Texte intégral
Europe 1 – 27 octobre 1998
Q - Il y a encore, ici et là, des grèves dans les trains, les métros et les autobus : les usagers réclament, avec le RPR N. Sarkozy, un service public minimum : quelle est votre réponse ?
– « Ce n'est pas la solution. D'abord, il faut privilégier le dialogue social, dans les entreprises de transports sur le thème de la sécurité. Je constate, quand même, que beaucoup de bus, de services repartent, notamment dans les villes... »
Q - Avec des inconvénients qu'ont vécu, pendant plusieurs jours, les usagers.
– « C'est vrai et les réactions des conducteurs de bus, qui voulaient marquer leur désapprobation vis-à-vis des agressions qu'ils subissent... Je pense aussi que c'est une mauvaise solution : parce qu'on ne voit pas comment pourrait être organisé ce type de service minimum. »
Q - Pourquoi n'ouvrez-vous pas une concertation ? Au moins, vous verriez à ce moment-là !
– « Mais la discussion avec les organisations syndicales est toujours possible sur ce terrain-là, mais nous n'avons pas à imposer ce qui apparaîtrait comme une mise en cause du droit de grève. »
Q - Est-ce que cela veut dire que les syndicats inspirent toujours plus de peur que les usagers des transports en commun ?
– « Non, ils n'inspirent pas la peur, mais on ne peut faire fonctionner une grande entreprise publique, un grand service de transports qu'avec le concours de tous les employés, de tous les salariés qui y travaillent. Et ils ont l'esprit du service public. »
Q - Evidemment. Mais dans d'autres secteurs – comme les hôpitaux, EDF, la télévision – là où il y a service à rendre au public, il y a aussi service minimum.
– « En ce qui concerne les transports, vous voyez l'extrême difficulté d'organiser un tel service. Comment déterminer les lignes qui fonctionnent, comment déterminer le rythme, la fréquence des véhicules. »
Q - Est-ce que cela veut dire que pour vous, cette idée de créer, tout en respectant le droit de grève, un service minimum, est forcément une idée de droite ?
– « C'est une idée que la droite agite à chaque conflit. On l'a vue resurgir cette semaine. La vraie solution est à la fois dans les traitements des problèmes sociaux des entreprises de transports, mais aussi, en matière de sécurité, d'aller plus loin dans le dispositif de protection. »
Q - La sécurité était une idée de droite, elle est devenue aussi une idée de gauche, ou une valeur de gauche, un signe de justice sociale ?
– « Ce n'est pas une idée de droite, la sécurité, c'est une idée de vivre en société de façon tout à fait tranquille, normale, en respectant les règles. Peut-être que la gauche n'a pas mis cette valeur au premier plan il y a encore quelques années, mais c'est une valeur fondamentale. »
Q - Service minimum, c'est non ?
– « Service minimum impose par la loi, c'est non. »
Q - Et des discussions avant, d'ici là, peut-être ?
– « Les discussions avec les organisations syndicales, si elles s'y sont ouvertes, pourquoi pas ? »
Q - Vous engagez une grande bataille : le non-cumul des mandats. Si les sénateurs font de la résistance, est-ce que le Gouvernement pourrait renoncer à son projet ?
– « Le Gouvernement entend poursuivre sur son projet. Nous n'en sommes qu'à la première lecture au Sénat. Le texte a été voté à l'Assemblée, il prévoit le non-cumul parce que l'opinion adhère à cette idée, l'opinion est favorable à ce que les élus locaux, comme les parlementaires, n'aient qu'un seul mandat. Il ne s'agit pas de maintenir donc des cumuls de fonctions qui ne correspondent pas à une démocratie moderne. »
Q - Le président du Sénat, C. Poncelet, se dit disposé à une limitation raisonnable : un mandat national et une fonction locale, c'est acceptable pour vous ?
– « Ce n'est pas acceptable. Un mandat national, il peut y avoir aussi un mandat local, mais pas une fonction exécutive. On ne pourra plus à l'avenir être à la fois sénateur et maire ou sénateur et président de conseil général. Même chose pour les députes. C'est ce que nous souhaitons, parce que cela conduit à avoir un mandat important – gérer une collectivité, une région – et puis d'autre part, avoir l'exercice de fonctions nationales aussi lourdes : je crois que ce n'est plus possible. C'est ce qui se passe partout en Europe d'ailleurs. »
Q - Là-dessus, le Gouvernement est bloqué ?
