Texte intégral
Date : 25 octobre 1995
Source : Les Échos
Les Échos : Nos partenaires soupçonnent la France d’absence de stratégie visible sur l’Europe. Et certains Allemands regrettent d’être confrontés à un vide, à une absence de propositions. Quel est votre sentiment ?
Michel Barnier : Je suis pourtant sûr de l’ambition, de la volonté européenne de Jacques Chirac et d’Alain Juppé. Il n’est pas faux de dire que le « oui » à Maastricht l’a emporté notamment parce que Jacques Chirac a voté « oui ». Personne ne peut l’oublier. Parce que c’était à une époque où les arguments de ceux qui militaient pour le « non » n’étaient pas médiocres. Il y avait un vrai risque de rupture ou de division au sein du parti lui-même que présidait Jacques Chirac. Le choix qu’il a fait à ce moment-là a été non seulement courageux et responsable, mais aussi durable. Depuis son élection à l’Élysée, les signaux n’ont pas manqué. Relisez le discours du président de la République devant les ambassadeurs de France en août dernier et vous y trouverez une ligne, des propositions et une ambition.
Il était aussi légitime que Jacques Chirac prenne le temps, après son élection, de mesurer personnellement les sentiments des uns et des autres. La volonté politique française ne fait aucun doute : il s’agit de consolider l’Union européenne comme une zone de paix et de prospérité.
Les Échos : Pourtant le temps presse ? En l’absence d’une nouvelle et rapide dynamique franco-allemande, ne prend-on pas le risque d’une Europe du libre-échange dont rêvent depuis longtemps les Britanniques ?
Michel Barnier : Il y a en effet les intentions de ceux qui peuvent prendre leurs rêves pour des réalités, et il y a quelques arrière-pensées. Je veux vous dire le fond de ma démarche et ce pourquoi je suis là. Au poste où je me trouve, je resterai l’un des militants de la coopération franco-allemande. Et le moment est venu de la relancer. Que l’Allemagne reste solidaire ou redevienne solitaire, cela dépend de nous.
Les Échos : Alors comment expliquer ce reproche de manque de vision ?
Michel Barnier : Il y a ceux qui doutent quelquefois de la France, ceux qui ne sont pas habitués à voir un gaulliste à la présidence de la République. Il faut qu’ils s’y fassent. C’est la première fois depuis 1974. Jacques Chirac est là pour sept ans. Il faut que nos partenaires prennent aussi l’habitude d’entendre un président français dire ce qu’il pense sans détours. Jacques Chirac réagit avec son tempérament, ses mots, son souci des gens, et d’abord les plus faibles. Ne reprochons pas au président de tirer les leçons du passé et des risques que nous avons pris, notamment au moment de Maastricht, quand la construction européenne a failli être interrompue par un vote négatif.
Le danger existe toujours d’une incompréhension, d’une indifférence, d’une colère injuste à l’égard de l’Europe, qu’on fasse porter à Bruxelles, un peu comme à un bouc émissaire, l’ensemble de nos difficultés ou parfois même de nos insuffisances. Il faut un travail d’explication et de dialogue, permanent.
Les Échos : Pour que l’Europe ne soit pas un bouc émissaire, ne faut-il pas un signal politique fort franco-allemand ?
Michel Barnier : Oui. Le geste fort, c’est une position commune franco-allemande réaffirmée pour les décisions déjà prises et une étape supplémentaire sur le plan politique et diplomatique. Il faut pourtant se méfier des mots. Tenons ensemble les engagements déjà convenus et qui sont considérables sur le plan économique et monétaire. Jacques Chirac est déterminé sur cet objectif et ce calendrier. Il n’y a pas de doute. Avoir une monnaie unique en Europe, c’est un acte refondateur pour l’Union européenne. Il y a ensuite l’idée que l’UEM doit s’accompagner d’un progrès dans l’Union politique.
Les Échos : Comment, dans ces conditions, voyez-vous la conférence intergouvernementale de 1996 ?
Michel Barnier : Je parle en effet de 1996 et de cette étape nouvelle pour la politique étrangère, la sécurité et la défense que la CIG devrait concrétiser, par parallélisme avec Maastricht qui a été celle de la solidarité monétaire. Avec un calendrier, des « critères de convergence », des objectifs à court et moyen terme. Mon souhait est que nous préparions 1996 avec les Allemands d’abord, comme l’étape de la solidarité diplomatique. L’Allemagne est convaincue de l’importance de cet enjeu : quand le chancelier Kohl parle de la guerre et de la paix en Europe, il n’évoque pas seulement le passé, il pense aussi aux risques de déstabilisation pour l’avenir. Bien sûr, cela n’exclut pas a priori les Anglais ni les autres pays qui ont tous quelque chose à dire.
Les Échos : Et au plan de l’organisation politique proprement dite ?
Michel Barnier : Les citoyens sont davantage attentifs à la politique étrangère commune qu’aux questions de mécanique institutionnelle. Même si ces problèmes sont importants pour fonctionner à vingt ou vingt-deux… Qu’il y ait moins de commissaires, plus de votes à la majorité qualifiée, une nouvelle pondération des voix, moins de procédures de décision au Parlement européen, une présidence groupée éventuellement en plusieurs pays, sont autant de données incontournables.
Les Échos : Et vous croyez que les citoyens européens seront davantage passionnés par la politique étrangère commune ?
Michel Barnier : Oui ! Quand on interroge les Français, après quatre ans de crise et souvent d’impuissance européenne sur la Bosnie, ils disent qu’il faut une politique étrangère commune. Mais le préalable est qu’il y ait une volonté commune des chefs d’État et de gouvernement. C’est à eux de le dire. Je sais que Jacques Chirac a cette volonté et je suis sûr que le chancelier Kohl l’a aussi, même si l’histoire de nos diplomaties n’a pas été toujours commune. L’histoire est une chose, l’avenir en est une autre. Il faut aujourd’hui créer un lieu de solidarité diplomatique, un lieu d’échanges et de confrontation des points de vue. La proposition française est de créer non pas une institution nouvelle, mais un poste de haut niveau, auprès des chefs d’État et de gouvernement, sous la forme d’un secrétaire général ou d’un haut représentant chargé de la PESC, qui pourrait animer, préparer, puis exécuter, le cas échéant en liaison avec la Commission les décisions de politique étrangère et de sécurité. C’est le préalable à l’idée, nécessaire, d’une défense commune à l’Europe. Donc, à l’évolution de l’Alliance atlantique.
Les Échos : Les Allemands y sont-ils favorables ?
Michel Barnier : L’idée fait son chemin comme l’idée que j’ai moi-même soutenue à titre personnel que ce « M. PESC » soit un jour et en même temps le secrétaire général de l’UEO. De leur côté, les Britanniques sont aussi soucieux de doter l’Union européenne d’une voix et d’un visage en matière de politique étrangère et de sécurité.
Les Échos : Jacques Chirac n’a-t-il pas donné une image brouillée de sa politique européenne, notamment sur l’accord de Schengen ?
Michel Barnier : Évitons les mauvais procès. Je suis de très près le dossier Schengen. En juin, quand nous avons décidé de faire appel à la clause de sauvegarde, il n’y avait pas de menace terroriste. Après les trois premiers mois d’application, il restait des dysfonctionnements sérieux, notamment dans la lutte contre la drogue, qui préoccupe personnellement le président de la République. Nous avons donc présenté un mémorandum. On nous a alors suspectés de vouloir camoufler un problème de politique intérieure… Mais quelques semaines plus tard, la présidence belge de l’espace Schengen a soumis un programme de travail en onze points qui reprenait plusieurs de nos propositions et nous avons abouti depuis à de vrais progrès.
