Déclarations de M. Jacques Chirac, député RPR maire de Paris et candidat à l'élection présidentielle 1995, sur les grandes lignes de son programme : la lutte pour l'emploi et contre l'exclusion sociale, l'égalité des chances et la défense des valeurs de la République, à Reims le 13 avril et à Montigny-le-Bretonneux le 14 avril 1995.

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Circonstance : Meetings à Reims le 13 avril 1995 et à Montigny-le-Bretonneux le 14 dans le cadre de la campagne de l'élection présidentielle 1995

Texte intégral

Chers Amis de Reims, de la Marne, de la Haute-Marne, de l'Aube et des Ardennes,

Dans moins de 10 jours, la France aura rendez-vous avec elle-même pour définir les grandes orientations de son avenir, et choisir celui qui aura la responsabilité de les mettre en œuvre.

Ces orientations, ces choix, les Français en ont débattu dans cette campagne. Ils en ont débattu en posant les vraies questions, en confrontant les solutions en présence, en faisant apparaître les différences qui vont bien au-delà des traits de caractère de tel ou tel candidat.

Ce qui est en cause dans ce scrutin, c'est la façon de concevoir l'avenir. Ce qui est en jeu, ce n'est pas seulement le calendrier des changements souhaitables. C'est la nature même des changements qui s'imposent.

Nous sommes en pleine contradiction : dans un contexte de croissance économique ralentie, des transferts de richesses se sont produits depuis une quinzaine d'années, au profit de quelques-uns, au détriment des autres. Ceux qui spéculent ont été favorisés. Les plus vulnérables ont été laissés sur le bord du chemin. Ceux qui entreprennent, ceux qui investissent, ceux qui travaillent ont été pénalisés.

Cette situation n'est pas tenable. Car, à mesure que les entrepreneurs sont dissuadés d'entreprendre, les cadres découragés, les salariés démotivés, à mesure que le nombre de chômeurs s'accroît et que l'exclusion menace, il devient de plus en plus difficile de rémunérer l'épargne qui s'investit dans les entreprises et de maîtriser la hausse des prélèvements nécessaires pour financer les dépenses sociales.

De cette dangereuse évolution, les petits épargnants et les retraités modestes seront les premières victimes. Car pour rémunérer correctement l'épargne, pour payer les retraites, il faut que les actifs produisent davantage de richesses. Il faut donc qu'ils y soient incités. Il est temps de comprendre que l'économie et le social forment un tout. On ne bâtit pas une réussite économique sur les décombres d'une politique sociale, pas plus d'ailleurs qu'on ne peut renforcer les solidarités sur fond de dérive des finances publiques. Dans cette campagne, il ne s'agit pas d'opposer les actifs aux inactifs, les personnes âgées à leurs enfants ou à leurs petits-enfants : il s'agit de réunir et de rassembler les Français. C'est mon ambition.

Au cœur de ma démarche, il y a une certaine conception de l'État et de la République. Une certaine idée de l'État républicain dont, en réalité, tout découle.

L'État doit être porteur de valeurs. Je parle de ces valeurs, nées sous la monarchie, épanouies au siècle de lumières et qui se sont incarnées dans la République : la cohésion et la solidarité nationales. L'intégration et la laïcité. La tolérance. L'impartialité de l'État. La juste récompense du mérite et de l'effort. L'égalité devant l'emploi, devant l'éducation, devant l'impôt, devant le service public, devant la formation, devant la santé, devant la sécurité. Le droit à une place, à une activité dans la société.

Voilà les principes auxquels il faut revenir, parce qu'ils n'ont jamais été aussi nécessaires à notre société, ni aussi indispensables à notre économie.

Évidemment, personne ne remet ouvertement en cause le Pacte Républicain conclu par les Français, il y plus de 200 ans. Tout se passe de façon diffuse, à travers une multitude de petits et de grands renoncements. Tout se passe dans le non-dit, dans l'implicite, dans la succession des compromis et des arbitrages.

Qu'avons-nous vu grandir sous nos yeux depuis 15 ans ? Une France des inégalités.

Inégalités devant l'emploi pour près de 5 millions de nos compatriotes, privés d'activité professionnelle. En mesure-t-on toujours les effets sur notre société ? La perte d'un emploi ne met pas simplement en cause un statut social, ou l'équilibre matériel d'une famille. Elle compromet la dignité des hommes et porte atteinte à la cohésion sociale.

Mais la France des inégalités, ce n'est pas seulement la France de ceux qui vivent à l'aide de minima sociaux.

La France des inégalités, c'est aussi la France de l'argent qui va aux spéculateurs et aux faiseurs d'affaires, alors qu'on ne rémunère plus correctement le travail bien fait et les métiers de vocation, comme les infirmières, les assistantes sociales, les magistrats, les instituteurs, et bien d'autres encore.

La France des inégalités, c'est une France incapable d'offrir un toit à toutes les familles. C'est une France qui ne parvient plus à donner aux enfants les savoirs indispensables et les moyens du leur future insertion professionnelle. C'est une France qui laisse certains quartiers de nos grandes villes partir à la dérive et sortir du territoire de la République.

La société française, longtemps considérée comme un modèle de promotion sociale, s'est mise à fabriquer de l'exclusion. Et la certitude du lendemain est désormais vécue comme un privilège.

Pourtant la France est un pays riche. Elle est la 4ème puissance économique du monde. Elle dispose de l'un des niveaux de vie les plus élevés de la planète. Référence incontestée dans le monde, elle détient des atouts considérables : ses hommes, sa langue, ses chercheurs, ses entrepreneurs, ses créateurs, sa façade maritime, sa vocation de grande puissance agricole (comment ne pas l'évoquer, ici, sur cette terre de vignoble ?), ses départements et territoires d'outre-mer.

A-t-on pris la mesure de ces atouts ? A-t-on la volonté de les jouer avec détermination et audace ? Je n'en suis pas sûr.

Certains, aujourd'hui, pensent que nous n'avons prise sur rien. Que l'action politique se résume à la gestion prudente de contraintes largement imposées de l'extérieur. Que nos marges de manœuvre sont dérisoires. La société serait devenue une sorte de grand marché où s'ajusterait l'offre à la demande, en fonction des rapports de force du moment.

Je ne me reconnais pas dans cette vision pessimiste. Je crois à la force de la volonté politique et à notre capacité d'influence. La France mérite mieux que de subir passivement les aléas de la croissance internationale. Ceux-ci ne condamnent pas les nations : ils les obligent à forcer leur destin.

Si notre modèle républicain a perdu, en 15 ans, beaucoup de sa force, ce n'est pas parce que la France serait devenue subitement indifférente aux valeurs de la République. C'est bien davantage parce qu'un système de pensée hégémonique s'est mis à tout contrôler, à tout diriger. Ce système de pensée est la conséquence de la montée en force de la technocratie, à laquelle le pouvoir politique, par manque de volonté, par facilité aussi, a concédé l'essentiel de l'autorité.

C'est ainsi que s'est installé le règne de la pensée unique, une pensée qui à force de ne plus se remettre en cause, à force d'être coupée de la vie, s'est refermée sur elle-même, avec un seul mot d'ordre : la défense de l'ordre existant. De là résulte le procès en démagogie intenté à tous ceux qui se hasarderaient à sortir des sentiers battus.

