Déclaration de M. Jean Puech, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les propositions de la France concernant la réforme de l'organisation commune du marché du sucre (OCM sucre) et sur le développement des biocarburants, Paris le 7 décembre 1994.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jean Puech - Ministre de l'agriculture et de la pêche

Circonstance : Assemblée générale de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) à Paris le 7 décembre 1994

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Je suis heureux d'avoir pu participer pour la deuxième année consécutive à ce grand rendez-vous qu'est votre assemblée générale.

À chacune de ces occasions, votre profession s'est trouvée du fait du calendrier confronté à des sujets de première importance. 

L'an passé, la clôture des négociations du cycle d'Uruguay était dans tous les esprits, les vôtres comme le mien. Aujourd'hui, nous nous préparons à une renégociation de l'organisation commune du marché du sucre, et cette discussion se nouera manifestement sous présidence française.

Mais, comme vous l'avez dit, la présidence française verra bien des sujets venir sur la table des négociations.

Plusieurs d'entre eux concernent directement ou indirectement votre secteur, et je vais par conséquent les développer dans quelques instants. 

D'autres ont une portée beaucoup plus générale et ne feront pas nécessairement l'objet d'une discussion au fond sous notre présidence. Je pense, en particulier, à l'élargissement aux PECO et, plus encore, aux aspects institutionnels que vous avez évoqués. 

S'agissant des Pays de l'Europe Centrale et Orientale, comme vous le savez, le sommet de Copenhague avait retenu le principe de l'adhésion. 

Mais aucun calendrier n'est défini, encore moins arrêté. Il est bien évident qu'en matière agricole notamment, il est nécessaire d'y voir plus clair en ce qui concerne l'incidence de l'adhésion éventuelle de ces pays ; il est sûr, et c'est la position que nous adoptons, appuyés d'ailleurs par la plupart des pays membres de l'Union, que l'adhésion ne peut que prendre du temps ; elle doit préserver les principes de la politique agricole commune et passer par une période transitoire de mise à niveau. 

Au 1er semestre 1995, la Commission engagera une étude d'impact de l'adhésion éventuelle des PECO sur la politique agricole commune. Il est raisonnable de penser que les discussions ne commenceront vraiment à ce sujet au sein du Conseil Européen qu'au second semestre 1995. 

Ce calendrier est assez proche du calendrier défini pour les aspects institutionnels relatifs à l'Union. Une conférence communautaire sera consacrée à ce dernier thème en 1996. 

Nous sommes donc à ce stade très en amont d'un processus, qui, lui-même, comportera certainement plusieurs étapes, que ce soit pour les PECO ou pour l'adaptation des institutions nécessitée par le traité de Maastricht et par l'élargissement déjà réalisé à l'Autriche, à la Finlande et à la Suède. 

Dans l'immédiat, et en matière agricole, la présidence française devra déjà faire face à des ordres du jour bien nourris. Quelques sujets majeurs font l'objet de nos priorités : 

Vous vous souvenez que j'ai déjà déposé en septembre un mémorandum à Bruxelles. Nous y avons développé diverses orientations pour une agriculture européenne ambitieuse :

– dans la logique de ce mémorandum, nous souhaitons poursuivre l'adaptation de l'agriculture européenne au nouveau contexte mondial. Le GATT ne nous crée pas seulement des contraintes, il nous offre aussi des perspectives nouvelles. Il est nécessaire que nos filières de production soient adaptées, rendues plus compétitives afin d'utiliser au mieux les nouvelles opportunités ;

– nous attacherons une importance particulière à la simplification de la PAC. II faut dans ce domaine faire appel, autant que faire se peut, au principe de la subsidiarité : il convient, selon nous, de laisser aux États-membres tout ce qui peut être réglé au niveau national ;

– nous avons aussi à poursuivre l'harmonisation des règlements sanitaires et phytosanitaires ;

– enfin, mais ne voyez surtout pas dans le rang de cette énumération une moindre détermination, la présidence française mettra parmi ses priorités la réforme des OCM viti-vinicole, fruits et légumes et sucre. 

Nous voici désormais au cœur de vos préoccupations. 

Il est temps que, dans votre domaine, nous sortions des périodes de reconduction annuelle que nous vivons depuis deux ans. Le secteur betterave sucre, comme le secteur canne sucre d'ailleurs, ont besoin d'un horizon pluriannuel. 

Nous avons pu comprendre que, dans l'attente de la conclusion des accords du GATT, soit simplement prorogée l'organisation de marché antérieure. 

Aujourd'hui, l'environnement est connu, il est donc possible et souhaitable que les règles soient fixées. 

La proposition de la Commission va faire l'objet d'un premier examen au Conseil de la semaine prochaine. Elle maintient, ce qui est positif, les éléments qui ont fait le succès d'une OCM à bien des égards exemplaires : quotas avec prix garantis, autofinancement, présence de l'Union sur les marchés mondiaux. 

Ce choix est sage, mais il doit être complété, notamment en ce qui concerne le volet externe. 

