Dossier d'interviews sur l'extrême-droite française réalisé par la "Revue politique et parlementaire" et publié dans le numéro de juillet 1998 avec la participation de Jean-Michel Baylet (PRG), Jean-Luc Bennahmias (Les Verts), Thierry Cornillet (PR), Philippe Douste-Blazy (FD), François Hollande (PS), Arlette Laguiller (LO), Brice Lalonde (GE) et Jean-Pierre Soisson (MdR).

Prononcé le 1er juillet 1998

Intervenant(s) : 

Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

Les dirigeants politiques et le FN

Dans ce dossier sur l'extrême-droite française, il nous a paru important d'interroger les principaux leaders politiques* sur le Front national et plus précisément sur l'attitude qu'il convient d'avoir à l'égard de ce mouvement.

A remarquer que n'ont pas souhaité répondre les dirigeants du RPR et ont négligé de nous faire parvenir leur réponse, malgré les délais importants accordés, les dirigeants du PCF, de Démocratie Libérale ainsi que M. Charles Millon.

* Ces questions ont été posées également à MM. Edouard Balladur, François Bayrou, Hervé de Charette, Robert Hue, Alain Madelin, Charles Millon, Philippe Séguin et Philippe de Villiers.


Question : Le Front national vous paraît-il durablement installé - et ce à un haut niveau - dans la vie politique française ?

Jean-Michel Baylet : l'essentiel du vote FN est de nature protestataire

Jean-Michel Baylet - Au regard de sa progression électorale constante depuis 15 ans, de son implantation locale de plus en plus forte notamment dans les régions de la moitié Est, et de la consolidation de ses réseaux de militants et de cadres, le Front national peut en effet apparaître comme durablement installé dans la vie politique française.

Cependant, une analyse plus poussée permet de dégager à la fois des arguments qui tendent à freiner ou à bloquer l'avancée de l'extrême droite en France, et des raisons tout aussi valables qui pourraient expliquer son développement.

Les facteurs que je qualifierais de bloquants sont au nombre de trois :

L'extrême droite et la droite dure ont toujours existé en France : des monarchistes de Maurras à l'OAS, en passant par les collaborateurs de Vichy, et plus récemment Tixier-Vignancour ou Le Pen, ces mouvements politiques ont toujours combattu la République. Pour autant, ce courant fasciste et néo-fasciste est très minoritaire, 2 à 3 % au maximum de l'électorat, et ne correspond pas à l'attitude politique des 15 à 30 % d'électeurs qui votent Front national d'une région à une autre.

Contrairement à ce que pensent de nombreux observateurs, je crois que l'essentiel du vote FN est toujours de nature protestataire.

De même, si le FN stagne aujourd'hui autour de 15 %, en moyenne nationale, on peut noter une forte poussée de l'extrême gauche, entre 5 et 8 % qui au final fait progresser très nettement les votes protestataire tout en bloquant le Front national. Je pense donc que les scores du FN peuvent se dégonfler un jour brutalement si les votes protestataires se portent sur d'autres mouvements.

- Il ne faut pas négliger les luttes internes au Front national, et rien ne dit que Bruno Mégret à la tête du FN ait le même impact électoral que Jean-Marie Le Pen, aujourd'hui en fin de parcours.

Par ailleurs, les dérives népotiques, les nombreuses condamnations judiciaires, l'occupation toujours négative de l'actualité politique, permettent de constater que le rejet de l'extrême droite progresse lui aussi, et c'est heureux. Tant que 70 à 80 % de nos concitoyens restent intransigeants sur le FN, l'extrême droite ne pourra pas aller très loin. Elle reste, quoiqu'on en dise, minoritaire dans le pays.

- La prise en main progressive du FN par Bruno Mégret et ses amis changera à terme la stratégie de l'extrême droite. Le lissage du programme du FN, la présentation « soft » et acceptable pour des hommes tels qu'Edouard Balladur des propositions idéologiquement les plus dures du FN, entraîneront une perte d'identité et de lisibilité de l'extrême droite, une perte de « radicalité » si j'ose dire, qui devrait susciter le désintérêt de son électorat et son reflux.

