Texte intégral
Ouest France - Lundi 9 novembre 1998
Q - Quel est votre projet pour les écoles rurales isolées ?
Pour l'avoir vécu dans mon département des Deux-Sèvres, je sais que les fermetures de classes sont ressenties comme des blessures, comme un douloureux recul du service public, et une atteinte portée à l'aménagement du territoire. J'affirme au contraire la volonté de l'État de mobiliser et encourager tous les partenariats, avec tous les acteurs du milieu rural isolé, pour donner une égalité de chances aux enfants des petites communes rurales. J'ai déjà refusé la logique du seul critère arithmétique du nombre d'élèves. J'ai affirmé, lors de la dernière rentrée, une priorité en faveur des ZEP urbaines et des écoles rurales défavorisées. Cela dit, il faut examiner ces questions sans démagogie. S'accrocher à une classe unique, se replier sur ce qui existe, ce retourne finalement contre l'école et ses élèves. Un projet éducatif peut se bâtir en mettant en réseau les écoles rurales. En rassemblant tous les moyens aujourd'hui dispersés. Les nouvelles technologies constituent pour cela une nouvelle chance pour lutter contre l'isolement.
Q - Concrètement, que proposez-vous ?
Je propose d'aller beaucoup plus avant que les actuels regroupements pédagogiques qui sont parfois à bout de souffle. Je demande à tous les partenaires qui ont d'ailleurs été consultés dans le cadre du rapport Lebossé (1) - enseignants, parents, élus municipaux, conseils généraux, associations - de dessiner sur la carte de la France rurale, sur les 30 % de territoires concernés, le schéma de pôles scolaires durables. On doit y intégrer tous les échelons : la maternelle, le primaire, le collège. Je n'en n'exclus pas les écoles privées sous contrat. Dans un canton rural de petite taille, on peut imaginer ainsi trois ou quatre pôles qui, par leur offre éducative de qualité, vont évitez la fuite des élèves vers les chefs-lieux de canton ou de département, voire même encourager un mouvement du centre vers les périphéries. Nous signerons alors un contrat éducatif rural, englobant le périscolaire, soutenant cette mise en réseau des écoles. Les inspecteurs d'académie et les IEN (inspecteurs de circonscription) reçoivent cette semaine les instructions pour engager la consultation entre tous les partenaires. Le préfet aura un rôle important à jouer aussi pour la mobilisation des élus.
Q - Que met précisément l'État dans la corbeille du contrat ?
Nous y mettons à la fois des nouvelles technologies, des aides-éducateurs, des maîtres mobiles, et des directeurs d'écoles disposant de décharges de service suffisantes pour animer ces pôles scolaires. L'État s'engage donc à la fois à maintenir un nombre suffisant de postes, à aménager l'organisation du temps, à financer une partie des déplacements liés au projet éducatif. Les écoles rurales fragiles seront prioritaires pour l'accès aux nouvelles technologies et pour l'engagement d'aides-éducateurs. J'ai, par ailleurs, réserver un budget de 7 millions de francs pour financer l'élaboration de ces projets pédagogiques ruraux. Il est clair que je mettrai des moyens là où les partenaires se mobilisent. D'ailleurs, dans certains cantons, on ne m'a pas attendue. De véritables réseaux d'écoles se sont déjà constitués. Mon rôle de ministre aujourd'hui est d'en faire une priorité politique et un principe d'action. Là où aucun effort ne sera fait, le principe arithmétique de suppression des postes continuera à s'appliquer.
Q - Vous nous annoncez la fin du moratoire Balladur de 1993 qui stoppait la fermeture des classes uniques ?
Il faut faire mieux que le moratoire. Il concerne aujourd'hui 350 écoles à classe unique sur toute la France. Je ne prends pas de mesure générale et brutale de suppression. Le moratoire reste parfois justifié en zone de montagne notamment. Mais il doit évoluer car chacun sait qu'après cinq ans d'application il met en péril d'autres classes dans le même secteur géographique.
Q - Comment retenir les enseignants en milieu rural isolé ?
Le phénomène de rotation trop rapide des enseignants est un handicap. Les projets éducatifs dont nous parlons seront facteurs de stabilité et de lutte contre l'isolement. Je souhaite également encourager les réponses en matière de logement des enseignants. Nous allons en discuter avec les collectivités locales. Le modèle de l'instituteur, secrétaire de mairie, correspondant du journal, bien ancré dans la vie locale, disparaît malheureusement. Il loge souvent loin. Mais il n'y a pas de fatalité. Une première réponse est d'apporter plus d'attention aux logements des enseignants. Je crois que les mairies et les conseils généraux y réfléchissent.
Q - Les collèges ruraux peuvent-ils échapper à une mort lente ?
Une centaine d'entre eux comptent désormais moins de 100 élèves. Si l'on ne réagit pas, ils vont disparaître purement et simplement. Il faut réagir. Nous sommes à un tournant car on ne pourra pas maintenir l'existant à n'importe quel prix. La France est un pays rural, urbanisé qui possède encore une structure de service public sur tout l'Hexagone. Nous devons et pouvons la sauver avec beaucoup d'efforts et d'imagination.
