Interview de Mme Ségolène Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à France 2 le 10 décembre 1998, sur l'adoption d'une proposition de loi concernant l'obligation scolaire afin de lutter contre les mouvements sectaires et sur la révision de la carte des ZEP.

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Média : Emission Les Quatre Vérités - France 2 - Télévision

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Françoise Laborde : Une proposition de loi va être présentée aujourd'hui à l'Assemblée. Elle concerne l'obligation scolaire. En France, il n'y a pas d'obligation d'aller à l'école. Vous avez voulu corriger cela ?

Ségolène Royal : En effet, il y a une loi qui date du XIXe siècle qui prévoit encore la possibilité pour les familles d'éduquer leurs enfants à domicile. Et cette loi est détournée, elle est utilisée, en particulier par des mouvements sectaires ou intégristes, pour soustraire certains enfants à l'obligation scolaire. Je crois que la semaine où nous commémorons les droits de la personne humaine, il était important de donner à tous les enfants, en France, les garanties du droit d'accès à l'instruction. C'est une loi très importante, elle va être votée sans doute ce matin. Et si elle est votée en termes identiques par l'Assemblée nationale par rapport au texte qui revient du Sénat, elle sera immédiatement applicable.

Françoise Laborde : Concrètement, cela veut dire que si des enfants ne sont pas dans le circuit scolaire officiel, il pourrait y avoir un contrôle sur la nature de l'enseignement qui leur est délivré ?

Ségolène Royal : Oui, cela veut dire que tout enfant qui est soustrait à l'instruction scolaire doit faire l'objet d'une déclaration en mairie. Ce qui permettra à l'inspecteur d'académie d'aller contrôler les conditions dans lesquelles cette instruction est donnée. Autrement dit, mon objectif est de faire en sorte de limiter aux cas d'enfants malades, d'enfants handicapés – c'est-à-dire les cas pour lesquels la loi a été conçue – la possibilité d'instruction à domicile, en particulier par l'enseignement à distance. En revanche, chaque fois que l'esprit de la loi sera détourné, désormais des contrôles seront possibles et des sanctions seront prises sur les organisations qui soustraient volontairement les enfants à l'obligation scolaire : c'est-à-dire au droit à être instruit, au droit à la citoyenneté, au besoin de l'épanouissement de l'enfant. Aujourd'hui, ces contrôles n'existent pas, et les inspecteurs d'académie ne peuvent pas contrôler les raisons pour lesquelles un enfant n'est pas inscrit à l'école, et contrôler le contenu de cet enseignement. C'est un dispositif très, très efficace qui va se mettre en place. Je voudrais vous citer un exemple : récemment, les gendarmes ont découvert dans la Drome, une cinquantaine d'enfants qui étaient soustraits à l'obligation scolaire par un mouvement sectaire. 22 enfants seulement avaient été déclarés. Il y avait donc 50 enfants qui étaient dans une zone de non-droit scolaire. Il faut vraiment mettre fin à ces abus.

Françoise Laborde : Un autre exemple, un institut à Vincennes qui a fermé, et qui était manifestement contrôlé par l'église de scientologie. Et on n'a pu le fermer que pour des raisons sanitaires, parce qu'officiellement la loi ne permettait pas de fermer pour raisons scolaires.

Ségolène Royal : C'est ça ! Alors que, désormais, la justice pourra fermer ces établissements qui soustraient les enfants, qui les retirent volontairement de l'école, et surtout qui les mettent sous une emprise qui est contraire aux principes de citoyenneté et de l'épanouissement personnel.

Françoise Laborde : A-t-on une idée du nombre d'enfants qui sont en dehors des circuits classiques de l'école ?

Ségolène Royal : Il faut être prudent avec les chiffres, car il n'y a pas d'obligation de déclaration, mais nous estimons environ à 6 000, le nombre d'enfants qui aujourd'hui sont soustraits à cette obligation scolaire, et qui sont empêchés d'avoir accès au droit le plus fondamental : le droit à l'instruction.


Françoise Laborde : Il ne peut pas y avoir des difficultés pour des raisons de religion, de culte ? Au nom de la liberté de culte, on peut expliquer, par exemple, que les petites filles n'ont pas forcément la même éducation que les petits garçons.

Ségolène Royal : Je pense que les critères sont très simples. Nous vivons dans une République laïque, c'est-à-dire qui respecte toutes les religions, mais qui en même temps ne tolère pas qu'au nom des religions, on puisse écraser ou bafouer les droits de l'enfant à son épanouissement et à sa citoyenneté.

Françoise Laborde : Autre actualité : la carte des ZEP. Vous vouliez réviser la répartition de ces ZEP. Ou en est-on aujourd'hui ?

Ségolène Royal : On est dans un mouvement de relance très fort de la politique des ZEP. C'est-à-dire une volonté très ferme de donner davantage où c'est plus difficile, dans les quartiers qui souffrent d'inégalité sociale, culturelle, économique ; là où les enseignants maintiennent le lien social ; là où ils forgent la citoyenneté d'enfants qui ont moins de chance que d'autres. Donc, cet engagement politique qui est essentiel, nous conduit à mettre beaucoup plus de moyens sur des endroits qui ont – il faut le dire – été laissés à l'abandon depuis quatre ans.

Françoise Laborde : Vous allez supprimer certaines ZEP ?

Ségolène Royal : Cette carte n'a pas été bougée depuis dix ans. Certaines écoles ont vu leur environnement social s'améliorer. Donc, ces écoles ou ces collèges ont la possibilité de sortir de ZEP. D'autres vont y entrer. Au total, ce seront 15 000 enseignants qui vont bénéficier d'une indemnité spécifique qui reconnaît la difficulté de leur métier dans ces quartiers plus sensibles qu'ailleurs. Et puis, environ 600 écoles et collèges qui vont pouvoir entrer dans cette logique de l'éducation prioritaire. C'est là où souvent l'éducation nationale a su donner le meilleur d'elle-même. C'est là qu'ont été inventés le travail en équipe, les projets d'établissement, l'accent sur les maternelles, la relation approfondie avec les parents. Tout ce qui fait la réussite scolaire des enfants. Donc, il faut encourager cela. Il faut consolider les équipes. Certaines sont parfois lasses, parce que c'est difficile. Et donc, ma préoccupation c'est de les épauler, de les conforter, de leur donner des centres de ressources, et de leur donner des moyens supplémentaires.

Françoise Laborde : L'instituteur qui avait eu quelques soucis parce qu'il avait donné un coup de pied dans le derrière d'une de ses élèves : l'affaire est classée sans suite, finalement. Vous êtes satisfaite ?

Ségolène Royal : Je ne veux pas faire de commentaire sur la décision de justice. Je crois que, dans les affaires qui ne sont pas trop graves, il faut toujours privilégier la médiation. Je crois que cet instituteur a fait ses excuses. C'est vrai, il y a sans doute un dérapage, mais je crois aussi qu'il faut que la discipline soit maintenue dans les écoles. Ça n'est parfois pas évident. Tous les parents savent bien, on peut avoir des gestes, parfois on craque, il ne faut pas que ça soit grave. Ça arrive aussi dans la maison. Donc, en tant que mère de famille je comprends que certains enseignants exaspérés puissent parfois donner une taloche, mais bon ! Il faut éviter et préférer des mesures plus éducatives. Mais, en l'occurrence, l'enseignant a reconnu qu'il y avait eu un léger dérapage, et je crois qu'il faut vraiment s'orienter vers une mesure d'apaisement.