Et puis, il y a bien sûr quelques raisons d'inquiétudes qui peuvent justifier la consolidation ou le développement de l'extrême droite en France. J'en vois aussi trois :

- Au delà des performances économiques et d'un probable recul du chômage, notre pays doit s'attaquer à de graves maux de société, à des malheurs humains dont se nourrit le Front national : conditions de vie et de logement, environnement dégradé dans certaines villes, délinquance des plus jeunes, développement des facteurs d'exclusion, etc.

Tout ce qui contribue à casser une société, à déstructurer le lien social, favorise l'extrême droite et le refuge d'une population en difficulté dans le repli identitaire, le racisme, la xénophobie, la violence, la haine, le rejet de la société démocratique. La gauche doit véritablement axer ses efforts sur l'amélioration des conditions de vie, sur l'accès au bonheur.

- L’évolution du ton, le lissage du programme du FN dont je parlais tout à l'heure, l'image de respectabilité que voudrait se donner Bruno Mégret, peuvent contribuer au passage du FN d'un parti protestataire à un parti d'alliance (c'est déjà fait dans quatre régions), notamment pour les municipales de 2001, puis à un parti de gouvernement.

Le FN peut alors effectivement se stabiliser entre 15 et 20 % au même niveau que l'UDF ou le RPR. C'est à la droite qu’il revient de lutter contre cette stratégie perverse qui vise à créer deux pôles de droite tout en enracinant durablement l'extrême droite dans le champ politique français.

- Ce qui me paraît le plus dangereux et donc le plus favorable à l'implantation du FN, c'est la banalisation de son discours et de ses actions violentes. A chaque propos attentatoire aux libertés, à la dignité humaine, aux valeurs de la République, à chaque acte de violence et de haine, le Front national joue sur l'habitude née de l'effet de répétition. A terme, beaucoup de nos concitoyens ne sont plus choqués. D'où la nécessité d'intensifier la lutte.

Jean-Luc Bennahmias : un vote généré par des motivations irrationnelles d'angoisse

Jean-Luc Bennahmias - Malheureusement, oui à la question. La progression de l'extrême droite en France n'est pas un fait totalement nouveau. On se rappelle évidemment les années trente, la collaboration pendant la guerre, l'existence d'une extrême droite importante pendant la guerre d'Algérie, et ce jusqu'en 1965 où le candidat à la présidentielle Tixier-Vignancour obtenait un score avoisinant les 5 %

Les erreurs de la gauche dans les années quatre-vingts, mais également la déliquescence puis la chute du communisme d'Etat à l'Est ont laissé chez nombreux de nos concitoyens une forte impression d'absence de projet de société collectif, fondé sur la redistribution des richesses. S'est alors développé un sentiment d'insécurité culturelle, physique et idéologique. La gauche gouvernementale, qui n'a pas su, n'a pas pu, ou n'a pas voulu s'attaquer au désarroi, et à l'extrême pauvreté qui commençait à poindre dans certains lieux de nos cités, a créé des frustrations qui aujourd'hui ont atteint un niveau tel que des réponses et des propositions rationnelles ne suffisent pas à faire reculer l'expression électorale des extrémistes de droite. En effet, le vote FN est généré pour une grande partie par des motivations irrationnelles d'angoisse et de peur. Il exprime également, dans sa partie la plus populaire, un vote protestataire autour des thèmes ressassés par le FN (Sécurité, immigration, préférences nationale et familiale).

Thierry Cornillet : un feu de paille conjoncturel

Thierry Cornillet - Phénomène épidermique, le national-populisme aujourd'hui incarné par le Front national, a déjà connu des succès électoraux à travers le boulangisme au XIXe siècle, le PSF ou le PPF de Doriot à !a fin des années 30, le poujadisme de 1956 ou encore le tixièrisme de 1965. Aujourd'hui, un constat s'impose. Après plus de quatorze années de socialisme, le score du Front national ne cesse de progresser. Parti de 1 % en 1981, il atteint aux dernières élections régionales de 1998 près de 15 % des voix et je dirais, seulement 15 %. Car enfin, tous les éléments semblent être réunis pour favoriser l'émergence de ce parti politique : le chômage, la précarité, la paupérisation des classes moyennes, l'urbanisation communautaire...