Q - Comment les sauver ?
Les collèges qui ont été à l'avant-garde du multimédia par exemple, grâce à leurs conseils généraux, ont commencé à résister. La technique de l'enseignement à distance permet de lever un des handicaps de ces collèges : le manque d'options, dans les langues notamment. Il faut, là aussi, créer des réseaux de collèges et diversifier leurs activités par exemple dans la formation continue. Dans tous les départements ruraux, je souhaite qu'un groupe de travail se mette en place, autour de l'inspecteur d'académie, du conseil général et du préfet, pour préparer l'avenir de ces petits collèges.
Q - Refaire de l'internat est-ce l'une des solutions ?
Oui, c'est une de mes priorités. Je crois en l'avenir des internats, ou disons de façon plus moderne, des foyers de collégiens. Il y a une nouvelle demande un peu partout en France. Cette question concerne avant tout les conseils généraux. Mais l'État peut l'accompagner. Je compte inscrire cette priorité dans les contrats de plan État-Région. Trois types d'internat sont à développer. L'internat local, les classes transplantées et puis l'internat destiné à de jeunes urbains.
Q - Quels jeunes urbains ?
Mon objectif est de permettre à de bons élèves de sixième et de cinquième, vivant des situations sociales difficiles, de poursuivre des études dans des conditions de travail paisibles. Il ne s'agit pas d'enfants retirés ou placés, mais d'une demande de leurs familles et d'eux-mêmes. Autrefois, l'internat permettait à des enfants défavorisés ou éloignés, en milieu rural, de trouver la réussite scolaire. Faisons la même chose pour de jeunes urbains, en mobilisant des bourses, des fonds sociaux. Cela soulagera d'autant les collèges surchargés. J'ai d'un côté, dans les villes, des collèges de 1 200 élèves qui étouffent et de l'autre des collèges ruraux qui se vident. Il y a donc des solutions nouvelles d'équilibre à trouver.
Q - Qu'entendez-vous par classes transplantées ?
Les collèges urbains sont fervents de classes vertes et de découverte de la nature. Il y a donc une demande d'hébergement, les collèges ruraux peuvent y répondre. Certains vivent toute l'année avec des classes transplantées. Je veux en faire un véritable plan national, symbole de la solidarité villes-campagnes. Ces classes transplantées quelques jours ou quelques semaines, permettent un formidable brassage culturel bénéfique à tous les élèves. À condition d'en organiser l'encadrement, l'accueil, c'est tout à fait réalisable. Donner à toutes les classes des écoles et des collèges en ZEP urbaine un accès aux classes transplantées en milieu rural, cela rejoint un projet qui m'est cher : l'éducation à l'environnement pour les enfants qui ne voient que du béton, et, parallèlement, je conforte les collèges ruraux. N'est-ce pas là une belle illustration de l'école citoyenne et solidaire ?
Q - Alors que l'on évoque ici ou là des fermetures de maternités, d'hôpitaux, de services publics, vous choisissez l'option contraire ?
Je refuse de fermer pour fermer, mais aussi de maintenir pour maintenir. Il y a un point commun avec la politique des maternités : je maintiens les écoles sur un critère de qualité. Ma conviction profonde est que l'on peut avoir la qualité éducative, et donc l'égalité des chances, dans des structures de proximité. C'est ce pari que j'engage avec le partenariat de tous ceux qui, quotidiennement, partagent cette conviction profonde que l'on peut aménager le territoire sans opposer villes et campagnes.
(1) Le Nantais Jean-Claude Lebossé, inspecteur général de l'éducation nationale, aujourd'hui conseiller spécial du ministre de l'agriculture, a rendu, en juillet dernier, à Ségolène Royal, un rapport de mission intitulé « Pour une nouvelle dynamique du système éducatif en zone rurale isolée ».
Le Dauphiné libéré – 23 novembre 1988
Q - Votre visite aujourd'hui à Grenoble est axée sur l'école en milieu rural. Que comptez-vous faire pour améliorer le service public sur ces territoires, et notamment en montagne ?
C'est effectivement l'une de mes priorités. Quand elle est en zone défavorisée, ce qui n'est pas toujours le cas, l'école rurale est pénalisée par son isolement, la rareté de l'offre culturelle et sportive, et par son retard dans la scolarisation en maternelle. Je vais donc envoyer cette semaine à tous les recteurs et les inspecteurs d'académie un certain nombre d'instructions pour relancer l'école dans ces territoires fragiles.
Q - Qu'allez-vous leur demander ?
De prendre un certain nombre de mesures susceptibles de répondre à un double objectif. Premièrement, assurer un service public d'éducation de qualité offrant une égalité de chances aux élèves de petites communes rurales, et deuxièmement consolider des pôles scolaires durables capables de jouer un rôle structurant pour l'aménagement du territoire grâce à la mise en réseau des établissements scolaires. Ils devront le faire en partenariat et au terme d'une large concertation avec tous les acteurs du milieu rural.
