Texte intégral
Q - Vendredi 30 octobre, on en parle ou n'en parle pas ? Du chômage ?
– « On peut en parler. »
Q - Parce que généralement, il y a des chiffres. Vous les commentez, vous les révélez ?
– « Oui. Tout d'abord, les chiffres sont bons. Moins 43 000 chômeurs en septembre. C'est un bon chiffre qui confirme la tendance passée. Et surtout, tous les indicateurs sont bons : le chômage des jeunes baisse ; le chômage de longue durée aussi, vous savez que c'est une préoccupation majeure pour le Gouvernement ; le nombre de licenciements se confirme en baisse, – 22 % en un an –, alors que les offres d'emploi continuent à augmenter, 6,5 % par rapport à il y a un an. Donc je crois qu'on voit bien là que, avec une consommation qui continue à bien se placer malgré les turbulences internationales et parce que nous avons fait ce choix de la consommation interne, la France continue à se comporter correctement malgré les tourmentes. »
Q - Les entreprises résistent en dépit de la crise financière et de ce que ça peut annoncer ? Les Français gardent le moral ?
– « J'ai l'impression que les Français gardent le moral, même s'il y a eu des inquiétudes. Et c'est bien normal par rapport à la crise asiatique et russe, par rapport à ces mouvements un peu hiératiques des bourses financières. Mais notre croissance est d'abord tirée par la consommation. Je crois que les Français ont confiance et puis ils savent que le Gouvernement prend une politique dont l'objectif majeur est l'emploi. Nous avons pratiquement aujourd'hui 130 000 emplois-jeunes. La durée du travail commence à porter ses fruits avec près de 500 accords qui créent 8 % des effectifs en emplois nouveaux. Donc je crois que tout ça, les Français le sentent et que ça contribue à la confiance. »
Q - Vous êtes venue claironner les succès de la politique ce matin ? Mais si les résultats avaient été mauvais, vous les auriez donnés de la même façon ?
– « Écoutez, au mois d'août il y avait une augmentation de 33 000, je l'ai expliquée. Et même l'année dernière au mois de décembre quand il y avait une baisse de 80 000, j'ai dit qu'il ne fallait pas crier victoire, ça ne signifiait pas grand chose. Donc j'essaye d'expliquer les tendances de fond. Cela montre d'ailleurs qu'un mois ou l'autre doit être regardé avec beaucoup de précision et en regardant les tendances de fond, et elles sont bonnes. »
Q - Mais qu'est-ce que ces chiffres indiquent pour les prochains mois si on peut le savoir d'ores et déjà ?
–« C'est très difficile. Ce que nous savons aujourd'hui, c'est que la consommation reste haute. J'espère que l'investissement va se conforter car les entreprises répondent à la consommation, elles ont eu quelques inquiétudes. J'espère maintenant que la croissance va revenir au bon niveau, partout dans le monde et en France en tout cas, grâce à cette consommation interne. »
Q - Les 35 heures aident mais ne créent pas d'emplois ?
– « Les 35 heures, vous savez, ça fait deux mois et demi. Une bonne négociation ça prend environ six mois. Nous avons déjà 500 accords et dans ces 500 accords, les entreprises annoncent 8 % d'augmentation d'effectifs. Ça n'était pas arrivé, il faut bien le reconnaître, depuis des années. Donc le mouvement est en marche et je crois qu'il marche. »
Q - Une remarque : vous invitez souvent les partenaires sociaux à négocier sur le terrain. Et quand ils signent et que viennent les premiers résultats, quelquefois vous les mettez en cause. Est-ce qu'on ne peut pas vous dire : laissez-les signer et ne les désavouez pas ?
– « Vous avez tout à fait raison. Lorsqu'il s'agit d'accords qui réduisent la durée du travail et qui donc créent des emplois dans l'esprit de la loi, je ne me permets pas de porter des appréciations. Mais lorsqu'il s'agit d'accords qui augmentent la durée du travail ou qui ne s'appliqueront qu'après la loi, je me permets de dire : eh bien, ce sont des accords virtuels parce qu'eux-mêmes le disent. »
Q - Mais ce sont les partenaires sociaux qui s'accordent, laissez-les faire. Pourquoi l'Etat est toujours là ?
– « Ils s'accordent, mais je ne peux pas dire qu'une loi qui augmente la durée du travail pour certains salariés est un bon accord de réduction de la durée du travail. C'est une lapalissade, rien de plus. »
Q - En tout cas, vous vous êtes débarrassée du CNPF et les méchants patrons, vous avez vu.