« Le Gouvernement a déterminé sa position et il l'a fait pour modifier le rapport à la représentation politique, parce que cette situation, où il y a cumul, donc concentration, des pouvoirs, je crois, ne correspond pas à une démocratie ou le pouvoir doit se diffuser. »
Q - Est-ce qu'à votre avis, le Sénat représente toute la position de la droite dans son ensemble ou c'est une position qui est spécifiquement sénatoriale ?
– « Le Sénat, par son mode de recrutement, évidemment, privilégie les élus locaux. Il y a un certain nombre d'élus de droite à l'Assemblée nationale qui sont favorables à l'idée du non-cumul. Vous voyez par exemple M. Mazeaud – il est maintenant au Conseil Constitutionnel – il était partisan fervent du non-cumul. »
Q - Le Gouvernement se donne combien de temps pour aboutir ?
– « Après cette lecture au Sénat, ou il y aura des amendements qui vont dénaturer le texte, le réduire à la portion congrue, nous aurons une nouvelle lecture, mais c'est un texte qui nous paraît essentiel pour justement refonder le rapport des Français à la politique. »
Q - Mais qu'est-ce qu'il y a à négocier avec les sénateurs ? Est-ce que vous négociez ?
– « Les sénateurs, pour le moment, ont une attitude très tranchée de défense des situations acquises. Peut-être évolueront-ils à une autre lecture parlementaire ? »
Q - C'est tout ?
– « Vous semblez sceptique. »
Q - Oui, vous le savez aussi. Ils vont faire de la résistance, vous allez faire de la résistance ?
– « Je pense aussi qu'ils doivent prendre en compte l'état de l'opinion qui, sur ce plan-là, veut des évolutions et quand on va partout en Europe, on est dans une exception française difficilement compréhensible, sauf parce qu'elle était la compensation de la centralisation jacobine. »
Q - Et en même temps, vous leur rappellerez que vous êtes en train de préparer la réforme du mode de scrutin pour l'élection au Sénat ?
– « Parce qu'il y a aussi une représentation au Sénat qui ne correspond plus à la réalité de notre pays, qui privilégie le monde rural et qui n'a pas une représentation équilibrée au niveau, notamment, du monde urbain. »
Q - Le président Poncelet estime que le Sénat est une sorte de garde-fou – c'est son mot : est-ce que pour vous le Sénat est un lieu d'équilibre ou un lieu d'opposition ?
– « Il doit être un lieu d'équilibre. Mais au Sénat, l'idée d'opposition prend le dessus pour bloquer l'évolution des réformes fondamentales. »
Q - J'ai l'impression que vous êtes embarrassé quand vous parlez du Sénat vous allez à tout petits pas, comme si vous marchiez sur des oeufs ?
– « Le Sénat est une institution importante de la République, on le sait. »
Q - On sait que le Général de Gaulle…
– « Oui, on se souvient des difficultés qu'il a eues avec le Sénat, et le référendum perdu en 1969. Mais cela ne conduit pas à l'immobilisme. »
Q - Cela veut dire ?
– « Cela veut dire que le Sénat, son mode de fonctionnement, son mode de recrutement, surtout, méritent d'être revus. »
Q - On va essayer d'être concret très vite : si le projet de loi s'enlise, est-ce que vous en appelez à l'opinion publique ?
– « Je crois que l'opinion publique y est favorable : elle s'exprime à travers des sondages, à travers les sentiments qui remontent, les expressions qui remontent. Donc le débit reste ouvert. Il faut bien voir que la résistance sénatoriale ne sera pas comprise par une opinion, qui est plus favorable à la diffusion des pouvoirs et des fonctions. »
Q - Donc vous ne craindriez pas de consulter l'opinion ?
– « C'est une éventualité. »
Q - C'est l'opinion qui arbitrerait, s'il y avait tension ?
– « En tout cas, la représentation politique, à travers l'Assemblée nationale comme à travers le Sénat, doit prendre en compte l'évolution de l'opinion. Cela me paraît indispensable. »
Q - Sinon ? Je ne vous lâche pas.
