Interviews de M. Jacques Barrot, ministre du travail du dialogue social et de la participation, à Europe 1 le 26 mai 1995, France-Inter le 2 juin, dans "La Tribune Desfossés" le 26 et article dans "Démocratie moderne" le 1er juin (intitulé "De nouveau l'avenir sera désiré"), sur les attributions de son ministère et le plan pour l'emploi.

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Média : Europe 1 - DEMOCRATIE MODERNE - France Inter - La Tribune Desfossés

Texte intégral

Reportage à Dijon sur une association de lutte contre l'exclusion en Côte d'Or. Au gouvernement, sept personnes sont chargées de la lutte contre l'exclusion. Réactions : "Il risque d'y avoir un manque de liens, un manque de cohérence du fait de cet éparpillement" ; "quand j'ai écouté l'annonce des différents ministères, je me suis demandé quel était notre ministère de référence. Je dois vous avouer qu'aujourd'hui je ne le sais toujours pas". À qui s'adresser en cas de problème ? Sans attendre la réponse de l'État, les associations multiplient leurs structures : asiles de nuit, antennes médicales, maisons de retraite.

 

Vendredi 26 mai 1995
Europe 1

F.-O. Giesbert : Qu'est-ce que cela veut dire ministre de la participation ?

J. Barrot : La participation est un mot qui renvoie à toute une politique qui a consisté à lier davantage les salariés à la vie de l'entreprise et c'est à mon sens une idée forte aujourd'hui où le commandement de l'entreprise doit aussi s'adapter, associer mieux les salariés. Il y a aussi derrière cela l'intéressement. Il faut savoir partager les fruits de la croissance.

F.-O. Giesbert : Avez-vous des projets pour développer la participation des salariés dans leur entreprise ?

J. Barrot : Il y a eu des progrès. Il y a eu encore un texte récent. Il faut maintenant qu'au sein du dialogue social, on voit comment on peut faire progresser encore d'autres nouvelles formes d'intéressement et puis améliorer cette association des salariés. Mais je m'appelle aussi ministre du Dialogue et donc il faut aussi que ce soit les partenaires qui innovent et qui inventent.

F.-O. Giesbert : Ministre du dialogue social, cela veut dire quoi ?

J. Barrot : Cela veut dire que l'on met l'accent sur la parole des partenaires sociaux, qui doit être plus forte et dont le champ d'application doit s'élargir. Par exemple, les partenaires sociaux parlent rémunérations, modalités du temps de travail, mais il faut aussi que nous les incitions, nous les encouragions afin qu'ils mettent aussi au cœur de leurs discussions, l'emploi.

F.-O. Giesbert : Êtes-vous sûr que le contrat initiative-emploi permettra vraiment de réduire le chômage ?

J. Barrot : A. Juppé, à la suite de ce qu'avait souhaité le président de la République, a. voulu aller aux urgences. Quand on regarde les courbes du chômage aujourd'hui, elles s'améliorent beaucoup moins pour les chômeurs de longue durée.

F.-O. Giesbert : Elles ne s'améliorent pas d'ailleurs !

J. Barrot : Elles commencent à se stabiliser. Mais il y a un vrai problème, c'est cette plaie qu'est le chômage et qui fait qu'un certain nombre de gens se sentent au bord de l'exclusion. Le contrat initiative-emploi est d'abord fait à l'intention de ces défavorisés qui attendent très longtemps un emploi. Dans un premier temps, le CIE doit nous permettre de réintégrer un certain nombre de ces chômeurs de longue durée et sans doute de créer des emplois. Mais il faut bien comprendre que l'urgence sociale est de réduire cette durée du chômage.

F.-O. Giesbert : Combien d'emplois pourra créer le CIE ?

J. Barrot : Il y avait déjà le contrat de retour à l'emploi qui s'inspirait de la même philosophie mais le contrat initiative-emploi ira plus loin, il sera plus incitatif et sera simple. En 94, on avait 200 000 contrats de retour à l'emploi, on peut estimer que nous irons bien au-delà.