Dans ce petit cercle parisien, la conviction la plus partagée est qu'on ne peut changer le cours des choses, qu'il est illusoire de vouloir encourager l'emploi, de s'attaquer à l'exclusion pour la rendre impossible, de donner à chaque enfant une culture, un savoir, une qualification.

Pour ces conservateurs, la politique serait une technique de gestion parmi d'autres, subordonnée au pouvoir des experts, des comités et des aréopages en tous genres.

Les dés seraient jetés : nous devrions nous contenter d'un chômage qui pourrait baisser un peu, et d'une fracture sociale contenue dans les limites du raisonnable.

Je ne me reconnais pas dans cette approche qui consiste à soigner les effets de la crise, plutôt que d'en traiter les causes. Je ne me reconnais pas dans cette politique en forme de "service minimum".

Je le répète : la politique, ce n'est pas seulement l'art du possible. C'est d'abord l'art de rendre possible, ce qui est nécessaire. Ce n'est pas parce que les choses sont difficiles que nous n'osons pas. C'est parce que nous n'osons pas, qu'elles nous semblent difficiles.

J'ai tenu à ce que l'égalité des chances soit le thème principal de ma campagne. Je me félicite de l'avoir imposé comme l'un des enjeux essentiels de l'élection présidentielle, car tout est conditionné par l'égalité des chances. Ce beau principe républicain doit désormais inspirer l'ensemble de nos choix.

L'égalité des chances commence à l'école.

Le modèle français d'éducation fut longtemps une référence. Il a permis de bâtir la France républicaine fondée sur l'égalité, l'intégration, la gratuité des études et la juste récompense du mérite. Mais il n'a pas résisté à l'inflation des effectifs. Il est aujourd'hui à un tournant de son histoire.

Il faut avoir le courage de le dire : la première mission de l'école consiste à donner une culture, à former des citoyens, à promouvoir la liberté de l'esprit, à apprendre à apprendre. Le projet politique de la République en procède directement. Il commence avec l'idée que le savoir et la culture, c'est bon aussi pour les enfants des autres.

Le choix de la culture et du savoir pour tous n'est pas un choix théorique. C'est un choix politique pour l'école primaire, pour le collège, le lycée et l'université. C'est la priorité donnée à une certaine forme d'enseignement, un enseignement qui module les moyens en fonction de la personnalité de chacun, et compense les handicaps.

Le préalable, c'est de recréer un enseignement élémentaire de qualité.

Pour garantir l'égalité des chances dès le premier âge, il faut réhabiliter l'essentiel : la lecture, l'écriture, le calcul, l'histoire et la géographie, l'instruction civique. Il faut limiter le nombre d'élèves par classe, préparer les enseignants à leur difficile mission en personnalisant les cours, développer les suivis individuels pour les élèves qui ont décroché. Tous ces choix comportent un coût, c'est vrai, Mais il est bien inférieur au prix de l'échec scolaire, avec le cortège d'exclusions qu'il provoque.

L'école doit également changer dans ses rythmes, immuables depuis près de 100 ans. Je le dis depuis longtemps, l'heure est venue d'aménager les rythmes scolaires, avec le souci d'alterner les activités intellectuelles, culturelles, artistiques et sportives. Il est temps de comprendre que l'organisation actuelle est injuste, car elle compromet les chances des enfants les moins favorisés. Elle est incohérente, car elle fait succéder à des phases de concentration excessive, de longues périodes où les jeunes sont totalement livrés à eux-mêmes.

Il faut adapter l'école de Jules Ferry à son temps. Parions pour cela sur la mobilisation de tous, parents, personnels de l'Éducation nationale, associations, collectivités locales. Parions surtout sur l'initiative des enseignants et des chefs d'établissement qui doivent disposer de plus d'autonomie, de responsabilité, dans la définition de leur projet éducatif. C'est la seule façon de rendre admissible une carte scolaire qui sinon ne serait qu'un instrument de reproduction et d'aggravation des inégalités.

Lutter contre l'échec scolaire, c'est aussi accepter la diversité des formations, en veillant à ce qu'aucune orientation, ne soit sans issue. C'est reconnaître l'entreprise comme un lieu de formation à part entière, partenaire de l'Éducation nationale. C'est créer une véritable filière de l'enseignement technique et professionnel qui, du CAP aux diplômes des grandes écoles, développe les expériences en entreprise. Je suis, depuis longtemps, convaincu de l'efficacité des formations en alternance, je parle de formations encadrées, avec un va et vient entre la théorie et la pratique, entre l'école et l'atelier, avec un maître, un tuteur, un suivi, une évaluation.

L'égalité des chances c'est enfin, pour les jeunes qui n'en ont pas bénéficié, le droit d'effectuer un stage rémunéré en milieu professionnel à l'issue de leur formation initiale. C'est reconnaître à chacun, sous la forme d'une créance sur la société, le droit à l'erreur, c'est-à-dire le droit de tenter plusieurs fois sa chance, afin que les destins ne soient pas scellés dès l'adolescence. C'est instituer, dans l'enseignement supérieur, un statut de l'étudiant, plus juste et plus généreux que le système actuel des aides, des bourses et des prêts.

La République a besoin d'une école qui sait intégrer, d'une école qui fait du mérite le vrai moteur de la promotion sociale. D'une école qui offre à chacun les moyens de sa réussite.

C'est l'un des engagements que je prends à l'égard des Français. Ce sera l'une des priorités que j'assignerai au prochain gouvernement.

Au nom de l'égalité des chances, je lui demanderai également de poser le problème de l'emploi en termes nouveaux.

Depuis 20 ans, nous nous sommes trop facilement résignés à la fatalité du chômage. Nous n'avons pas su repenser notre conception du travail pour l'adapter à l'évolution de notre économie.

Il est temps de comprendre que l'emploi n'est pas un objectif secondaire. C'est l'objectif auquel tout, je dis bien tout, doit être subordonné. C'est le premier, le véritable critère d'efficacité de notre politique.

Un renversement complet de logique est désormais indispensable pour privilégier le traitement économique du chômage, qui s'est trop longtemps effacé devant son traitement social. S'occuper des chômeurs: c'est bien. S'attaquer au chômage : c'est mieux.

En 1967, j'ai créé l'ANPE, généralisé et revalorisé l'indemnisation du chômage. C'est dire combien je suis attaché aux exigences de la solidarité nationale. Mais il est clair que l'on ne peut plus se contenter d'indemniser le chômage dont le coût, supérieur à 400 MdsF, tire toute notre société vers le bas.

Sans rien remettre en cause de nos acquis sociaux, il faut désormais tirer les conséquences d'une idée simple : un chômeur représente, en moyenne, une charge de 120 000 Frs par an pour la collectivité. Dès lors, toute initiative d'un coût inférieur permettant de maintenir ou de créer un emploi s'impose absolument. La dignité des hommes l'exige, et c'est capital. L'équilibre des finances publiques y trouvera aussi son compte.