Aujourd’hui, il reste une question de fond et une question d’actualité. La question d’actualité, c’est celle du terrorisme. La question de fond est celle de l’harmonisation des politiques européennes au sein d’un même espace, notamment contre la drogue. Il ne s’agit pas seulement de supprimer les contrôles aux frontières fixes mais de mettre en place une politique d’asile, de maîtrise de l’immigration, de visas, d’information mutuelle. Bref, la liberté mais aussi la sécurité en commun. Aussi je souhaite qu’on travaille à un nouveau concept, celui de « frontières mobiles ».
Les Échos : Qu’entendez-vous par frontières mobiles ?
Michel Barnier : Dans la zone des vingt kilomètres telle qu’elle est prévue dans Schengen, il faudrait instaurer des contrôles aléatoires, réguliers, mobiles. Ils seront finalement plus efficaces s’ils sont rigoureux. Avec des moyens communs, des commissariats communs – nous venons d’en créer une dizaine notamment entre la France et l’Espagne, et nous allons en créer d’autres encore avec l’Allemagne, avec la Belgique – et des équipes communes.
Les Échos : Sur un autre dossier très sensible, le nucléaire, nos partenaires ont été choqués par l’absence de concertation. Comment réagissez-vous à la prise de position de la Commission ?
Michel Barnier : La Commission et son président ont travaillé sur ce dossier sensible avec rigueur et avec objectivité. Et, de notre côté, nous avons voulu pratiquer la transparence. Il y a eu ici ou là, dans telle ou telle capitale et au Parlement européen, quelques procès d’intention contre la France. Pourquoi reprocher à Jacques Chirac aujourd’hui ce qu’on ne reprochait pas à François Mitterrand, qui a fait procéder à 86 essais nucléaires. Et puisque vous parlez de la défense, j’observe simplement qu’il n’y a jamais eu de concertation sur la dissuasion nucléaire jusqu’à présent en Europe. Jacques Chirac a pris soin d’informer l’ensemble des partenaires de la reprise de ces essais, au sommet d’Halifax, ensuite à Cannes, très simplement et très franchement. Jacques Chirac a pris une décision difficile et nécessaire. Il l’a expliquée et justifiée non seulement pour l’intérêt de la France mais aussi pour la stabilité en Europe. Il y aura toujours des gens pour s’opposer à tout armement et à l’idée même de la dissuasion. Il y aura toujours des gens qui auront la mémoire courte.
Les Échos : Entre le message ressenti comme nationaliste par certains et la nécessité de réfléchir à une dissuasion nucléaire européenne, il y a pourtant comme un hiatus ?
Michel Barnier : Ce qui provoque ce hiatus, c’est la simultanéité de l’offre française de dialogue avec la polémique sur les essais nucléaires.
Les Échos : Il n’y a pas là un champ de coopération franco-allemande ?
Michel Barnier : J’en suis sûr, ainsi qu’avec le Royaume-Uni qui dispose d’une force de dissuasion intégrée aujourd’hui à l’OTAN et d’autres pays encore. Le mérite de cette polémique aura été de poser le problème. Dans quelques mois, les essais seront terminés, mais le problème de la défense commune en Europe restera posé. Voulons-nous un pilier plus européen de l’Alliance atlantique et quelle place la dissuasion tiendra-t-elle ? Ce sont des questions auxquelles il nous faut absolument réfléchir, mais le préalable reste que nous affirmions une volonté d’avoir une politique étrangère commune. Nous n’échapperons pas à ce défi.
Les Échos : Pensez-vous vraiment que le président de la République dispose d’une majorité politique pour, de Schengen à l’UEM, réussir à tenir ses engagements européens ?
Michel Barnier : Oui. Jacques Chirac a été élu sur un projet européen clair. Et puis une majorité politique se construit et se gagne. Sur les questions européennes, elle traverse d’ailleurs de manière indistincte les courants politiques et les partis. C’est une faiblesse, mais cela peut être une chance aussi. On peut réunir une majorité d’idées à condition de le vouloir et de pratiquer le volontarisme, mais aussi la transparence à l’égard des citoyens. Jusqu’à présent, nous avons construit l’Europe dans le silence. Elle a trop été l’affaire éclairée des diplomates, des hommes politiques, des banquiers et des marchands. Il faut croire en l’intelligence du peuple, écouter, respecter, informer les citoyens. Voilà pourquoi j’ai entrepris une tournée en province. Et j’ai commencé par la Picardie, la Région la plus hostile à Maastricht, puisque le vote négatif a atteint 57% ! Il faudra en permanence refaire la preuve de l’Europe.
Date : 26 octobre 1995
Discours devant la DGAP
Mesdames et Messieurs,
Je suis très reconnaissant à la DGAP de me donner l’occasion d’expliquer devant un public aussi prestigieux ce qu’est la vision française pour l’Union européenne des dix prochaines années.
C’est un honneur d’autant plus grand pour moi que les relations franco-allemandes sont à la base de mon engagement politique : c’est en effet à la suite de la rencontre historique entre le chancelier Adenauer et le général de Gaulle que je suis devenu, en même temps, gaulliste et européen.
Des années plus tard, je continue à penser que la réconciliation franco-allemande a été un événement considérable, peut-être l’événement le plus considérable pour le continent européen pour la deuxième moitié du vingtième siècle, en tout cas jusqu’à la réunification allemande et la dislocation du système soviétique.
Il ne faut pas oublier que depuis le dix-neuvième siècle, la géopolitique du continent européen a été marquée par l’équilibre des puissances et, dans ce contexte, par l’antagonisme entre la France et l’Allemagne.
Les tentatives de réconciliation ne furent souvent qu’éphémères.
Et il a fallu que deux personnalités historiques, qui toutes deux symbolisaient un renouveau pour leur propre pays, décident de briser les fatalités antérieures et de se tendre la main et d’œuvrer en commun pour la paix et la prospérité de leur continent.
Le résultat a été impressionnant : les efforts conjugués de la France et de l’Allemagne ont permis la création du système européen de coopération le plus perfectionné, le plus évolué, le plus solide aussi de l’histoire de notre continent. Allemands et Français ont été au cœur de cette aventure, dont le succès s’est traduit par les élargissements successifs. À six, à neuf, à dix, à douze puis à quinze, l’Allemagne et la France ont toujours été là, ensemble malgré le poids de leurs différends historiques, pour poursuivre le but inscrit dans le traité de Rome : établir les fondements d’une union sans cesse plus étroite entre les peuples européens.
Après tant de loyaux services, faut-il recommander à la coopération franco-allemande de prendre un peu de repos ? Ce serait une grave erreur. L’Europe a en effet connu ces dernières années des bouleversements considérables : la chute du Mur, la conversion des ex-pays satellites de l’URSS à la démocratie et à l’économie de marché, la dislocation du système soviétique mais aussi la guerre en ex-Yougoslavie, la montée des risques de déstabilisation dans les pays méditerranéens non européens, et un scepticisme grandissant dans les opinions publiques d’Europe occidentale vis-à-vis de la construction européenne, en particulier après les difficiles débats de ratification du traité de Maastricht.