F.-O. Giesbert : M. Blondel s'est inquiété de la possibilité de substitution que donne aux entrepreneurs le CIE, alors ?

J. Barrot : Nous allons beaucoup insister sur la notion de contrat. Un contrat c'est une parole qui doit être respectée. On ne va pas s'embarrasser de contrôles bureaucratiques. Il faut des rendez-vous pour bien vérifier que les contrats ont été respectés. L'esprit, évidemment, est que l'entreprise n'ait pas licencié quelques mois avant pour ensuite utiliser ce CIE, aidé, par l'État. Là on sera ferme sans être bureaucratique.

F.-O. Giesbert : Le gouvernement va également lancer le contrat d'accès à l'emploi, qui est destiné aux jeunes qui sortent d'une formation en alternance, qu'est-ce que cela devrait changer pour les jeunes ?

J. Barrot : Les moins de 25 ans qui sont quand même une catégorie particulièrement prioritaire vont avoir des facilités pour leurs premiers pas dans l'entreprise. Mais je crois qu'A. Juppé a eu raison de dire que nous ferions cela après avoir écouté très attentivement les partenaires sociaux.

F.-O. Giesbert : Est-ce que l'augmentation du SMIC ne risque pas d'avoir un effet Boomerang et de favoriser le chômage ?

J. Barrot : Il faut la combiner avec une baisse des charges sur les emplois moins qualifiés. Cette baisse des charges est déjà en marche mais, il appartiendra au gouvernement de voir comment il peut l'accélérer ou l'amplifier mais en combinant les deux, on donne un pouvoir d'achat aux plus modestes mais en même temps grâce à la baisse des charges on évite de perdre un avantage de compétitivité qui nous ferait perdre des marchés.

F.-O. Giesbert : On dit que la baisse des charges sur les bas salaires dans l'entreprise pourra être retardée ?

J. Barrot : Il faut se donner le temps de voir quelles sont les modalités les plus efficaces de cette baisse des charges, le coût et je crois que l'on n'est pas à un mois près. De toute façon, cette baisse des charges est déjà en marche mais il faut bien en étudier les modalités.

F.-O. Giesbert : Qui va payer ? Êtes-vous favorable à une augmentation de la TVA ?

J. Barrot : D'abord, il y a des économies à faire. Ensuite, il faut penser qu'en libérant les initiatives et en dynamisant notre économie, nous aurons des recettes supplémentaires et puis il se peut en effet qu'il y ait appel à plus de solidarité. On a parlé d'un point de TVA, mais il ne m'appartient pas d'anticiper sur des arbitrages qui vont être rendus très vites. Ce que je veux dire, c'est que ce prélèvement, dont le Premier ministre souligne qu'il est momentané, est destiné à répondre à des urgences sociales. Il ne me semble pas qu'il puisse donner lieu à des controverses. On ne discute pas quand il s'agit de réduire le chômage de longue durée ou de faire rentrer des jeunes dans les entreprises.

F.-O. Giesbert : Est-ce que le saucissonnage ministériel du social ne risque pas de se révéler inefficace ?

J. Barrot : Première remarque les problèmes sociaux sont maintenant multiformes et il n'est pas faux de vouloir qu'on l'attaque par plusieurs biais et qu'il y ait des ministres responsables pour justement utiliser les différentes démarches contre l'exclusion. Cela oblige aussi le Premier ministre à faire une coordination étroite. Mais je crois aussi que dans cette mobilisation voulue par tout le gouvernement, cela a un sens.

 

1er juin 1995
Démocratie Moderne

Par Jacques Barrot

Il est loin derrière nous le pèlerinage au Panthéon d'un autre président élu pour "changer la vie", la rose à la main : les lendemains gris (fins de mois, fins de droits, inquiétude-solitude) ont appris aux Français les limites d'un pouvoir politique qu'ils veulent désormais plus modeste, plus proche, plus transparent. Il y a urgence car un nombre important de Français ont paru délaisser le jeu démocratique par scepticisme, par découragement, comme s'il n'y avait plus pour eux d'espérance individuelle, ni collective.