Tel est précisément le sens de la mesure exceptionnelle que je propose pour les 1 300 000 chômeurs de longue durée, dont le nombre a progressé de 30 % en deux ans. Je suggère d'accorder aux employeurs de demandeurs d'emploi inscrits à l'ANPE depuis plus d'un an, une exonération de charges sociales et une prime mensuelle de 2 000 Frs pendant deux ans. Méfions-nous des solutions homéopathiques : elles ne marchent pas. Donnons la priorité à des incitations fortes et ciblées.

Mais il faudra aller au-delà pour transformer les dépenses d'indemnisation en dépenses d'insertion. Il faudra mieux coordonner les services en charge du placement et ceux responsables de l'indemnisation. Trop de moyens dispersés interdisent aujourd'hui une action efficace. Est-il inconcevable que des chômeurs puissent continuer à être, totalement ou partiellement, indemnisés par les ASSEDIC, pendant leur période d'insertion en entreprise ? Il est temps de retrouver notre bon sens.

Trop de vieilles habitudes et de conservatismes freinent également l'essor des emplois de service, si peu développés en France. Accompagnement des personnes âgées dépendantes, garde des jeunes enfants, soutien scolaire, amélioration de la vie dans les cités, intégration des jeunes en difficulté, lutte contre l'exclusion, protection de notre cadre de vie, autant de besoins qui ne sont pas correctement satisfaits.

Il ne s'agit pas de créer artificiellement des emplois précaires, comme on a eu trop tendance à le faire, mais des métiers à part entière, qui participent d'une société plus humaine, plus conviviale. Malgré des mesures partielles, l'essentiel reste à faire. Formation à ces métiers de service. Possibilité pour chaque ménage, de déduire de son impôt, les salaires versés aux personnes qu'il emploie. Allocation compensatrice pour les familles qui n'acquittent pas l'impôt sur le revenu, mais souhaitent créer un emploi de proximité.

Dans tous ces domaines, il appartiendra au prochain gouvernement de prendre les initiatives qui s'imposent en vertu d'un principe simple : mieux vaut payer pour qu'un chômeur retrouve un emploi, plutôt que de le payer à ne rien faire.

Il est temps de comprendre qu'un chômeur qui retrouve un emploi, qui participe à une tâche nouvelle, au développement d'une entreprise, même si cela coûte un peu, cela n'a pas de prix. C'est un plus, pas un moins.

Il est temps de comprendre qu'un homme qui retrouve confiance en lui, qui retrouve la dignité du travail, l'estime qu'il devine dans le regard de ses enfants, c'est une valeur inestimable.

Le traitement économique du chômage consiste aussi à redonner la priorité aux forces vives de la Nation, à tous ces chefs d'entreprise, petits et grands, ces agriculteurs, ces commerçants, ces artisans, ces professionnels indépendants, aujourd'hui découragés par trop de charges et de contraintes.

Notre pays a besoin de tous ses entrepreneurs. Ce sont eux qui créent la richesse et l'emploi. Encore faut-il que l'environnement économique, fiscal, administratif et financier leur soit favorable, ce qui n'est plus le cas aujourd'hui.

La première responsabilité de l'État sera d'assainir nos finances publiques. En évaluant l'efficacité de nos principales politiques, avec le courage de les réformer lorsque c'est nécessaire. En affectant les recettes de privatisation au désendettement, et non au financement des fins de mois difficiles des administrations. En arbitrant en faveur des secteurs prioritaires : l'emploi, l'école, la justice, l'aménagement du territoire, la sécurité, la recherche. En procédant, sous l'autorité du Parlement, à un audit approfondi des dépenses budgétaires, pour éliminer les double emplois, les dépenses inutiles, les gaspillages.

À l'État revient aussi la responsabilité de donner à nos entreprises les moyens de leur développement : aides à la création d'activités nouvelles ; garanties pour faciliter l'accès au crédit bancaire ; incitations fiscales pour encourager les fonds de pension et les placements dans les petites et moyennes entreprises ; modification de l'assiette de la taxe professionnelle ; réforme de la fiscalité sur les transmissions qui, dans sa forme actuelle, nous fait perdre plusieurs dizaines de milliers d'emplois par an.

C'est un fait, la loi n'est pas faite pour les petits, et pas seulement la loi fiscale. Un entrepreneur qui emploie 10 salariés remplit en moyenne 300 formulaires par an et y consacre 160 heures de travail par mois. Quel chemin de croix que cet "impôt formulaire" de plusieurs dizaines de MdsF par an, le seul impôt à ne pas être voté par le Parlement ! Que d'énergie perdue dans des procédures répétitives !

Là aussi, le bon sens doit inspirer les réformes : il faut instituer le guichet unique pour harmoniser les démarches des entreprises à l'égard des différentes administrations ; il faut systématiser les études d'impact avant l'adoption de toute nouvelle mesure, pour en mesurer les effets directs et indirects, notamment sur l'emploi. Nous devrons apprendre à légiférer autrement : moins de lois, mais des lois plus courtes, plus simples, plus claires.

Avoir une approche nouvelle du problème de l'emploi, c'est aussi faire en sorte que les salariés bénéficient, comme ils le méritent, des fruits de la croissance. C'est une exigence morale, mais aussi économique.

Je ne souhaite pas, bien sûr, réhabiliter la politique des revenus inventée dans les années 60 qui consistait à imposer, du sommet, aux entreprises françaises les mêmes évolutions salariales. Cette époque est révolue.

Je ne propose pas, non plus, une politique de relance aveugle de la consommation qui aurait pour effet de déséquilibrer nos comptes extérieurs.

Mais comment ne pas comprendre que lorsque l'on cesse de récompenser le travail, on dérègle, du même coup, la dynamique de la croissance et de l'emploi ? Comment ne pas s'inquiéter de voir qu'une consommation stagnante risque de compromettre la reprise qui s'amorce ?

Je dis et je répète qu'un franc de salaire distribué n'est pas un franc perdu. Il trouve à s'employer dans la consommation ou l'épargne. Il amorce le cycle de la croissance, celle de l'emploi et de l'investissement. Et ce serait une grave erreur que d'opposer les salaires à l'emploi.

Il faut désormais mieux associer le capital et le travail dans l'effort et dans les bénéfices. Il ne s'agit pas, bien sûr, de distribuer un pouvoir d'achat illusoire par le biais de l'inflation. Il n'y a pas de croissance saine sans un minimum de stabilité des prix.

Il s'agit de partager plus équitablement les fruits de la croissance et d'encourager la participation des salariés aux performances et aux résultats de leur entreprise. La juste récompense du mérite : "c'est la voie dans laquelle il faut marcher", disait le Général de Gaulle. C'est la voie dans laquelle se développera la société de participation, où les mérites de chacun seront justement récompensés.

Naturellement l'État sera partie prenante à cette grande réforme. Il le sera par la loi en favorisant l'intéressement. Mais, c'est d'abord au sein des entreprises, entre les partenaires sociaux, que la question de l'intéressement devra être posée.

Le temps est venu, me semble-t-il, de relancer la politique conventionnelle au sein des entreprises.