L’Europe paraît plus libre qu’il y a quelques années, avec comme plus grand symbole la réunification de l’Allemagne, et l’intégration sans heurts des länder de l’Est dans l’Union européenne, mais l’Europe paraît aussi déstabilisée : plus que jamais, l’Europe manque d’un pôle stabilisateur, d’une force de liberté, de paix et de prospérité. Voilà le destin, historique, de l’Union européenne.
Pour être à la hauteur de son destin, l’Union doit s’adapter au nouveau contexte européen. Cette adaptation est la priorité de la coopération franco-allemande. Face à un nouveau monde rempli d’autant d’espoirs que d’incertitudes, la France et l’Allemagne doivent resserrer les rangs.
En ce qui concerne la France, nous avons à la fois la volonté et les moyens d’être à la hauteur de cette tâche historique.
La volonté ne doit plus faire de doute. Une élection présidentielle a eu lieu il y a quelques mois en France ; et c’est toujours un événement politique important en Europe. Le président Chirac est clairement un gaulliste européen. Il l’a prouvé maintes fois, en particulier en sauvant la ratification du traité de Maastricht en France, lorsqu’il s’est engagé, contre une bonne partie de son camp, en faveur du « oui ». Il le prouve encore en réaffirmant la place essentielle du couple franco-allemand dans la construction européenne, comme il a pu le redire directement hier soir, ici à Bonn, au chancelier Kohl.
Le président, dans un discours de la fin août 1995, a rappelé aux ambassadeurs français du monde entier que la priorité de la diplomatie française est la réussite de l’Union, la transformation de l’Europe en une zone de paix et de prospérité. C’est le grand enjeu de la politique étrangère de son septennat.
Si le président a été élu sur cette base, qui était déjà clairement exprimée au cours de la campagne électorale, c’est que la volonté de construire l’Europe est encore forte au sein du peuple français malgré les doutes et les critiques (pas toujours injustifiés) à l’égard du fonctionnement actuel des institutions européennes. Lorsqu’ils sont interrogés par sondage, les Français expriment souvent leur confiance dans le travail commun franco-allemand, et leurs demandes pour que les leçons de nos dysfonctionnements en ex-Yougoslavie soient tirées et qu’une véritable politique étrangère commune soit construite au sein de l’Union.
Je suis aussi convaincu que le peuple français comprend qu’une grande partie de son avenir se joue dans la réussite de l’Union européenne. Mais le peuple français devra cette fois être traité en adulte et non pas mis devant le fait accompli, comme cela a été le cas avec le référendum sur le traité de Maastricht. Plus que jamais, il va surtout falloir expliquer où nous allons, et comment nous y allons. Si ces conditions sont respectées, l’attachement des Français à la construction ne fait, pour moi, aucun doute.
Mon pays n’a pas que la volonté, il a aussi les moyens de son ambition européenne. Pourtant, plus les échéances de l’Union économique et monétaire se rapprochent plus les doutes semblent se multiplier, en Europe, sur les capacités de l’économie française à répondre aux critères demandés. La France serait-elle à ce point fragile et incertaine ? Je m’en tiendrai à quelques observations.
Je remarque que les opinions sur les états des pays changent vite. Beaucoup trop vite. Il n’y a pas si longtemps beaucoup de bons esprits s’interrogeaient sur l’état soi-disant dramatique du tissu économique allemand : on multipliait alors les conférences, en Allemagne même, sur la perte de compétitivité, jugée définitive à l’époque, de l’industrie allemande, on rappelait que le temps des excédents commerciaux faisait partie du passé, on soulignait la gravité des déficits publics.
Peu avant cette période, pas si lointaine, les États-Unis d’Amérique étaient dans la ligne de mire : on disait, et ceci en Amérique même, que l’économie de ce pays était désormais dépassée, que son industrie ne faisait plus le poids face aux concurrents européens et asiatiques.
Alors, aujourd’hui, gardons-nous de penser que les atouts de la France ont disparu. Mon pays est une des plus dynamiques puissances économiques du continent européen, l’un des tout premiers exportateurs mondiaux, qui, malgré un accroissement régulier du taux de change effectif de sa monnaie, accumule les excédents commerciaux et courants.
Mesdames et Messieurs, on sous-estime la France.
La morosité ambiante est un arbre qui cache la forêt. Il faut faire des efforts budgétaires, tout le monde en est maintenant convaincu. Nous les ferons : non pas seulement à cause des critères de l’UEM, mais parce que la puissance économique et la prospérité de mon pays ne sont pas compatibles avec des déficits excessifs. Le président de l’Assemblée nationale, Philippe Séguin, l’a rappelé il y a quelques jours avec vigueur.
La France a donc à la fois la volonté et les moyens économiques de perpétuer et de renforcer avec l’Allemagne une alliance qui a été féconde, et qui se révèle, au tournant de ce siècle, vitale pour l’Europe.
Quelles sont les principales échéances qui attendent cette coopération franco-allemande ?
L’Union européenne a d’ores et déjà programmé deux changements fondamentaux :
- La monnaie unique bien sûr, dont j’ai déjà parlé, qui sera le mode de coopération européenne le plus avancé au sein d’un groupe de pays, et qui est destiné à s’étendre, avec en son centre la France et l’Allemagne. Je redis, ici devant vous, pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, que la volonté et les moyens de la France seront présents lors du rendez-vous monétaire. Et nous souhaitons bien sûr que ce soit la même chose en Allemagne.
- L’élargissement à l’Est et au Sud sera le second changement fondamental, avec toutes les conséquences sur le fonctionnement des institutions et sur l’équilibre européen : une Europe, pour exister véritablement en tant que communauté à 20 ou 27, ne fonctionnera pas comme une union à 15.
C’est dans ce contexte que se déroulera la Conférence intergouvernementale (CIG) de 1996.
La CIG a d’abord comme objectif préalable de donner à une Union élargie les moyens d’un fonctionnement efficace. La CIG est donc un préalable indispensable à l’élargissement.
Mais la CIG de 1996 doit surtout donner à l’Union une nouvelle impulsion vers cette « union sans cesse plus étroite » entre ses membres que prévoient les traités. Les observateurs l’ont relevé, l’Europe aujourd’hui se manifeste surtout par la perte de légitimité de ses institutions, une faible efficacité de la politique étrangère commune lors de crises graves lors de crises graves sur le continent européen, une implication bien suffisante des parlements nationaux dans le processus de décision. Bref, un sentiment populaire général à de nombreux pays que l’Union ne s’intéresse pas aux questions qui concernent vraiment les citoyens.
L’Allemagne et la France sont, plus que d’autres, comptables de la capacité de l’Europe à trouver ainsi un nouvel élan.
Enfin, il faut rappeler que la CIG ne traitera pas de l’UEM, puisque les conditions de mise en place et le calendrier de la monnaie unique figurent déjà dans le traité de Maastricht, ratifié en particulier par le peuple français. Cela ne veut pas dire que l’UEM ne sera pas dans tous les esprits lors de la CIG : un tel changement dans la nature de la coopération entre États membres aura d’importantes conséquences politiques dans l’Union. C’est même un but recherché de l’UEM. Mais rouvrir le débat de l’UEM lors de la CIG ferait courir un risque clair pour la réalisation du calendrier déjà agréé, alors que nous entrons dans une période aussi cruciale que délicate.
Il est acquis que la CIG ne parlera pas non plus des questions budgétaires, le débat étant prévu pour 1999.
Que visons-nous pour cette CIG ? Comment aboutir à plus d’Union européenne ?