Jacques Chirac a eu comme premier mérite de diagnostiquer cet impérieux besoin de resserrement des liens sociaux. Il faudra bien sûr des démarches neuves, venues d'un État qui devra se réformer lui- même pour donner l'exemple et dégager de nouvelles ressources pour la reconquête de l'emploi.

Trois mots-clés

Mais il y faudra aussi un nouvel état d'esprit, de nouvelles attitudes sans lesquelles la recréation d'une vraie communauté nationale apparaitrait vite hors de portée. Trois mots-clés, Énergie, Dialogue, Générosité, pourraient illustrer les trois vertus, les trois perspectives qui permettront de dessiner les bases d'une espérance collective, ouverte à chacun.

Une France réactivée a besoin d'énergie, d'un retour en force de la responsabilité. C'est vrai d'abord des politiques dont on attend, au-delà de l'honnêteté et de l'intégrité, une disponibilité vraie pour comprendre et agir. C'est vrai d'une administration appelée à servir la libération des initiatives. C'est vrai de tous ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir ou d'argent, et s'abritent derrière leurs statuts, leurs acquis, pour s'épargner tout risque.

Il ne peut pas y avoir d'avenir pour une vraie communauté française si le développement de la nation, le déploiement de ses capacités laissent indifférentes ou passives les élites. Par-delà le salariat, la place doit être faite à d'autres modes d'action. Il faut imaginer, expérimenter pour réactiver la société française.

Mais Il faut aussi réconcilier en profondeur les Français : une cure de dialogue s'impose. Il n'y a pas de communauté visible à l'horizon si la logique des intérêts catégoriels, les différences de génération ou simplement la tentation de l'individualisme, empêchent les Français de se parler, de s'écouter, de se situer les uns par rapport aux autres.

Une France en état de dialogue

L'entreprise française, petite ou grande, n'avancera et n'innovera que grâce à un surcroît de dialogue, de partenariat, qu'il s'agisse de rémunération ou de temps de travail. De même, il n'y a pas de solution au conflit virtuel des actifs ou des retraités si les uns et les autres n'acceptent de se comparer sereinement en terme de revenu, de se comprendre en terme de rôle social. Pas de solution également aux problèmes de l'immigration si ceux qui ne supportent pas quotidiennement le choc de l'immigration n'aident pas les autres à intégrer les nouveaux venus et se contentent de les exhorter. Une France en état de dialogue, c'est aussi indispensable pour recréer une communauté.

Voilà quelques pistes pour le courage social

Retour à la générosité

Enfin, il est une troisième et impérieuse exigence, celle du retour d'une véritable générosité : mieux qu'une solidarité trop passive, une générosité éclairée et agissante, oblige à cerner les vraies détresses et plus encore à prévenir celles qui guettent notamment à certains âges. La vie aujourd'hui réserve des passages périlleux pour les plus fragiles.

Pourquoi ne pas créer un service national civil pour aller au-devant des détresses de ces enfants mal-aimés, maltraités, dont les handicaps initiaux vont grever toute la vie ? Pourquoi ne pas envisager un grand Pacte national pour les vingt-vingt-cinq ans qui, victimes d'une désorientation scolaire, dérivent de stage en stage, dans une éternelle logique de provisoire avec pour horizon l'entrée au RMI ? Veut-on ou non leur ouvrir largement les portes de la société, leur offrir des chances véritables de rattrapage ?

Pourquoi ne pas arracher peu à peu à l'angoisse ces quinquagénaires ballotés entre la perte d'emploi et la perte de confiance, plus près du plan social que du plan de carrière, physiologiquement actifs mais administrativement inactifs, puisque jetés hors circuit pour cause de productivité, en fait par manque d'imagination, d'invention d'autres modes d'organisation du travail : ce serait pourtant le lieu idéal pour expérimenter de nouveaux modes de partage de temps de travail.