Les thèmes ne manquent pas : l'évolution des rémunérations et des salaires directs bien sûr ; mais aussi l'aménagement des conditions de travail et le développement du temps choisi, en particulier du temps partiel qui doit être favorisé ; la place des femmes dans l'économie et la conciliation de leurs aspirations professionnelles et familiales : le développement de l'actionnariat salarié grâce à une épargne à long terme.

Le progrès économique et social ne se résume pas à des courbes ou à l'addition de quelques chiffres. Une économie ne peut pas être considérée comme performante quand elle abandonne derrière elle des exclus toujours plus nombreux, quand elle fabrique des injustices, quand elle rend les hommes moins solidaires.

Il faut en revenir à l'essentiel. L'essentiel, c'est la vraie politique, celle qui met l'homme et sa dignité au cœur de nos préoccupations. Celle qui fait de l'emploi, du bien-être, de l'égalité des chances, les véritables critères de la réussite d'une politique économique et sociale.

C'est cette exigence de justice et de solidarité qui devra inspirer la nouvelle politique du logement.

Je souhaite réformer notre système d'aide à la construction qui, au bout du compte, coûte de plus en plus cher au contribuable, sans être capable d'offrir un toit à tous les Français, un toit correspondant à leurs attentes et à leurs besoins.

Pour faire en sorte que chacun retrouve "droit de cité", j'ai défini les priorités qui devront inspirer le prochain gouvernement.

Il s'agira de créer d'urgence, pour faire face aux situations les plus dramatiques, des logements d'insertion ouvrant droit, dans un délai limité, à un relogement dans le parc social. Il s'agira aussi de renforcer les incitations à l'accession à la propriété en instituant un prêt d'un nouveau type, incluant une aide significative à l'apport personnel et des garanties financières en cas de difficultés de remboursement, liées à la perte d'un emploi par exemple. Il s'agira, enfin, de motiver par des incitations fiscales ceux qui souhaitent investir dans la pierre pour développer l'offre locative, soutenant ainsi l'activité du bâtiment. N'oublions pas que chaque logement construit équivaut à deux emplois supplémentaires dans notre économie.

Rétablir de véritables solidarités : voilà la principale préoccupation de mon projet.

Solidarité envers les cinq millions de personnes handicapées en poursuivant l'effort engagé par les lois de 1975 et de 1987 : qu'il s'agisse des allocations, du maintien à domicile, de l'adaptation des logements, de l'accueil des enfants à l'école ou d'activité professionnelle, beaucoup reste à faire.

Solidarité envers les familles en difficulté, envers les personnes âgées dépendantes, envers tous ceux qui n'accèdent plus aux services de santé.

Solidarité aussi envers ceux que le système scolaire rejette sans la moindre qualification, ceux que l'évolution des techniques écartent du monde du travail, ceux qui vivent, ou plutôt qui survivent, grâce à des minima sociaux.

Solidarité envers ces habitants des quartiers difficiles de nos villes qui ont perdu l'espoir de vivre en paix et qu'on laisse à la merci de la violence quotidienne et de la délinquance.

Ces inégalités, ces fractures sociales, les tensions qu'elles provoquent, on peut s'y résigner et les subir. C'est la pente naturelle. C'est la solution de la facilité. On peut aussi les refuser. C'est la voie que j'ai choisie.

Je n'accepte pas l'idée qu'il y ait deux France : l'une, toujours plus nombreuse, condamnée à rester au bord du chemin ; l'autre, toujours plus imposée pour lui venir en aide. Les deux France, c'est le cercle vicieux de la stagnation et de l'exclusion. C'est la rupture du Pacte républicain.

C'est vrai, on pourrait considérer que dans la situation actuelle de nos finances publiques, l'État n'a pas les moyens d'assumer le coût de la lutte contre l'exclusion. Et sans doute, les arguments sont-ils nombreux à l'appui de cette thèse. Mais il faut bien comprendre ce qu'une telle position peut avoir de déraisonnable. Car, qu'on le veuille ou non, la fracture sociale nous coûtera infiniment plus chère demain, si rien n'est fait aujourd'hui, pour rétablir les solidarités et renouer le Pacte républicain là où il se défait.

La société française est un éternel compromis entre le conservatisme et l'esprit de réforme, entre l'ordre et le mouvement. Et l'avenir n'est jamais tracé d'avance.

Lorsque la France refuse la réforme, elle prend du retard sur les autres pays, se perd dans les arguties et les conflits, et laisse se développer les fractures. Lorsqu'elle choisit le changement, elle exprime le meilleur d'elle-même, libère des forces d'initiative, donne le ton des idées et tient son rang en Europe et dans le monde.

Il y a toujours eu dans l'histoire de France des moments de remise en cause, qui précédaient des remises en ordre. Ce fut le cas en 1945 et 1958 : le gaullisme fut alors l'inspirateur des grandes réformes qui allaient remettre la France sur les rails du progrès, de la prospérité et de la démocratie.

Je sais qu'il faut se garder des rapprochements faciles. Mais les analogies avec la période actuelle sont frappantes. L'opinion est inquiète, les solidarités se sont relâchées, les forces vives sont découragées, la dérive des finances publiques vient aggraver le mal. Et comme toujours, la France de demain sera ce que nous déciderons qu'elle soit.

Bien sûr, il ne faut pas sous-estimer le temps qui sera nécessaire pour renverser la tendance. Depuis 15 ans, trop de retards ont été accumulés, trop de réformes ont été éludées pour que le miracle du changement intervienne par le seul effet d'un scrutin, aussi décisif soit-il.

Mais la reconstitution du Pacte républicain est d'abord une affaire de volonté. Cessons de tenir pour insurmontables les contraintes qui s'imposent à nous. Nous n'avons que trop attendu. Par manque de foi dans la France, par manque de confiance en nous-mêmes, bien plus qu'en raison de la nature des choses.

Je me présente, aujourd'hui, devant vous avec l'ambition de vous montrer que le changement est un état d'esprit et que nous pouvons nous mobiliser, tous ensemble, pour faire bouger la France.

Permettez-moi de citer ici Michel Debré évoquant l'art de gouverner : "Sans doute ne faut-il pas changer pour le plaisir de changer, ni réformer ce qui n'en a nul besoin. Mais c'est faire preuve d'habileté que d'entreprendre les réformes quand le temps l'exige". Et bien, je sais que l'heure des réformes va bientôt sonner pour notre pays.

Des réformes pour bâtir une France plus ambitieuse et plus solidaire. Une France qui donne à chacun une place et une chance. Une France pour Tous.

Vive notre République !

Vive la France !

 

Vendredi 14 avril 1995

Chers Amis des Yvelines,

Lorsque j'ai décidé d'être candidat à l'élection présidentielle, j'étais animé par ma volonté de servir la France et les Français.

J'avais le sentiment de l'urgence, l'urgence à trouver des réponses à la mesure de la crise que traverse notre pays.

La France est incertaine ; elle doute d'elle-même. Elle balbutie jusque dans l'expression de ses valeurs essentielles. Elle est comme livrée à des vents mauvais.

Je crois à la nécessité d'un changement suffisamment puissant pour entraîner tout ce que la France compte de forces vives, et les rassembler dans un nouvel élan, dans une dynamique de renouveau.