Instrumentalisé par un maître d'œuvre manichéen, le Front national est aujourd'hui l'écueil sur lequel est venue s'échouer une droite que l'on qualifiait il y a encore quelques mois de républicaine. Pourtant, comment peut-on trouver parti plus anti-républicain celui qui regroupe à la fois des catholiques intégristes, des antisémites, des nostalgiques du régime de Vichy et les tenants d'une nouvelle droite. Parti de droite extrême, le Front national s'apparente de plus en plus sociologiquement aux partis fascistes d'avant guerre en parvenant à séduire une large partie de l'électorat populaire. Cependant, si la conquête est croissante, elle n'est pas irréversible.

En effet, feu de paille conjoncturel, protestation politique et sociale, sanction à l'égard de certains comportements politiques, réflexe sécuritaire ou identitaire, ce vote extrémiste ne me semble pas installé durablement dans la vie politique française. Cela dépend de nous et de notre volonté à combattre le Front national au niveau du débat politique et des propositions politiques et sociales que nous saurons présenter aux Français.

Laisser croire que l'on peut faire disparaître le Front national par des décisions réglementaires ou des mesures de justice, ou se prononcer en faveur de sa dissolution est une erreur. C'est laisser croire que l'opposition républicaine se réfugie derrière la porte institutionnelle et judiciaire, dans le couloir de la mort démocratique. Pour moi, président du Parti radical, l'action politique s'inscrit dans des valeurs telles que la République, la liberté et la fraternité. Renoncer à ce combat et laisser croire que le Front national est durablement installé dans la vie et les habitudes de mon pays remettraient en cause mes convictions et le sens de mon engagement politique.

Philippe Douste-Blazy : la contestation se transformera-t-elle en adhésion ?

Philippe Douste-Blazy - L'avenir du Front national reste dépendant de son passé. Il ne faut pas oublier que ce parti est avant toute chose une mosaïque politique qui réunit les différents courants de l'extrême droite auxquels se sont joints les idéologues du GRECE et certains du Club de l'Horloge.

La persistance d'un FN à un niveau anormalement élevé pour ces courants d'idées originellement ultra-minoritaires, repose sur sa capacité à mettre entre parenthèse ses conflits idéologiques.

Mais le Front national, c'est aussi un électorat qui n'a rien à voir avec ces cercles idéologiques, mais qui se reconnaît dans le discours provocateur et l'antiparlementarisme de Jean-Marie Le Pen. Les progrès électoraux du Front national tiennent à la posture de son chef qui se veut et s'affiche en dehors du jeu politique. Le Front national, c'est donc, d'un côté un appareil ultra-centralisé et très idéologisé animé par des objectifs politiques précis et déterminé à les appliquer. Ces objectifs sont connus, ils sont dangereux et la France les a toujours refusés : l'inégalité des droits et des hommes, le refus du pluralisme politique et de la liberté de pensée et d'expression, l'isolement de la France et la remise en question de quarante ans de construction européenne.

De l'autre un électorat qui fait du vote Front national un moyen d'expression contestataire. La question est aujourd'hui de savoir si cette contestation peut se transformer en une véritable adhésion. C'est là que réside le véritable danger pour notre démocratie.

Pourtant, je demeure optimiste, le Front national dissimule ses faiblesses derrière sont opacité. Or elles existent.

Le militantisme acharné des uns est loin de compenser la volatilité de ses adhérents. Les effectifs des jeunes militants du Front national ont diminué de moitié en quelques mois et le recrutement reste limité à des cercles sociologiquement restreints.

L'encadrement politique doit aujourd'hui affronter les rivalités entre Bruno Mégret et Jean-Marie Le Pen.

Les prises de position extrémistes de Jean-Marie Le Pen sont incompatibles avec les aspirations à la notabilité des quelques élus du Front national.

Enfin le clientélisme qui sévit à tous les niveaux de cette formation politique crée d'inévitables rancœurs qu'il est de plus en plus difficile de faire taire.

Le monolithisme affiché de l'extrême droite est une façade qui se lézarde.

François Hollande - Comment parvenir à ramener le Front national à ses basses eaux ? Cette lancinante question se pose à tous les responsables politiques de ce pays depuis plus d'une dizaine d'années maintenant. Le Front national n'a en effet pas connu de régression significative depuis 1984 et il est parvenu à rassembler plus de 15 % des voix au premier tour du scrutin présidentiel et a confirmé ce score lors des dernières élections régionales. Pourtant, le maintien de l'extrême droite à un haut niveau n'est pas une fatalité. Il peut être combattu et défait, comme à Toulon lors des dernières élections législatives de mai dernier. Le Front national est néfaste en lui-même. Mais il ne devient véritablement dangereux que lorsqu'une partie de la droite recherche son concours et lui laisse espérer une prochaine accession à des responsabilités.

