nos entreprises et nos emplois.

Dans un contexte stratégique nouveau, il est un autre enjeu capital : la paix sur le continent européen.

Le sentiment d’impuissance que les Européens ont pu donner dans la gestion de la crise yougoslave constitue, aux yeux de l’opinion, une source de discrédit. Comment l’Europe pourrait-elle jouer un rôle politique, et a fortiori assurer son rôle mondial, si elle ne parvient pas à empêcher un conflit d’éclater à ses portes, et encore moins de le résoudre ?

Les crises ont parfois le mérite d’ouvrir les yeux : la tragédie yougoslave, dans laquelle notre pays n’a pas ménagé ses efforts et ses initiatives, nous rappelle que rien n’est plus essentiel que de persévérer dans la voie d’une politique étrangère et de sécurité commune. Nous devons faire de l’Union de l’Europe occidentale le pilier de la défense européenne, tout en préservant la solidité du lien transatlantique, sans lequel la sécurité de l’Europe ne serait pas assurée. 
Dotons-nous, dans ce cadre, des moyens de prévention et d’intervention récemment lancés avec l’Espagne, l’Italie et la Grande-Bretagne, dessinant les contours d’une future force d’intervention rapide européenne. Encore faudra-t-il montrer que nous sommes résolus à agir quand les intérêts de l’Europe sont en cause. Et comme toujours le rôle moteur de la France sera essentiel.

Mais la sécurité ne se limite pas aux questions de défense. La prévention des conflits, l’aide humanitaire, la réglementation du commerce des armements, l’environnement et l’évaluation des risques écologiques, la sûreté des installations nucléaires civiles en font également partie. Quelle ambition pour les années qui viennent ! C’est sur ce terrain aussi que se jouera le destin de l’Union européenne.

Notre monde a évolué, nos repères sont bouleversés, nos certitudes sont ébranlées. Nous devons nous adapter si nous voulons préserver nos valeurs, notre liberté, notre rayonnement dans le monde.

Bien sûr, la situation est difficile et l’on pourrait être tenté de baisser les bras. Mais, depuis des années que je parcours la France, je me dis qu’il y a dans notre peuple des trésors d’intelligence, de combativité et de vertu. Je me dis qu’une fois de plus le premier atout de la France, ce sont les Français. Le moment est venu de nous retrouver pour faire ensemble de grandes choses.

En cette fin de siècle, c’est à une refondation que nous sommes conviés. Celle de la République et de ses valeurs : l’égalité des droits et des chances, la solidarité, la tolérance, la laïcité, l’intégration, la supériorité de l’intérêt général sur les intérêts particuliers, la juste récompense du travail et de l’effort.

Construisons ensemble une société plus juste, une France plus forte. Avec pour principe l’égalité des chances. Pour méthode, la réforme. Pour exigence, la solidarité.

N’oublions jamais que seule la cohésion sociale et l’unité nationale permettent à chacun de progresser.

Retrouvons les valeurs de la République pour entrer dans l’avenir. Pour bâtir une nouvelle 
France, une France pour tous.

Vive notre République !

Vive la France !