Texte intégral
Depuis plusieurs mois, le fonctionnement de l'Assemblée nationale connaît une dérive particulièrement préoccupante :
– surcharge du calendrier ;
– débats qui traînent en longueur ;
– ambiance d'affrontement détestable ;
tous éléments qui nuisent à l'image de l'institution et affaiblissent notoirement la qualité du travail législatif et celle du contrôle parlementaire.
Les socialistes ont cru découvrir la pierre philosophale : cette dérive serait due aux insuffisances du règlement qu'il conviendrait donc de revoir. Et de revoir – évidemment – dans le sens d'un affaiblissement des droits de l'opposition.
Or, en procédant à des analyses aussi manifestement erronées, non seulement les socialistes ne vont rien régler, mais ils ne vont rien régler, mais ils vont susciter une autre occasion d'affrontement et de blocage qui va encore aggraver la situation.
C'est d'autant plus prévisible que, pour monter ce faux débat, des membres du Gouvernement viennent désormais prêter la main.
Ainsi Mme Guigou s'est crue autorisée à intervenir dans un domaine où le Gouvernement n'a pourtant strictement rien à faire. Le règlement de l'Assemblée nationale est en effet de la responsabilité exclusive des députés. Et soumis à la censure du Conseil constitutionnel. Telle est la Constitution.
Devant cette situation, je crois opportun de dire ceci : le règlement n'est pour rien dans les dérives actuelles.
Sinon, d'ailleurs, on pourrait se demander pourquoi ces dérives ne se sont-elles pas produites plus tôt et, par exemple, entre 95 et 97 ?
Il n'est pas besoin d'argumenter longtemps pour démontrer que le règlement n'est ainsi pour rien dans la surcharge du calendrier. En revanche, la responsabilité du ministre des Relations avec le Parlement est entière. Il doit comprendre que s'il laisse faire les ministres, 3 ou 4 parlements ne lui suffiront pas pour absorber les multiples cathédrales législatives auxquelles ils rêvent de donner leur nom…
En fait, la vérité est ailleurs, et elle tient en deux points :
1. Le règlement est entre les mains de gens qui ne savent pas l'utiliser – quand ils n'ignorent pas son contenu.
2. Il ne suffit pas d'appliquer le règlement, on doit encore créer les conditions de sa bonne application. Or, de ce côté-là aussi, la carence est complète.
1. Les gens en place ne savent pas utiliser le règlement
À cet égard, il est clair que, s'agissant du PACS, ce sont les socialistes eux-mêmes qui se sont mis dans la situation dans laquelle ils se trouvent et pour laquelle ils cherchent désespérément une sortie.
Je le dis en pesant mes mots : il est incroyable, inadmissible pour le renom de l'institution, qu'on ait pris le risque de procéder au vote d'octobre dernier sur l'exception d'irrecevabilité déposée par M. Mattéi. Ou bien on a fait preuve d'une naïveté inimaginable. Ou alors – mais je n'ose le croire – cela a été un mauvais coup fomenté par la présidence de l'Assemblée contre le Gouvernement.
Ce n'est pas la première fois qu'une majorité se retrouve en séance en minorité.
Mais dans ce cas, le règlement donne les moyens d'attendre que les choses reviennent dans l'ordre. On pouvait ainsi renvoyer la suite du débat à un autre jour – d'autant qu'on était sûr de ne pas terminer. On pouvait demander deux ou trois heures de suspension. On pouvait demander un quorum. Mais en aucun cas on ne devait poursuivre, comme si de rien n'était, la procédure.
Aux termes du règlement, le Gouvernement, le président du groupe socialiste ou la présidence pouvaient prendre l'initiative.
Puis-je rappeler que moi-même, par un rappel au règlement, je leur ai tendu la perche ?
Ils portent donc l'entière responsabilité de la situation qui a été créée. Ils ont fauté par légèreté ou par ignorance.
Je pourrais, de la même manière, démontrer qu'il est inutile de réformer le règlement pour contenir les discours sur les motions de procédure dans les limites de l'admissible…
Il suffit de lire le règlement qui stipule qu'à tout moment, le président peut mettre fin à l'intervention d'un orateur s'il juge l'Assemblée suffisamment informée.
Il y a donc aucun besoin de changer les textes.
D'ailleurs, pour que les choses se passent bien, que personne ne soit pris en traître, il y a toujours possibilité de régler le problème préalablement en Conférence des présidents. La Conférence des présidents, c'est fait pour cela. Pour veiller à ce que les choses se passent bien.