Arlette Laguiller : une idéologie sécuritaire et xénophobe

Arlette Laguiller - Les scores électoraux du Front national ont considérablement augmenté en moins de 20 ans. Bien que ses résultats semblent plafonner depuis déjà deux ou trois ans, il semble durablement installé dans la vie politique. Par contre, s'il est à même de diriger des grandes villes ou d'influencer des conseils régionaux, c'est plus dû aux modalités de scrutin ou à des accords politiques qu'à l'augmentation. réelle de son électorat.

Il est évident, que cette influence a augmenté parallèlement à la montée du chômage et de la paupérisation, et à l'insuccès et à la déconsidération des gouvernements de droite comme de gauche qui se sont succédé depuis 1981 et qui se sont révélés incapables d'enrayer cette montée du chômage et encore moins de le faire baisser sensiblement. La petite décrue que l'on annonce à grand fracas, de même que les propos optimistes sur une éventuelle reprise économique, sont bien incapables, vu les chiffres, de changer cette situation.

Le chômage, la précarité, le désespoir sont les principaux responsables de la délinquance et de l'insécurité surtout dans les quartiers populaires que la politique du logement « ghettoïse ». Mais la montée de Le Pen se fait aussi, voire principalement, dans les quartiers habités par la petite bourgeoisie ou la bourgeoisie, où la droite classique est concurrencée par le Front national. C'est de plus en plus l'idéologie réactionnaire, sécuritaire, xénophobe voire raciste qui prévaut dans les choix électoraux de ces électeurs. Du fait que la droite dite « républicaine » autant que la gauche raisonnable se sont déconsidérées au pouvoir, cela encourage ces catégories sociales à exprimer beaucoup plus ouvertement qu'ils n'osaient le faire auparavant leurs sentiments profonds.

Brice Lalonde - Il me semble que le Front national est durablement installé dans la vie politique française, à l'arrière-scène. Toutefois son haut niveau n'est pas fatal.

Jean-Pierre Soisson - Si les partis traditionnels de droite continuent à refuser tout débat avec le Front national, ils lui permettront de conserver un haut niveau et se condamneront à demeurer durablement dans l'opposition. Actuellement, ils font le jeu de la gauche qui veut diviser la droite et attirer le centre. Elle combat - en paroles seulement - le Front national. La gauche déplore - et profite de la situation. Les élus du Front sont présentés comme « les sans-papier de la politique », mais l'Etat verse au Front 48 millions de francs chaque année. Bref, la gauche fait en sorte qu'il grossisse ses rangs, tout en le déplorant la main sur le cœur. Quelle hypocrisie !

Question - Si vous suivez certains scénarios qui pensent qu'une décrue du Front national n'est pas des plus probables, quelle attitude, selon vous, conviendrait-il de prendre vis-à-vis de l'extrême droite, que ce soit dans l'immédiat ou dans l'avenir ?

Jean-Michel Baylet - Nous avons déjà créé fin 1996 le Comité National de Vigilance contre l'extrême droite. Il regroupe l'ensemble de la gauche politique, syndicale et associative. Il permet l'échange d'informations et la mise en œuvre d'actions unitaires nouvelles. Par ailleurs, il suscite partout en France la création de comités locaux, véritable réseau de vigilance.

C'est un grand pas dans la lutte commune contre l'extrême droite. Pour autant, je crois qu'il appartient surtout à la droite républicaine de se mobiliser pour faire reculer le FN, non pas en acceptant ses propositions, mais en les combattant sur des valeurs républicaines de droite. Enfin, ne négligeons pas l'ensemble des procédures judiciaires dans lesquelles sont mêlés des responsables ou des militants du FN et qui aboutissent à des condamnations, ainsi que la commission d'enquête parlementaire sur le DPS qui peut conduire à la dissolution de cette milice armée du FN, véritable danger pour notre démocratie.

Peut-on cependant aller au-delà de l'action politique, de l'information de nos concitoyens et du combat électoral et judiciaire ? Je ne le crois pas. Ainsi, une interdiction du FN jetterait ce mouvement dans la clandestinité sans garantie de voir son activisme idéologique régresser dans la société.

