Texte intégral
Devant tant de jeunes qui représentent ce que l'agriculture française compte de plus dynamique et de plus entreprenant, mes premiers mots seront pour vous dire : Bravo ! Bravo pour votre esprit d'entreprise. Bravo pour la foi que vous avez dans votre métier. Bravo au CNJA, cette formidable organisation qui, au-delà de sa vocation professionnelle, est un véritable mouvement de jeunes, sans équivalent ailleurs.
Aux côtés du ministre de l'agriculture, Philippe Vasseur, je voudrais saluer Luc Guyau, président de la FNSEA et du Conseil de l'agriculture française, Jean-François Hervieu, président de l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, et Marc Bué, président de la Confédération nationale de la mutualité, de la coopération et du Crédit agricole, qui nous reçoit dans son département. Je salue, enfin, Christiane Lambert, très active présidente du Centre national des, jeunes agriculteurs, ainsi que les représentants des centres départementaux et, tous les jeunes agriculteurs présents.
À tous, je voudrais dire mon amitié et ma reconnaissance en cet instant privilégié de signature de la Charte nationale pour l'installation.
Le projet que vous présentez aujourd'hui, c'est le vôtre, et c'est l'avenir de toute l'agriculture française.
Pour nous, Français, l'agriculture ne sera jamais une activité économique tout à fait comme les autres.
Agriculteurs, vous êtes des entrepreneurs à part entière, vous êtes à la pointe de la modernité, mais en même temps, vous restez les gardiens de notre mémoire. Agriculteurs, vous défendez à la fois nos racines et notre avenir, nos paysages et nos emplois, notre environnement et notre rang dans le monde. Il n'est pas de progrès sans mémoire et les conquêtes de l'homme ne valent que lorsqu'elles sont enracinées.
Je sais tout ce que notre identité nationale le, mais aussi notre puissance économique et notre rôle international doivent au travail, à l'ambition, à la persévérance de tant de générations de paysans français. L'agriculteur, confronté aux défis de la technologie et de l'économie, soumis aux lois de la nature, voué à nourrir les hommes, témoigne de la nécessaire solidarité entre le passé et l'avenir, entre les anciens et les jeunes, entre ceux qui partent, ceux qui restent, et ceux qui arrivent.
L'agriculture, c'est une chance pour notre pays et un défi pour l'avenir. Le renouvellement de nos exploitations agricoles, soutenu et accéléré par la Charte nationale pour l'installation, est une grande et saine ambition.
Grâce à vous, la France a la chance d'être, aujourd'hui, le premier pays exportateur agroalimentaire du monde. Votre filière assure la moitié de notre excédent commercial. Elle représente au total près de trois millions d'emplois dont plus de la moitié dans l'agriculture. Elle est compétitive et exportatrice. C'est une sécurité essentielle que de disposer de l'autonomie alimentaire et de campagnes cultivées par l'homme depuis des millénaires.
Les agriculteurs français, en particulier depuis cette « révolution silencieuse » dont parlait naguère Michel Debatisse, se sont formés et se sont équipés, se sont ouverts au vent du large, se sont battus, sont devenus des chefs d'entreprise. Dans la guerre économique que se livre le monde, ils sont en première ligne, forts à la fois de leurs traditions et de leur ouverture.
Pour mesurer la chance que représentent l'expérience et le dynamisme de nos paysans, il suffit de regarder un instant au-delà de nos frontières. La planète compte aujourd'hui cinq milliards d'hommes, dont un milliard en état de malnutrition. Dans vingt-cinq ans, la population mondiale sera de 8 milliards d'habitants. Avec une telle perspective, comment pourrait-on accepter une conception malthusienne de la production agricole développée dans certaines instances internationales ?
Pourquoi faudrait-il désespérer, ici, de l'agriculture, quand, à trois heures d'avion, des hommes ont faim ? Le moment est venu de s'interroger sur le bien-fondé d'une organisation de marché reposant essentiellement sur la limitation des volumes.