Lorsqu’on replace la CIG dans son contexte, on comprend qu’il faut une conférence à la fois courte et « ciblée » sur les changements institutionnels nécessaires, pour éviter l’enlisement et un télescopage avec les autres échéances de l’Union : mise en place de la monnaie unique, début des négociations d’élargissement, rendez-vous budgétaire.
Le président Chirac a défini les grands objectifs de la CIG, qui sont le point d’appui de la position française :
– Il nous faut d’abord une Union plus efficace et plus juste : cela signifie qu’il faut étendre la majorité qualifiée partout où cela est nécessaire pour le premier pilier, cela implique dans le même temps une pondération plus juste, c’est-à-dire en fait une égalité de chaque citoyen de l’Union. C’est indispensable avec la perspective de l’élargissement.
– Une Union plus démocratique : les Parlements nationaux restent l’expression légitime de la représentativité populaire. On ne peut dès lors leur substituer d’instances représentatives d’essence supérieure, y compris au sein de l’Union. Dès lors que celle-ci doit s’approfondir, des domaines propres aux parlements nationaux, comme la justice, sont désormais concernés. C’est pourquoi ils doivent être associés aux décisions. La France a lancé l’idée d’un « conseil parlementaire » sur la subsidiarité et le troisième pilier. C’est un élément important pour la France.
– Une politique étrangère et de sécurité commune digne de ce nom. C’est, me semble-t-il, une des grandes ambitions de la CIG que de permettre à nos pays d’y parvenir. C’est avec ce souci que la France a proposé un secrétaire général ou un « haut représentant PESC », nommé et contrôlé par le Conseil européen, agissant sur mission pour les tâches prioritaires définies par le Conseil européen. Un nouveau débat pour la coopération en matière de défense doit également avoir lieu.
– Une Europe plus proche des citoyens : il faut s’occuper avec plus d’efficacité des questions de terrorisme, de drogue, de grande criminalité, car il faut apporter une réponse continentale à des problèmes continentaux. Sur toutes ces matières dites du troisième pilier, la France adopte une attitude pragmatique, avec le seul but d’aboutir en 1996 à une coopération plus efficace, qui renforcera la sécurité des Européens. C’est un domaine où, je le répète, la France plaide pour une plus grande implication des parlements nationaux. La France entend aussi réaffirmer la vocation humaniste et sociale de l’Union : j’ai proposé au groupe de réflexion de créer un service humanitaire européen volontaire, adressé en priorité aux jeunes Européens. Un tel service pourrait avoir un volet militaire humanitaire et un volet civil. On pourrait commencer par identifier, dans plusieurs États membres, quelques bataillons qui pourraient être mobilisés lorsqu’une action humanitaire de l’Union s’impose. Il ne s’agit que d’une piste de réflexion personnelle, mais je crois en la nécessité, au-delà de toute réforme institutionnelle, de démontrer aux jeunes Européens que l’Union européenne peut leur offrir les moyens concrets d’être utiles, en diffusant les valeurs européennes par excellence que sont la défense de la paix et des droits de l’homme, et la lutte contre la souffrance et la misère.
– Enfin, une Europe plus souple, adaptée à l’élargissement : la France proposera une clause générale, qui permettra des coopérations renforcées entre quelques États membres avec le soutien de l’Union lorsque le Conseil l’accepte. Ceci sera particulièrement utile après l’élargissement.
Voici les orientations françaises qui guident mes propos au cours des travaux du groupe de réflexion sur la CIG, auxquels je participe aux côtés de Werner Hoyer.
Ce groupe de réflexion n’est pas une instance de négociation mais est chargé de préparer un rapport que je souhaite court et politique pour le Conseil européen de Madrid, ce Conseil européen devant fixer une date pour l’ouverture de la CIG et donner les grandes orientations sur l’ordre du jour de cette conférence.
La France a une position médiane dans la future négociation. Notre pays privilégie souvent les solutions pragmatiques, ce qui le rend inclassable : ni dans le camp des « fédéralistes », ni dans celui des « intergouvernementaux » et d’ailleurs nous savons bien que ces distinctions sémantiques sont dépassées.
Ainsi, la France ne partage pas les réticences du Royaume-Uni vis-à-vis d’une extension quasi-généralisée de la majorité qualifiée pour le premier pilier. Mais la France conditionne cette évolution par une demande d’un réajustement important des pondérations des voix au Conseil, dans un sens de plus grande justice. Sur le troisième pilier, la France ne veut pas non plus se poser comme « communautariste » ou comme « intergouvernementale », mais entend à chaque fois retenir la solution la plus adaptée, sujet par sujet.
Ainsi, nous réfléchissons à la possibilité d’améliorer le fonctionnement actuel des conventions internationales et l’efficacité des actions communes pour le troisième pilier, le résultat devant être l’accroissement de la sécurité de nos citoyens.
On assiste aussi, au sein du groupe, à un intéressant débat sur la proposition du président de la République française de donner « une voix et un visage » à la PESC. Le rôle du Conseil européen sera dans le domaine de la PESC central : c’est lui qui nommera le haut représentant ou le secrétaire général pour la PESC, c’est lui qui précisera dans le détail les missions de ce « M. PESC ». C’est grâce à lui que ce secrétaire général PESC aura l’autorité nécessaire pour travailler avec le conseil Affaires générales et les administrations des États membres, ainsi qu’avec la commission, puisque le président de la commission participe au Conseil européen.
Disposant de la confiance des États membres et de l’autorité que lui donne cette confiance, ce secrétaire général PESC devrait être en mesure de recevoir les informations diplomatiques en provenance des capitales européennes, et de faire travailler efficacement les experts nationaux compétents pour une action commune donnée.
L’ex-Yougoslavie nous aura en effet démontré le besoin concret d’améliorer la coordination des politiques étrangères des États membres en période de crise européenne. Ainsi, les Français et les Allemands ont eu beaucoup de mal à surmonter leurs divergences de vues dans l’affaire yougoslave, et ceci a sans doute nui à l’efficacité de l’action de l’Union. L’une des tâches majeures du secrétaire général PESC sera donc d’améliorer le travail en commun des diplomaties des États membres pour aboutir à temps à une analyse commune des situations de crise et donc à la définition d’actions vraiment communes de l’Union, adaptée à ces situations.
La coopération franco-allemande dans cet exercice de préparation de la CIG a, pour l’instant, été exemplaire. La rencontre, que je sais fructueuse, entre le président de la République et le chancelier, hier soir, semble nous assurer que la France et l’Allemagne sauront donner l’impulsion nécessaire à une réforme des institutions adaptée aux changements que le continent européen a connus.
À mon niveau, j’ai pu noter la remarquable convergence de vues entre nous au groupe de réflexion. Nos rencontres bilatérales se sont multipliées, et nous nous reverrons pour le séminaire franco-allemand du 13 novembre et le sommet de Baden-Baden le 7 décembre. Le résultat est que sur la tactique comme sur le fond, une approche commune franco-allemande se dégage.
Je remarque en effet que l’Allemagne comme la France s’orientent vers une CIG centrée sur l’essentiel, répondant avant tout aux besoins de plus d’efficacité, de légitimité, de démocratie et de sécurité.
Que se passera-t-il après la CIG ?
Nous souhaitons une ratification dans le courant de l’année 1997, ce qui permettrait d’avoir un horizon dégagé pour la mise en place de la troisième phase de l’UEM, et pour le début des négociations d’adhésion.
Ceci m’amène à un sujet essentiel, l’élargissement.
Je voudrais d’abord dire que la France se prépare avec chaleur et sans aucune arrière-pensée à la réunification effective de l’Europe au sein de l’Union européenne. C’est la véritable destinée des institutions que nous avons construites.