L’extrême droite n'est pas une fatalité. Il nous appartient de convaincre nos concitoyens de ses dangers. Cela suppose certainement de nouvelles méthodes d'action politique, un discours nouveau, plus simple et plus percutant, un travail de terrain plus soutenu.

La gauche doit enfin faire la preuve de son efficacité à résoudre les problèmes économiques et sociaux. Tout cela prendra du temps, mais je reste confiant... et déterminé.

Jean-Luc Bennhamias - Dans l'immédiat, le harcèlement démocratique est obligatoire. Aucune manifestation, aucun propos de ces extrémistes ne doit rester sans réponse. Il faut montrer aux leaders d'extrême-droite, et à la partie fascisante de son électorat, qu'ils ne font pas partie de l'espace démocratique, et que la République ne se laissera pas grignoter par ce que certains analystes appellent la « lepénisation » des esprits. Mais tout le monde sait que cela ne suffit pas. Plus que de redonner de l'espoir aux Français, il faut leur montrer qu'il existe des possibilités de changement et d'amélioration conséquentes dans les domaines économiques et sociaux. Une première réponse tient dans le partage du temps de travail, qui doit accompagner une réduction du temps de travail créatrice de centaines de milliers d'emplois. Donner un emploi à chacune et à chacun permet de réamorcer la pompe sociale, c'est-à-dire de redonner une place à chaque individu dans notre société. L’autre réponse, c'est !'amélioration du cadre de vie au sens large, c'est-à-dire le quotidien des Français en ce qui concerne la gestion et la distribution des biens de consommation courants tels que l'eau et l'énergie, mais également les services relatifs à la santé et aux communications.

Thierry Cornillet : la reconnaissance du vote blanc.

Thierry Cornillet - Les grandes manifestations anti-FN qui ont eu lieu le 23 mars dernier auraient été un grand succès. 80 000 jeunes se sont mobilisés « a posteriori » dans une grande messe citoyenne. Mais que dire des 16 millions d'électeurs qui se sont abstenus et des 3 millions qui ont apporté leur voix au Front national lors des dernières élections régionales. Car les diverses processions qui jalonnent le paysage politique français depuis 1986 n'ont pourtant pas freiné l'irrésistible ascension du Front national. Depuis dix ans, c'est le seul parti qui progresse: 12,9 % en 1988, 13,9 % aux élections régionales de 1992, 15 % à la présidentielle de 1995, 15,24 % aux élections législatives de 1997, 15,27 % aux élections régionales de 1998.

Manifester pour s'opposer au Front national, c'est en effet une démarche possible, mais pour quel motif ? Par conformisme, au nom d'une certaine idée de la République ou par idéal politique ? Cette attitude partisane, bonne conscience collective, assure pourtant un fond de commerce politique et idéologique exploité par une certaine gauche, plus proche des palais gouvernementaux que des aspirations citoyennes.

Le temps des folklores est aujourd'hui dépassé. La République se gagne dans les urnes et non dans les rues. La République se consolide par des projets et des programmes. La République se pérennise par la pédagogie et le civisme. Phénomène politique, le Front national doit être combattu politiquement. En l'état actuel du système des partis, la gauche n'est pas capable de présenter une stratégie commune, sauf à diaboliser les électeurs du Front ou à moraliser les candidats de l'opposition. La mauvaise foi n'est pas une solution à l'extrémisme. Une partie de la droite a tenté avec Charles Pasqua de récupérer son électorat, sans grand succès. Plus récemment, certains leaders ont profité d'une opportunité électorale pour traverser le rubicon lors des dernières élections régionales, ce fut une impasse. Le temps est donc venu pour la droite républicaine et plus particulièrement pour les radicaux de présenter une méthode.

La méthode radicale suppose écoute, tolérance et pragmatisme, souci de réunir mais surtout de vérité, la vérité de diagnostic et la vérité des solutions. Nous nous proposons par le dialogue, la pédagogie et de vrais propositions, de convaincre les Français et les Françaises que des problèmes complexes ne se résoudront pas avec des solutions simplistes, nationales et xénophobes. Convaincre plutôt que dénoncer, telle doit être aujourd'hui la méthode à adopter si nous voulons endiguer le vote en faveur des extrêmes. Convaincre au-delà de la bipolarisation politique dans le cadre de majorités d'idées quand les circonstances l'exigent. Il nous appartient désormais de faire émerger cette France démocrate et républicaine, cette France majoritaire au-delà des compromis, des tractations et des querelles partisanes.