Le premier droit de l'homme est le droit de se nourrir. La France, vieille terre agricole et patrie des droits de l'Homme, a une vocation éminente à satisfaire ce droit, non seulement pour elle-même, mais aussi pour les autres. Sa position privilégiée au coeur de l'Europe agricole lui donne le devoir d'y montrer l'exemple et d'ouvrir chemin de l'avenir.
Dans le même temps, notre agriculture défriche chaque jour de nouveaux secteurs économiques qui sont autant de chances pour nos jeunes.
Je pense aux débouchés industriels des produits agricoles et, en particulier, au nécessaire développement des biocarburants, Pour des raisons économiques, pour lutter contre la pratique de la jachère, qui au fond n'est pas acceptable, pour combattre la pollution de l'air, il faut agir. Après les expérimentations, après la phase transitoire d'industrialisation qui se développe, il faudra aboutir à une production d'énergie, vraiment économique et respectueuse de l'environnement pour le bénéfice de tous.
Je pense aussi à l'exigence croissante de nos concitoyens pour des produits de qualité, des produits comportant notamment une indication de provenance comme les appellations d'origine.
L'agriculture française a relevé le défi de la politique agricole commune en offrant aux consommateurs un choix et des prix raisonnables. Elle doit maintenant affirmer la richesse de ses terroirs, redonner le goût des produits locaux de qualité, qui ont souffert des excès de la distribution de masse. La demande est là, elle est légitime, elle constitue une nouvelle chance de développement d'une agriculture de qualité, souvent dans les zones les plus fragiles de notre territoire, celles que nous soutiendrons avec imagination et volonté.
Je pense, enfin, à tous les services qui naissent et se développent autour de l'exploitation traditionnelle : la pluriactivité, malgré ses limites, doit être encouragée. La diversification des ressources de l'exploitant devient une réalité : le tourisme vert, avec le développement des gîtes ruraux, en est un aspect, mais aussi les services auprès des collectivités locales, l'entretien des espaces, l'écologie en général.
Ainsi, l'agriculture française a de bonnes raisons de croire en son avenir, même s'il est vrai qu'il existe une inquiétude chez nos jeunes paysans, sur qui pèsent de lourdes contraintes.
Mais, je sais que s'il est une tradition au CNJA, c'est celle de dépasser les contraintes et de relever les défis.
Les pouvoirs publics, pour leur part, doivent garantir la compétitivité des exploitations et veiller à leur présence sur l'ensemble du territoire.
Toutes les exploitations doivent être prises en compte, qu'elles visent l'exportation sur le marché mondial, la vente sur le marché intérieur ou l'exercice d'une activité de proximité. Il n'y a pas de modèle unique de développement pour notre agriculture. L'agriculture moderne, c'est aussi un certain idéal d'autonomie, de liberté. À la nation de garantir l'exercice de cette autonomie et de cette liberté.
Les deux vocations de l'agriculture
Notre agriculture a deux vocations : une vocation productive et une vocation d'équilibre de notre espace national. L'agriculture, bien sûr, doit produire pour l'alimentation et l'industrie et le faire de façon performante et compétitive, mais elle doit aussi assurer la protection de notre environnement, la mise en valeur de notre espace rural, le maintien d'emplois en milieu rural et, par là même, l'équilibre indispensable de notre société.
Toutes ces missions sont complémentaires et indissociables.
Une agriculture dont seule la vocation productive serait reconnue, deviendrait un secteur économique parmi d'autres, soumis aux lois de la concentration et de la seule productivité. Cela pourrait et a déjà conduit à la désertification de régions entières de la France. Le coût social d'une telle évolution serait insupportable dans les zones rurales mais aussi dans les villes où les jeunes sans emploi sont venus en vain chercher de l'espoir.