Pourquoi, comme Jacques Chirac s'y est heureusement engagé, ne pas solliciter très vite des Français un effort supplémentaire pour réintégrer les vieillards menacés d'une sorte d'exil intérieur par la perte d'autonomie ?

Voilà quelques pistes pour le courage social. La société française a mieux à faire qu'à reproduire ce que l'on appelle couramment "le troisième tour social ». Elle doit passer de la défense passive contre les risques de déchirure à un élan collectif sur le renouveau d'une véritable Communauté. À l'image de cette Communauté qui rassembla les Français en 1945 pour reconstruire une France de liberté. À la mesure de l'Unité qu'exigent de nous les grands rendez-vous européens à venir.

 

Vendredi 2 juin 1995
France Inter

G. Zénoni : On a vu les chiffres du chômage qui continuent à baisser à un rythme homéopathique. Comment allez-vous affronter ce dossier pour qu'on passe à des résultats plus concrets ?

J. Barrot : Ne parlons pas trop d‘homéopathie, parce qu'il y a quand même 23 000 demandeurs d'emplois qui ont disparu, qui ont retrouvé un emploi au cours du mois dernier. Il y a une décroissance qui est lente, qui est certaine et constante du chômage. Il faut l'accélérer comme l'a très bien dit le Premier ministre. Il y a plusieurs fronts. Il y a celui de la création d'emploi qui exige une mobilisation générale – nous avons fait le point avec A.-M. Couderc – qui exige aussi des actions un peu structurelles notamment la baisse du coût du travail non qualifié, avec une baisse des charges assez sélective pour permettre à des entreprises de ne pas perdre de marché, d'en prendre d'autres.

G. Zénoni : Avec des garanties, la baisse des charges ?

J. Barrot : Évidemment. Quand on dit baisse des charges ciblée ça veut dire aussi des baisses de charges assorties d'engagements et de rendez-vous.

G. Zénoni : Tout le monde se demande qu'elles vont être les articulations des mesures que vous voulez mettre en place, entre l'apprentissage, les contrat d'accès à l'emploi, les contrats de retour à l'emploi pour les chômeurs de longue durée, le contrat initiative-emploi ?

J. Barrot : Je viens d'évoquer plusieurs fronts. Il y a trois fronts. Le front de la création d'emploi qui joue sur l'ensemble du chômage. Il y a le front du chômage de longue durée, nous voyons que les courbes baissent mais pas celles du chômage de longue durée et de très longue durée. Nous avons décidé de faire de ce contrat initiative-emploi une arme forte contre ce chômage de longue durée, pour redonner de l'espoir à tous ceux qui se sont trouvés éloignés du marché du travail pendant plus de deux ans. Le troisième front, celui des jeunes. Il faut que la France fasse mieux que ce qu'elle ne fait puisqu'elle a encore beaucoup trop de jeunes en dehors de l'emploi. Pour ça, nous allons travailler avec les partenaires sociaux qui ont déjà réfléchi à une amplification de tout ce qui est apprentissage et qualification. En même temps, ils vont nous faire des propositions pour que des jeunes, qui ont fait une bonne scolarité mais qui n'arrivent pas à rentrer dans l'entreprise, puissent le faire. C'est l'idée du contrat d'accès à l'emploi.

G. Zénoni : Quand est-ce qu'on pourra juger ces mesures ?

J. Barrot : Dans les 2, 3 semaines qui viennent nous devrions mettre au point ces mesures qui doivent être bien ciblées, applicables facilement. On va avoir les armes applicables très vite. Elles seront financées dans le collectif budgétaire et on va attaquer le début de l'été avec les armes nécessaires pour mener le combat que le Premier ministre a jugé prioritaire avec le président de la République.