Dans cet esprit, le Parti radical est convaincu que la reconnaissance du vote blanc est une avancée possible pour limiter les suffrages extrêmes et plus particulièrement ceux en faveur du Front national. Un sondage commandé par le Parti radical en mars dernier a montré l'intérêt de la reconnaissance du vote blanc comme exutoire civique. En incluant le choix du vote blanc aux dernières élections régionales, le sondage a montré que le score du Front national serait tombé de 15,3 % à 8 % des voix, soit une diminution de près de la moitié de son influence. Bernard Joly, sénateur radical de Haute-Saône et membre du groupe RDSE au Sénat a donc déposé une proposition de loi visant à conférer une plus forte reconnaissance au vote blanc. Un certain nombre de nos partenaires politiques, parmi lesquels des radicaux de gauche et certaines personnalités socialistes se sont déjà déclarées en faveur d'une telle loi.

Combattre le Front national, le réduire à sa plus simple expression, sans connivence, sans concessions et sans arrière pensée, telle doit être aujourd'hui l'attitude de l'élu républicain.

Philippe Douste-Blazy : le rapprochement avec le FN : une triple erreur

Philippe Douste-Blazy - Mon attitude à l'égard du Front national n'a jamais changé. J'ai toujours été partisan de la clarté et de la fermeté. Nous ne partageons rien avec le Front national ; la famille politique à laquelle j'appartiens s'est toujours battue pour une société démocratique, pour le pluralisme politique et pour le respect de la dignité des personnes.

Un rapprochement avec le Front national que certains évoquent parfois serait à mon sens une triple erreur.

Une erreur morale, dans la mesure où notre idée de l'homme est aux antipodes des propos tenus par l'extrême droite.

Une erreur arithmétique dans la mesure où les quelques voix gagnées du côté de l'extrême droite seraient irrémédiablement perdues chez les démocrates chrétiens et les démocrates sociaux.

Une erreur politique car il faudra m'expliquer comment on constitue une plate-forme de gouvernement avec un parti politique auquel tout nous oppose.

Le Front national a engagé un bras de fer avec l'opposition parlementaire. Il cherche à mettre nos familles politiques en position d'allégeance. La main tendue de Bruno Mégret après les élections régionales n'avait pas d'autre but que de provoquer une déstabilisation psychologique. Le Front national cherche à faire croire qu'il ne demande rien mais qu'il a tout à offrir, or c'est exactement l'inverse. Le Front national est dans une impasse politique majeure, il s'est construit comme une force contestataire donc incapable de passer des alliances et prend conscience aujourd'hui qu'il ne sera jamais majoritaire en France.

Le RPR et l’UDF vont-ils se suicider pour sauver le Front national au moment même ou éclatent ses propres contradictions ?

Un bras de fer est engagé, le Front national cherchera encore à tester notre capacité de résistance, il se saisira de toutes les occasions pour essayer de nous diviser et de nous discréditer aux yeux des Français. Je suis persuadé que nous sortirons vainqueurs de cet affrontement et la démocratie avec nous, si nous savons lui opposer la tranquille assurance de nos convictions.

François Hollande : le combat de la gauche est celui de la République, pour la démocratie

François Hollande - Depuis 1983, « la France est balafrée », expliquaient très justement Jean-Christophe Cambadélis et Eric Osmon dans leur dernier ouvrage. Prospérant sur une certaine désespérance sociale, sur les inquiétudes que soulève l'avenir, sur le sentiment d'impuissance des politiques, sur la crise urbaine et la recomposition des identités, le Front national apparaît comme un symptôme politique des maux auxquels la France a été confrontée ces vingt dernières années. Par son caractère xénophobe, anti-républicain, poujadiste et nationaliste, il défait le territoire même de la République, constitue une fracture dans notre vie démocratique et un danger pour nos institutions. Dès lors, il est clair que pour nous, toute forme de banalisation du Front national, de ses leaders et de ses idées doit être combattue. La manière de lutter contre le FN a engendré de nombreux débats au sein des partis politiques et des associations engagées contre l'extrême droite. Lutter contre le Front national ne peut se résumer à le maudire. La dernière décennie est là pour nous le montrer, la lutte contre le Front national n'est pas une chose simple dès lors qu'on cherche à privilégier l'efficacité. Le harcèlement et l'action sur les causes sociales me semblent être les voies à poursuivre.