– « Oui. Je suis très contente de l'arrivée du MEDEF car j'espère que mes relations avec le MEDEF rejoindront celles que j'ai toujours eu jusqu'à ces deniers mois avec le CNPF, qu'elles seront en tout cas meilleures. Et je pars avec une volonté de discussion et de dialogue que j'ai toujours eue d'ailleurs avec les chefs d'entreprises. »
Q - MEDEF, ça vous plaît ? C'est le Mouvement des Entreprises et des Entrepreneurs de France. C'est bien ?
– « C'est bien si ça permet effectivement au CNPF de se rapprocher des entreprises, de regarder ce qui s'y passe actuellement, de voir que peut-être pour la première fois, il y a une négociation sociale où les entreprises disent à leurs salariés : voilà ce dont j'ai besoin pour mieux fonctionner, où les salariés disent comment ils veulent travailler et comment ils veulent mieux vivre et où on crée ensemble des emplois. Si le MEDEF regarde ce qui se passe sur le terrain et le défend et l'amplifie... »
Q - Là vous promettez de ne pas vous en mêler ?
– « Non, ce n'est pas le sujet. Je dois dire à tout moment ce qui est dans la loi et ce qui ne l'est pas. C'est quand même le rôle de l'Etat. Mais pour le reste, les partenaires sociaux trouvent des solutions souples, adaptées, très différentes d'une entreprise à l'autre. Je crois que c'est cela l'intérêt du vaste mouvement de négociation sur lequel nous allons nous appuyer pour préparer la deuxième loi sur la durée du travail. »
Q - Les entrepreneurs changent, vous aussi vous allez changer ? Un peu ?
– « Ma porte a toujours été ouverte à M. Seillière et il le sait bien. Et encore une fois, si nous pouvons discuter dans de bonnes conditions, d'accord ou pas d'accord, je pense que c'est ça la démocratie. Moi je suis évidemment prête à le faire comme je le fais avec des chefs d'entreprises, avec des fédérations, avec des patrons de branche pratiquement, en ce moment, presque tous les jours. »
Q - Et vous ne pensez pas que les syndicats devraient faire comme le MEDEF, faire peau neuve ?
– « Les syndicats, vous savez, ont beaucoup avancé. Regardez la qualité des accords qui sont signés. Ils sont capables de prendre en compte les besoins des entreprises – meilleure utilisation des équipements, ouverture des services, saisonnalité – et ils défendent, et ils ont raison, évidemment la situation des salariés, leurs conditions de travail dans l'entreprise et puis une meilleure articulation avec la vie familiale. Je crois qu'on en a besoin dans une société où le temps libre c'est aussi du temps pour s'occuper de ses enfants, pour participer à la vie associative, pour créer du lien social. »
Q - E.-A. Seillière promettait, si la CNAM n'est pas plus libre, si les organismes paritaires restent comme ils sont, que le MEDEF s'en ira. Craignez-vous ce départ ou est-ce que ce n'est qu'un chantage des premiers jours du mouvement ?
– « Je pense vraiment qu'il faut qu'on arrête de parler avec des anathèmes ou avec du chantage. Nous sommes tous là face à un défi très important : ramener l'équilibre de la sécurité sociale. 55 milliards de déficit il y a deux ans, 33 l'année dernière, 13 cette année et j'espère zéro l'année prochaine grâce à des reformes structurelles que nous menons patiemment. »
Q - Si la croissance continue.
– « Il n'y a pas que la croissance. La croissance cette année ne nous a apporté que le quart de la baisse du déficit. Le reste, ce sont les réformes structurelles que nous avons mises en place. »
Q - En tout cas, vous avez remarqué que M. Seillière ne tonitrue plus, il parle.
– « Tant mieux. »
Q - Pour vous aussi, c'est peut-être une bonne indication. Au passage, vos alliés communistes qui n'ont pas adopté le budget Allègre, vont voter contre ou vont s'abstenir sur le budget de la sécurité sociale ?
– « C'est à eux de le dire, mais je crois que nous avons des accords fondamentaux sur la politique de retraite, sur la politique familiale. Ils continuent à s'opposer aux clauses vis-à-vis des médecins. Ce qui peut les amener à s'abstenir. C'est à eux de prendre leurs responsabilités. »
Q - S'ils s'abstiennent, ça ne vous fait pas de peine ?
– « Moi je préfère toujours que toute la majorité vote. Mais nous avons vu des accords beaucoup plus profonds que l'année dernière, notamment sur la politique de la famille et sur les retraites et ça je m'en réjouis. »
Q - À l'Assemblée, vous avez susurré : nous ne sommes pas opposés à ce qu'une épargne à long terme complète les retraites par répartition. Qu'est-ce que ça veut dire ?
– « Ça veut dire tout simplement que nous avons essayé cette année – et c'est peut-être la grande avancée de cette loi de financement – de clarifier le débat sur la retraite. Vous savez combien les Français sont attachés à leur retraite et attachés aux retraites par répartition, car c'est un élément de solidarité intergénérationnel. »
Q - D'accord, mais cette fois-ci, vous allez plus loin. Vous promettez même une loi en 1999.
