Interview de M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, à Europe 1 le 12 juillet 1995, sur le projet de réforme de la Constitution instaurant la session unique du Parlement, sur la modification du règlement concernant les réponses du gouvernement aux questions d'actualité et sur la décision de la reprise des essais nucléaires par la France.

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Média : Europe 1

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Dominique Souchier : Un des fondateurs du FIS a été assassiné hier à Paris. Cela ne vous paraît-il pas très lourd de menaces pour l'avenir ?

Philippe Séguin : Lourd de menaces, attendons de connaître les premiers résultats de l'enquête pour le dire. On parle déjà ce matin d'un règlement de comptes entre factions islamistes. Pour l'instant, je ne crois pas que nous disposions d'éléments qui permettent de l'affirmer. Il faut garder son sang-froid. C'est un événement grave qui peut être effectivement lourd de menaces mais il est encore trop tôt pour en apprécier toutes les conséquences.

Dominique Souchier : Srebrenica est tombée. Depuis des mois, on n'arrête pas de dire qu'il faut choisir entre partir ou tirer : comment répondez-vous ?

Philippe Séguin : Il faut donner sa chance à la Force de réaction rapide. Il y a eu une initiative par le président de la République française qui veut précisément sortir d'une situation humiliante, qui implique de la part de la communauté internationale, et en particulier de la France, des efforts, des pertes en vies humaines et dont l'utilité est très contestable. Alors voyons si la Force de réaction rapide répond aux espoirs. Sinon effectivement, le problème du retrait se posera en termes encore plus vifs qu'aujourd'hui.

Dominique Souchier : Des députés ont décidé, cette nuit, que trois fois par semaine, le gouvernement aurait l'obligation de répondre aux questions d'actualité des parlementaires. En est-il fini de la traditionnelle séance de questions d'actualité le mercredi après-midi ?

Philippe Séguin : Première chose, la disposition que vous dites, qui doit être encore confirmée par le Sénat, est le fruit d'un accord entre le gouvernement et l'Assemblée. La deuxième chose qu'il faut dire, c'est qu'il est tout à fait normal qu'un texte sorte modifié des assemblées. Le Parlement est là pour ça. Le Parlement n'est pas une chambre d'enregistrement. Le gouvernement vient avec un projet et c'est ensuite la responsabilité, le droit et même le devoir des députés, des sénateurs que de l'amender. Je crois que l'Assemblée a fait du bon travail sur le texte qui lui était proposé.

Dominique Souchier : Il n'y aura plus de séance de questions devant les caméras de télévision ou pas ?

Philippe Séguin : L'idée c'est plutôt qu'il y en ait trois fois par semaine. Selon toute vraisemblance, l'Assemblée nationale, lorsque la session unique aura été définitivement instituée, siégera trois jours par semaine et comme cela se passe dans tous les grands Parlements du monde, chacune de ces séances commencera par une rafale de questions relatives à l'actualité. C'est un besoin qu'on éprouve depuis longtemps. Hier, par exemple, avant même de commencer à examiner le texte constitutionnel par le biais de rappels au règlement, c'est-à-dire d'artifices de procédures, un certain nombre de députés ont voulu dire ce qu'ils avaient pensé de ce qui s'était passé le matin même au Parlement européen. Certains députés ont voulu redire ce qu'ils pensaient, en bien ou en mal, sur la reprise des essais nucléaires. Alors on met le droit en accord avec les faits.

Dominique Souchier : Allez-vous protester auprès du président du Parlement européen pour l'accueil mouvementé qui a été fait hier Jacques Chirac ?

Philippe Séguin : Selon toute vraisemblance, j'aurai à faire part au président du Parlement européen de l'émotion qu'un certain nombre de membres de l'Assemblée nationale, et je crois du Sénat, ont éprouvé à la vue du spectacle absolument incroyable qu'a donné ce Parlement hier. Encore qu'à la réflexion, il ne s'agit probablement moins d'une offense faite à Jacques Chirac ou à la France qu'une offense faite par le Parlement européen lui-même : celui qui sort déconsidéré de cette affaire, c'est cette officine qui se dénomme Parlement.