Encore faut-il que les conditions d’efficacité de ces institutions soient réalisées, et ceci dépendra bien sûr du résultat de la conférence gouvernementale. Sans une CIG réussie, nous risquons d’aboutir après l’élargissement à une sorte de « monstre institutionnel », sans homogénéité, sans direction politique, paralysé par ses luttes internes. Sans véritable politique étrangère et de sécurité commune, quelle sera la stabilité d’un tel ensemble ? Sans changement des pondérations au Conseil, quelle sera la légitimité de ses décisions ? C’est parce que l’élargissement est une étape essentielle dans l’histoire du continent européen, que la CIG est un préalable incontournable.
Mais la CIG ne suffira pas en elle-même à assurer la stabilité d’un nouvel ensemble que nous aurons créé. Il faudra en effet disposer des moyens d’assurer notre sécurité, moyens qui ne dépendront pas tous d’une évolution institutionnelle. L’Europe de la défense est une urgence que l’élargissement rend plus pressante encore.
Que signifie l’Europe de la défense ? Ceci impose d’abord qu’au cours de la Conférence intergouvernementale, une véritable politique étrangère commune puisse se développer, préalable indispensable à toute politique de défense. Au cours de la CIG, il faudra aussi préciser que l’UEO est bien le bras armé de l’Union européenne, le bras armé de ses actions communes. À mes yeux, le futur secrétaire général de la PESC devra avoir un rôle dans ce domaine, et je suis donc favorable, comme mon collègue et ami Werner Hoyer, à ce qu’il assume en même temps les fonctions de secrétaire général de l’UEO.
L’Europe de la défense exige aussi que nous réussissions ensemble la grande réforme de l’OTAN. L’implication militaire des États-Unis sur le continent européen est nécessaire. Mais elle n’est pas suffisante pour régler les crises européennes, et les États-Unis eux-mêmes nous encouragent à développer ce « pilier européen », ces forces séparables et non séparées que les Européens pourraient utiliser lorsqu’une crise grave mais limitée se déroule sur leur continent.
L’UEO devrait aussi disposer d’un minimum de moyens permanents, un secrétariat général, dont j’ai déjà parlé, une capacité d’observation (c’est la question des satellites européens, où la coopération franco-allemande doit être sans failles), et une cellule de planification, capable de gérer les opérations de ces forces séparables.
À terme, l’UEO pourra se fondre dans l’Union européenne. C’est un objectif de moyen et long terme, que Français et Allemands partagent. À court terme, c’est l’étape de la CIG qu’il faut réussir, et c’est la réforme de l’OTAN et le développement des moyens propres minimaux de l’UEO qu’il faut mener à bien.
Mesdames et Messieurs,
L’Europe est donc devant une série d’échéances difficiles, à un tournant de son histoire. Elle doit faire la preuve de sa capacité à s’adapter aux changements considérables survenus ces dernières années.
Les difficultés seront énormes. On peut imaginer de nombreux scénarios de crise, pour chaque étape, pour la CIG avec des problèmes éventuels de ratification dans un ou plusieurs États membres, pour la monnaie unique (vos journaux sont pleins en ce moment de tels scénarios), pour l’élargissement (il peut y avoir de forts désaccords entre États membres sur les conditions et l’ampleur de l’élargissement), et aussi pour l’échéance budgétaire de 1999, échéance importante s’il en est.
Mais on peut aussi adopter un autre point de vue, et c’est bien le mien : Français et Allemands sont condamnés au succès. Les deux pays ne peuvent pas imaginer une Europe stable, une Europe pacifiée, une Europe démocratique et libre, sans une Union européenne suffisamment forte, efficace, légitime, influente.
La France et l’Allemagne, qui partagent cette vision, doivent s’efforcer de convaincre leurs partenaires qu’il n’y a pas d’issue meilleure pour ce continent.
La France et l’Allemagne, qui vont s’engager avec l’union monétaire dans la coopération la plus poussée de l’histoire européenne, doivent conjuguer leurs forces pour réussir la réforme de l’Union.
La France et l’Allemagne savent qu’elles sont attendues en cette heure cruciale. Non seulement par leurs partenaires européens, mais aussi par l’Histoire.
Nous ne devons pas manquer de rendez-vous.
Je vous remercie de votre attention.
Date : 27 octobre 1995
Entretien avec la chaîne de télévision allemande N-TV
Q. : Jacques Chirac a mis beaucoup de temps avant de remettre en marche le moteur franco-allemand ou a mis trop de temps ; c’est ce que pensent quelques personnes à Bonn, mais il faut quand même dire que le président français a rendu visite au chancelier Kohl et qu’un jour plus tard, il envoie son ministre chargé des Affaires européennes, M. Barnier, ici, sur les bords du Rhin. Et M. est aujourd’hui notre invité au studio.
Soyez les bienvenus, Mesdames et Messieurs, soyez le bienvenu, Monsieur Barnier.
R. : Merci de m’accueillir. Je suis moi aussi très heureux de cette occasion de dialoguer avec vous. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec la manière dont vous avez présenté la récente rencontre mercredi soir entre Helmut Kohl et Jacques Chirac. Jacques Chirac n’a pas mis beaucoup de temps pour relancer ou renforcer la coopération franco-allemande. Il a été élu au mois de mai, le 7 mai, quelques jours plus tard il a fait signe au chancelier Kohl pour qu’ils se voient, il y a eu un dîner informel à Strasbourg et quelques semaines plus tard la réunion du Conseil européen à Cannes, puis une autre réunion en Espagne et il est venu cette semaine à Bonn. Moi je trouve que c’est presque une rencontre chaque mois, mais peut-être qu’il en faut plus. C’est pour cela aussi que je suis venu à Bonn pour dialoguer. Mais, prenons l’exemple de mon collègue Werner Hoyer. Nous nous voyons pratiquement chaque semaine, depuis six mois presque chaque semaine.
Q. : Monsieur le ministre, on a quand même en Allemagne un peu l’impression qu’il a des grains de sable dans le moteur de l’axe Paris-Bonn. Et la question que je veux vous poser est la suivante : vous a-t-on maintenant envoyé à Bonn avec mission de recoller les bouts ?
R. : Non, je suis venu dans le cadre normal de mon travail, pour rencontrer ceux qui animent la politique allemande et notamment la politique européenne de l’Allemagne. Je connais bien Werner Hoyer. Nous avons des liens très proches maintenant et très amicaux, mais je connaissais moins bien ou mal d’autres dirigeants allemands. N’oubliez jamais, quand vous parlez de la coopération franco-allemande, quand vous parlez de ces grains de sable : il y a ce qu’on lit dans les journaux, ce que craignent certaines personnes, et puis il y a la vérité, la réalité. La vérité et la réalité, c’est que Jacques Chirac est président de la République depuis six mois, qu’il y a un nouveau gouvernement et qu’il faut du temps, le temps de nous connaître pour que notre relation – d’abord au sommet entre le chancelier et le président et puis entre les autres – soit sincère et qu’elle ne soit pas artificielle. Moi je ne crois pas aux relations préfabriquées, notamment quand on veut que ces relations soient profondes et amicales. Donc, je trouve que les choses vont bien, je trouve que c’était important que Jacques Chirac et le chancelier se rencontrent de manière informelle mercredi soir et que nous parlions à la fois amicalement et franchement, afin que la coopération franco-allemande reste l’axe et le centre de cette union politique et économique de l’Europe à laquelle nous croyons les uns et les autres.