J'ai pris du recul depuis plusieurs années. Pour comprendre les Français, pour dialoguer avec eux, pour réfléchir. Certains ont souri de ma démarche ; d'autres l'ont même caricaturée. Il n'est pas si courant pour un homme politique de privilégier l'écoute à la parole.

Cela ne m'a pas fait dévier un seul instant de la route que j'avais choisie. J'y ai même trouvé une incitation supplémentaire pour poser un autre regard sur la France, pour découvrir une réalité qu'on ne décrit jamais dans les rapports officiels.

Comment redonner vie à cette France que nous aimons : une France entreprenante, généreuse, modèle de puissance équilibrée, d'exigence et de générosité ? Telle est ma seule préoccupation dans cette campagne.

Je vous rassure : je n'espérais ni réponse toute faite, ni solution miracle. Je souhaitais simplement une réflexion à la fois raisonnable, nouvelle et ambitieuse.

Raisonnable, parce qu'on n'est jamais assez respectueux des faits. Trop souvent nos compatriotes ont été abusés par les promesses. fis ont encore en mémoire le souvenir du début des années 80, quand les utopies du socialisme se sont fracassées sur les dures réalités de l'économie.

Nouvelle, parce qu'il m'a fallu une grande détermination pour bousculer le règne de cet étrange consensus qui prétendait que nos marges de manœuvre étaient dérisoires, sinon nulles. Comme si l'avenir de la France dépendait seulement de l'amélioration de l'environnement international, avec tous les aléas qu'il comporte.

Il ne s'agit pas de chercher, comme certains le proposent, à répartir la pénurie d'emplois, à travers une réduction du temps de travail, dont on ne sait toujours pas, après plusieurs mois de campagne, si elle s'accompagnerait d'une diminution des salaires. Les expériences réalisées en 1982 ont démontré, s'il en était besoin, l'inefficacité d'une telle politique sur le chômage.

Et ce ne sont pas les modèles de quelques économistes, qui se sont d'ailleurs régulièrement trompés, qui y changeront quelque chose. Mon approche est tout autre : je veux créer les conditions d'une croissance saine et durable, au service de l'emploi, grâce à la libération des initiatives.

C'est l'amour de notre pays et la confiance en ses atouts qui m'ont donné la force de faire entendre une voix discordante, dans ce concert de sombres pronostics et de prévisions pessimistes.

Ma réflexion, je l'ai aussi voulue ambitieuse parce que nous devons à notre pays un projet à sa mesure, à la hauteur de son histoire, de sa vocation, de son talent.

La France a du tempérament ; il y a en nous cet orgueil qui ne veut se confronter qu'aux plus grands défis. La France aime les premiers rôles. Elle les mérite et elle n'est pas à son aise dans le costume étriqué que souhaiteraient lui imposer les tenants de la "pensée unique". Une pensée qui, à force de ne plus se remettre en cause, à force d'être coupée de la vie, s'est refermée sur elle-même, avec ses certitudes et ses conformismes.

Ainsi, au fur et à mesure que je progressais dans ma démarche, un grand dessein a pris forme ; une forme connue, un visage familier, celui d'une grande idée, une grande idée hélas perdue de vue. Une idée à peine évoquée dans le débat politique, tant elle semblait appartenir au passé. Cette idée, c'est l'idée républicaine.

Le Pacte républicain qui, depuis 200 ans, lie les Français entre eux est, avant tout, un pacte social et humaniste.

Ses principes ? La solidarité et la cohésion nationale. Le refus de l'exclusion. La possibilité, pour les parents, "d'élever" leurs enfants, au sens propre du terme, en leur assurant une situation, une vie meilleures que la leur. L'égalité des chances, et son corollaire, la juste reconnaissance du travail et du mérite. L'intégration. La laïcité, la tolérance. L'amour de la patrie, qui vaut tous les sacrifices.

Mais que devient le Pacte républicain, quand les inégalités se développent ? Inégalité devant l'emploi. Inégalité devant le logement, l'accès à la santé, le service public, la sécurité, la formation. Inégalité devant la vie. L'évolution de notre société reflète, aujourd'hui, le déclin d'une certaine idée de la République, le déclin d'une certaine idée de la France.

Que devient l'égalité des droits et des chances quand 40 % des enfants qui entrent au collège ne maîtrisent pas la lecture et l'écriture ? Quand 100 000 jeunes sortent, chaque année, du système scolaire sans qualification ?

Que devient l'égalité devant la santé, quand l'accès aux soins n'est plus garanti pour plusieurs centaines de milliers de nos concitoyens ? Face aux progrès de la médecine et à l'allongement de l'espérance de vie, les Français n'ont plus les mêmes chances.

Que devient la cohésion sociale quand le taux de chômage s'établit à près de 13 % ? Quand les chômeurs de longue durée sont 1 300 000, en progression de 30 % depuis deux ans ? Quand un jeune sur quatre est à la recherche d'un travail ?

Bien sûr, on me dira que la crise de l'emploi frappe tous les pays développés. Mais il y a une crise spécifiquement française. Plus que partout ailleurs, nous avons automatisé, privilégié la productivité au détriment de l'homme, jusque dans les secteurs abrités de la concurrence internationale. C'est l'ensemble de la Nation qui supporte le lourd coût humain et financier du chômage.

Certains partent du postulat que nous n'avons prise sur rien, sur rien d'essentiel. Ils considèrent que les impératifs de l'économie moderne réduisent tellement nos marges d'action que les gouvernements n'auraient d'autre possibilité que celle de gérer les conséquences de la crise, pour en atténuer les effets, à défaut de s'attaquer à ses causes.

Je ne partage pas cette manière de voir. Je crois qu'il est possible de faire autrement, à condition de revenir à l'essentiel.

L'essentiel, c'est de ne pas oublier que la finalité de l'économie est sociale, et que nous devons rendre l'exclusion, non pas supportable, mais impossible.

L'essentiel, c'est de faire de l'emploi la priorité absolue de notre politique économique, avant toute autre considération.

L'essentiel, c'est de mettre en œuvre une politique qui encourage les forces vives de la Nation, principal moteur de la création de richesse et d'emplois.

Certains prétendent que les disciplines que nous imposent l'ouverture des frontières, la concurrence extérieure et la mobilité des capitaux, rendent ces objectifs illusoires. Je connais cet argument : il est tellement facile de reporter sur d'autres la responsabilité de nos propres inerties. C'est négliger la capacité de sursaut des Français.

Prenons l'élection présidentielle pour ce qu'elle est : la possibilité d'engager les réformes dont notre société a besoin. La réforme n'est pas une purge. Ce n'est pas une potion amère. C'est une chance.

La France est un pays riche. Elle est la 4ème puissance économique du monde. Elle dispose de l'un des niveaux de vie les plus élevés de la planète. Référence incontestée dans le monde, elle détient des atouts considérables : ses hommes, sa langue, ses chercheurs, ses entrepreneurs, ses créateurs, sa façade maritime, sa vocation de grande puissance agricole, ses départements et territoires d'outre-mer.

