Texte intégral
Q - Pourquoi n'est-il plus envisagé de faire une loi réformant les modes de licenciement ?
- « Ce qui n'est plus envisagé, c'est de faire une loi sur le licenciement au premier semestre 1999, ce qui, d'ailleurs, n'avait pas été annoncé véritablement à cette date. En revanche, nous continuons à travailler sur une modification d'un certain nombre de dispositions législatives, relatives, d'abord, à la prévention des licenciements - comment mieux préparer les salariés aux emplois de demain et aux métiers, pour éviter ces licenciements ? - sur la qualité des plans sociaux. Car il y a un certain nombre d'éléments à prendre en compte pour faire en sorte que, notamment les entreprises qui en ont les moyens, puissent aider les salariés au reclassement. Et comment mutualiser mieux les licenciements dans les petites entreprises ? Et puis aussi, sur les conséquences des licenciements, et cela, c'est tout le travail que nous faisons avec N. Péry sur le droit à la formation pour les chômeurs. Donc, le travail est en cours. Beaucoup de choses sont liées à la formation. Mais nous n'avons pas attendu cette loi, ces dispositions législatives, pour déjà travailler sur le licenciement. Je voudrais d'abord dire que la meilleure façon de travailler sur les licenciements, c'est de relancer la croissance, ce que nous avons fait - il y a moins 20% de licenciements cette année par rapport à l'année dernière. Deuxièmement, nous avons travaillé sur certaines catégories, comme les plus de cinquante ans, dont nous avons vu une accélération des licenciements, pour les rendre plus coûteux et pour qu'ils soient moins nombreux. Et puis, nous faisons en sorte, par exemple, que la durée du travail rentre dans la logique des plans sociaux pour éviter un certain nombre de licenciements. »
Q - Mais tout de même, on avait compris, du discours de politique générale de L. Jospin, qu'il y aurait une loi, un texte !
- « Oui, absolument, mais il y aura un texte sur le licenciement. »
Q - Mais que reprendra t-il si toutes les dispositions ont été…
- « Mais non, pas du tout. Il y a des dispositions d'ordre réglementaire, c'est par exemple l'action que j'ai menée sur les préretraites, pour faire plus payer les entreprises qui ont de l'argent. C'est la disposition que nous allons prendre sur les dispositions Delalande, c'est-à-dire la taxation des licenciements de plus de 50 ans. Mais nous devons travailler à faire en sorte que le plan social soit de meilleure qualité, encore une fois, et notamment pour les entreprises qui en ont besoin, et pour aider les PME à mutualiser ce risque, nous devons mieux prévenir les licenciements. Ce sont les dispositions législatives, et nous devons mieux traiter les conséquences du licenciement. C'est sur ces trois axes que nous travaillons pour modifier la loi. »
Q - Alors tout de même, sur les 35 heures, il y a eu une loi, impérative, et là, des dispositions législatives. Est-ce que c'est une autre tonalité que vous voulez donner aux chefs d'entreprise ?
- « D'abord, la loi sur les 35 heures, comme vous le savez, c'était une loi cadre, qui lançait les négociations, et qui donnera lieu à une deuxième loi en fin d'année 1999, et pourtant c'est une priorité. Sur les licenciements, de la même manière, il nous semble qu'il y a un lien très important entre la réforme du licenciement et la réforme de la formation professionnelle, pour à la fois prévenir les licenciements et pour étudier les conséquences des licenciements. C'est la raison pour laquelle nous menons cette réflexion en même temps. Et puis, des dispositions sur la qualité du plan social. Nous y reviendrons quand… »
Q - Est-ce qu'il y a, tout de même, en filigrane, un souci d'apaisement vis-à-vis des chefs d'entreprise ?
- « Non, parce que les chefs d'entreprise, qui gèrent correctement les choses, n'ont pas à craindre ces dispositions. Et d'ailleurs, il y a un certain nombre de points dans la loi qu'il faudra modifier pour redonner une clarté et une lisibilité, aujourd'hui, à la législation sur le licenciement. Il y a un certain nombre de décisions de justice, aujourd'hui qui posent problème aux entreprises, car elles fragilisent les décisions qu'elles peuvent prendre et rendre incertaines les conséquences des licenciements. Donc, ces dispositions devront être modifiées dans les deux sens, et nous y travaillons, comme je l'ai dit, depuis déjà, d'ailleurs, un certain temps. »
Q - Vous venez, également, d'inciter les partenaires sociaux - les syndicats et les chefs d'entreprise - à discuter de la réduction, dans certain cas, du nombre de CDD. Est-ce que cela veut dire que vous voulez une avalanche de contrats à durée indéterminée dans les entreprises ?
