Déclaration de M. Pierre Méhaignerie, ministre de la justice, sur le bilan de son action au ministère de la justice et sur la loi de programme pluriannuel pour la justice et le fonctionnement de la justice, Paris les 10 et 11 janvier 1995.

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Circonstance : Voeux de M. Pierre Méhaignerie aux directeurs du ministère et à la presse, les 10 et 11 janvier 1995

Texte intégral

Vœux aux directeurs, le 10 janvier 1995

Monsieur le Directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse,
Monsieur l'Inspecteur général,
Mesdames et Messieurs les chefs de services et chefs de bureau,
Mesdames et Messieurs,

Je tiens d'abord à vous remercier des bons vœux que vous m'adressez au nom de tous les professionnels – magistrats et fonctionnaires – de la Chancellerie. Je vous présente également les miens.

Vous avez raison, le début d'année est le moment naturellement choisi pour dresser le bilan du travail accompli pendant l'année écoulée.

Cette année a été une année extrêmement remplie et riche d'événements.

Sans doute l'année 1994 restera-t-elle comme l'année qui aura vu renforcées l'indépendance de la Justice et l'égalité de tous devant la loi.

Indépendance de la Justice grâce à la réforme constitutionnelle du Conseil Supérieur de la Magistrature, égalité de tous les citoyens devant la loi grâce à la création de la Cour de Justice de la République, exigences de transparence de l'action publique inscrites dans le Code de procédure pénale puisque désormais les instructions données par la Garde des Sceaux doivent être écrites et versées au dossier.

Ces réformes étaient nécessaires afin que les Français retrouvent confiance dans la Justice de leur pays.

Ces principes étant rétablis, il fallait donner à la Justice des moyens financiers supplémentaires et rendre son fonctionnement plus simple et plus rapide.

C'était l'objectif du programme pluriannuel pour la Justice qui nous a occupé tout au long de l'année.

Ce programme pluriannuel pour la Justice a marqué la volonté du gouvernement de placer la Justice parmi ses priorités et d'inscrire cet effort dans la durée puisque c'est un plan prévu pour cinq ans.

Le travail considérable fourni par chacune de vos directions et la disponibilité de chacun ont contribué à faire adopter par le Parlement le 23 décembre dernier les trois textes qui composent le programme pluriannuel pour la Justice. Je tiens donc à vous en remercier tout particulièrement et à saluer l'énorme travail accompli par tous.

Le programme pluriannuel pour la justice et ses innovations devraient permettre plusieurs améliorations dans le fonctionnement de la Justice. Il devrait permettre de réduire les délais et de désengorger les tribunaux avec la création de magistrats recrutés à titre temporaire et l'instauration du juge unique. Il devra permettre aussi d'éviter le classement sans suite et le sentiment d'impunité qui en découle grâce à l'injonction pénale par exemple.

Chacun reconnaît que le nouveau CSM apporte désormais, un supplément d'indépendance et que l'installation de la Cour de Justice de la République représente un véritable changement : les hommes politiques ne se jugent plus entre eux.

La loi sur la faillite, qui a été précédée par une concertation exemplaire, favorisera la moralisation de la vie des affaires et représentera un véritable effort de prévention.

Avec la loi sur le financement de la vie publique, votée en décembre par le Parlement, il est mis fin à la suspicion des liens qui existaient entre les pouvoirs politiques et économiques.

La nouvelle sous-direction des affaires économiques et financières et de lutte contre la criminalité organisée permettra à l'administration centrale de lutter énergiquement contre la corruption et a donné une dimension internationale à cette direction par sa participation à des rencontres importantes à Aix-en-Provence et à Naples afin de développer notre coopération en matière de lutte contre la grande criminalité.

La direction des affaires civiles et du Sceau a également connu des changements. Dans le souci d'une meilleure organisation la direction s'est structurée en trois sous-directions plus cohérentes, notamment, dans le domaine du droit de l'entreprise qui est un point faible de la Chancellerie.

Pour 1995, nous devrons d'abord, prendre toutes les mesures d'accompagnement des textes récemment votés. Je ne méconnais pas la lourdeur de la tâche mais suis convaincu que vous ferez preuve de la même ardeur que celle dont vous avez témoignée pour l'élaboration des textes législatifs. Ce travail n'en n'est pas moins important. Il faudra que chacun y consacre énergie et application.

Vous ne devez pas pour autant négliger les réformes de fond qui n'ont pas pu encore aboutir notamment dans le domaine du droit des personnes ou dans celui du droit de l'entreprise.

Je souhaite pour ma part que 1995 soit placée sous le signe d'un retour à une plus grande sérénité dans le fonctionnement et l'image de l'institution judiciaire.

Il faudra notamment parvenir à un meilleur équilibre entre la présomption d'innocence et le droit à l'information.

1995 doit nous conduire à progresser sur la question difficile du secret de l'instruction.

Plus que jamais consultation et concertation seront les conditions d'un nécessaire apaisement.

Apaisement qu'il convient ainsi de trouver en ce début d'année à propos du conflit des personnels pénitentiaires. J'espère que nous parviendrons rapidement à un accord. Et j'encourage les responsables de l'administration pénitentiaire à poursuivre le dialogue social, seule voie possible de dénouement du conflit.

Consultation et concertation seront également indispensables pour ce qui concerne la refonte de la carte judiciaire, grand chantier auquel il va falloir s'attacher dans les mois qui viennent.

La Direction des services judiciaires sera largement mise à contribution dans ce dossier et aura pour difficile mission de concilier les exigences de déconcentration et de rationalisation de la carte judiciaire avec celles, de l'aménagement du territoire.

