Interview de M. Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, dans "Le Moci" du 12 au 18 novembre 1998, sur la négociation internationale sur l'investissement, l'implantation des entreprises françaises en Asie, en Russie, en Afrique et en Inde, l'appui aux PME exportatrices (avec le Réseau Export et l'opération "Exportateurs sur la Toile") et le développement du commerce électronique.

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Média : Le Moci

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Le MOCI : Quelle position défendez-vous dans les négociations pour un accord sur l'investissement à l'OMC ?

Jacques Dondoux : Le Premier ministre a annoncé, le 14 octobre dernier, que la France ne reprendrait pas les négociations sur l'investissement dans le cadre de l'OCDE. Les conclusions du rapport remis au Premier ministre par Mme Lalumière, députée européenne, et rendues publiques dès le 16 octobre, sont en effet très claires. Les contestations exprimées par nos sociétés civiles portaient sur des aspects sectoriels ou techniques, mais aussi sur l'architecture même de l'accord et sur la conception de sa négociation.

La France n'en reste pas moins un pays ouvert aux entreprises étrangères et aux investissements et nous souhaitons qu'une négociation sur l'investissement puisse reprendre sur des bases nouvelles et dans un cadre associant tous les acteurs dont les pays en développant.

L'OMC apparaît naturellement comme le cadre approprié et la France fera des propositions à ses partenaires en ce sens. Cela ne signifie pas que le travail réalisé sur l'investissement à l'OCDE sera perdu : l'expertise acquise dans cette enceinte devra être exploitée au mieux pour préparer utilement les négociations à l'OMC.

Les pays en développement seront aussi des partenaires essentiels pour cette partie de la négociation. Les laisser de côté était une erreur qui a probablement contribué à créer des oppositions inutiles. Ils sont pourtant très demandeurs de plus d'investissements directs étrangers, et ils ont, comme nous, intérêt à un cadre multilatéral. Il faudra les associer étroitement à la définition de la prochaine négociation.

Le MOCI : Mesure-t-on mieux aujourd'hui l'impact des crises asiatiques sur notre commerce extérieur ?

Jacques Dondoux : La crise asiatique est un choc de grande ampleur pour le commerce mondial. L'Asie en développement rapide représentait avant la crise environ 20 % de la demande mondiale. La contraction de ses importations serait de l'ordre de 15 % cette année, soit une ponction de 3 % sur le commerce mondial (environ 150 milliards de dollars). À cela, il faut ajouter la contraction sur un rythme analogue des importations du Japon.

Son impact sur nos exportations sera toutefois limité du fait de notre faible présence en Asie (7 % de nos exportations en 1997). Au total, nos exportations vers cette zone pourraient reculer d'environ 20 milliards de francs en 1998 par rapport à 1997, année faste en la matière où elles s'étaient élevées à 110 milliards de francs. En termes d'importations, la baisse des prix des produits importés l'emporte pour l'instant sur d'éventuelles perte de parts de marché domestique.

Le MOCI : Peut-on dresser un premier bilan de la crise russe sur nos échanges bilatéraux, quelques jours après le déplacement qui vous a conduit à visiter à Moscou l'exposition « Vivre à la française » ?

Jacques Dondoux : Les appréciations portées sur la situation de l'économie russe sont plus nuancées qu'on pourrait le croire. La situation financière est très préoccupante, et il est essentiel que le programme de sortie de crise de M. Primakov apporte des réponses solides. L'impact de la dévaluation du rouble sur nos échanges sera aussi brutal, et la progression de nos exportations, très rapides depuis trois ans, va marquer un coup d'arrêt.

Mais l'économie russe n'est pas au point mort, peut-être en raison de l'importance des transactions réalisées en dollars ou sous forme de troc. L'exposition « Vivre à la française », très bien organisée par le CFME Actim, a accueilli près d'une centaine d'entreprises, en majorité des PME. Les projets d'investissements des entreprises françaises ne sont pas non plus, dans l'ensemble, remis en cause, même si les calendriers vont nécessairement être rallongés. Je reviens en définitive de Moscou conforté dans mon approche initiale par les analyses de nos entreprises : le marché russe mérite un investissement dans la durée. Je crois d'ailleurs que nos interlocuteurs nous ont su gré des marques d'intérêt que nous avons manifestés au plus fort de la crise financière.

Le MOCI : Quelles peuvent être les conséquences pour les exportations françaises, et au-delà pour notre industrie toute entière, de la baisse récente des taux d'intérêt en Italie ?