G. Zénoni : Qui va contrôler l'utilisation des CIE ?

J. Barrot : Les règles vont être simples. L'entreprise n'aura pas dû licencier 6 mois avant et elle prend un engagement de ne pas licencier. Il ne s'agit pas de prendre les CIE d'un côté et de licencier de l'autre. On trouvera un mécanisme de contrôle simple. Je crois aussi à la responsabilité des uns et des autres dans cette affaire qui est trop sérieuse pour donner lieu à la tricherie. Si tricherie il y a, elle sera sévèrement combattue

 

26 juin 1995
La Tribune Desfossés

Interview. – Jacques Barrot, ministre du Travail, du Dialogue social et de la Participation. Selon lui, l'accélération de la baisse des charges "sera subordonnée au constat des résultats de la première étape".

La Tribune : On compte aujourd'hui près d'un million d'emplois subventionnés dans le secteur marchand. Avec le contrat initiative-emploi, vous espérez en ajouter près de 200 000. La limite n'est-elle pas atteinte ?

Jacques Barrot : Le plan adopté par le gouvernement ne vise pas à accroître le nombre d'emplois subventionnés. Il vise à entreprendre une réforme structurelle du marché du travail à travers une refonte des prélèvements. La baisse des cotisations sociales sur le travail peu qualifié devient pour la première fois en France une réalité très significative, avec une ristourne que les entreprises vont récupérer sur les cotisations payées sur le Smic et jusqu'à 1,2 Smic. Le but est des rendre l'emploi moins coûteux pour l'entreprise.

Vous me dites "emplois subventionnés". Ce n'est pas exact. Pour ramener vers l'emploi les chômeurs de longue et très longue durée, il nous faut donner un encouragement aux entreprises. Mais les bénéficiaires du CIE ont vocation à rester dans l'entreprise, même lorsque l'emploi ne sera plus subventionné. Ce plan n'est pas une énième version du traitement social du chômage. Il s'inscrit dans une stratégie économique fondée sur une réalité : les prélèvements sociaux assis sur les salaires sont excessifs en France.

La Tribune Desfossés : Cette baisse ciblée des charges sociales est-elle l'amorce d'une réforme plus vaste du financement de la Sécurité sociale ?

J. Barrot : C'est une première étape. L'accélération du mouvement – le passage à une deuxième étape – sera subordonnée au constat des résultats de la première étape. Nous proposons aux employeurs un "donnant donnant" en mettant en œuvre une nouvelle logique. S'ils jouent le jeu, nous pourrons aller plus loin.

La Tribune Desfossés : Pourquoi n'avez-vous pas choisi d'amorcer le transfert de l'assurance maladie sur le budget de l'État, comme l'avait fait le gouvernement précédent la localisation progressive des allocations familiales ?

J. Barrot : Notre démarche est différente. La baisse des charges étant ciblée sur les bas salaires, pour éviter les effets de seuil, nous allons appliquer un autre système, celui de la ristourne sur cotisations. Cela ne modifie pas le mode de financement des branches de la Sécurité sociale. Cela ne concerne que le lien entre les entreprises et l'Urssaf. Cette méthode de ristourne est neutre par rapport au mode de financement de l'assurance maladie. L'avantage de la ristourne est sa simplicité pour l'employeur. Celui-ci calcule ses cotisations et utilise ensuite une simple formule arithmétique pour déduire cette ristourne de ses cotisations. Bien entendu, l'État verse ultérieurement la compensation à l'Urssaf à hauteur des pertes de cotisations. Le collectif budgétaire prévoit les ressources nouvelles qui le lui permettront.

On pourrait d'ailleurs imaginer que ce système de ristourne soit progressivement étendu à l'exonération des cotisations d'allocation familiales mise en place par le précédent gouvernement.

La Tribune Desfossés : Le Premier ministre a annoncé que le plan emploi devrait permettre 700 000 embauches supplémentaires en dix-huit mois. Dans quelle proportion pensez-vous que ces créations d'emplois pourront faire reculer le chômage ?

J. Barrot : Il est plus raisonnable de prendre des engagements sur les embauches, en sachant que celles-ci entraînent un recul de chômage. Mais ce recul peut varier en fonction d'autres critères. Notamment l'arrivée sur le marché du travail d'un certain nombre de personnes qui avaient renoncé provisoirement à demander un emploi et qui, sentant la croissance revenir, se disent qu'elles aimeraient bien trouver un travail. La société française a encore une démographie forte. Il faut que les Français comprennent que la création d'emplois n'entraîne pas immédiatement une baisse du chômage du même niveau.