– « Sinon, le débat va se poursuivre et il se poursuivra parce que le Gouvernement est fermement décidé à ce que cette réforme avance. »
Q - Que le Premier ministre propose au Président de la République un référendum, est-ce que c'est exclu ?
– « La Constitution le permet. »
Q - Est-ce qu'il envisage de le faire ? Vous en avez parlé ?
– « La Constitution le permet. Maintenant laissez justement le débat se développer. »
Q - A quelles conditions le Gouvernement accepterait de mettre de l'eau dans son vin, et d'accepter des propositions des sénateurs, pour que le Sénat et l'Assemblée votent sur le même texte ?
– « Aujourd'hui, le compte n'y est pas, puisque les amendements sénatoriaux, en fait, ne reviennent pas sur la loi de 1985, qui est en vigueur aujourd'hui, c'est-à-dire la possibilité de cumuler deux mandats. »
Q - Un mot sur la Nouvelle-Calédonie. Il y a la campagne du référendum qui doit avoir lieu le 8 novembre, pour l'avenir de cette île du Pacifique. Cela se déroule bien ? Est-ce que l'île va finir comme un territoire autonome, ou comme un Etat associe ou rattaché à la France ?
– « Le référendum, qui porte sur les Accords de Nouméa, prévoit, les vingt prochaines années : transfert de pouvoirs à la Nouvelle-Calédonie, nouvelle organisation, avec partage de l'exécutif, partage du gouvernement, mais la Nouvelle-Calédonie restera dans la France, bien sûr, pendant ces vingt années. Et puis, il y aura ensuite décision des Calédoniens. »
Q - Depuis le mois de mars – c'est autre chose – vous vous battez pour la démission de C. Millon de la présidence de Rhône-Alpes. Il vous demande de dissoudre les Conseils régionaux et d'organiser de nouvelles élections ?
– « La dissolution est un acte extrême et grave. Elle ne peut se faire qu'au cas par cas, par une décision du Conseil des ministres, qui constate l'impossibilité de fonctionner. Ce n'est pas le cas, aujourd'hui, pour les Conseils régionaux. »
Q - Et vous préparez une nouvelle loi pour l'élection des Conseils régionaux ?
– « Oui, cette loi a été présentée au Sénat, après l'Assemblée nationale. Elle prévoit un nouveau mode de scrutin inspiré des élections municipales. »
Q - Vous avez vu récemment J.-P. Chevènement. Qu'est-ce qu'il vous a fait comme recommandation ?
– « Il souhaite prendre le temps de récupérer, de se reconstruire physiquement... »
Q - Et à vous, qu'est-ce qu'il a dit ?
– « A moi ? Il ne m'a pas fait de recommandation. Il respecte tout à fait la direction, les responsabilités que j'ai au niveau du ministère de l'intérieur. Il m'a simplement dit... »
Q - Débrouille-toi !
– « Débrouille-toi, et moi, je veux me refaire une santé. Je prends un peu de temps ! »
Q - Ou peut-être : tu te débrouilles bien jusqu'ici !
– « Cela, je ne vous le dirai pas. »
Le Progrès : 28 octobre 1998
Q - L'insécurité perdure dans les transports en commun, provoquant de nombreuses grèves. Que fait le Gouvernement ?
Il s'agit concrètement sur le terrain, par la coopération entre les forces de police et les autorités de transport, selon des formules adaptées à chaque situation locale ; Et les peines applicables aux personnes coupables de violences contre les agents de transport vont être aggravées.
Q - Le Président ne semble pas convaincu de l'efficacité de votre action…
Il y a une réalité, qui est une vague d'agressions dans les transports en commun, et le Président de la République est tout à fait dans son rôle quand il la déplore. Car c'est une situation inadmissible : je suis révolté par cette violence, je comprends les agents qui en sont marre, et je voudrais dire aux jeunes qui s'en rendent coupables qu'ils pénalisent ainsi leur quartier. Soyons clairs : on ne se laissera pas intimider, les casseurs seront neutralisés. La société a besoin de transports en commun, nous ne les laisserons pas être pris en otage par une minorité de casseurs inconscients.
Q - Le projet de redéploiement police-gendarmerie, qui provoque nombre de contestations, peut-il être remis en cause ?