Jacques Dondoux : Les taux européens, sont sur un sentier de convergence, à la baisse, vers les taux des pays du coeur du SME. C'est l'une des conséquences tangibles de l'arrivée de l'euro. Et, naturellement, ce sera un facteur positif pour la croissance de la zone. Toutes les mesures qui permettent de conforter le dynamisme des pays de l'Union européenne vont dans le bon sens. C'est d'autant plus vrai que les progrès réalisés par nos entreprises en termes d'ouverture à l'international ou de qualité des produits les placent en bonne position pour tirer le meilleur parti de la croissance de l'Europe.

Le MOCI : L'Inde, épargnée par les crises financières récentes, représente, en théorie, un marché cible. Pourtant, la France y est peu présente. Comment expliquez-vous ce désintérêt ?

Jacques Dondoux : La présence des entreprises françaises en Inde n'est pas aussi faible que vous le dites, même si celle-ci mérite d'être développée. De grands groupes comme Alcatel, Technip, Total, Rhône-Poulenc et Thomson y sont implantés depuis des années et ils ont été rejoints plus récemment par de nombreuses entreprises dans différents secteurs : Suez Lyonnaise des Eaux, Vivendi, Alstom, Saint-Gobain, Elf Atochem, Sanofi, L'Oréal, Danone, Pernod Ricard, Séribo, Bull, Accor.

Mais il est vrai que notre courant d'échanges doit être sensiblement augmenté par une présence plus forte de PME. L'Inde, pays-continent, est un marché que les PME françaises ayant déjà une réelle expérience des marchés émergents ne peuvent plus ignorer même s'il est d'une approche difficile.

C'est dans cet esprit que je vais coprésider à New Delhi les 23 et 24 novembre prochains avec mon homologue, le ministre indien du commerce, la commission mixte franco-indienne. Je serai accompagné d'une délégation d'une quarantaine d'entreprises.

À mon initiative, va être également organisée, l'année prochaine, une grande exposition des entreprises françaises à New Delhi, sous l'égide du CFME Actim, visant justement à encourager l'exportation par nos entreprises dans ce pays.

Le MOCI : En Afrique, la zone franc se caractérise par sa stabilité. Ne faut-il pas inciter les entreprises françaises à y renforcer leur présence plutôt que de leur suggérer de se diversifier en s'intéressant à l'Afrique australe ?

Jacques Dondoux : Il faut d'abord rappeler que le renouveau économique du continent africain constitue une chance pour nos entreprises. L'Afrique est, en effet, le continent qui affiche cette année la croissance la plus élevée au monde (3,7 %) et l'on prévoit un taux de 4,7 % en 1999. Nos entreprises doivent profiter de cette dynamique africaine en explorant de nouveaux marchés régionaux, en Afrique australe, comme vous le soulignez, mais aussi en Afrique de l'Est.

Ce n'est pas contradictoire avec notre présence en zone franc. Au contraire, nos entreprises, implantées dans la zone franc ou qui y exportent régulièrement, doivent mettre à profit leur expérience de la région pour approcher, au rythme qui leur convient, les pays anglophones et lusophones du continent. Il ne s'agit pas de privilégier une zone par rapport à une autre, mais d'inciter nos chefs d'entreprise à diversifier leurs approches commerciales pour tirer profit de cette croissance retrouvée. L'Afrique est un continent doté d'atouts majeurs : des femmes et des hommes de mieux en mieux formés, de plus en plus entreprenants, de plus en plus exigeants, des richesses naturelles exceptionnelles et un secteur privé en expansion : il serait dommage que les entreprises françaises ne saisissent pas les diversités régionales de ce grand continent.

Le MOCI : Dans quels délais le projet de loi sur le service civil à l'international verra-t-il le jour ?

Jacques Dondoux : Le texte sur la volonté est prêt. Il pourrait être voté au premier semestre 1999, au plus tard avant le 1er janvier 2000. C'est important, car pour les jeunes nés après le 1er janvier 1979, il n'existe d'ores-et-déjà plus de dispositif leur permettant de partir à l'étranger dans le cadre d'une procédure publique.

Le MOCI : Vous venez de lancer le réseau Export ? Quel est le sens de cette initiative ?

Jacques Dondoux : Cette réforme, qui vise à optimiser le dispositif d'appui aux entreprises dans leur développement international, repose sur deux principes :

– renforcer la détection et l'accompagnement des PME à fort potentiel international ;
– privilégier le travail en réseau au sein du groupe DREE (postes d'expansion économique – PEE – et directions régionales du commerce extérieur – DRCE) en renforçant la coordination de l'ensemble des acteurs régionaux pour l'action internationale des entreprises.