La Tribune Desfossés : Les experts de votre ministère ont calculé que, lorsque 100 personnes entrent dans un dispositif du contrat de retour à l'emploi (CRE), cela réduit de 20 seulement le nombre de chômeurs. Espérez-vous faire mieux que le nouveau dispositif, qui, sinon, coûterait 35 000 francs par mois et emploi réellement créé ?

J. Barrot : Le CIE est plus puissant que le CRE puisqu'il est assorti d'une prime de 2 000 francs par mois. Certes, le dispositif peut paraître coûteux. Mais n'oublions que, lorsqu'un chômeur de longue durée intègre à nouveau le monde du travail, cela représente pour l'État d'importantes économies. C'est un candidat virtuel au RMI de moins. C'est un cotisant de plus à la Sécurité sociale. C'est une famille qui reprend espoir et qui devient à nouveau consommatrice. Notre système social fait qu'à un moment donné un chômeur de longue durée qui bascule dans le RMI va bénéficier d'une série d'avantages. Je suis persuadé que la consommation repartira quand les plus défavorisés, qui thésaurisent par peur de l'avenir, reprendront espoir. Si d'expérience le CIE se révèle trop coûteux et peu efficace, on l'adaptera. La règle nouvelle que nous nous sommes fixée, et à laquelle je veillerai personnellement, c'est une évaluation très régulière de ces dispositifs et de leur efficacité. Nous allons profiter de la mise en place des comités départementaux sur l'emploi pour bien mesurer l'usage que l'on fait de ces CIE. Les entreprises n'auront pas le droit de licencier pour prendre des CIE. De plus, nous aurons un mécanisme de surveillance, avec une information des membres du comité d'entreprise et des délégués du personnel, qui va se doubler d'une évocation par le comité départemental de l'emploi.

La Tribune Desfossés : Le patronat réclame une révision de la loi Aubry sur le contrôle des plans sociaux. Allez-vous lui donner satisfaction ?

J. Barrot : Mon premier souci n'est pas de légiférer mais de clarifier le sens de la portée de la jurisprudence. Le plan social exigé par la loi ne doit pas être un catalogue de bonnes intentions. Il impose à l'entreprise une véritable obligation de moyens. Il est normal d'en vérifier le respect. Il ne s'agit pas pour autant d'en venir à une forme d'autodérision qui serait donnée après coup par le juge.

La Tribune Desfossés : La forte hausse du Smic vise-t-elle à inciter les salariés mieux payés à négocier des revalorisations de salaires ?

J. Barrot : Des négociations au niveau des branches ou des entreprises peuvent permettre d'autres améliorations. Mais il faut rester attentif à la concurrence et donc à la compétitivité. Il ne faudrait pas que des majorations hâtives ou excessives jouent contre l'emploi. C'est pourquoi j'insisterai beaucoup auprès des partenaires sociaux, réunis aujourd'hui en commission nationale de la négociation collective, pour que cette dimension emploi soit de plus en plus présente au cœur des négociations.

La Tribune Desfossés : La dernière question s'adresse à l'ancien président de la commission des Finances à l'Assemblée nationale : l'état "calamiteux" des finances publiques vous avait-il échappé ?

J. Barrot : La calamité est inscrite dans l'endettement de la France. Mais ce n'est pas la dette du gouvernement Balladur. C'est celle que nous accumulons depuis une décennie. En 1995, il y a effectivement eu des dépassements de crédits, dus à des ressources moins abondantes que prévu et à des prévisions de dépenses peut-être trop limitées. Je ne l'ignorais pas. Conscients de cette situation, nous avions à la commission des Finances engagé une révision des services votés. J'ai bien l'intention de m'inspirer de cette méthode pour optimiser les crédits publics de mon ministère.