Dominique Souchier : La reprise des essais nucléaires valait-elle de se mettre à dos une bonne partie de la planète ?

Philippe Séguin : C'est au président de la République de se déterminer. S'il est un domaine où le président de la République, du fait de nos institutions, du fait de la nature même de l'arme nucléaire, du fait de la nature même de la dissuasion, doit décider seul, c'est le domaine nucléaire. Chacun sait que lorsqu'on élit le président de la République, on élit l'homme qui a la capacité, seul face à lui-même, d'appuyer sur le fameux bouton qui déclenche la foudre nucléaire. De la même façon, le président de la République est le seul à pouvoir disposer de tous les éléments sur la capacité de notre dissuasion à assumer son rôle : le président de la République avait ces éléments en main, il a fait son choix et il y a toutes les raisons de lui faire confiance.

Dominique Souchier : Ce n'est pas un sujet de discussion pour l'Assemblée nationale ?

Philippe Séguin : Non, pas du tout. Je vais vous en donner une illustration simple : lorsque le président Mitterrand a pris la décision tout à fait inverse d'arrêter les essais nucléaires, il n'y a jamais eu de débat à l'Assemblée nationale.

Dominique Souchier : On a décidé qu'un débat mensuel serait consacré à l'examen d'un texte proposé par les députés et pas par le gouvernement. N'est-ce pas une réforme en trompe-l'œil puisque c'est le gouvernement qui va choisir le texte en question ?

Philippe Séguin : Je ne dirais pas cela, mais je dirais que de toutes les avancées qui ont été accomplies, ce n'est probablement pas la plus décisive.

Dominique Souchier : Avez-vous d'autres regrets ?

Philippe Séguin : Non, parce que je crois que la session unique est vraiment une très grande chance pour le Parlement français, ne serait-ce que pour deux raisons. La première, c'est que le Parlement français va enfin avoir la capacité de contrôler le gouvernement toute l'année alors que jusqu'à présent il n'avait ce droit que deux fois trois mois. D'autre part, le Parlement français va pouvoir vivre au rythme de la construction européenne, au rythme de l'activité de la Commission des communautés européennes et apporter sa pierre à l'édification communautaire.

Dominique Souchier : Robert Badinter estime, ce matin, qu'avec la formulation actuelle du référendum, un président de la République pourra interroger les Français par exemple sur le statut des immigrés ou le droit de grève des fonctionnaires. Est-ce que vous le contestez ?

Philippe Séguin : Ce n'est pas du tout l'esprit. Je ne crois pas que ce soit sur des questions de ce genre que pourront porter les questions. Il s'agira d'orientations générales dans un domaine politique donné, mais un domaine important. L'éducation en est un évidemment, un archétype.

Dominique Souchier : Pas le droit de grève des fonctionnaires, pas le statut des immigrés ?

Philippe Séguin : Ni la peine de mort, ni l'interruption volontaire de grossesse.

Dominique Souchier : Espérez-vous toujours que cette réforme de la Constitution sera achevée le 31 juillet ?

Philippe Séguin : Je n'ai jamais parlé du 31 juillet. J'ai dit qu'on pouvait se retrouver aux alentours du 10 au 15 août à Versailles. Il semble qu'il y ait, de la part du Sénat notamment, la volonté d'aller plus vite, d'en terminer le 31. J'en accepte l'augure, je le souhaite. Ce qui va être décisif à cet égard, une fois que le Sénat aura analysé le texte, c'est la capacité du Sénat et de l'Assemblée à approuver un texte commun.

Dominique Souchier : Pensez-vous que le Sénat ira aussi vite que vous ?

Philippe Séguin : On n'a pas fait vite, on a travaillé au fond. Ce débat a été très long, intéressant, approfondi. Le Sénat le mènera également à son rythme de manière extrêmement sérieuse. Cela dit, il arrivera un texte qui ne sera pas exactement le nôtre et il faudra trouver un accord.