Si un orateur demande six heures, le Président peut dire en Conférence que, compte-tenu de l'ordre du jour, il sera contraint de l'interrompre après deux heures – et qu'il faut s'organiser en conséquence. Et afin de bien asseoir sa décision, si cela s'avère nécessaire, il peut faire voter la Conférence. Et ce qui n'était que sa prérogative, devient la décision de la Conférence.
Là encore, il n'est pas nécessaire de changer le règlement.
Il suffit de l'appliquer.
Pour cela :
– il faut une présidence qui préside ;
– il faut une Conférence qui fonctionne ;
– il faut un ministre des Relations avec le Parlement qui comprenne que son métier ne consiste pas seulement à dire du mal de l'opposition ou du Sénat.
2. Cela étant dit, il ne suffit pas, pour qu'une Assemblée fonctionne harmonieusement, d'appliquer le règlement.
Il faut en créer les conditions politiques.
Ce n'est donc pas, là encore, de réforme du règlement dont on a besoin.
C'est d'une simple initiation de ceux qui ont à appliquer à quelques principes démocratiques et républicains.
Et pour leur faciliter le travail, je leur suggère de toujours se souvenir d'une idée simple qui leur donnera la clef de toutes les situations : l'honneur d'une Assemblée, sa bonne organisation, se mesurent à la façon dont l'opposition y est traitée.
Une fois que vous avez compris cela, vous avez tout compris…
Comment créer les conditions d'un fonctionnement harmonieux d'une Assemblée ? En donnant à l'opposition la conviction qu'elle est respectée, qu'elle peut se faire entendre, qu'elle n'est pas en quantité négligeable, qu'elle a toute sa place dans le travail législatif et de contrôle, que sa contribution est non seulement admise mais souhaitée.
En évitant de plus donner le sentiment qu'on cherche à la bousculer, qu'on cherche à passer des textes importants en force, sans qu'elle ait pu débattre…
Et, plus généralement, en faisant en sorte que les conditions d'une sérénité minimale ne soient jamais créées.
Or, la façon dont la présentation et la discussion du texte relatif au PACS ont été conçues allaient systématiquement à l'encontre de tous ces critères…
Et comme je veux être équitable, je voudrais les rapprocher d'événements imputables à l'ancienne majorité.
À quand faut-il remonter pour trouver des circonstances analogues à celles du PACS ?
À la loi Falloux ?
Et il est intéressant de relever les similitudes ?
Dans un cas comme dans l'autre, par commodité, on pêche contre l'esprit de la Constitution et du règlement.
On choisit la voie de la proposition de loi au lieu de celle, normale dans le cas d'espèce, du projet de loi.
Ce qui signifie que, dans un cas comme dans l'autre, on se prive de toutes les consultations préalables, du passage en Conseil d'État, du passage en Conseil des ministres, bref de toutes les garanties juridiques souhaitables. (Cela dit, il est juste de noter que l'ancienne majorité avait eu la sagesse de retirer le texte).
Dès lors que le texte est suspect aux yeux de l'opposition et d'une large fraction de l'opinion, l'examen en commission perd de ses vertus apaisantes. Au débat technique, à l'échange des vues se substitue immédiatement un combat politique frontal où le texte ne sert plus que de prétexte…
Ajoutez-y, comme dans le cas du PACS, l'incident du vote, et vous avez créé tous les ingrédients d'une situation explosive, où les incidents vont succéder aux incidents et perturber encore l'atmosphère. Les uns arrivent vexés d'avoir été battus et moqués et veulent prendre leur revanche. Les autres estiment qu'en ne résistant pas, ils donneraient une image de faiblesses que leur électorat ne manquerait pas de leur reprocher.
Et voilà pourquoi l'Assemblée apparaît comme un bateau ivre.
Situation d'autant plus dangereuse à l'heure où l'extrême-droite se repaît de toutes les faiblesses de notre système démocratique.
Situation d'autant plus regrettable à l'heure où il faudrait plutôt renforcer notre démocratie face à toutes les technostructures.
Dès lors, on l'a compris, il ne suffit pas de changer le règlement.
Il faut que le Gouvernement, la majorité, la présidence assume leurs responsabilités. Encouragez le travail en amont de l'hémicycle permettez la confrontation sereine des points de vue, arrêtez de présider d'une manière qui peut être jugée partiale, établissez un calendrier raisonnable, évacuez des projets tout ce qui est réglementaire pour les alléger (et respecter la Constitution), ne cherchez pas les passages en forces, et alors, vous n'aurez plus le genre d'incidents que nous vivons aujourd'hui, d'abord, parce que nul n'en éprouvera le besoin, et qu'alors, s'ils survenaient, ils seraient jugés sévèrement par une opinion cette fois unanime.