Texte intégral
Question
La crise financière, voire économique, constitue la surprise de la rentrée. Que constatent les entreprises que vous représentez ?
Lucien Rebuffel
C'est encore difficile à préciser. Cela dépend des branches et des secteurs d'activité. Le côté psychologique de la crise est évident et les chefs d'entreprise sont inquiets. Le gouvernement a arrêté une prévision de croissance de 2,7 % l'an prochain après avoir retenu 2,8 %. En réalité, personne n'en sait rien. Les Etats-Unis ralentissent, l' Allemagne a un taux de chômage qui reste très élevé, l'Asie est en crise économique et politique : comment ne pas être, au minimum, préoccupé par cet environnement ? Comme ces événements interviennent alors qu'en France les 35 heures représentent une menace pour les entreprises, l'inquiétude est dans tous les esprits.
Question
Partons d'abord du budget. Vous avez été plutôt laudateur du texte présenté par Dominique Strauss-Kahn. Répond-il aux attentes des PME ?
Lucien Rebuffel
Laudateur, pas sur tout. La progression des dépenses publiques est toujours trop rapide. Mais je pratique la realpolitik. Il y a de bonnes choses dans ce budget pour les PME, donc je le dis. Le gouvernement a compris qu'il fallait une politique spécifique pour elles. Il a raison: les patronats sont pluriels, il faut donc des solutions plurielles. Il a, d'abord, accepté - nous nous sommes battus pour cela - que les entreprises réalisant un chiffre d'affaires de moins de 50 millions ne soient pas concernées par la surtaxe à l'impôt sur les sociétés ; la suppression de la taxe professionnelle sur les salaires, ensuite, est une bonne réforme puisque, dès l'an prochain, 69 % des entreprises ne la paieront plus ; la hausse de la franchise de TVA pour les très petites entreprises est aussi une bonne nouvelle. D'autres points, en revanche, ne sont pas du tout satisfaisants. C'est le cas de la rétroactivité, scandaleuse, de la mesure sur l'assurance-vie. L'assurance-vie est un moyen de transmission des entreprises. S'il y a des abus, il faut les sanctionner, mais ce n'est pas en reniant sa parole que l'Etat se fera respecter. Le gouvernement devrait aussi considérer qu'il faut aider non seulement les petites entreprises, mais aussi celles qui ont une taille moyenne. C’est-à-dire celles qui réalisent un chiffre d'affaires inférieur à 250 millions de francs, selon le seuil retenu par Bruxelles. Or, sur le plan fiscal et social, elles sont encore traitées à l'identique des multinationales. De plus, les PMI et les grosses PME ne seront pas forcément avantagées par la réforme de la taxe professionnelle, puisque la cotisation minimale augmente.
Question
Que pensez-vous de l'hypothèse défendue par une partie du PS d'une taxation de l'outil de travail au titre de l'ISF pour les dirigeants de plus de soixante-quinze ans ?
Lucien Rebuffel
Nous y sommes résolument hostiles. C'est une idée ridicule. L'Etat devrait comprendre une fois pour toutes qu'il n'a pas à s'immiscer dans la gestion des entreprises. Il a fixé pendant longtemps le prix des marchandises : veut-il maintenant fixer l'âge du patron ? Nous refusons, par ailleurs, l'idée d'une taxation de l'outil de travail dans l'impôt de solidarité sur la fortune, même partielle.
Question
Les redistributions de cartes et les concentrations se multiplient dans la distribution. La CGPME regrette-t-elle le temps où Jean-Pierre Raffarin défendait les PME ?
Lucien Rebuffel
Ce n'est pas une question de personnes. ya de plus en plus de concentrations et de marchés captifs et verrouillés entre les mains de la grande distribution. Les oligopoles ne sont pas souhaitables pour les consommateurs et nuisent aux PME. Ils handicapent la concurrence en empêchant l'émergence d'entreprises nouvelles. Le gouvernement nous dit qu'une loi antitrust et antimonopole n'est pas possible en France comme elle existe aux Etats-Unis. Il faut alors renforcer les pouvoirs du Conseil de la concurrence dans le domaine des concentrations, verticales ou interprofessionnelles.
Question
Les 35 heures constituent bien sûr un des sujets Importants de l'actualité. Vous aimez dire que le patronat est « pluriel » ; êtes-vous, sur ce sujet, en ligne avec Ernest-Antoine Seillière et le CNPF ?
Lucien Rebuffel
Nous le répéterons sans cesse : la loi sur les 35 heures est une mauvaise loi. Elle ôte du pouvoir au chef d'entreprise qui a besoin d'avoir les coudées franches pour gérer son affaire. Nous sommes même arrivés à un point de ridicule achevé sur la réduction du temps de travail des cadres. Certaines entreprises sont obligées de rétablir des pointeuses, d'installer des sonneries pour dire aux cadres à quelle heure arrêter de travailler ! Mais, là encore, toutes les entreprises n'en sont pas au même point. La moitié des entreprises du CAC 40 ont déjà plus de la moitié de leurs salariés à l'étranger. Elles peuvent du coup consentir des baisses de durée du travail en France. Nous ne le pouvons pas. Je rappelle un souvenir : lors du sommet du 10 octobre 1997 à Matignon, tous les représentants du « grand patronat » étaient déjà autour de 35 heures dans leurs entreprises. Les PME ne voient pas, elles, comment elles vont, techniquement, réduire la durée du temps de travail. Je l'ai dit dès, le premier jour et je le répète sans cesse.
Question
Concrètement, que conseillez-vous aux entreprises sur ce sujet des 35 heures ?
Lucien Rebuffel
N'ouvrez pas de négociations. Attendez que les branches négocient et fournissent un cadre de référence. L'accord UIMM est un bon accord de référence. Nous demandons par ailleurs que la seconde loi de 1999 prévoie une baisse de la majoration des heures supplémentaires - par exemple, 10 % au lieu de 25 % - entre 35 et 39 heures ainsi qu'un contingent moyen de 200 heures au moins de ces heures.
Question
Un certain nombre d'entreprises, cependant, se laissent tenter par des accords, surtout des PME.
Lucien Rebuffel
Soyons sérieux ! Selon les chiffres officiels, il y a eu 321 accords à la fin septembre concernant un peu plus de 45 000 salariés. Cela ne représente que 0,32 % du nombre! de salariés. Ces accords ont débouché sur moins de 3 000 emplois créés ! Il faut quand même rappeler que ce sont les PME qui créent de l'emploi dans ce pays. Les entreprises dont l'effectif est inférieur à 50 salariés ont créé 1,3 million d'emplois nets depuis quinze ans; celles dont les effectifs sont compris entre 50 et 200 salariés en ont créé 130 000 ; pendant ce temps, les entreprises de plus de 200 salariés en détruisaient 1 050 000.