Démontrer plutôt que dénoncer

Face au Front national, il convient davantage de « démontrer plutôt que de dénoncer ». La lutte intellectuelle contre les affirmations fausses, les mensonges, les incohérences des propos des leaders du FN, est plus que jamais nécessaire. Il s'agit d'abord de combattre les positions xénophobes du Front national en ne se contentant pas de l'indignation, mais en reformulant les problèmes systématiquement déformés par le FN. L'analyse critique et le combat politique doivent en effet porter également sur les représentations et les croyances sur lesquelles repose la fantasmagorie raciste. Il convient ensuite de souligner la nature même du programme social et économique du FN. Les thèses d'exclusion et de haine de l'extrême droite vont bien au-delà des immigrés, pour concerner les pauvres et les faibles. Ses propositions économiques relèvent d'un extrême libéralisme : suppression du SMIC et du RMI, démantèlement de la sécurité sociale, privatisation des services publics et éclatement de l'Education nationale, abolition de l'impôt sur la fortune et même de l'impôt sur le revenu. Surtout, le Front national doit se combattre sur le terrain des valeurs de la République. Face à la mise en cause des principes fondateurs de la démocratie et de la République, nous ne pouvons pas baisser les bras. Le FN représente une alternative à la démocratie, et non au sein de la République. Il ne porte pas en lui l'alternance, mais un changement de nature du régime.

Agir sur les causes sociales et sur la désespérance des Français

Mais cette lutte idéologique contre le Front national doit s'accompagner d'une action efficace sur les causes même du phénomène. Le véritable remède à la progression du FN réside avant tout dans la réinsertion des exclus, dans la lutte contre le chômage et dans le désenclavement des quartiers et des banlieues, c'est-à-dire sur les facteurs ou les condition:; du malaise social qui favorise le vote Front national. C'est l'un des enjeux de la politique menée par le gouvernement de Lionel Jospin.

Le retour de l'extrême droite à ses basses eaux doit interpeller la Gauche comme la Droite. Cependant, la situation des deux camps est loin d'être symétrique. La Gauche, contrairement à l'idée que cherche à accréditer l'opposition, n'est pas responsable de l'apparition du FN et de son installation dans le paysage politique français. Toute son histoire le prouve ; elle fut, avec d'autres, au cœur de la lutte contre l'extrême droite. La Gauche n'a jamais fait d'alliance électorale avec le FN, comme a pu le faire la Droite à Dreux en 1983, puis en 1986 à l'occasion des élections régionales ou encore lors des législatives de 1997. Bien au contraire, elle a toujours opté pour la préférence républicaine, en se désistant chaque fois au profit d'élus républicains de droite.

Le Front national n'est pas un simple prolongement de la Droite. Nombreux sont ceux qui l'ont compris et dont l'attitude à l'égard du FN doit être saluée. Reste qu'une partie, heureusement minoritaire de l'opposition estime aujourd'hui souhaitable d'épouser les thèmes de l'extrême droite, de reprendre ses valeurs et de copier sa phraséologie afin de récupérer son électorat. La perspective en est simple: la banalisation des thèmes de l'extrême droite. L'élection de quatre présidents de région, avec les voix des élus d'extrême droite ne doit rien au hasard et recueille parfois un écho intolérable dans certains rangs. Le mouvement de M. Millon n'a pas d'autre rôle que de formuler cette identité et cette stratégie. Nous avons exposé notre position dans la clarté. Ces quatre présidents doivent démissionner. Chacun doit se convaincre que le combat que nous avons engagé n'est pas un combat de « la gauche pour la gauche » mais un combat de la gauche, qui n'entend pas être seule, pour la République. C'est un combat pour la République, la démocratie, et donc pour notre pays. Agir sur les causes et être ferme sur les principes c'est la seule voie envisageable pour combattre le fléau que représente l'extrême droite en France.


Arlette Laguiller - Empêcher cette évolution, empêcher même la stabilisation du Front national, voire réduire son influence, ne peut se faire qu'au travers d'une réduction massive du chômage et d'une amélioration sensible des conditions de vie des travailleurs et en particulier des moins qualifiés (bien qu'il faille noter que même les cadres sont touchés par l'instabilité).