- « Vous savez, aujourd'hui, il y a 1,4 million de contrats à durée indéterminée et de travail temporaire. Près de 10 % des salariés, en France, sont sous cette forme de contrat. Moi, je le dis très simplement, je trouve que beaucoup de ces contrats sont légitimes, parce qu'il y a un surcroît d'activité, on lance un nouveau produit, une nouvelle machine, on remplace un absent. Et là, pas de problème, et il n'est pas question de renchérir le coût de ces contrats, qui coûtent déjà environ 10% de plus à l'entreprise que les autres. Ce qui est, en revanche, choquant, c'est qu'à cette période où la croissance est maintenant assise, où les entreprises n'ont pas à avoir de craintes, un certain nombre de secteurs d'activité, ou d'entreprises, utilisent ces emplois précaires de manière permanente, sur des emplois permanents. Certains secteurs, certaines entreprises 15, 20, 25 % de leurs salariés sous ces formes de contrats. Ceci coûte cher à la collectivité, car beaucoup de ces salariés se retrouvent dehors, sans statut. Ceci coûte cher, aussi, parce que, vous le savez, les intérimaires ont beaucoup plus de risques d'avoir des accidents du travail et d'une plus grande gravité - le double de risque que les salariés normaux. Et puis, cela coûte cher, parce que cela entraîne de la précarité, et donc, très souvent des risques d'exclusion pour une partie de la population, et notamment les jeunes. »
Q - Est-ce que des règles précises vont être fixées, est-ce que des pénalités sont envisagées pour les entreprises qui ne les adopteraient pas ?
- « Oui. Alors, tout d'abord, je souhaite que la législation soit appliquée, et j'ai demandé aux inspecteurs du travail d'en faire une priorité. De la même manière, E. Guigou demandera aux procureurs que les procès-verbaux des inspecteurs du travail soient suivis, et soient suivis des faits, et non pas classés sans suite, comme c'est trop souvent le cas. Deuxièmement, nous améliorons la réglementation sur un certain nombre de points. Et, troisièmement, je compte discuter avec le patronat et les syndicats, dans les jours qui viennent, sur l'idée d'une contribution, qui pourraient être demandée aux entreprises qui utilisent de façon permanente un fort taux de contrats à durée déterminée et de travail temporaire. J'aimerais bien, d'ailleurs, que cela soit fait sur le plan d'une négociation interprofessionnelle, car on peut aussi envisager des dispositions différentes selon les branches, qui ont des besoins différents. J'espère que nous arriverons à cela. Si ce n'était pas le cas, nous le ferons. Et j'imagine, par exemple, que cette contribution, de la part des entreprises qui utilisent fortement ces contrats à durée déterminée, pourrait aider à indemniser les chômeurs. »
Q - Vous ne redoutez pas un ralentissement des embauches, à la suite de ce type de dispositions ?
- « Non, car encore une fois, je comprends fort bien - je l'ai dit tout à l'heure - que les cas de recours qui sont prévus par la loi soient respectés. Dans le fond, quand M. Gautier-Sauvagnac et le président du Medef disent aux entreprises qui utilisent l'Arpe, et qui vont faire partir les salariés âgés pour embaucher des jeunes - ce qui coûte très cher - : vous devez contribuer à l'Arpe, car vous allez y gagner, puisque vous aller embaucher des jeunes moins coûteux, quand ils disent ça, ils ont la même démarche que la mienne, c'est-à-dire faire contribuer des entreprises qui coûtent à la collectivité sous divers aspects. »
Q - La Seita, la Régie des tabacs, avait l'intention de fermer les usines de Tonneins et de Morlaix. Le Gouvernement ne veut pas. Alors, qu'est-ce qui va se passer ?
- « La décision a été annoncée de manière, je dois dire, extrêmement brutale et avant même que nous puissions en discuter. Vous savez, moi, je vois tous les jours des entreprises qui viennent m'annoncer, plusieurs mois à l'avance, des nécessités de licenciements ou de fermetures d'usine. Nous essayons à chaque fois de les éviter. Je regrette que, en ce qui concerne la Seita, nous l'ayons appris quelques heures avant, quelques heures avant l'annonce devant le CCE, et avant même que l'on ait pu regarder ce que l'on pouvait faire. »
Q - Eh bien, alors ?
- « Eh bien, j'ai encore eu le président - D. Strauss-Kahn, M. Lebranchu l'ont vu aussi hier - et nous sommes en train de travailler pour voir s'il n'y a pas d'autres dispositions à prendre, car, pour Morlaix par exemple, c'est une catastrophe, et je crois que c'est difficile de laisser faire. »
Q - Ce n'est pas encore une certitude que l'usine sera fermée ?
- « Non, nous travaillons, nous travaillons. Mais vous savez, je travaille sur beaucoup de dossiers comme cela. Je pourrai vous parler du dossier Levi's à La Bassée : personne ne comprend que l'on ferme la seule usine française qui produit des 501, alors qu'elle en produit 3,5 millions et que les Français continuent à en acheter 5 millions par an et qu'elle est rentable. J'ai écrit au président de Levi-Strauss aux États-Unis, pour lui dire que personne ne comprendrait que Levi's 501, qui est tout un symbole pour une génération, mette 330 personnes dehors - des femmes qui ont travaillé chez Levi's depuis longtemps - alors même que ce même président leur a dit, il y a un an, en visitant la France, que c'était une belle usine et qu'elles étaient formidables. Il faut travailler ainsi pour essayer d'éviter un certain nombre de décisions. »