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Le Figaro : Le gouvernement veut s'attaquer à la complexité administrative. N'est-ce pas le type même de la réforme impossible ?
Jean Arthuis : Je ne le crois pas. Le besoin est grand, et la volonté politique est là. On a parfois parlé d'impôt formulaire à propos de la multitude de déclarations demandées par l'administration. S'attaquer à cette question c'est aussi une manière douce d'entamer une profonde réforme de notre fonctionnement. Chaque institution a tendance à réagir en totale autonomie et à multiplier ses propres formulaires. Le législateur lui-même en rajoute avec de nouveaux textes, dont la nécessité est loin d'être toujours prouvée. Je pense par exemple à certains amendements pour exonérer fiscalement les cessions d'OPCVM qui s'investiront dans l'immobilier, dont la déclaration pratique n'a pas été un modèle de simplicité.
Nous sommes arrivés au moment où la complexité devient un véritable handicap pour les citoyens et les entreprises. Elle peut mettre en cause le pacte républicain : ainsi, certaines des institutions sociales essentielles à la vie du pays sont aujourd'hui à la limite du parasitisme économique par excès de formalisme. Il faut renverser la tendance. La simplification de l'environnement public des entreprises est une des conditions de l'amélioration de leur performance.
Le Figaro : Concrètement, sur quels dossiers comptez-vous apporter de façon rapide des solutions ?
Jean Arthuis : J'ai décidé de créer un groupe informel composé de responsables et de praticiens des formalités, issus de tous les secteurs de la vie économique entrepreneurs, agriculteurs, professions libérales, conseils juridiques, experts-comptables – qui réagiront à toutes les réformes qui pourraient être lancées dans ce domaine. Ces professionnels feront leurs propositions de façon à aider à définir des actions pour 1996.
Pour ce qui est des semaines à venir, ce groupe informel sera chargé de donner un avis sur les trois projets annoncés par le gouvernement : la simplification des formalités d'embauche la déclaration sociale unique et la constitution d'un contrat d'apprentissage unique.
Le Figaro : L'administration défend son formalisme au nom des grands principes républicains. Que répondez-vous ?
Jean Arthuis : Certaines formalités sont justifiées, notamment par les grands principes juridiques. Je ne le nie pas. Mais il faut rétablir les équilibres et combattre les caprices de chacun des organismes qui ont tous leur propre logique. Il faut non plus faire de l'angélisme et croire que tout peut devenir ultra simple. Les chefs d'entreprise n'en demandent d'ailleurs pas tant, eux qui, par métier, ont l'habitude de surmonter les difficultés de toutes natures.
Le Figaro : Quel est le coût exact de la complexité administrative ? Les chiffres avancés par les experts privés oscillent entre 10 et 300 milliards de francs par an.
Jean Arthuis : Il faut faire attention avant de donner des chiffres. Il est assez difficile d'évaluer le coût exact de la complexité. La vraie réforme n'est d'ailleurs pas seulement économique. Elle est culturelle. Il faut mettre fin à notre soumission face à la complexité et placer le collecteur d'infirmations au service de l'entreprise et non l'inverse. Cela suppose en premier lieu de s'attaquer à l'inventaire des formalités qui sont demandées (projet Dicoform). On peut ambitionner de se mettre d'accord sur une vingtaine de données de base qui semblent nécessaires à tous les collecteurs d'information et faire en sorte que ces données soient accessibles directement. Il faut aussi redonner un plus grand pouvoir à la commission pour la simplification des formalités (Cosiform) créée en 1983. Il serait bien que son rapport annuel soit publié et qu'elle puisse y faire état des difficultés qu'elle a rencontrées. Mais in ne viendra à bout de cette tâche que s'il y a une volonté politique forte. Un signe de cette volonté pourrait être de prendre avant toute réforme l'avis de la Cosiform, un peu comme on prend aujourd'hui l'avis du Conseil d'État.
Le Figaro : Cela supposerait une réforme constitutionnelle ?
Jean Arthuis : Pas du tout. Je le répète, la véritable réforme est avant tout culturelle. Il faut que chaque représentant des pouvoirs publics se demande, avant d'exiger une formalité, si cette dernière ne va pas produire des complexités inutiles. Je souhaite ainsi que, dans le cadre de la réforme du Plan, cet organisme puisse participer à l'évaluation de la complexité publique.
Le Figaro : Vous allez présenter en Conseil des ministres un rapport sur le financement de la protection sociale. Proposez-vous des mesures précises ?
Jean Arthuis : Je suis, comme vous le savez, chargé au sein du gouvernement de la prospective et de la mise en cohérence des actions publiques. Je ne suis pas le ministre bis des Finances ou de la Protection sociale. En revanche, il m'appartient de faire vivre le débat au sein du gouvernement et aussi dans l'opinion, sur la logique qui doit sous-tendre nos grands choix économiques et sociaux. En effet, une mesure concrète, précise ou ponctuelle peut avoir un sens et même une efficacité très différente, selon qu'elle ressorti à une logique ou à une autre.
Nous allons disposer cette semaine de deux documents : le rapport de la Commission annuelle des comptes de la Sécurité sociale, qui fera encore apparaître des déficits considérables, et une étude du Commissariat général du Plan qui récapitule les différentes données pertinentes et les politiques menées jusqu'ici.
Dès lors, nous devons avoir un débat. Il est clair pour tout le monde que les déficits doivent être surmontés, et qu'il faut trouver des solutions. Mais se pose un second problème tout aussi actuel, celui de la répartition des prélèvements sociaux. Peut-on continuer à faire peser aussi massivement les cotisations sociales sur les salariés, alors que l'emploi se délocalise de plus en plus et que cette assiette-là ne cesse de rétrécir ? Je constate qu'en France les prélèvements obligatoires assis directement sur les salaires représentent 12 % du RIB, alors qu'ils ne dépassent pas 6 % en moyenne dans les pays de l'OCDE. Cette différence de 6 points est considérable, et elle constitue une pénalité pour le travail en France : ce sont des dizaines de milliers d'emplois, notamment dans les industries manufacturières, qui sont aujourd'hui sur le fil du soir. Avant de recourir, comme vous dites, à des mesures précises, c'est le type de réflexion qu'il nous faut avoir et que je compte bien développer à partir de cette semaine.