Un conseilleur d'Etat, Guy Fougier, a été chargé de reprendre le dossier, sur la base d'une concertation. Il livrera ses propositions d'ici la fin de l'année au Gouvernement. Le principe d'une meilleure adaptation des forces subsiste et il restera à en déterminer le calendrier et les modalités.
Q - Le Gouvernement présente un nouveau projet sur l'intercommunalité : une structure de plus, quand c'est déjà si compliqué ?
Il s'agit au contraire de simplifier les formes de coopération, avec seulement trois options : les communautés de communes, plutôt pour le monde rural, les communautés d'agglomération, et les communautés urbaines pour les ensembles urbains de plus de 500 000 habitants. Nous espérons surtout encourager la coopération dans les villes, où la résistance est plus forte à mettre en commun les services. La loi y aidera, par la possibilité d'instaurer progressivement une taxe professionnelle unique sur l'agglomération.
Q - C'est indispensable pour mettre en place une politique urbaine cohérente et éviter la « chasse aux entreprises » qui divise les communes.
Q - Pourquoi ne pas proposer aux citoyens d'élire directement les conseillers de ces communautés ?
Le débat a été ouvert, mais sa solution ne sera pas immédiate. La question sera sans doute posée quand existera une taxe professionnelle unique au niveau de l'agglomération : l'intégration économique, fiscale, entraînerait alors l'intégration politique.
On verra cela bien après les municipales de 2001.
« On a trop attendu pour réformer le mode de scrutin régional. Il faut tirer la leçon du désordre créé par la proportionnelle intégrale, qui empêche la constitution de majorités régionales, d'où le blocage dans certaines régions, et des accords passés avec le Front national »
Q - Comprenez-vous la résistance du Sénat à limiter le cumul des mandats ?
Le Sénat a peur du changement, il préfère défendre les situations acquises…
Q - Même un Sénat « rajeuni »…
Sa résistance quelque chose d'immuable. Or cette réforme s'impose pour au moins trois raisons : l'exigence plus forte de nos concitoyens pour une vraie présence de leurs élus, nationaux ou locaux ; le besoin de renouvellement des élites politiques ; et la décentralisation, qui ne rend plus nécessaire de cumuler les mandats pour lutter contre la centralisation des pouvoirs à Paris.
Q - La majorité sénatoriale vous accuse de chantage et d'arrogance quand vous évoquez la possibilité d'un référendum sur cette question. Y aura-t-il ou non référendum ?
Cette question n'est pas à l'ordre du jour. Le Gouvernement maintiendra sa position, il reviendra au Sénat de bouger. Car il en va d'une question essentielle, celle du rapport des Français avec leur représentation politique. Il faut que la discussion parlementaire se poursuive.
Q - Quand espérez-vous faire voter la modification du scrutin régional et de la procédure budgétaire ?
Le Sénat s'est également opposé au projet portant ces deux réformes. Mais le Gouvernement souhaite faire voter ce texte avant la fin de l'année.
On a trop attendu pour réformer le mode scrutin régional. Il faut tirer la leçon du désordre créé par la proportionnelle intégrale, qui empêche la constitution de majorités régionales, d'où le blocage dans certaines régions, et des accords passés avec le Front national.
Q - Et si le blocage persiste, envisagez-vous de nouvelles élections ?
Il faudrait une dissolution ! C'est une décision grave à prendre. C'est une décision lourde, à prendre en conseil des ministres, face à une situation de blocage dûment constatée. Ce ne peut être, de toute façon, qu'une décision au cas par cas, en fonction des situations régionales. Et les élections auraient bien sûr lieu suivant le nouveau mode de scrutin.
Q - Comment le Gouvernement aborde-t-il la négociation des contrats de plan, dans les quatre régions dont les présidents ont été élus grâce au Front national ?
L'Etat posera partout ses exigences, qui porteront notamment sur la mise en oeuvre de politiques de cohésion sociale et de solidarité. Les régions devront se déterminer en fonction de ces objectifs.
Q - Tout cela reste assez général…
Non, il me semble être très clair. La négociation s'étendra sur toute l'année 1999, laissant le temps nécessaire au débat et à la confrontation. L'Etat ne sera pas un partenaire passif, il fera prévaloir les exigences républicaines, au nom de l'intérêt général.
Il ne pourra admettre, par exemple, la mise en oeuvre de politiques culturelles ou universitaire discriminatoires.