Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à France 2, sur le débat parlementaire sur le PACS, l'avenir de l'Alliance après l'élection de Christian Poncelet à la présidence du Sénat, la reconstruction de l'UDF et la constitution d'un centre droit et sur sa conception de l'Europe.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

Michèle Cotta :
Bonjour ! Désordre monétaire, faillite de quelques grandes banques internationales, reprise qui à peine amorcée en Europe s'essouffle aux États-Unis, mouvement incontrôlé des bourses dans le monde, prévision de croissance en baisse pour 99. Est-ce que malgré la bonne santé des économies, malgré la remontée de la consommation en France, est-ce que nous sommes à la veille d'une crise monétaire mondiale ? Nous en parlerons dans la deuxième partie de cette émission avec tous nos interlocuteurs. Mais tout de suite c'est à François Bayrou le président de l'UDF que nous avons des questions à poser, avec Philippe Reinhard de l'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : François Bayrou, avant-hier à l'Assemblée Nationale on attendait le vote du PACS, du PAC de Solidarité, sur lequel d'ailleurs nos invités de la semaine dernière s'étaient empoignés, et puis pas de PACS, les socialistes n'étaient pas là. Alors, qu'est-ce qui s'est passé ? Est-ce que c'est simple erreur de procédure, ou est-ce qu'au contraire vous pensez que les socialistes n'étaient pas là parce qu'ils ne voulaient pas prendre parti pour le PACS ?

François Bayrou, Président de l'UDF :
D'abord le Parlement a joué son rôle. On s'en étonne, on dit que c'est un accident, mais le Parlement c'est assez simple. Quand vous êtes plus nombreux, vous avez la majorité. Et l'absence des députés de gauche, et socialistes en particulier, cette absence je crois qu'elle n'est pas un accident, je crois qu'elle a une signification profonde, je crois que le groupe socialiste a tout fait pour qu'ils viennent, et ils ne sont pas venus parce qu'ils étaient au fond d'eux-mêmes et sans oser le dire en désaccord profond, avec ce qu'on leur présentait. Ils ne pouvaient pas l'exprimer parce qu'il n'y a pas de liberté d'expression au sein du groupe…

Michèle Cotta :
Ils ne s'en privent pas généralement, quand ils le veulent.

François Bayrou :
Mais sur ce point, ils ont comme on dit voté avec leurs pieds en restant dans leur circonscription et je crois que ça a une signification profonde.

Michèle Cotta :
Et le PACS reviendra en discussion et vous êtes d'accord pour une discussion pour une discussion sur un projet de loi gouvernemental cette fois et pas sur la proposition de loi de l'Assemblée ?

François Bayrou :
D'abord, je pense qu'il aurait dû y avoir discussion sur un projet gouvernemental parce que ça leur aurait permis aux autorités de contrôle juridique, en particulier au Conseil d'État de pointer les incohérences qu'il y avait dans le projet. Mais je ne sais pas si c'est le choix que le gouvernement fera, ou s'il choisira une nouvelle fois d'inscrire une proposition de loi parlementaire sans ce contrôle, on verra bien. Un mot cependant d'observation. Moi je pense qu'il y a de grand risque de voir les choses se crisper, c'est-à-dire qu'on ait des manifestations d'organisations homosexuelles d'un côté, que de l'autre des organisations de familles manifestent aussi et je trouve que ce n'est pas bon. Je pense que ce type de choix idéologique, qui consiste à imposer un projet, sans véritable consultation, sans essayer d'en percevoir la profondeur, risque de faire monter les tensions et dieu sait que sur ce sujet, la société française n'en a pas besoin.

Philippe Reinhard :
François Bayrou, vous avez analysé ce que vous pensez être les arrière-pensées des députés socialistes qui étaient absents vendredi, mais il y a peut-être un autre élément. Vous qui êtes un partisan du cumul des mandats ; est-ce que vous ne croyez pas que ce qui s'est passé vendredi justifie justement qu'on mette un terme à ce cumul de manière à ce que les parlementaires fassent leur boulot ?

François Bayrou :
Écoutez, c'est une plaisanterie, c'est une plaisanterie. Quand vous avez un ordre du jour donné plusieurs semaines à l'avance, vous organisez votre emploi du temps pour être là. Je suis président de conseil général, j'étais là. J'étais le matin dans ma circonscription et j'étais l'après-midi au vote. Franchement, ce n'est pas le sujet. Lorsqu'on cherche des prétextes, c'est que, en réalité, on a des arrière-pensées ou des sentiments de réserve. C'est je crois le cas. Ils n'y croyaient pas, ils n'en voulaient pas vraiment. Ils ne voulaient pas participer à cette affaire et ils n'avaient pas d'autre moyen de le montrer que d'être absents. Je crois que c'est très significatif.