À l'importation, nous attendons de la Commission une position totalement cohérente entre le contenu des accords GATT et les dispositions qui assureront le respect de la préférence communautaire. C'est le point principal : si la clause de sauvegarde doit jouer, il faut que ce soit dans des conditions automatiques. 

Maintenant que ce principe est acté au niveau des accords de Marrakech, il serait inconcevable que l'Union ne se dote pas des moyens pratiques de faire jouer la clause de sauvegarde : les prix des importations doivent être relevés de manière fiable, les seuils de déclenchement connus et les droits additionnels appliqués à chaque fois que ce sera nécessaire. 

Dans la ligne du mémorandum déposé à Bruxelles, nous demandons évidemment que ces points, déterminants pour l'avenir de la production sucrière communautaire, fassent l'objet de règlements du conseil. 

À mes yeux, s'il existe une raison d'adapter l'OCM-sucre, c'est bien pour tenir compte des accords du GATT. Ces derniers doivent nous inviter à utiliser toutes les souplesses possibles pour gérer au mieux le marché. 

C'est la raison pour laquelle nous ne comprenons pas la raison de la suppression, préconisée par la Commission, de la prime de report, outil évidemment efficace pour permettre dans les faits le stockage du sucre excédentaire. 

La Commission a proposé que cette prime soit maintenue pour les seuls sucres déclassés ; c'est bien, mais j'espère que d'elle-même, la Commission comprendra que sa position serait plus cohérente si tous les sucres reportés pouvaient bénéficier de cette prime. 

De même, la modification du régime des restitutions versées à l'industrie chimique n'est pas justifiée à l'heure où nous cherchons à développer les usages industriels des produits agricoles, est-il bien nécessaire de contrarier un débouché et de risquer d'avoir plus de difficultés à gérer le marché? 

La gestion du marché passe aussi par une connaissance statistique affinée, surtout dans le cadre d'un régime où le caractère prévisionnel des bilans impliquera des décisions lourdes sur l'adaptation des quotas A et B. 

Il faudra que la Commission se dote des outils nécessaires pour déterminer si le nécessitent ou solde exportable – ou le montant des dépenses d'exportations prévues – non une réduction des quotas. 

J'espère que, à l'issue d'un premier tour de table, plusieurs améliorations seront apportées au projet actuel de la Commission sur ces divers points, sur les modalités de l'adaptation éventuelle des quotas, et sur d'autres sujets, tels que le raffinage ou la recherche de nouveaux débouchés au sein de l'Union Européenne elle-même. 

Je passe à un autre domaine qui est tout aussi sensible aux producteurs de céréales et d'oléagineux que vous êtes également le développement des biocarburants. 
Ces deniers sont le principal débouché possible pour les surfaces en jachère. Dès mon arrivée rue de Varennes, j'ai souhaité que l'on mette en œuvre une panoplie étendue de mesures permettant d'offrir ce que j'appelle une alternative intelligente à la jachère nue. 

Aucun gouvernement, ni en France avant nous, ni en Europe, n'a fait autant dans ce domaine. 

Nous avons multiplié les mesures réglementaires propres à ouvrir des débouchés aux biocarburants. Nous avons ainsi élaboré un cadre fiscal à la hauteur du problème posé. 

L'an dernier, je vous ai annoncé ici-même que l'État, par des conventions, accompagnerait les efforts de TOTAL qui, à vos côtés, avait décidé de lancer des investissements conséquents dans des usines d'ETBE. Ces engagements ont été tenus. Le 9 mars de cette année, deux conventions ont été signées au Ministère de l'Agriculture; elles ont donné le signal nécessaire. 

Au total, dès cette année, environ 400 000 hectares ont été soustraits à la jachère. Sur ce total, environ 300 000 sont consacrés aux biocarburants. En l'espace de deux ans, grâce à une action résolue, nous avons donc multiplié par cinq les surfaces concernées. 

L'an prochain, nous devrions à nouveau progresser d'environ 100 000 hectares, c'est à dire que plus du quart de la jachère nue sera affecté aux biocarburants. 

Nous souhaitons que notre régime d'exonération fiscale puisse trouver un relais sur le plan communautaire. C'est la raison pour laquelle nous avons jugé de manière très positive le projet de directive élaboré par Madame SCRIVENER. 

Nous avons même, depuis quelques mois, tenté de seconder son action et de faire comprendre à nos partenaires qu'une directive facultative ne pouvait pas leur créer de préjudice : pourquoi empêcher ceux qui mettent en œuvre des exonérations fiscales et qui en subissent seuls le coût de conduire les politiques qui leur conviennent ? 

À ce stade, cet appel à la subsidiarité n'a pas reçu l'écho que nous souhaitions. Lors du denier Conseil Eco Fin, beaucoup de nos partenaires ont jugé que le projet de directive n'était pas mûr et se seraient volontiers accommodés d'un retrait de l'ordre du jour. Nous avons obtenu lors du Sommet de Bonn que le point soit maintenu à l'ordre du jour, mais les conditions d'un accord minimum du Conseil n'étaient manifestement pas réunies. 