Les chiffres officiels du chômage ne reflètent qu'imparfaitement la réalité sociale car les travailleurs réduits aux emplois à temps partiel obligé, aux intérims de courte durée et ne travaillant que deux semaines par mois, c'est-à-dire souvent pour la moitié du SMIC, sont exclus de cette statistique.

Quant à ceux qui travaillent, ils se voient imposer des conditions de travail de plus en plus pénibles, des horaires variables à prendre ou à laisser.

Alors, réduire l'influence du Front national, c'est d'abord réduire cette situation insupportable. Réduire le chômage de façon suffisante, cela ne peut se faire que par l'intervention de l'Etat, imposant bien plus qu'à l'heure actuelle les super-bénéfices que font les grandes entreprises, les plus-values boursières, la fortune et tous les placements qui échappent à l'impôt, ainsi qu'en rétablissant les tranches supérieures de l'impôt sur le revenu à leur niveau antérieur. Mais le gouvernement de gauche n'a pas pris ce chemin. Ceux des partis politiques qui se contentent de dénoncer le Front national sans prendre les mesures économiques propres à réduire son influence ne font que se chercher un alibi s'il vient au pouvoir un jour.

L'insécurité et l'angoisse voire la colère, sont telles dans le monde du travail, qu'une explosion sociale pourrait bien se produire et imposer au patronat de prendre, pour une fois, sa part des sacrifices pour réduire la catastrophe nationale qu'est le chômage. Alors, si cette explosion se produit, on verra du même coup l'insécurité diminuer en même temps que le chômage et, surtout, les idéologies d'extrême droite se terrer à nouveau dans les égouts dont elles n'auraient jamais dû sortir.


Brice Lalonde : reconnaître que le FN est une expression de la démocratie, mais combattre ses thèmes à la loyale

A l'égard du FN, l'attitude à adopter, considérant que :
1) le racisme est un délit,
2) l'extrême droite est un courant traditionnel et légitime de la vie politique française,
3) le peuple français soutient la révolte contre un establishment politique usé et corrompu,
4) cet establishment a adopté vis-à-vis du FN, une attitude d'ostracisme méprisant, faisant apparaître ce dernier comme un parti révolutionnaire.
5) Cet ostracisme ne fait que favoriser le FN et le Parti socialiste qui a donc objectivement intérêt à imposer l'ostracisme comme seule attitude politiquement correcte.

Il faut donc réprimer le racisme, mais reconnaître que le FN est une expression de la démocratie à l'égal des autres formations, l'admettre sur la scène et combattre ses thèses à la loyale. Il me paraît surtout très urgent de ne pas lui laisser le monopole de la critique populaire, voire populiste, de l'establishment politique français, avec le bon sens gouailleur, le discours ferme et sans détours, le militantisme à la base; bref la lutte contre l'aristocratie française attend son leader. C'est cette absence qui fait le succès du FN.

Jean-Pierre Soisson : pour combattre les thèses du FN, il faut accepter le débat politique

Si nous voulons combattre les thèses du Front national, il nous faut accepter le débat politique, notamment un débat décentralisé, sur le terrain. A Dijon, je n'ai passé aucun accord avec le Front national, je n'ai signé aucune alliance. Les dossiers, qui sont ceux de la majorité UDF-RPR, sont présentés à tous les élus et ceux-ci votent en leur âme et conscience.

D'ailleurs, ils ne sont pas approuvés à l'unanimité de la commission permanente, même si la gauche plurielle n'a pas voulu y siéger. Autre exemple. J'ai proposé au Conseil régional de Bourgogne une carte des droits et des obligations des conseillers régionaux siégeant dans les lycées. Cette charte condamne « toute thèse raciste et xénophobe ». Elle a été votée par la majorité régionale de droite et les élus du Front national.

Je regrette que cette volonté qui est la mienne d'un débat démocratique ne reçoive pas d'écho dans les états-majors politiques alors qu'elle est largement partagée par les électeurs de droite. Mon parcours a prouvé que je me suis toujours battu pour la tolérance et la confrontation des idées.

Sortons des idées reçues que seule la gauche est humaniste et culturelle. Il existe des fascistes de gauche ! Pour ma part, je garde ma volonté d'ouverture, même si elle dérange, à droite comme à gauche.