Q. : Mais d’un autre côté, l’une des premières missions du président de la République a consisté à reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique Sud. Les réactions en Allemagne, il faut bien l’avouer, ont sans aucun doute frôlé l’hystérie. Cependant, il faut dire que c’est avec un fort accent national que le président a accompli son premier acte de politique étrangère. Pour quelles raisons croyez-vous qu’il ait repris ces essais ?
R. : Parce qu’il devait les faire. C’est une décision difficile que Jacques Chirac a prise tout de suite après son élection et il savait bien qu’elle serait l’objet de critiques ou de polémiques. Alors, vous nous dites, elle n’a pas été concertée. Jusqu’à présent, les problèmes militaires ne font pas l’objet de concertations, si ce n’est au sein de l’Alliance atlantique. La force de dissuasion française est une force qui est gérée de manière souveraine par la France, peut-être un jour, les choses changeront-elles, évolueront-elles. Nous avons d’ailleurs saisi cette occasion, l’occasion de cette polémique, pour réitérer l’idée d’une dissuasion qui serait à l’avenir davantage concertée ; mais cela est difficile et il faut du temps pour réfléchir à cette question. En toute hypothèse, Jacques Chirac a pris une décision pour terminer ces quelques essais. Il a d’ailleurs dit que nous avions besoin de six et non pas de huit essais. D’abord pour mettre au point définitivement notre force de dissuasion et puis ensuite pour maîtriser précisément et durablement les technologies de la simulation. Après ces essais que nous souhaitons terminer le plus vite possible, dans les prochains mois, nous serons parmi les tout premiers pays à signer le traité d’interdiction totale des essais nucléaires. Je vous rappelle que Jacques Chirac était le premier des dirigeants d’un pays possédant l’arme nucléaire à annoncer que la France signerait, et cela sans restriction aucune, le traité d’interdiction totale des essais nucléaires. Alors que je pense qu’il est normal qu’il y ait des désaccords parfois, que l’on approuve ou que l’on n’approuve pas la décision française. Mais il ne faut pas qu’il y ait de malentendus sur les raisons de la France et sur ses intentions. Une dernière chose. La force de dissuasion française n’est pas une force égoïste et purement nationale. Tous les pays d’Europe reconnaissent que c’est un des éléments de la stabilité en Europe et c’est bien comme cela que nous souhaitons amorcer la discussion dans les années qui viennent avec l’idée de la « dissuasion concertée ».
Q. : Vous avez dit au départ dans votre réponse que la France devait agir ainsi. Vous avez dit que l’on touchait à une question de souveraineté française. Et j’ai l’impression que c’est là la clé. A-t-on la conviction, à Paris, que certains domaines de la politique devraient être entièrement traités de la façon souveraine, c’est-à-dire que la France n’accepterait jamais que d’autres pays membres de l’orchestre jouent aussi du violon ?
R. : La décision française de terminer ces quelques essais doit être rapprochée de ce qui a été fait auparavant et, s’il vous plaît, ayez l’objectivité de ne pas reprocher à Jacques Chirac ce que vous ne reprochiez pas à François Mitterrand pendant quatorze ans auparavant. Sous les deux précédents septennats il y a eu quatre-vingt-six essais nucléaires : personne ne le contestait et tout le monde comprenait bien que c’était la souveraineté française. Bon, aujourd’hui nous terminons ces quelques essais et nous sommes prêts à ouvrir la discussion sur le pilier européen de l’Alliance atlantique, sur la mise à l’étude puis la mise en œuvre d’une politique commune de défense du continent européen et sur cette idée de dissuasion concertée. Donc nous sommes prêts à une discussion sur un sujet pourtant très sensible et qui est, par essence même, par définition même, un sujet de souveraineté nationale, celui de la défense. Nous sommes engagés dans une démarche très volontariste dans les prochaines années et nous ne refusons pas de partager une partie de notre souveraineté comme on l’a dit d’ailleurs, ensemble avec l’Allemagne et d’autres pays, au moment de Maastricht, en faisant pour objectif à l’horizon de 1998-99 la monnaie unique. C’est une souveraineté que nous partageons de manière responsable, réfléchie et ensemble. Nous n’arrachons pas la souveraineté d’un État contre son gré, nous discutons ensemble et nous décidons ensemble. Nous sommes prêts dans cet esprit à travailler, dès l’instant où nous avançons bien du même pas, et nous pensons en effet qu’il y a encore des progrès à faire dans l’union politique dans les prochaines années.
Q. : Pouvez-vous imaginer, quand on pense à la France, à la souveraineté française, qu’un beau jour on dise : eh bien, nous sommes prêts à transférer le contrôle de nos armes nucléaires à un mécanisme européen ? C’est là une question extrêmement difficile ?
R. : Non, la question n’est pas celle-là. Sur une question aussi grave et aussi sérieuse, il faut parler et sérieusement. Il ne s’agit pas du tout de dire : « Nous allons avoir trois doigts sur le bouton. » Nous parlons de dissuasion concertée et on doit trouver les mécanismes. Donc ne me demandez pas aujourd’hui comment se conclura la discussion. Nous sommes prêts à une discussion et elle doit être intégrée dans une autre discussion plus globale qui est celle de la défense européenne. La dissuasion est des éléments de la défense européenne et nous sommes prêts à discuter d’une politique commune de défense. C’est déjà un grand progrès et une ouverture importante. J’ai d’ailleurs enregistré avec beaucoup de satisfaction les réponses qui nous ont été faites par des responsables politiques allemands.
Q. : Pouvez-vous imaginer que des divergences soient à l’origine des discordances actuelles dans les relations franco-allemandes et que ces divergences soient dues au fait que les Allemands ont peut-être moins de mal que les Français à céder une part de leur souveraineté à l’Europe ?
R. : Oui, chacun a sa propre manière de concevoir sa souveraineté, son rythme. Ce qui est important, c’est d’être décidé, mais ce n’est pas d’aujourd’hui, à marcher ensemble et à progresser ensemble en se respectant. Moi, je me méfie beaucoup des mots qui ont quelquefois gêné ou freiné le dialogue européen. Le mot de fédéralisme n’a pas la même signification chez vous en Allemagne que chez nous, le mot de supranational. Peut-être le mot de souveraineté n’a-t-il pas toujours la même signification. Alors ne gênons pas le dialogue franco-allemand, ni la construction européenne avec des mots qui peuvent provoquer des réactions quelquefois un peu idéologiques. Regardons ensemble, mettons à plat ce que nous pouvons faire ensemble pour traiter des problèmes communs, et essayons d’apporter à chacun de ces problèmes de manière très pragmatique, sans idéologie, la meilleure réponse. Est-ce que la meilleure réponse commune, communautaire, une réponse intergouvernementale, ou est-ce une réponse solitaire, chacun restant chez soi ? Voilà la question. Nous avons déjà apporté des réponses communes, communautaires à certaines questions et il y en a peut-être d’autres et puis, dans d’autres domaines, ce sera une réponse différente que nous apporterons. Mais c’est comme cela que l’Europe progressera, sans parti pris et sans idéologie.
Q. : Vous avez dit qu’il faut progresser de façon pragmatique et chaque fois que j’entends parler le chancelier Kohl et l’Union européenne et de son avenir, j’ai l’impression que pour lui le pragmatisme n’est pas aussi important que cette dimension émotionnelle d’une vision européenne, en fait d’une union, comme le dit le terme. Est-ce qu’il y a une différence entre le pragmatisme et la vision ?