A-t-on pris la mesure de ces atouts ? A-t-on la volonté de les jouer avec détermination et audace ? Je n'en suis pas sûr.

Il est un de ces atouts, essentiel pour notre croissance, qui me tient particulièrement à cœur : nos petites et moyennes entreprises. C'est peu de dire qu'elles constituent la colonne vertébrale de notre économie, la source principale de l'emploi, de l'innovation et de l'exportation.

La reprise de l'activité ne passe pas par la réhabilitation du déficit budgétaire ou par la dévaluation du franc. Le laxisme finit toujours dans la rigueur et l'austérité, et ce sont alors les plus fragiles qui en paient le prix.

La vraie relance de l'activité, celle qui permettra d'inverser la courbe du chômage, consiste à libérer l'initiative de tous ceux qui investissent et entreprennent. L'augmentation des taux d'intérêt réels, sans précédent depuis l'après-guerre, les a trop longtemps découragés.

En privilégiant les spéculateurs et les faiseurs d'affaires, on a fini par sacrifier l'économie réelle au profit de l'économie financière. Toutes proportions gardées, nous sommes dans la situation d'une entreprise qui se contenterait de gérer ses produits de trésorerie, sans accroître sa production, sans investir ni conquérir de nouvelles parts de marché. C'est peut-être confortable, mais cela ne mène pas loin. Ne cherchons pas ailleurs la cause principale de l'augmentation du chômage.

L'emploi est la première des dignités. C'est la meilleure protection sociale, la condition de la citoyenneté. C'est vers lui que doivent tendre tous nos efforts. C'est la priorité absolue, celle devant laquelle doit s'effacer toute autre considération, je dis bien, toute autre considération. L'emploi doit redevenir le véritable critère de nos choix politiques.

Un renversement complet de logique est pour cela indispensable, afin de privilégier le traitement économique du chômage, qui s'est trop longtemps effacé devant sont traitement social. S'occuper des chômeurs : c'est nécessaire. S'attaquer au chômage : c'est mieux.

Il n'est pas d'engagement plus pressant à prendre devant les Français que celui de donner les moyens de leur développement à tous ces entrepreneurs, petits et grands, ces commerçants, ces artisans, ces agriculteurs, ces professionnels libéraux, tous ceux qui investissent et qui embauchent. Ils sont 2,4 millions : ils représentent 2,4 millions de chances de créer des emplois et des activités nouvelles.

Encourager l'initiative, c'est d'abord s'attaquer aux formalités administratives dont la France s'est fait une spécialité. C'est réduire la paperasserie au strict minimum, imposer le guichet unique aux administrations, faire des lois plus simples, plus courtes, plus claires. C'est une vraie révolution culturelle à accomplir au sein de nos services publics, dont l'impulsion devra être donnée au plus haut niveau de l'État pour vaincre les conservatismes et les résistances qui s'y opposeront.

Encourager l'initiative, c'est aussi donner à nos entreprises de nouveaux moyens financiers : aides à la création d'activités nouvelles ; garanties pour permettre leur accès au crédit bancaire ; incitations fiscales pour encourager les placements en capitaux propres dans les PME ; création de fonds de pension investissant une partie de leurs ressources dans ces centaines de milliers d'entreprises qui n'ont pas accès à la Bourse ; redéfinition de l'assiette de la taxe professionnelle ; réforme de la fiscalité sur les transmissions qui, dans sa forme actuelle, nous fait perdre plusieurs dizaines de milliers d'emplois par an.

Tout cela sera nécessaire pour faciliter le retour de la croissance. Mais cela ne suffira pas.

Il faudra aussi des mesures fortes et simples pour lutter contre le chômage de longue durée, véritable cancer social qui n'est rien d'autre que l'antichambre de l'exclusion. C'est l'objectif du contrat initiative-emploi que j'ai proposé aux chefs d'entreprises, et dont je suis heureux de voir qu'il suscite déjà une large adhésion. C'est un enjeu capital pour notre cohésion sociale. C'est à mes yeux, un devoir national.

Il faudra aussi imaginer une croissance plus créatrice d'emplois, c'est-à-dire développer le temps choisi et le temps partiel, encourager puissamment les emplois de service. Il ne suffit plus d'augmenter la croissance : il faut veiller à lui donner un véritable contenu en emplois.

Trop de vieilles habitudes et de conservatismes freinent, par exemple, l'essor des emplois de proximité en France. Accompagnement des personnes âgées dépendantes, garde des jeunes enfants, soutien scolaire, amélioration de la vie dans les cités, intégration des jeunes en difficulté, lutte contre l'exclusion, protection de notre cadre de vie, autant de besoins essentiels à l'équilibre de notre société qui ne sont pas correctement satisfaits.

Il ne s'agit pas de créer artificiellement des emplois précaires, comme on a eu trop tendance à le faire à des fins statistiques, mais des métiers à part entière, qui participent d'une société plus humaine, plus conviviale. Malgré des mesures partielles, l'essentiel reste à faire. Formation à ces métiers de service. Possibilité pour chaque ménage, de déduire de son impôt les salaires versés aux personnes qu'il emploie. Allocation compensatrice pour les familles qui n'acquittent pas l'impôt sur le revenu.

Il est temps de comprendre qu'il vaut mieux payer pour aider un chômeur à retrouver un travail plutôt que de le payer à ne rien faire.

Il est temps de comprendre qu'un chômeur qui retrouve un emploi, qui participe à une tâche nouvelle, au développement d'une entreprise, même si cela coûte un peu, cela n'a pas de prix, C'est un plus, pas un moins.

Il est temps de comprendre qu'un homme qui retrouve confiance en lui, qui retrouve la dignité du travail, l'estime qu'il devine dans le regard de ses enfants, c'est une valeur inestimable.

L'État, pour sa part, devra remettre de l'ordre dans ses finances et maitriser les dépenses publiques en effectuant de véritables arbitrages entre les domaines prioritaires, comme l'emploi, l'école, la justice, la sécurité l'aménagement du territoire, et ceux qui ne le sont pas. Moins de déficits publics, c'est moins de prélèvements obligatoires et des taux d'intérêt plus bas. C'est le meilleur service que nos administrations peuvent rendre à notre économie.

Une grande réforme fiscale permettra de rendre notre système de prélèvements plus favorable à l'argent qui s'investit plutôt qu'à l'argent qui dort. C'est une absolue nécessité, si l'on veut que le travail et l'effort soient justement récompensés.

Je pense à la fiscalité de l'épargne qui doit encourager fortement les placements dans les PME et les investissements dans le logement. Je pense aussi à la réforme de la fiscalité sur les ménages qui s'impose, avec le double souci de la simplification et de la diminution des prélèvements.

C'est possible : la politique que j'ai menée entre 1986 et 1988 le prouve.

Oui, nous avons alors démontré que l'allégement de la pression fiscale stimule l'activité économique, augmente, en fin de compte, les recettes de l'État, dès lors que la croissance reprend, ce qui sera vraisemblablement le cas dans les prochaines années. Méfions-nous de ceux qui prétendent que la baisse des impôts n'est pas possible : ce sont souvent les mêmes qui ont laissé filer les déficits, accru l'endettement et alourdi les prélèvements obligatoires.