À l'inverse, une agriculture totalement administrée, coupée du marché, n'aurait aucun avenir. Les jeunes refuseraient d'investir leur énergie et leur intelligence dans un secteur qu'ils percevraient comme artificiellement assisté. Vous qui êtes ici, vous avez choisi d'exercer un métier responsable, pas de vivre de subventions publiques, même si certaines sont nécessaires pour assurer un équilibre économique constamment remis en cause par le progrès technique et l'internationalisation des échanges. Vous connaissez notamment notre attachement à la politique de compensation des handicaps naturels.
Cette double vocation de notre agriculture doit inspirer notre action. C'est ce à quoi s'emploie, avec détermination, Philippe Vasseur.
Il faut d'abord assurer les débouchés de nos produits. Cela impose une plus grande coordination entre les producteurs, l'industrie de la transformation et la distribution. L'intégration de la filière agroalimentaire est une nécessité que vous connaissez bien : de plus en plus, les échanges s'effectuent au niveau des produits transformés au détriment des produits bruts. Sachons en prendre la mesure.
Plaçons aussi la compétitivité au service de la qualité.
Créons les conditions pour que la grande distribution devienne, enfin, un partenaire responsable qui cesse de contribuer à l'effondrement des cours et qui valorise les efforts de qualité faits par les producteurs au profit du consommateur.
Contrôlons mieux notre marché intérieur européen, en combattant et en sanctionnant, avec toute la vigueur requise, les importations abusives et frauduleuses. Mettons en place, là où ils font défaut, les outils nécessaires. Utilisons mieux ceux qui existent déjà sans alourdir les procédures. N'ayons pas peur d'affirmer la nécessité d'une véritable préférence européenne.
Défendons la stabilité monétaire à l'intérieur de l'Europe et dans le monde. Sans stabilité, il n'est pas de commerce international juste et équilibré. C'est un enjeu majeur qui justifie des mesures adaptées de compensation des dévaluations compétitives et renforce la nécessité de progresser avec nos partenaires vers une monnaie unique.
Réfléchissons dès maintenant aux évolutions à prévoir dans le cadre de l'élargissement de l'Union européenne. La France doit être la première à faire des propositions et à inventer des solutions. Car, qui mieux que nous pourrait les comprendre et les replacer dans la nécessaire vision globale et stratégique de l'agriculture européenne face à nos concurrents internationaux.
Tous ces défis, notre agriculture saura les relever. Elle a des atouts. Elle peut compter sur l'appui des pouvoirs publics.
Bien sûr, l'entreprise agricole n'est pas et ne doit pas être une entreprise totalement à part, gouvernée par des règles d'un autre temps. Ainsi, bénéficie-t-elle, au même titre que les autres, des mesures voulues par le gouvernement :
- en faveur de l'emploi, à travers l'allégement des charges sociales sur les bas salaires ;
- en faveur de la transmission des entreprises, à travers les mesures fiscales en discussion au Parlement ;
- en faveur de leur financement enfin, par les mesures générales favorisant l'épargne de proximité.
Mais, nous ne pouvons pas ignorer que les charges fiscales, sociales et financières qui pèsent sur l'activité agricole restent beaucoup trop élevées. Nous devons lever ces handicaps, dans la mesure de nos moyens collectifs, car ce sont des milliers d'emplois directs et indirects qui sont en jeu. La conférence annuelle devra se pencher sur tous ces sujets.
L'enjeu de la charte
La Charte nationale pour l'installation oeuvre en ce sens.
C'est, en effet, par le renforcement de la politique d'installation des jeunes en agriculture que nous stabiliserons le nombre des exploitations agricoles. Si rien n'était fait, ce nombre, 740 000 aujourd'hui, tomberait à 200 ou 300 000 dans quinze ans. On mesure mal le coût économique, social, humain d'une telle évolution. Mais l'on devine qu'il serait considérable, dramatique, insupportable. Infléchir cette tendance, tel est l'enjeu de la charte. Son ambition est d'augmenter de moitié le nombre des installations aidées, de le faire passer de 8 000 par an à 12 000 à l'horizon de l'an 2000. À terme, il faudra arriver à la parité, à une installation pour un départ.
