Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, accordée le 27 août et publiée dans "Les Inrockuptibles" du 7 octobre 1998, sur les centres de rétention administrative, le caractère interministériel de la lutte contre l'immigration clandestine et sur le bilan de l'opération de régularisation des étrangers sans papiers.

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Q - Le dossier des sans-papiers en cache un autre, plus épineux encore pour la République : celui du statut complètement flou des centres de rétention administrative (CRA). Quel va être l'avenir du rapport Karsenty sur la CRA, qui vous a été remis en avril dernier ?

Je vais essayer de le mettre en oeuvre malgré la maigreur de mon budget. C'est un problème d'argent.

Q - Vous souhaitez un vrai statut des CRA ?

Oui et accélérer aussi la rénovation d'un certain nombre de centres. Certains l'ont déjà été et j'ai pu en visiter quelques-uns qui ne ressemblent pas du tout à la description qui en a été faite. Même s'il y a encore bien des choses à faire.

Q - Selon nos informations, le ministère de l'Emploi et de la Solidarité est réticent à mettre au point le schéma sanitaire des CRA...

Je n'ai pas connaissance de l'existence de désaccords sur ce sujet. Disons que j'ai eu un peu de peine à avoir la collaboration de médecins des DASS et des DRASS pour vérifier l'état de santé de certains étrangers avant le renvoi dans leur pays. On a eu des problèmes, qui je crois sont maintenant résolus. D'une manière générale, je porte une politique qui doit intéresser tous les ministères. Les 130 propositions du rapport Weil, moi, je ne peux qu'en réaliser une cinquantaine et je ne peux porter tout le fardeau. Le codéveloppement, permettez-moi de vous le dire, c'est moi qui le porte. De même que j'ai obtenu d'Hubert Védrine une politique beaucoup plus souple en matière de visas, j'ai attiré l'attention de Martine Aubry pour qu'elle prenne aussi des mesures concernant des secteurs du travail dans des secteurs qui attirent l'immigration clandestine. C'est un problème économique qui ne se résout pas uniquement avec une réglementation, mais on pourrait aller dans ce sens. Il faudrait également que notre politique de coopération prenne un peu plus en compte le facteur humain au ras du sol, et non dans la seule relation d’État à État.

Q - Pensez-vous que les CRA pourraient être visité par un certain nombre d'associations et non seulement par les observateurs de la Cimade ?

Il y a cinq associations.

Q - Dans le centre de rétention ?

Dans les centres de rétention, non, je confonds avec les zones d'attente (cinq associations pour une seule visite groupée par trimestre). C'est surtout la Cimade, car ce sont les interlocuteurs les plus sérieux. Mais à la préfecture de police, ce sont des bonnes soeurs.

Q - Il existe des chiffres officiels et variables sur le nombre de CRA: entre 30 et 147...

Trente est le bon chiffre.

Q - Le rapport Karsenty sera-t-il rendu public?

Il est d'usage qu'un rapport de l'IGA soit confidentiel. C'est le type de rapport qui met en cause telle ou telle personne ou situation. Mais vous savez dans ce domaine, il y a une affabulation absolument fantastique. Le rapatriement n'est quand même pas la déportation, permettez-moi de le dire.

Q - Je n'en ai pas parlé non plus

Nous vivons sur des associations d'idées, n'est-ce pas ? On s'agite avec des valises vides à la gare de l'Est, tour cela est grotesque. C'est de la veine "CRS = SS". Tout cela est ridicule. Les trois quarts sont renvoyés sans escorte, un quart et reconduit car ils font obstacle à leur reconduite, et une fois qu'ils sont là-bas ils peuvent encore demander des visas. Les exemples sont nombreux de ceux qui reviennent. Être ramené dans son pays d'origine, être rapatrié au sens propre, n'a rien de dramatique. Encore une fois, ce problème n'ai jamais vu sous l'angle qui convient parce qu'on n'est jamais parti d'une nécessité absolument essentielle, celle de l'intégration. C'est tour de même la régularisation la plus importante depuis 1981, avec 80 000 régularisés. Nous avons fait une large intégration fondée sur le droit de vivre en famille, fondé sur la bonne insertion dans la société française. A partir de là. qu'est-ce qui reste? Des célibataires pour la plupart, arrivés depuis deux, trois, quatre ans et même, certains d'entre eux qui ont demandé la régularisation sont restés au pays ! Il faut quand même une règle. Là aussi, nous sommes dans le domaine du symbolique. En plus, grâce à vous d'ailleurs, je passe pour un émule, voire, j'ai vu la photo, une sorte de double de Jean-Louis Debré. Et cela fait plaisir au Premier ministre, à son gouvernement, à sa majorité qui encaisse les voix, verts et communistes compris.