Michèle Cotta :
Alors abandonnons le PACS. À la présidence du Sénat la semaine dernière, René Monory, centre démocrate a été battu par un candidat RPR, Christian Poncelet. Vous aviez dit que c'était une mauvaise action et puis finalement, vous vous êtes réuni, l'UDF s'est réuni et a décidé de ne rien faire…

François Bayrou :
Décidé d'exiger que les règles du jeu changent à l'intérieur de l'alliance, ou plus exactement qu'on en établisse enfin. Parce que ce qu'il y avait de critiquable, on ne va pas rester longtemps sur cette affaire désagréable et pas heureuse pour l'alliance. C'était son premier grand rendez-vous, il a été raté. Ce qu'il y avait de désagréable…

Philippe Reinhard :
Pas pour le RPR.

François Bayrou :
C'est que René Monory était soi-disant le candidat de l'Union. Tous les groupes avaient présenté ou laissé présenter René Monory et ce n'est pas bien d'entraîner les gens dans un piège comme ça, et ce n'est pas bien non plus qu'il y ait des déséquilibres dans l'alliance. L'alliance ne marchera que si elle est équilibrée. L'alliance pour réussir, elle doit être forte sur sa droite et forte sur son centre. Et tout déséquilibre est en réalité une condamnation à terme de cette alliance.

Philippe Reinhard :
Hier à Menton, Philippe Seguin a indiqué que le RPR devait être le pivot de l'opposition. Alors est-ce qu'il n'y a pas en ce moment, particulièrement après l'affaire du Sénat, une espèce de tentation d'hégémonie du RPR, comme le dit votre ami André Santini, le RPR à la présidence de la République, maintenant à la présidence du Sénat, il ne lui manque plus que la présidence de l'UDF en quelque sorte…

François Bayrou :
Je suis le seul rempart en quelque sorte, si je vous écoute bien. Quelquefois, j'ai tendance aussi à le penser. Pour être plus sérieux, « pivot » et un mauvais mot. Le bon mot c'est « pilier », parce que ça suppose qu'il y en a plusieurs, et deux en tout cas, forts. Pivot, ça veut dire qu'on est seul. Si il y a …

Michèle Cotta :
Comme Philippe Seguin a la maîtrise de la langue, c'est ce qu'il a voulu dire.

François Bayrou :
S'il y a un seul mouvement qui croit qu'il porte l'alliance, ce mouvement là naturellement échouera. Les conditions ne seront pas réunies pour que les Français se reconnaissent dans l'alliance, n'est-ce pas ? Il faut comprendre, c'est très simple. Il y a deux fronts pour l'alliance. L'alliance est en bute à l'extrême droite, il y a un front de droite, et elle est en bute aux attaques de la gauche, il y a un front du centre. Il faut qu'elle soit forte à droite et forte au centre et équilibrée pour que cette union l'emporte.

Michèle Cotta :
Alors Philippe Seguin, Édouard Balladur sont en apparence, sont en apparence au moins et pour le moment, rangés derrière Jacques Chirac. Alors est-ce que vous, vous pensez aussi que Jacques Chirac est le chef naturel de l'opposition ? Vous avez longtemps dit le contraire.

François Bayrou :
Il est le président de la République et il faut que nous ayons avec lui des rapports de loyauté, d'amitié, et s'agissant de l'UDF, j'ajoute de liberté. Notre plus dans cette affaire, c'est que nous avons une liberté de propositions et d'expression qui est par nature plus grande que celle des autres, amitié, loyauté, liberté.

Philippe Reinhard :
L'Élysée, et maintenant le RPR, vendent comme acquise une espèce d'évidence de candidature Chirac pour la prochaine présidentielle. Est-ce que vous êtes prêt à vous ranger derrière eux ?

François Bayrou :
Trois ans… Trois ans ou quatre ans avant…

Michèle Cotta :
Est-ce que l'amitié suffira ?