Cet objectif est ambitieux. Nous voulons l'atteindre. Nous nous en donnons aujourd'hui les moyens.
S'installer, dans quelque métier que ce soit, c'est toujours faire un pari. L'installation doit donc être précédée par une information sérieuse, être préparée, être progressive. La charte prévoit cela. Demain, de plus en plus de jeunes qui ne sont pas fils de paysans rejoindront l'agriculture. Il faut imaginer les moyens de les attirer et de les garder dans les exploitations. Je salue, dans ce domaine, le courage de vos réflexions. C'est un témoignage supplémentaire de la vitalité de notre agriculture.
Un choix de société
Mais ce n'est pas la seule ambition de ce nouveau dispositif.
Il y va aussi du visage que nous voulons donner à la France bien au-delà de l'an 2000. Le véritable enjeu, c'est celui de notre société et de notre territoire : « allier la performance économique avec le maintien d'une forte position exportatrice », c'est l'ambition naturelle d'une agriculture productive, moderne et compétitive. Mais « assurer la gestion de près des deux tiers de notre territoire, apporter une contribution positive à la politique de l'emploi et tenir compte des spécificités des lieux ou des productions, pour que demain notre agriculture reste à visage humain », comme l'annonce le préambule de la charte signée aujourd'hui, cela résulte d'un choix de société.
Je voudrais m'y arrêter un instant, car j'y vois une réponse, volontariste et concertée, au problème majeur de notre temps, celui de la confiance que nos concitoyens doivent retrouver dans l'avenir.
Volontariste, car il faut de la volonté pour choisir la voie de l'installation agricole. La Charte nationale pour l'installation veut vous fournir les sept clefs de la réussite. Je ne commenterais pas le détail des mesures. Vous les avez discutées ce matin et vous aurez l'occasion de les décliner jour après jour dans chaque département et sur chaque projet de jeunes en cours d'installation.
Bien sûr, tout n'est pas encore parfait, tout ne fait que commencer, mais la voie est ouverte, elle est tracée, nous la suivrons ensemble avec vous.
Concertée, cette politique de l'installation l'a été depuis son origine. Après l'adoption de la loi de modernisation au début de cette année, vos organisations professionnelles n'ont eu de cesse de proposer, de négocier, d'adapter les dispositions permettant aux jeunes agriculteurs d'assurer la relève. La présence, ici, des représentants de l'ensemble des organisations agricoles montre bien dans quel esprit de concertation et de solidarité entre les générations, ce travail a été mené.
Bien sûr, le Centre national des jeunes agriculteurs, et tout particulièrement Christiane Lambert, ont pris plus que leur part, dans la concertation conduite tout l'été avec les pouvoirs publics. Le résultat est là, et tous peuvent en être remerciés. C'est un premier pas substantiel fait dans la bonne direction. Il nous appartiendra de l'améliorer au fil du temps.
L'installation conforte la compétitivité de notre agriculture et sa vocation exportatrice, car notre économie agricole a besoin de jeunesse, de volonté et d'ambition. L'installation contribue à l'aménagement du territoire en vivifiant des zones menacées de désertification. L'installation oeuvre au resserrement de la cohésion sociale en aidant les jeunes à choisir le métier d'agriculteur.
En un mot, l'installation marque la confiance que la France peut avoir en son avenir.
De tous les secteurs économiques, l'agriculture est celui qui a connu les plus grands changements, qui a relevé les plus grands défis depuis trente ans. Et en même temps, c'est celui auquel les Français restent le plus attachés, où ils retrouvent volontiers leurs racines.
L'exemple que vous donnez, et aussi ma propre conviction, c'est qu'avec l'agriculture, c'est l'avenir et le visage de la France du XXIe siècle, qui se dessinent aujourd'hui.