Les salariés ne devront pas être les oubliés de la croissance. Je suis de ceux qui considèrent que la feuille de paye n'est pas l'ennemi de l'emploi. Un franc de salaire distribué n'est pas un franc perdu pour l'économie. C'est un franc qui va à la consommation ou à l'épargne, donc à l'investissement. C'est un franc utile.

Si la question des salaires figure au centre de cette campagne, ce n'est pas le fait du hasard. C'est parce qu'elle détermine la conception que les uns et les autres ont de notre société et de ses équilibres. Et je suis fier d'en avoir fait un enjeu du débat présidentiel.

On ne bâtit pas les équilibres économiques sur des déséquilibres sociaux. On ne garantit pas la compétitivité et les performances d'une économie sur la fracture sociale et la précarité des hommes.

Et c'est une grave erreur d'opposer les salaires à l'emploi, les recrutements aux investissements, l'offre à la demande.

C'est une grave erreur d'analyse que de penser que nous sommes confrontés à une insuffisance de l'offre ou à une insuffisance de la demande. La crise actuelle n'est pas seulement une crise conjoncturelle que nous pourrions surmonter par quelques sacrifices passagers.

Nous ne sortirons pas de cette crise, nous ne préserverons pas notre cohésion sociale, nous n'améliorerons pas notre position concurrentielle, sans modifier l'ordre de nos priorités.

Cela fait près de 15 ans que l'on mise sur la discipline salariale pour faire redémarrer l'emploi.

Cela fait près de 15 ans que l'on accroit les prélèvements sans parvenir à faire reculer le chômage.

Le temps est venu, désormais de mieux associer le capital et le travail dans l'effort comme dans les bénéfices.

Il ne s'agit pas, bien sûr, de distribuer ce que l'on a pas.

Il ne s'agit pas, bien sûr, de distribuer un pouvoir d'achat illusoire par le biais de l'inflation. Je sais autant que d'autres qu'il n'y a pas de croissance saine sans un minimum de stabilité des prix.

Il ne s'agit pas, bien sûr, de décourager l'investissement en taxant les profits des entreprises. Je sais autant que d'autres qu'il n'y a pas d'économie compétitive sans effort d'investissement.

Il s'agit, je le dis et je le répète, de ·favoriser les placements dans nos PME. Il s'agit de partager équitablement les fruits de la croissance.

Et mieux partager les fruits de la croissance, c'est s'engager plus résolument dans la voie de l'intéressement des salariés aux bénéfices. "C'est la voie dans laquelle il faut marcher", disait le Général de Gaulle. C'est la voie dans laquelle se développera la société de participation, où les mérites de chacun pourront être justement récompensés.

Naturellement, l'État sera partie prenante à cette grande réforme. Il le sera par la loi qui doit encourager la participation des salariés aux résultats et aux performances de leurs entreprises. Mais, c'est d'abord au sein des entreprises, entre les partenaires sociaux, que la question de l'intéressement devra être posée.

C'est une grande concertation qu'il faut ouvrir, peut-être l'une des plus importantes, peut-être celle qui devra surmonter le plus de conservatismes, le plus de réticences. Mais c'est aussi la plus porteuse d'espoir.

Une fois encore, le Général de Gaulle, en avance sur son temps, avait vu juste. Une fois encore, il nous faut reprendre le fil interrompu de sa réflexion et de son action de modernisation de notre société.

Le combat pour l'égalité des chances doit se mener aussi, désormais, dans la ville.

Hier, on parlait de la "cité" pour désigner la communauté des citoyens. La ville était le creuset où se forgeaient nos valeurs, nos libertés et nos lois. Dans une certaine mesure, elle a enfanté la Démocratie et la République.

On évoque maintenant "les cités" pour désigner les grands ensembles déshumanisés où la République se défait peu à peu. On en parle pour désigner les lieux où se cristallisent toutes les tensions, toutes les déchirures, toutes les fractures de notre société. Et on ne réunifiera pas la France, sans réunifier la ville.

Face aux drames des quartiers difficiles, l'État est plus que jamais nécessaire. Pas tellement pour saupoudrer des crédits ou construire quelques équipements, mais pour attaquer le mal à la racine.

L'égalité des chances, c'est de compenser l'inégalité des situations, en engageant des moyens d'autant plus importants qu'on a laissé les écarts se creuser. C'est vrai de l'urbanisme et de l'habitat, des transports, de l'éducation, du soutien aux familles, de l'aide à l'insertion professionnelle, de l'encouragement aux activités sportives et culturelles.

Aux situations d'urgence doivent correspondre des politiques d'urgence.

Faire plus pour compenser les handicaps : ce principe vaut également lorsqu'il s'agit d'assurer le renouveau économique qui est, pour les zones en difficulté, la véritable voie d'avenir. Ce n'est pas seulement de traitement social dont ces quartiers ont besoin. C'est d'incitations économiques, pour maintenir et développer l'activité là où elle existe, et la susciter là où elle a disparu.

En 1987, mon gouvernement était confronté à de délicates reconversions industrielles. Pour les accompagner, j'avais décidé de créer des zones d'entreprises défiscalisées dans certaines parties du territoire. Ce fût un succès.

Ce qui valait, hier, pour la reconversion industrielle vaut, aujourd'hui, pour la reconversion sociale. Il faut que les artisans, les commerçants, les professionnels libéraux, tous ceux qui donnent vie à un quartier, aient un intérêt fort à s'y installer. Il faut utiliser tous les moyens disponibles, notamment les exonérations fiscales, pour les encourager à le faire.

Faire plus pour compenser les handicaps : cette exigence vaut aussi dans le domaine de la sécurité.

Comment tolérer que des cités entières, des quartiers en sécession, échappent au droit ? Comment ne pas réagir devant l'apparition de zones hors la loi, livrées au diktat de quelques chefs de bande ? Comment se résigner à voir notre société y abdiquer ses valeurs ? Comment accepter que les commerçants et les artisans, las d'être agressés, ferment boutique les uns après les autres ? Comment admettre que la police ne pénètre plus dans ces parties du territoire, pour éviter que sa présence ne soit perçue comme une provocation ?

Si l'on continue sur cette pente, on finira par assister à la confiscation du maintien de l'ordre par des groupes ethniques ou religieux, qui pousseront davantage encore au repli et au ghetto. Et s'en sera fini des lois de la République.

L'État, garant de l'ordre et de l'égalité de tous devant la loi, doit prendre ses responsabilités. C'est à lui d'assurer, avec toute la fermeté nécessaire, le respect de l'autorité dans les zones difficiles.

Là encore, il ne faut pas faire ce que l'on fait ailleurs : il faut faire plus. Cela signifie qu'il faut renforcer sensiblement la présence et les moyens qui sont accordés aux policiers. Il faut des forces de l'ordre plus étoffées et spécialement formées. Des forces de police préparées aux actions de prévention, mais capables de réprimer avec toute la vigueur et la rapidité souhaitables lorsque c'est nécessaire.