François Bayrou :
Qui peut dire ce qu'il en sera de l'élection présidentielle ? Naturellement le président de la République est mieux placé que qui que ce soit pour se présenter à cette fonction mais moi je suis incapable de dire à l'avance comment les choses se passeront. Si l'on réfléchit bien il ne peut y avoir de candidature différente que dans une ligne politique différente. Autrement, ça n'a pas de sens. Si la ligne politique est la même, c'est plutôt vers l'unité de candidature que l'on ira, à moins d'organiser des primaires, idée que beaucoup d'entre nous avaient défendue autrefois. C'est beaucoup trop tôt pour le dire. Le président de la République est mieux placé que qui que ce soit d'autre, et nous sommes à quatre ans d'une échéance. Franchement c'est un sujet qui n'est d'aucune actualité, comme tout le monde le sait, eux, lui et nous.

Michèle Cotta :
Alors en attendant, beaucoup de vos amis semblent vous abandonner, beaucoup sont partis, sont partis où ? A Démocratie libérale. On dit que vous êtes favorable…

François Bayrou :
Non, beaucoup !

Michèle Cotta :
On dit que vous êtes favorable à un exercice solitaire du pouvoir ? Est-ce que vous le niez ?

François Bayrou :
Beaucoup… C'est exactement le contraire. Je pense que le pouvoir actuel, d'aujourd'hui sont des pouvoirs en équipe, d'exercice d'équipe et c'est bien ce que j'essaie de faire. J'ai été élu pour reconstruire cette maison. L'UDF est en crise, plus en crise que les autres. L'espace du centre et du centre droit est un espace qui a besoin de se reconstruire. S'il veut compter, s'il veut exister, il faut qu'il fasse un vrai parti, pas du chewing-gum. Et donc ce véritable parti, il sera je l'espère reconstruit avant la Noël.

Philippe Reinhard :
Alors ce parti que vous êtes en train d'essayer de refaire en fusionnant ce qu'on appelait les composantes de l'UDF, il y a quelques années vous disiez que vous vouliez faire un grand centre qui serait allé de Jacques Delors à Édouard Balladur. Est-ce que ce n'est pas un peu réducteur, de De Charrette à Cornillet surtout que semble-t-il… ils ne sont pas tous prêts à fusionner ?

François Bayrou :
Philippe Reinhard, comment dirais-je, cette manière de parler des gens avec mépris n'est pas la mienne et je souhaiterais qu'elle ne soit pas la nôtre, parce que excusez-moi de dire Hervé De Charrette a été ministre des Affaires Étrangères. Il vaut autant que qui que ce soit.

Michèle Cotta :
C'était sur l'éventail que… c'était sur l'ampleur de l'éventail.

François Bayrou :
Non, non, non. J'ai tout à fait entendu ce que Philippe Reinhard voulait dire.

Philippe Reinhard :
C'est quand même plus court que de Delors à Balladur.

François Bayrou :
Et je réponds… Voilà. C'est un espace, je souhaite qu'il s'agrandisse. Pour ma part en tout cas, je sais que beaucoup de gens ont intérêt à ce que ce parti politique ne se construise pas, à droite, et à gauche…

Philippe Reinhard :
Y compris chez vous.

François Bayrou :
À droite et à gauche ? Et peut-être forcément ici et là.

Philippe Reinhard :
Parce qu'il y a quand même des gens chez vous qui veulent que Force démocrate reste seule.

François Bayrou :
Oui, mais ceux-là naturellement… Il y a deux manières pour le centre droit de ne pas exister. Il y a une première manière qui consiste à se fondre et abandonner toute identité, et il y a une deuxième manière qui consiste à rester tout seul dans son coin, et je ne participerai ni de l'une ni de l'autre. On a besoin de construire un véritable parti. Tous ceux qui croient à ces idées-là et ils sont très nombreux en France, depuis des années ils ont vu qu'on était incapable de leur offrir la traduction politique de leurs convictions, de leur foi et peut-être même de leur rêve. Mais moi j'ai l'intention de le proposer. J'ai été élu pour cela par près de 90 % de ceux qui se sont exprimés.

Michèle Cotta :
Alors, personne ne parle plus du Front national. Est-ce que cette semaine, vous vous rappelez l'assemblée européenne a voté la levée de l'immunité parlementaire de Jean-Marie Le Pen à la demande du parquet de Bavière pour une nouvelle fois, le détail des chambres à gaz. Est-ce que vous pensez que c'est le prélude à une mise en retrait de Jean-Marie Le Pen et dans ce cas est-ce que vous pensez que Bruno Mégret c'est mieux que Jean-Marie Le Pen ou c'est moins bien, ou c'est pareil ?