Q - Quelles pourront être ces mesures ?
Il faudra définir des réseaux d'écoles rurales permettant d'organiser des projets éducatifs cohérents de la maternelle au collège. Dans un canton rural de petite taille, on peut concevoir par exemple trois ou quatre pôles qui, par leur offre éducative scolaire et périscolaire de qualité, vont freiner l'exode des élèves vers les chefs-lieux de canton et même encourager le mouvement inverse. J'accompagnerai cette démarche par des crédits pédagogiques spécifiques affectés soit aux nouvelles technologies de l'information qui doivent permettre aux maîtres de mieux communiquer entre eux, soit à la décharge partielle de services pour les enseignants effectuant certaines charges, soit en indemnités péri-éducatives pour les coordonnateurs des réseaux. Ceux-ci seront choisis en fonction de leur capacité à mener un travail d'animation.
Q - Ne craignez-vous pas que ce soit un peu compliqué de remettre en place cette organisation à chaque rentrée ?
Non, parce qu'elle pourra se prévoir sur plusieurs années. Elle prendra alors la forme d'une convention qui comprendra les engagements réciproques de l'État et des collectivités locales.
Q - Que deviendront les écoles à classe unique ?
Je sais qu'une fermeture d'école est toujours vécue comme une blessure par les petites communes rurales, car l'école demeure le signe tangible que l'avenir existe. Mais après cinq années d'application du moratoire, on a pu mesurer ses limites. C'est pourquoi chaque école à classe unique devra faire l'objet d'un réexamen de sa situation. Cela dans le cadre des réseaux d'écoles et en tenant compte des contraintes géographiques, notamment en zone de montagne.
Q - Qu'envisagez-vous pour permettre à davantage d'enfants de milieu rural d'être accueillis en maternelle ?
Il est vrai que le taux de scolarisation est largement plus faible en zone rurale que la moyenne nationale. L'accueil des enfants se fait souvent, quand il existe, dans des classes enfantines intégrées dans des classes à plusieurs cours mêlant des tout-petits à des plus grands. Afin d'offrir l'avantage reconnu d'une scolarisation (...), des enseignants itinérants assureront la maternelle certains matins et consacreront leurs après-midi au soutien scolaire. Parallèlement à l'installation de ces postes bi-fonctionnels, nous favoriserons la création d'écoles maternelles intercommunales lorsque les conditions géographiques le permettront. C'est plus une question de qualité que de quantité de postes. Il faut faire preuve d'imagination.
Q - Mais les enseignants ne sont pas forcément disposés à rester dans les écoles isolées ?
Le taux de rotation des postes en milieu rural est effectivement très élevé. Pour y remédier, je pense qu'il est nécessaire d'intégrer les enseignants dans l'environnement immédiat. La mise en place du coordonnateur de réseau peut y contribuer tout comme l'amélioration de liaison entre l'école et le collège. Il convient aussi d'inciter les collectivités locales à réhabiliter des logements pour les professeurs des écoles et les enseignants de collège. L'attribution d'aides spécifiques se fera en liaison étroite avec le préfet.
Q - Les collèges seront-ils concernés par ces nouvelles dispositions ?
Des groupes de travail exploreront dans toutes les académies les solutions permettant la revitalisation des petits collèges. Plusieurs idées peuvent être explorées pour retrouver un potentiel d'élèves favorisant l'émulation. Je pense par exemple à la relance de l'internat qui pourrait évoluer vers la notion de « foyer du collégien ». Je pense aussi à la recherche d'une spécialisation du collège de nature à attirer des élèves, à l'utilisation du télé-enseignement, au développement des activités de loisirs ou de formations en dehors des périodes scolaires… Encore une fois, c'est plus une question qualitative que quantitative.
Q - Ne craignez-vous pas une certaine méfiance à l'égard d'un trop plein de réformes ?
Je n'engage aucune réforme abstraite ou idéologique. Ma méthode est la même quels que soient les problèmes abordés : je repère sur le terrain ce qui marche bien, ce qui est efficace, et je le généralise. Par exemple les mesures que je prends pour l'école rurale et dont je viens de vous parler ont déjà fait leurs preuves dans certains secteurs du territoire comme en Haute-Saône. Un travail avance est en cours dans les Alpes-de-Haute-Provence. Je fais actuellement un inventaire des meilleures réalisations pédagogiques afin de mettre en place des centres de ressources où les enseignants pourront échanger leurs expériences.
Q - Sont-ils prêts à accepter autant de changements ?
Il existe à la fois une certaine saturation face à des réformes qui ont été souvent mal évaluées, et une forte attente vis-à-vis de mesures qui peuvent répondre concrètement à des dysfonctionnements réels. Mon souci est de n'entreprendre que des changements visibles et qui seront reçus de manière positive par les enseignants et les élèves.
Q - Agissez-vous en harmonie avec Claude Allègre ?
Nous poursuivons le même objectif qui est aussi celui du gouvernement : réduire les inégalités. Et nous nous efforçons de conduire notre action en harmonie. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas la méthode, ce sont les résultats.