– « Il fallait d'abord consolider ces retraites par répartition que certains voulaient mettre à bas pour les remplacer par des retraites par capitalisation qui ne sont pas équitables et qui ne traitent pas de cette solidarité entre les catégories et entre les générations. Alors nous la consolidons en mettant en place un fonds de réserve qui sera alimenté peu à peu et qui sera là à côté des grandes décisions qu'il faudra prendre l'année prochaine. »
Q - Ces deux petits milliards c'est dérisoire sur le long terme par rapport l'ampleur du problème.
– « C'est deux milliards plus quinze à vingt milliards qui viendront des caisses d'épargne plus d'autres fonds qui viendront alimenter ce fonds. »
Q - L'épargne retraite, est-ce que ce sont des fonds de pension de gauche comme dit La Tribune ?
– « Le problème n'est pas de savoir si c'est de gauche ou de droite, le problème est de savoir en l'occurrence si c'est efficace et si c'est juste. La loi Thomas qui crée les fonds de pension de droite – si je reprends votre terminologie... »
Q - Vous l'avez éliminée.
– « Non, mais elle avait l'inconvénient – et je l'explique comme cela – de donner des avantages fiscaux et sociaux à certaines catégories qui avaient les moyens de placer de l'argent pour la retraite. Nous, nous souhaitons que ces nouveaux plans d'épargne-retraite à long terme –dont nous avons besoin si nous voulons effectivement qu'il n'y ait pas que les gens qui ont les moyens qui puissent placer l'argent pour leur avenir –, ils devront s'effectuer dans un cadre collectif, être rendus accessibles à l'ensemble des salariés. Je crois que c'est très important. »
Q - Ce sera obligatoire ?
– « Non, ce sera négocié dans les entreprises, par exemple. Il peut y avoir des avantages fiscaux : il n'y a pas de raison qu'il n'y ait que ceux qui aient de l'argent qui puissent placer convenablement leur argent sur les marchés financiers. Mais ils ne devront pas fragiliser les comptes de la Sécurité sociale ; alors que dans la loi Thomas on voyait que certains salaires par exemple des cadres pouvaient sortir des cotisations sociales pour aller dans ces fonds de pension. Et enfin, les partenaires sociaux pourront participer à leur contrôle et je crois que c'est tout à fait important. C'est une épargne retraite à long terme, ouverte à tous et non pas seulement à ceux qui ont le plus de moyens dans notre pays. C'est un troisième étage après le régime de base et les régimes complémentaires qu'il nous faut consolider. »
Q - Cela renforcera les fonds des entreprises françaises sans doute aussi.
– « Tant mieux si ces fonds vont vers l'investissement, vers la production, vers la richesse en France. C'est effectivement une très bonne chose. »
Q - Vous n'avez pas la réputation de raconter des histoires : c'est vrai que vous projetez de démissionner en l'an 2000 ?
– « Est-ce que j'ai l'air, franchement, d'avoir envie de partir. »
Q - On peut ne pas avoir l'air et en même temps préparer en sous-main.
– « Je suis auprès de L. Jospin dans un combat très difficile qui est un combat contre le chômage et vous voyez que peu à peu les chiffres sont là. Je souhaite aussi que nous puissions défendre notre Sécurité sociale et arriver à l'équilibre. »
Q - Les grands discours : non. À un moment donné Le Nouvel Observateur a titré : elle veut s'en aller. C'était un grand papier sur vous.
– « Si je fais de la politique, ce n'est pas pour essayer de régler mon petit cas particulier, c'est pour essayer de régler des problèmes. Eh bien, tant que les choses ne sont pas au mieux – et elles commencent à aller de mieux en mieux – je reste là pour me battre. Cela fait partie de mon tempérament. »
Q - Quand cela a été dit, ce n'était pas un coup de tête de M. Aubry ?
– « Non, non, moi, je n'ai rien annonce de tout cela. J'ai simplement dit une chose et je le redis : je souhaite bien en 2001 être maire de Lille et j'espère que les Lillois et les Lilloises me feront confiance et à partir de là je me consacrerai à cette ville. »
Q - Alors vous venez de confirmer que pour faire la campagne électorale de 2001 il faudra partir en 2000.
– « Non, il ne faudra pas partir en 2000, il faudra aller comme je le fais aujourd'hui peut-être pas deux jours comme en ce moment, mais un petit peu plus sur le terrain. Mais j'espère que, d'ici là, le chômage aura reculé nettement et que la Sécurité sociale sera à l'équilibre. »
Q - Martine reste jusqu'au bout avec Jospin ?
– « S'il veut bien. »
Q - Vous serez fixée tout à l'heure.