François Bayrou :
Je n'ai aucune opinion sur l'avenir de la carrière de Monsieur Le Pen. Je ne sais pas ce qui va être jugé. Je sais une chose c'est que la conscience de l'Europe toute entière, elle ne peut pas laisser dire que les chambres à gaz sont un détail de l'histoire. Et quelquefois les partisans du Front national, ils croient en la France… ils croient qu'il y a en France un complot contre Monsieur Le Pen. Ils s'aperçoivent là que ce n'est pas vrai. Il y a une conscience européenne qui ne peut pas laisser dire cela. Je crois que c'est la signification de ce vote.

Philippe Reinhard :
Puisque vous évoquiez l'Europe, ça nous amène naturellement au prochain grand débat français, qui va tourner autour des élections européennes. L'Europe c'était votre spécificité, et on a l'impression que vous allez finir par vous ranger derrière une tête de liste RPR pour la première fois, et même cette tête de liste pourrait bien être Philippe Seguin, c'est-à-dire le principal combattant anti-Maastricht. Est-ce que c'est possible ?

François Bayrou :
Ce n'est pas le sujet aujourd'hui. Vous savez que j'avais…

Michèle Cotta :
Ça va le devenir assez vite quand même.

François Bayrou :
J'avais défendu depuis très longtemps l'idée qu'il fallait que l'Europe se dote d'une Constitution. Et j'ai été heureux de voir que Philippe Seguin reprenait à son tour cette idée. Plus on sera pour combattre pour une clarification de la construction européenne, et mieux ce sera. Mais il y a un deuxième sujet qui est pour nous de savoir ce qu'on mettre à l'intérieur de la Constitution, parce que la Constitution de la Quatrième République, c'est une Constitution ; la Constitution de la Cinquième République, vous le savez, Philippe Reinhard c'en est une autre et ce n'est pas tout à fait la même. Donc on a besoin d'avoir un débat sur le fond. Qu'est-ce qu'on met derrière ces mots ? Alors je propose une grille de lecture simple. Nous, nous défendons l'idée qu'un certain nombre de sujets en Europe doivent faire l'objet de politique fédérale. Pas tous. Ce n'est pas une architecture fédérale, mais un certain nombre de sujets – la sécurité, la police, la politique économique, on va sans doute parler de la crise – ont besoin de faire l'objet de politique fédérale, et qu'on le dise clairement. D'autres au contraire, doivent être des sujets nationaux, et l'État et la Nation doivent apparaître comme des piliers de cet ensemble. Essayons d'éclaircir cela, et lorsqu'on se sera mis d'accord sur les idées, alors on verra pour la géométrie des listes.

Michèle Cotta :
Alors la crise. Vous avez dit en regardant l'interview télévisée de Lionel Jospin jeudi soir sur notre antenne, vous avez dit Monsieur Jospin joue la montre. Est-ce que ça veut dire que comme beaucoup de RPR aujourd'hui vous êtes persuadé que la revanche est imminente ?

François Bayrou :
Franchement non. Je ne pense pas ce genre de chose.

Philippe Reinhard :
Vous êtes moins optimiste que Sarkozy.

François Bayrou :
Non. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'optimisme ou de pessimiste. Je crois qu'il y a de très gros nuages noirs qui viennent de l'horizon. Moi je ne pense pas du tout que… Je ne suis pas un expert. Je trouve que c'est mieux souvent de ne pas être expert. Au printemps, en juillet, les experts me disaient « mais ce n'est rien ça ne nous concerne pas. On n'est pas engagé en Russie, nous les Européens, donc ça ne nous concerne pas. »

Philippe Reinhard :
C'est comme le nuage de Tchernobyl.

François Bayrou :
La vérité que je crois, ça nous concerne, et ça va nous concerner beaucoup et en particulier parce que la rupture d'équilibre entre le dollar et nos monnaies européennes va avoir un rôle de frein considérable sur notre économie, sur l'ensemble des biens que nous offrons à l'exportation et qui sont payés en dollars. Les Américains vont redevenir beaucoup plus compétitifs, on va souffrir beaucoup. Ce n'est pas la seule raison. Il y en a d'autres qui vont être explicitées, mais celle-là est en effet particulièrement inquiétante. On s'apercevra si la crise comme je le crains, qu'en effet, les mesures n'ont pas été prises dans les années qui précédent pour donner à la France toutes ses chances.

Michèle Cotta :
Donc vous diriez les socialistes ont, selon l'expression consacrée, mangé leur pain blanc.

François Bayrou :
Leur blé en herbe on dit aussi.

Michèle Cotta :
Merci François Bayrou.