Je viens de lancer l'opération à titre expérimental dans quatre DRCE : l'Alsace, l'Aquitaine, la Bretagne et l'Île-de-France (département de l'Essonne). Il s'agit d'abord de détecter avec l'ensemble des partenaires régionaux (services de l'État compétents en régions comme les DRIRE, les douanes, mais aussi les banques, les conseils régionaux, les chambres de commerces et d'industrie), des PME à fort potentiel international et de leur assurer un suivi personnalisé dans leurs démarches à l'exportation. Cette opération vise donc à renforcer la synergie des diverses composantes du dispositif d'appui pour offrir un service personnalisé aux PME et leur proposer un accompagnement ininterrompu. Il s'agit en fait de rassembler les compétences à chaque étape de la pénétration du marché pour optimiser les résultats.

Après un premier bilan, l'opération devrait être étendue à l'ensemble de régions françaises.


Le MOCI : À la suite du rapport Lorentz, le gouvernement a pris en mai dernier dix mesures pour le développement du commerce électronique. Quelles sont celles qui concernent au premier chef les exportateurs français ?

Jacques Dondoux : Au plan mondial, les règles du commerce international méritent d'être définies. Le gouvernement travaille à l'émergence d'un consensus international sur les principaux aspects du sujet. La réflexion a progressé par étape dans les instances internationales : la conférence de Bonn de juillet 1997, la déclaration entre les États-Unis et l'Union européenne de décembre dernier et la conférence de l'OCDE à Ottawa en octobre. Le mémorandum français sur le commerce électronique adressé à nos partenaires européens témoigne aussi de notre volonté d'aboutir à une position commune. Le secrétariat d'État au commerce extérieur participe directement à cet effort, notamment dans le cadre de l'OMC et de l'OCDE.

Une mesure issue du rapport de M. Lorentz est tout particulièrement destinée aux exportateurs français : l'éligibilité à l'assurance-prospection des entreprises de moins de trois ans appartenant aux secteurs des technologies de l'information et de la communication, comme celui du commerce électronique. Dans ce secteur, les PME se positionnent très souvent sur des niches technologiques adaptées à l'export. Il convenait donc de les soutenir en leur permettant d'accéder à l'assurance-prospection dès leur phase de création en supprimant l'exigence de trois bilans.

Le MOCI : Quelle sera en 1999 l'action du secrétariat d'État au commerce extérieur pour renforcer l'utilisation d'Internet chez les exportateurs français ?

Jacques Dondoux : Tout d'abord, dans le prolongement de la mission Lefas sur l'usage des technologies de l'information, la réflexion va se poursuivre pour déterminer les meilleurs moyens de diffusion des informations électroniques, en particulier celles collectées par les acteurs du commerce extérieur. La problématique est complexe car le réseau mondial met à dispositions des quantités extrêmement importantes d'informations et de fiabilité très inégale.
En outre, je souhaite qu'on adopte une démarche volontariste pour encourager à l'exportation le secteur des technologies de l'information afin qu'il bénéficie pleinement de son niveau technologique. Un groupe de travail spécifique a été constitué au sein de mes services afin d'étudier les modalités d'une approche plus sectorielle des besoins des entreprises à l'exportation. Des correspondants spécialisés ont aussi été mis en place dans les postes d'expansion économique. Un plan d'accompagnement sera défini dès la fin de l'année.

Le MOCI : Vous avez lancé l'opération « Exportateurs sur la toile », qui remporte un franc succès chez les exportateurs que nous avons interrogés. Comment évolue-t-elle ?

Jacques Dondoux : Cette opération est née d'un constat : l'utilisation de l'Internet favorise le développement international des entreprises et en particulier des PME. En effet, les petites entreprises, pour lesquelles ils auraient été auparavant hasardeux, voire financièrement dangereux, de se lancer dans une démarche à l'exportation, ont désormais accès au marché mondial grâce au réseau. Il est nécessaire que toutes les entreprises prennent conscience de cette opportunité.

Il fallait donc engager une action de sensibilisation. C'est le sens de l'opération « Les exportateurs sur la toile », initiative qui récompense la qualité de l'utilisation des technologies de l'information en faveur de l'exportation par l'attribution d'un label de commerce extérieur, d'un prix ou de l'octroi d'une subvention aux PME. 20 millions de francs de crédits sont affectés sur deux ans à cette opération et des éléments d'information sont disponibles sur le site Internet du commerce extérieur (1).

La large adhésion des entreprises à cette opération confirme qu'elle répond à une attente et un besoin réel. Je viens de distinguer 100 premières entreprises. L'effort sera activement poursuivi en 1999.


(1) http://www.commerceexterieur.gouv.fr