R. : Non, l’un va avec l’autre. On ne peut pas être pragmatique et réaliste si on ne fait que de la technique. Pour moi, c’est un fait acquis, alors faut-il le reprouver, en refaire la preuve tous les jours, je veux bien refaire la preuve devant vous si vous avez encore des inquiétudes ou des doutes de la vision, de l’ambition que nous avons pour l’union politique et économique de l’Europe. Mais pour moi, c’est un fait acquis, qui a été décidé, posé, au lendemain de la deuxième guerre mondiale quand les pères fondateurs de l’Union européenne ont dit « plus jamais ça », c’était pour eux l’idée d’établir de manière durable, définitive, la paix. Je pense, en effet, comme le chancelier Kohl, qu’il faut rendre irréversible le processus d’union économique, monétaire et politique et l’Europe, pour cette raison-là d’abord, qui est celle de la paix. Ce n’est pas par hasard que nous sommes en paix depuis cinquante ans sur cette portion du continent européen et ce n’est pas non plus par hasard qu’en dehors de nous, parfois à notre porte, à quelques centaines de kilomètres il y a encore des guerres qui ressemblent à celles que l’on faisait au Moyen Âge. C’est parce que dans cette région-là de l’Europe, le même processus d’unité n’a pas été mis en œuvre. Donc, je suis prêt à redire cette preuve-là. Mais votre question me fait penser d’ailleurs que probablement il faut refaire régulièrement la preuve de l’Europe, cinquante ans après les premières idées d’unité européenne, il y a eu deux générations. Nous n’appartenons ni vous ni moi à la génération de l’après-guerre. Il y a des jeunes qui arrivent. Il faut peut-être toujours redémontrer les raisons de l’Union européenne qui tiennent à la paix d’abord, à l’emploi, à l’environnement, à la sécurité ensuite. Moi j’ai décidé d’aller en France parler aux Français, de les écouter sur la question européenne, parce que probablement l’Europe s’est construite depuis trente ou trente-cinq ans entre les diplomates, les banquiers, les hommes politiques, les marchands, mais pas suffisamment avec les citoyens. Donc, il faut aller leur reparler, aux citoyens.
Q. : Monsieur le ministre, vous avez parlé en tant que visionnaire, mais je pense qu’en fait vous êtes plutôt un pragmatique. En tout cas, c’est ce qui ressort d’une interview accordée à la presse française avant votre départ pour Bonn. Et dans cette interview, vous avez dit qu’en principe il dépend de la France que l’Allemagne reste solidaire ou qu’elle s’isole. Donc, cela veut dire qu’il continue d’exister une certaine crainte en France, une sorte d’inquiétude qui serait réelle, vis à vis d’une Allemagne isolée.
R. : Non, j’ai employé le mot solitaire ou de solidaire. Et dans mon esprit l’idée n’est pas celle de l’isolement, c’est celle d’une démarche solidaire, c’est-à-dire l’Allemagne, si elle est déçue par la construction européenne, si elle ne reçoit pas en retour des gestes qu’elle attend pour le progrès de l’Union politique, peut être tentée de dire « eh bien nous allons marcher seuls avec ceux qui voudront ». Je pense que ce serait là un danger pour l’Union politique et une erreur pour tout le monde, pour nous tous. Il faut donc qu’avec les progrès que nous venons de faire sur le plan économique, sur le plan commercial, sur le plan de l’Union monétaire – la prochaine étape est tout à fait essentielle en 98-99 avec la monnaie unique – que nous fassions également des progrès dans l’Union politique et voilà pourquoi j’ai dit que cela dépendait aussi de nous, Français, que de vouloir ce progrès dans l’Union politique puisque l’Allemagne est prête à accomplir une étape, une démarche dans ce progrès. Voilà pourquoi j’ai dit que cela dépendait de nous. Il faut répondre à cette demande d’un progrès dans l’Union politique parce que je pense, moi, que ce progrès dans l’Union politique doit accompagner l’Union économique et monétaire. C’est l’objet de la prochaine conférence intergouvernementale en 1996.
Q. : Les Français n’attendent-ils pas parfois de l’Allemagne des concessions qu’eux-mêmes ne sont pas prêts à faire ? Je pense par exemple à l’accord de Schengen qui prévoit l’ouverture des frontières ; les Français attachent une grande importance à la clause d’exception, qui leur permet malgré tout d’exercer un important contrôle aux frontières. Je pense que c’est là une attitude contraire au traité.
R. : J’avoue que vous aussi vous êtes très pratiques et très concrets mais cela ne me déplaît pas. Il faut aussi que l’on cesse d’être méfiant ; il n’y a pas d’arrière-pensées dans la décision française. Nous avons constaté qu’après la première phase d’application de trois mois des accords de Schengen, il restait des problèmes très pratiques, pour l’asile, pour les visas, pour les contrôles et nous avons posé des problèmes, en disant, nous Français, qu’avant de supprimer totalement nos frontières terrestres, nous voudrions, nous voulions que ces problèmes soient réglés pour que Schengen fonctionne. Ce n’était donc pas le souci de mettre en cause Schengen, au contraire c’était l’idée que Schengen fonctionne. Nous voulons Schengen mais nous voulons un Schengen qui fonctionne. Il ne faut pas raconter d’histoires aux citoyens. Schengen est un espace de liberté mais aussi un espace de sécurité et si les citoyens à l’intérieur de l’espace s’aperçoivent au bout de quelques années qu’ils ont peut-être la liberté mais qu’il n’y a plus de sécurité, alors nous mettons en cause la construction européenne. Il faut une construction européenne qui soit réelle, on ne doit pas se payer de nous, il faut que cela fonctionne. Donc, c’est ce que nous avons dit. D’ailleurs depuis quelques mois, j’observe que les pays de l’espace Schengen se mettent maintenant autour de la table. Nous avions une réunion cette semaine à Bruxelles où des progrès ont été accomplis. Mais il reste encore des difficultés : comment mettre en œuvre les contrôles de part et d’autre des frontières ? Non plus des contrôles fixes puisque Schengen a prévu qu’ils disparaîtraient, mais des contrôles mobiles, rigoureux, pour que les trafiquants ne se croient pas à l’abri de tout risque car il faut qu’il y ait un risque pour les trafiquants dans l’espace Schengen ? Pour ceux qui sont malhonnêtes, pour ceux qui font des trafics d’hommes et de femmes ? Je pense au trafic d’immigrés, il faut des risques, et il faut que ces risques soient précisément organisés par les États. Voilà notre problème à nous et puis il y a la question de la drogue qui préoccupe légitimement les familles, les jeunes. Nous devons avoir une politique européenne plus rigoureuse, plus forte, plus efficace, contre la drogue. Voilà des questions qui sont posées. Un espace de sécurité et un espace de liberté. Mas sécurité et liberté vont ensemble.
Q. : Je comprends très bien vos propos et c’est pourquoi je me pose la question de savoir si, au moment de sa signature et mise en œuvre, le traité était adapté à la réalité. Si ce n’était pas le cas, quelles seraient les conséquences pour les autres traités européens que nous avons signés et signerons à l’avenir.
