Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale et député PS, sur le projet de réforme constitutionnelle sur la parité et sur la proposition de loi relative à la création de délégations parlementaires au droit des femmes et à l'égalité des chances entre hommes et femmes, à l'Assemblée nationale le 20 novembre 1998.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Laurent Fabius - président de l'Assemblée nationale et député PS

Circonstance : Journée d'études organisée par l'AFCCRE sur "Elues locales et régionales en Europe : objectif parité" à l'Assemblée nationale le 20 novembre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Mesdames, Messieurs,


Je suis heureux de vous accueillir aujourd'hui à l'Assemblée, à l'occasion de votre journée d'études consacrée à la parité.

1. L'Europe se féminise. Elle conduit vers les responsabilités politiques de nouvelles générations. Féminisation, rajeunissement, renouvellement, les trois vont de pair.

La France doit progresser pour rattraper son retard dans le domaine de la parité politique. Combien de responsables de grandes villes sont en France des femmes ? Très peu. Trop faible présence dans les exécutifs départementaux et régionaux. Nombre plus élevé dans le Gouvernement, avec l'exemple de la compétence. Et je suis heureux de la récente nomination de Mme Nicole Pery comme secrétaire d'État chargée des droits des femmes. Il reste qu'avec 11 % à l'Assemblée et 6 % au Sénat, nous sommes loin de la moyenne des quinze, plus loin encore des 20 à 40 % de représentantes de la nation que comptent 7 de nos voisins. Seule la Grèce fait moins bien. Ni pour elle, ni pour nous, il ne faut s'en réjouir.

Les législatives 1997 ont marqué une évolution. Les régionales, élection à la proportionnelle de liste, ont prolongé ce mouvement. Si les candidates sont passées de 27 % à 37 % le nombre des élues n'est qu'à 26 %. De ce point de vue, les élections européennes seront un test.

2. Le retard français est d'autant plus significatif que l'objectif de parité n'est pas qu'un pourcentage d'élus au sein d'un hémicycle. C'est un état d'esprit qui doit irriguer la vie publique, sociale, économique. Le politique devrait avoir un effet d'entraînement sur les  syndicats, les entreprises, les professions libérales, les organismes consulaires. Or, combien de femmes professeurs ? Une majorité. Mais, combien de femmes recteurs ? Une minorité. Combien de femmes journalistes ou productrices ? Une majorité. Mais, combien dirigent des médias importants ? Fort peu. Combien travaillent dans de très grandes entreprises ? Beaucoup. Combien en dirigent ? Aucune.

Le droit des personnes est en avance sur les mentalités et les réalités. Je songe à la mixité encore insuffisante du congé parental ou aux possibilités de garde des jeunes enfants réduites par les horaires et le peu de structures.

Le monde du travail devra, lui aussi, accomplir un grand progrès. En dépit du préambule de notre Constitution, une inégalité de fait perdure.20 % d'écart entre les rémunérations, des emplois précaires, des chômeurs jeunes ou de longue durée qui sont souvent des chômeuses, un accès aux responsabilités qui ressemble souvent à un parcours de la combattante, le temps partiel généralement subi. Pour accéder à la parité économique et sociale, à l'égalité professionnelle, que de préjugés encore à renverser.

3. La réforme constitutionnelle en préparation sur la parité est à cet égard un signe positif. Elle ne transformera pas du jour au lendemain l'égalité de droit en égalité de fait. Mais en prévoyant que « la loi favorise l'égal accès des hommes et des femmes aux mandats et fonctions », le projet de modification de l'article 3 de la Constitution montre le bon cap. J'espère qu'il sera vite et bien franchi.

Le Parlement s'intéresse évidemment de près à ce débat en lui-même et pour son organisation. C'est le sens de la proposition de loi de créer des « délégations parlementaires au droit des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes » que j'ai déposée récemment avec d'autres collègues, comme l'a fait au Sénat Danièle Pourtaud, sénatrice. C'est une manière de rattraper une partie de notre retard, d'améliorer le contrôle du Parlement, de moderniser la vie publique. Ces délégations à l'Assemblée et au Sénat seront les interlocutrices privilégiées des structures équivalentes existant dans les autres Parlements et au niveau de l'Europe. Cette délégation, composée de femmes et d'hommes, sera comparable, en compétences et en organisation, à l'importante délégation aux affaires européennes.

4. Une dernière observation : « toute révolution devrait commencer par une réforme du dictionnaire » disait Victor Hugo. Pour agir sur les esprits, il faut aussi que le vocabulaire évolue et que la féminisation soit dicible et lisible. Premier ministre, j'avais pu déjà aller en ce sens par une circulaire de 1986. De nouveaux pas ont été faits. Les réticences encore éprouvées illustrent les inquiétudes que rencontre encore l'accès des femmes aux responsabilités. L'hostilité à l'usage du terme féminin révèle le plus souvent la crainte d'une dévalorisation de la fonction correspondante. On dira volontiers une secrétaire, mais un secrétaire d'État. Je regrette que certains s'efforcent encore de dire Madame le ministre et Madame le député.

Mesdames et Messieurs, l'Europe doit montrer le chemin. Professions, politique, Parlement, partout la parité doit s'imposer sereinement. L'Europe doit montrer l'exemple et les prochaines élections devront conforter la parité. La France doit aborder le XXIe siècle en rattrapant son retard. Vous y contribuez puissamment. Je vous en remercie.