Faire respecter la loi, c'est aussi prendre conscience des réalités de notre société et de ses évolutions. C'est adapter notre droit aux formes nouvelles de la délinquance, comme le trafic de la drogue, et aux risques nouveaux, comme ceux liés à l'immigration clandestine, qui nourrit les intolérances et les extrémismes.

Sur la question de l'immigration, la France, terre des Droits de l'Homme et patrie des libertés, doit être sans complexe, mais aussi sans faiblesse.

La France représente l'espoir, pour beaucoup, dans le monde. Elle est fière d'accueillir ceux qui ont choisi de devenir citoyens français, de la même façon qu'elle garantit aux étrangers qui vivent dans le respect des lois, des conditions de vie équivalentes à celles de ses nationaux.

Mais la France doit être d'une fermeté sans faille à l'égard de l'immigration clandestine.

Notre arsenal juridique et nos moyens répressifs doivent être complétés et adaptés aux enjeux. Trop souvent, les lois de la République sont ostensiblement bafouées, sans que les forces de police et de gendarmerie ne soient en état de faire respecter les lois qui organisent le droit de séjour en France et la reconduite, à la frontière, lorsqu'elle se révèle nécessaire.

Je voudrais, à ce sujet, lever toute ambiguïté sur la question des accords de Schengen.

Ces accords sont conformes à l'esprit de liberté auquel s'identifie la construction européenne. Mais n'oublions pas que, si ces accords ont pour objectif de faciliter la circulation des Européens au sein des sept pays concernés, ils ont également pour ambition de renforcer notre frontière commune afin de mieux maîtriser les flux migratoires et de lutter plus efficacement contre l'immigration clandestine. S'il en allait autrement, il appartiendrait à la France d'en tirer immédiatement les conséquences et d'en débattre avec nos partenaires, comme le prévoit le Traité.

Nous verrons bien, fin juin, conformément aux engagements pris avec eux, où nous en sommes : n'ayons pas, en la matière, d'idées préconçues. Cette nouvelle avancée de la construction européenne correspond à une grande aspiration de nos peuples. Elle ne doit être ni déçue, ni dévoyée.

La lutte contre l'immigration clandestine constitue un impératif pour la France, sur lequel nous ne pouvons pas transiger. À l'État de prendre toutes les dispositions nécessaires.

C'est vrai, l'égalité des chances, la capacité de l'école à assumer son rôle d'intégration et de transmission du savoir, la sécurité dans les cités et les banlieues, l'élan nouveau donné à leur économie, toutes ces priorités supposent un effort de l'ensemble de la Nation.

Et l'ampleur des réformes à accomplir, l'importance des moyens souvent nécessaires, la nature des principes en cause et l'urgence, sont tels que seul l'État peut être le maître du jeu.

On pourrait juger que dans la situation actuelle de nos finances publiques, l'État n'a pas les capacités d'intervention suffisantes. Et sans doute, les arguments sont-ils nombreux à l'appui de cette thèse. L'endettement n'a-t-il pas progressé de 50 % en deux ans pour atteindre 3 000 MdsF : 55 000 Frs par Français ! Nos déficits publics ne sont-ils pas deux fois supérieurs au maximum autorisé par nos engagements européens ?

Mais il faut bien comprendre ce qu'une telle attitude pourrait avoir de déraisonnable. Car, qu'on le veuille ou non, la crise de la ville nous coûtera infiniment plus cher demain, si rien n'est fait aujourd'hui, pour rétablir les solidarités, réduire les fractures sociales, renouer le Pacte républicain là où il s'est défait.

Je n'accepte pas l'idée qu'il y ait deux France : l'une, toujours plus nombreuse, condamnée à rester au bord du chemin ; l'autre, toujours plus imposée pour lui venir en aide. Les deux France, c'est le cercle vicieux de la stagnation et de l'exclusion. C'est la rupture du Pacte républicain.

Face à l'urgence, deux attitudes sont, en réalité, possibles.

La première est celle des petits pas, des petits projets et des petites ambitions. En apparence, elle permet d'éviter les écueils et les risques. En vérité, elle déplace les problèmes sans les traiter, elle use de soins palliatifs, voire de traitements homéopathiques, là où il faudrait des thérapeutiques fortes pour enrayer le mal. C'est la politique du Docteur Knock !

La seconde voie est celle du changement, un changement qui, pour être maîtrisé et concerté, n'en sera pas moins profond. C'est la voie que je vous propose, une voie sans doute plus exigeante, mais qui est, au bout du compte, la seule qui soit vraiment d raisonnable.

Rien ne se fera sans les Français.

Et si je souhaite réhabiliter le politique dans ses responsabilités, lui rendre sa primauté, son pouvoir de décision et d'influence sur le cours des choses, je veux aussi conforter le pouvoir du peuple, car ce sont les peuples qui font leur histoire. C'est pourquoi je souhaite étendre le champ d'application du référendum. Afin, justement, que nos compatriotes puissent se prononcer sur les grands sujets qui engagent leur avenir. J'évoquais l'école. Dans ce domaine, comme dans bien d'autres, les réticences, les pesanteurs, les rigidités sont telles que seule la volonté populaire pourra faire pièce au conservatisme. Plus de démocratie, pour davantage d'égalité des chances, voilà l'objectif !

Le prochain septennat s'achèvera au XXIème siècle. Je sais qu'il ne faut pas attacher trop d'importance aux millésimes. Mais ils ont souvent le mérite de nous mettre face à nos responsabilités.

Notre monde a évolué, nos repères traditionnels sont bouleversés, nos certitudes sont contestées. L'opinion est inquiète, les solidarités se sont relâchées. Les forces vives de la Nation sont découragées.

Bien sûr, la situation est difficile et l'on pourrait être tenté de baisser les bras.

Mais, depuis des années que je parcours nos villes et nos campagnes, je me dis qu'il y a dans le peuple français des trésors d'intelligence, des ressorts de combativité et de vertu. Je me dis qu'une fois de plus le premier atout de la France, ce sont les Français. Le moment est venu de nous retrouver pour faire ensemble de grandes choses. Comme toujours, la France de demain sera ce que nous déciderons qu'elle soit.

Sans ce sursaut, comment rétablir la cohésion sociale ? Comment redonner à une Nation désorientée des repères capables de fonder une nouvelle morale civique ? Comment construire l'Europe du XXIème siècle en imprimant la marque de la France sur cette famille de nations qui aspire à l'union ?

En cette fin de siècle, c'est à une refondation que nous sommes conviés. Celle de la République.

Dans cette campagne, il ne s'agit pas d'opposer les actifs aux inactifs, les personnes âgées à leurs enfants et à leurs petits-enfants.

Il s'agit de construire ensemble une société de liberté, d'égalité et de fraternité. Avec pour principe l'égalité des chances. Pour méthode, la réforme. Pour exigence, la solidarité.

N'oublions jamais que seule la cohésion sociale et l'unité nationale permettent à chacun de progresser.

Retrouvons les valeurs de la République pour entrer dans l'avenir. Pour bâtir une nouvelle France, une France de tolérance, une France d'initiative et de promotion sociale, une France qui donne à chacun les mêmes chances et à tous une place. Une France pour Tous.

Vive notre République !

Vive la France !