Dans ces conditions, un choix s'ouvre à nous pousser, ce qui s'avère à l'expérience hypothétique, à l'adoption du projet de directive, ou bien utiliser les directives précédentes pour pérenniser notre dispositif d'exonération fiscale. 

Il est en effet prévu actuellement que le Conseil peut permettre aux États-membres qui mènent des politiques spécifiques d'exonérer les carburants de droits d'accises. 

Devant ses collègues, M. ALPHANDERY a fait part, le 5 décembre, de la volonté de la France d'avoir recours à cette disposition. 

Nous n'en demeurons pas moins attachés à l'adoption d'une directive spécifique aux biocarburants et nous espérons que la nouvelle Commission reprendra à son actif les initiatives très positives de Madame Scrivener. Madame Scrivener avait en effet bien compris tout l'intérêt que les biocarburants pouvaient présenter, que ce soit pour offrir des débouchés nouveaux aux productions agricoles ou pour l'environnement. 

Du fait de l'accord-cadre avec les Américains, c'est en réalité la filière blé- betterave/éthanol-ETBE qui offrira les meilleures perspectives de développement : en effet, nous atteindrons rapidement les limites auxquelles conduit Blair House pour les oléagineux. 

De là vient l'attention que vous portez aux composés oxygénés et à la composition des essences du futur. En effet, si, demain, pour des raisons réglementaires, l'incorporation de ces composés est prescrite, des débouchés considérables seront ouverts, à travers l'ETBE, aux biocarburants obtenus à partir du blé et, surtout, de la betterave. 

Où en sommes-nous aujourd'hui et quelle est la position de la France dans ce domaine? 

Il est certain que l'ETBE est un excellent produit. Son utilisation contribue à améliorer le rendement des moteurs ; d'autre part, il est un exhausteur d'octane et, à ce titre, contribue à réduire la pollution atmosphérique. 

Sa production offre donc une réponse à l'un des défis de notre civilisation moderne : améliorer la qualité de l'environnement, notamment dans les grandes agglomérations urbaines. 

La composition technique des essences n'est pas aujourd'hui de la compétence des États-membres. Cela se comprend d'ailleurs aisément : il n'est plus possible de fixer unilatéralement des normes, surtout pour des produits qui voyagent au sein de l'Union Européenne sous des formes très variables, y compris en usage direct dans les véhicules à moteur. La libre circulation s'accompagne donc de règles définies au plan Communautaire. 

C'est donc à ce niveau que, dès 1995, vont s'engager les discussions préalables à la définition de la composition des essences. La Commission doit proposer prochainement un projet de directive qui, selon le calendrier indicatif arrêté, doit être adopté avant le 30 juin 1996. 

La proposition de la Commission est précédée par des expérimentations qui permettent de tester divers paramètres. J'ai noté avec satisfaction que tous les essais actuellement menés incorporent 10 % de composés oxygénés. 

On peut donc penser que le projet de directive prévoira au moins ce taux. Par rapport à la situation actuelle, ce serait évidemment un progrès considérable. 

Je me réjouirais si, à l'issue des travaux qui sont ainsi engagés sur le plan communautaire, vos productions trouvaient de nouveaux débouchés et contribuaient à une meilleure occupation de l'espace rural. 

Ce faisant, votre filière qui est aussi une des plus efficaces qui soit, remplirait à la fois cette double mission que le débat d'orientation du printemps a assignée à notre agriculture : être performante et occuper le territoire. 

Cette performance doit beaucoup à votre organisation, elle est aussi due à une accumulation de compétences techniques, accumulation symbolisée par le cinquantenaire de votre Institut technique, que vous avez célébré tout récemment. Elle devra aussi beaucoup, dans l'avenir, à la diminution des charges. 

L'an passé, Monsieur le Président, vous m'aviez fait part avec force d'un souhait très vif : voir diminuer la taxe BAPSA payée sur les betteraves. 

Déjà, l'an passé, j'avais accéléré le rythme de la baisse ; et cette année, cette accélération sera, si je puis dire, accélérée. Payées sur les betteraves que vous venez de récolter, vos taxes BAPSA diminueront, en 1995, dans le cadre d'une extinction progressive, de 50 % par rapport à celles de l'an passé. 

Je souhaiterais pour conclure, Mesdames et Messieurs, vous assurer une chose : même si, comme je vous l'ai dit, j'ai la conviction profonde que votre filière est l'une des plus performantes qui soit, je suis loin de considérer que cette solidité, cette force peuvent m'éviter de prêter attention à votre environnement. 

Je sais que votre culture est l'un des éléments essentiels de l'équilibre d'un très grand nombre d'exploitations de grande culture.

Des exploitations betteravières fragilisées sont en réalité des exploitations de céréales ou d'oléagineux fragilisées. 

Le devenir de votre filière, le devenir de l'organisation du marché du sucre sont donc des sujets de grande ampleur, à la fois en raison de leur impact sur un très grand nombre de régions et sur notre commerce extérieur. 

1995 sera une année marquée par plusieurs discussions fondamentales pour l'ensemble de votre secteur. C'est un rendez-vous que, par conséquent, je ne manquerai pas. 

Je vous remercie de votre attention.