R. : J’ai vu dans un journal français l’idée que si l’Europe n’avance pas elle recule. Alors, probablement, il faut toujours franchir des étapes. Mais chaque fois, il faut tout de même les valider, il faut que ces étapes s’accompagnent non seulement de mots, d’utopies, de rêves. Moi, j’ai une part d’utopie européenne dans mon engagement personnel et quelque part je pense quand le général de Gaulle et le chancelier Adenauer se sont serré la main, il y avait dans leur tête, dans leur cœur, une part d’utopie. Moi, j’ai d’ailleurs décidé de m’engager dans la politique quand j’avais treize ans à cause de ce geste entre Adenauer et de Gaulle et je suis devenu gaulliste en même temps que je suis devenu européen et je le resterai toute ma vie. Donc, je ne rejette pas l’utopie, au contraire. Mais il faut tout de même expliquer, refaire la preuve, et vérifier qu’on ne s’avance pas trop vite. Si vous avancez trop vite sur un chemin et si vous ne voyez plus personne derrière vous, il y a un problème. Il faut donc, chaque fois qu’on se retourne, s’apercevoir que les citoyens sont toujours avec nous, qu’ils nous accompagnent, qu’ils comprennent ce que nous faisons. Alors Schengen, peut-être, a été fait un peu vite et le mérite de la démarche française a été non pas de remettre en cause Schengen, ce n’est pas du tout notre idée, mais de vérifier que ce que nous avons décidé avec Schengen, un espace de liberté et de sécurité, était bien la réalité. Et c’est très compliqué, c’est très complexe et on voit bien aujourd’hui qu’il faut aller dans le détail des progrès et des décisions pour que Schengen marche. Mais moi, j’ai confiance.
Date : 27 octobre 1995
Source : France Inter
Où était hier soir le grand dessein de la France ? Le quotidien « Le Monde », hier après-midi, titrait en écrivant que le chef de l’État entendait inscrire son septennat dans « le grand dessein européen de la France ». Certes, Jacques Chirac s’engage à ce que les déficits publics soient réduits depuis deux ans, condition du passage à la monnaie unique. Mais dans un entretien de quarante-cinq minutes, deux minutes ont été consacrées à l’Europe, sans d’ailleurs qu’on y trouve le souffle et l’enthousiasme propre à grand dessein. Le président de la République confesse qu’il a mésestimé l’ampleur des déficits, qu’il a mésestimé encore la difficulté à gouverner aujourd’hui. N’était-il pas en train de mésestimer l’Europe ?
Stéphane Paoli : On n’a pas senti beaucoup de cœur à l’Europe, hier soir ?
Michel Barnier : Vous dites deux minutes mais c’était deux minutes très fortes et très importantes à la fois pour confirmer l’engagement européen de la France et puis pour parler aussi à ceux qui nous écoutent à l’extérieur. J’étais toute la journée d’hier à Bonn, quelques heures après que Jacques Chirac a rencontré Helmut Kohl. Ce signal-là a été bien entendu et moi je suis sûr de la conviction européenne de Jacques Chirac, de son ambition. Il l’a d’ailleurs prouvé dans des circonstances assez difficiles pour lui. Souvenez-vous, il y a quelques années, au moment du débat sur Maastricht, si Jacques Chirac n’avait pas voté oui, est-ce que le oui l’aurait emporté, je n’en suis pas sûr.
Stéphane Paoli : Mais le candidat Chirac avait envisagé un référendum sur la monnaie unique ?
Michel Barnier : Non, je ne me souviens pas de cela. Il a parlé d’un référendum qui aura lieu le moment venu et il y aura beaucoup d’occasions pour consulter les Français. Sur le résultat de la conférence qui aura lieu l’année prochaine sur les institutions, peut-être sur l’élargissement ? Moi, je souhaite en effet qu’à un moment ou un autres, on reparle aux Français de l’Europe, on leur demande leur avis. Qu’est-ce qui a fait ce problème entre l’Europe et les Français depuis tant d’années ? C’est qu’on a construit l’Europe avec les diplomates, les banquiers, les hommes politiques mais sans les Français. Et Jacques Chirac a une idée : il veut l’Europe – je peux vous l’assurer – mais il veut aussi que l’Europe, la construction européenne soit comprise tout autant par les banquiers et les diplomates que par le paysan de Corrèze, le marin breton ou le moniteur de ski savoyard et je crois qu’il a raison de vouloir faire aussi l’Europe par étapes avec les citoyens.
Stéphane Paoli : Hier vous disiez à Bonn que nous nous sommes condamnés à la réussite. C’est un drôle de mot « condamnés » ?
Michel Barnier : Oui, pour ceux qui doutent – et il y en a quelques-uns en France – de l’importance de l’Europe. Je crois avoir dit : « nous avons un rendez-vous, nous sommes condamnés à le réussir » mais c’était un propos dans une longue réunion. Moi j’ai une conception plus volontariste et plus enthousiaste de l’Europe. Je crois même qu’il faut garder une part d’utopie quand on parle de l’Europe et reparler de l’Europe avec des mots simples. L’Europe : c’est faire mieux ensemble des choses, plutôt que de les faire tout seul. À coup sûr pour assurer la paix sur notre continent – et c’est le cas depuis cinquante ans –, pour mieux protéger l’environnement, pour mieux assurer la sécurité. On fait les choses ensemble plus efficacement qu’en étant chacun recroquevillé derrière nos frontières. Nous avons un rendez-vous, plusieurs rendez-vous et notamment celui de la monnaie unique et il faut les réussir.
Stéphane Paoli : Cette Europe réaliste à défaut du grand dessein européen…
Michel Barnier : … Mais le grand dessein existe Stéphane Paoli, il existe.
Stéphane Paoli : Je n’en doute pas un instant, simplement c’est vrai qu’en écoutant le président de la République hier soir on ne sentait pas le souffle ni l’enthousiasme. Il a d’ailleurs utilisé l’expression d’Europe réaliste. C’est pas tout à fait la même musique. Pensez-vous qu’on arrivera, dans deux ans, dans le même état de santé que les Allemands ?
Michel Barnier : Je suis sûr que nous respecterons nos engagements. Quand on parle des efforts qu’on demande aux Français, c’est vrai qu’ils sont lourds et difficiles, je crois qu’ils seront aussi justement répartis. On ne fait pas ces efforts pour Maastricht ou pour la monnaie unique, on les fait pour nous-mêmes. Quelle est la souveraineté d’un pays, quelle est la force d’un pays endetté ? Pour nous-mêmes nous avons besoin de faire ces efforts pour réduire notre endettement et nos déficits. Pour répondre à votre question, oui nous serons dans l’état qui nous permettra de respecter ces critères et ne nous engager dans la monnaie unique. En plus – comme l’a dit Jacques Chirac – c’est un moment important. La monnaie unique est une chance et je crois vraiment qu’il a raison.
Stéphane Paoli : Ce serait le premier grand acte européen du président Chirac ?
Michel Barnier : De tenir les engagements de la France, l’engagement qu’il a d’ailleurs lui-même pris, oui. C’est un grand acte assez refondateur de l’Union européenne que celui de doter les pays qui le pourront et qui le voudront en 98-99 et les autres aussi après, de les doter d’une monnaie unique. C’est un acte refondateur. Il n’y a probablement pas eu d’acte politique en même temps qu’économique aussi important que celui-là depuis de nombreuses années. Je crois que c’est déjà difficile d’atteindre cet objectif-là. Maintenant, il y a d’autres perspectives aussitôt après : il y a la réforme des institutions, il y a l’élargissement aux pays de l’Est qui sont à notre porte. Il y a la réforme de l’Alliance atlantique pour tenir compte de la nouvelle donne en Europe. Voilà beaucoup de rendez-vous auxquels Jacques Chirac pendant les sept ans qui sont devant nous est décidé à s’attaquer.