Je souhaite que l'action engagée depuis maintenant 20 mois et qui a donné à l'institution judiciaire des bases plus solides en matière d'indépendance, de transparence et d'égalité, permette à la Justice de poursuivre normalement son cours, sans entrave, avec davantage de moyens et davantage de confiance.

À vous tous et à tous ceux qui vous sont chers, je vous présente mes vœux les meilleurs pour cette nouvelle année et qu'elle nous permette de conserver un esprit ouvert sur le dialogue et la concertation.


Vœux du Garde des Sceaux à la presse – 11 janvier 1995

À l'aube d'une nouvelle année il est de tradition d'établir un bilan et de formuler des vœux.

Je ne dérogerais pas à cette tradition en ce début d'année qui sera, je le souhaite, le cadre d'importants débats de société à l'occasion d'échéances électorales majeures pour notre pays.

La Justice sera au cœur de ces débats. Je m'en félicite. C'est un test pour la qualité du débat démocratique. L'année 1994 a été celle d'une plus grande transparence et indépendance de la Justice et une étape décisive a été franchie mais il y a encore des progrès à réaliser. J'ai toujours placé l'exigence d'éthique, l'indépendance de la Justice et l'égalité des citoyens devant la loi, au même plan que la lutte contre le chômage et la construction européenne.

Je forme le vœu qu'en 1995 l'indépendance restaurée de la justice s'accompagne d'un retour à une nécessaire sérénité. Sérénité dans le fonctionnement et l'image de l'institution judiciaire.

Avec de fortes turbulences, l'année 1994 a été celle du changement vers plus d'indépendance et de transparence de la Justice : il faut, en 1995, retrouver la sérénité pour conforter et solidifier ce changement.

1994

Au cours de l'année écoulée, des progrès importants ont été réalisés vers une plus grande indépendance et transparence de la Justice.

En 1994, la transparence de l'action publique est devenue une réalité et il y a eu une prise de conscience générale de l'évolution de la situation.

De nombreux changements ont été réalisés en 1994

Les affaires

En 1994, les affaires sont sorties. La Justice a suivi normalement son cours et les magistrats ont travaillé en toute indépendance. Beaucoup d'observateurs et d'acteurs de la Justice l'ont reconnu. C'est ce que certains, comme l'Association Française des Magistrats Instructeurs, ont appelé « l'effet Méhaignerie ».

Il n'y a pas plus d'affaires aujourd'hui qu'hier. La différence avec hier, c'est qu'aujourd'hui elles sortent. Nous souffrons encore du poids du passé où l'opinion publique avait le sentiment que les affaires étaient enterrées.

Certains hommes politiques ont quelques réticences à admettre ce changement au point de penser que, par exemple, dans une actualité récente, l'affaire Maréchal-Schuller, le Procureur général de Paris n'ai pu, seul, se déterminer en son âme et conscience.

Je suis confiant et optimiste sur l'évolution de la situation après cette période difficile mais nécessaire.

La corruption a déjà reculé en 1994. La peur est le commencement de la sagesse.

Les réformes

En 1994, la mise en place de réformes de l'institution judiciaire (réformes constitutionnelles du Conseil Supérieur de la Magistrature et de la Cour de la Justice de la République) ont renforcé l'indépendance de la justice et l'égalité de tous devant la loi.

La transparence de l'action publique

C'est en réponse aux engagements du gouvernement et dans un souci de transparence que les instructions du garde des sceaux sont désormais écrites et versées au dossier. C'est une avancée importante qui est désormais inscrite dans la loi.

Les moyens nouveaux

Le programme pluriannuel pour la justice, voté par le Parlement en 1994, a traduit la volonté du gouvernement de donner la priorité à la justice en inscrivant cet effort dans la durée. Des moyens supplémentaires et la simplification des procédures représentaient les objectifs majeurs de ce programme sur cinq ans.

Le budget 1995 pour la Justice traduit des changements importants : 37 % des nouveaux emplois de la fonction publique, avec la création de 100 postes de magistrats les juges pourront se recentrer sur leurs missions essentielles, la déconcentration des moyens au niveau des Cours d'Appel…

1995

En 1995, l'indépendance restaurée de la justice devra s'accompagner de la sérénité nécessaire à son bon fonctionnement.

Les magistrats assurés de leur indépendance doivent être aujourd'hui particulièrement conscients de leur mission et de leur devoir : rendre, dans la sérénité, un justice égale pour tous.

La très grande majorité des magistrats du siège comme du parquet exerce leur mission avec sérénité ainsi qu'avec beaucoup de compétence et de conscience professionnelle. Il faut s'interroger, aujourd'hui, sur les conséquences du vedettariat…

Le secret de l'instruction

C'est un débat important auquel une réponse équilibrée doit être apportée après un large consensus.

Cette question complexe est aujourd'hui au cœur de l'actualité. Un équilibre doit être trouvé entre le nécessaire droit à l'information et le respect de la présomption d'innocence.

La publication de rapports judiciaires en actes d'instruction est profondément anormale et est souvent la cause de graves désordres.

Dans une démocratie comme la nôtre, les Français ont naturellement des exigences importantes en matière d'information et toute action dirigée contre la presse donnerait le sentiment d'une atteinte à la liberté d'information.

Par ailleurs le secret de l'instruction ne s'impose pas de la même manière à tout le monde.

La consultation et la concertation sont aujourd'hui plus que jamais nécessaire. La chancellerie pour sa part poursuit sa réflexion en entendant les parties prenantes au débat. La Commission des lois du Sénat travaille également sur ce sujet depuis plusieurs mois.

À l'aube de cette nouvelle année, je vous présente ainsi qu'à tous ceux qui vous sont chers mes vœux personnels pour 1995.