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Le Point : Recevez-vous des courriers électroniques de vos collaborateurs ou de vos collègues étrangers ? Et vous-même, en expédiez-vous ?
Dominique Strauss-Kahn : Énormément. Avec tous mes collaborateurs au ministère, nous utilisons en permanence la messagerie de notre Intranet. Avec mes collègues étrangers ou français, c'est plus rare. Mais le directeur de cabinet de mon collègue britannique Gordon Brown correspond volontier par ce moyen. J'ai en fait deux adresses. L'une officielle, à Bercy, et l'autre, personnelle, dont je dispose depuis des années. Les internautes ont, sans grande difficulté, réussi à la découvrir, et je reçois donc, à plusieurs reprises chaque semaine, des courriers me proposant par exemple une réforme fiscale. J'y réponds toujours.
Le Point : Pensez-vous qu'à terme les transactions électroniques pourront remplacer la monnaie de papier ?
Dominique Strauss-Kahn : Remplacer, non. Mais les transactions électroniques vont indiscutablement prendre une part croissante. Elle est déjà importante avec la carte bancaire. Mais nous allons disposer bientôt de porte-monnaie électroniques qui permettront d'effectuer les petits achats courants, comme le journal du matin ou la baguette de pain. Il faut voir jusqu'où cela ira, car la petite monnaie ou le billet dans la poche resteront bien utile.
Le Point : On dit que vous avez une position très avancée sur la cryptologie, et que vous accepteriez que les Français utilisent librement des clés de chiffrement beaucoup plus puissantes que celles qui sont autorisées aujourd'hui. Est-ce exact ?
Dominique Strauss-Kahn : C'est parfaitement vrai. Je vous rappelle que le chiffrement garantit à la fois la sécurité commerciale – en empêchant des pirates informatiques d'intercepter votre numéro de carte bancaire – et la protection de la vie privée dans le courrier électronique. Jusqu'à présent, les Français peuvent chiffrer librement leur correspondance avec des clés de 40 bits, que nous avons autorisées l'an dernier. Je suis favorable à ce que nous passions rapidement à 56 bits, dans une première étape. Je me refuse à voir la France mener dans cette affaire un combat retardataire. On peut toujours penser que le bouclier réglementaire résistera au glaive informatique. Les terroristes et les hors-la-loi peuvent déjà crypter à 1 000 bits et davantage ! Il est vrai que l'armée et la police craignent une libéralisation. En tant que ministre des finances, je préfère leur donner des moyens de « casser » des codes puissants, sans interdire aux citoyens de recourir à des protections efficaces. Je ne voudrais pas que la France demeure à l'écart de ce mouvement…
Le Point : De manière assez inhabituelle, vous êtes parti pour un voyage d'étude personnel dans la Silicon Valley. Souhaitez-vous que les dizaines de milliers de Français qui y travaillent reviennent en France ?
Dominique Strauss-Kahn : Ce n'est pas le sujet. Bien sûr, j'aimerais qu'ils ne rompent pas les liens avec leur pays. Mais je crois que le plus intéressant consiste à mettre en place ici même les moyens de créer des dizaines de milliers d'emplois dans les nouvelles technologies. Lorsque j'ai parlé, en Californie, avec des hommes comme Philippe Kahn ou Jean-Louis Gassée, j'ai bien compris que ce qui sera le plus utile, c'est qu'ils fassent profiter de leur expérience de jeunes équipes de chercheurs, ou ces jeunes entreprises innovantes, les start-up. Créer une sorte de parrainage pour ces dernières serait une initiative judicieuse, pour qu'elles puissent profiter de l'expérience accumulée, notamment dans la Silicon Valley. Je m'y emploie.
Le Point : Concernant votre ministère, vous avez annoncé, depuis un an, un certain nombre de mesures destinées à favoriser les entrepreneurs et les entreprises de haute technologie. Quel est le premier bilan que vous pouvez tirer de ces initiatives ?
Dominique Strauss-Kahn : Ça bouge beaucoup, sur tous les plans, depuis que Lionel Jospin a lancé le mouvement à Hourtin à l'été 1997. La création d'un fonds pour le capital-risque hébergé à la Caisse des dépôts et consignations, avec une mise de fonds de 600 millions de francs dégagés de l'ouverture du capital de France Télécom, a très bien fonctionné. Mis en place en juin, ce « fonds de fonds », qui a déjà engagé près de 200 millions de francs, a permis de lever environ 2,5 milliards de francs de vrai capital-risque en quelques mois. C'est sans précédent dans notre pays. Je peux vous annoncer que la banque européenne d'investissement vient d'accepter de mettre elle aussi 300 millions de francs dans ce fonds. C'est une augmentation de 50 % des moyens, la preuve aussi de la crédibilité des outils que nous avons mis en place. C'est surtout la preuve que les efforts en faveur de la création d'entreprises et d'emplois, effectués à l'initiative de la France, se concrétisent rapidement. Ce dispositif n'est du reste qu'un éléments d'une politique globale que nous avons résolument engagée en faveur du capital-risque, notamment à travers la fiscalité. Nous sommes en passe de réussir notre pari d'il y a un an : aujourd'hui, les bons projets trouvent un financement en capital sans devoir aller le chercher outre-Atlantique. Si je reviens plus spécifiquement au développement de l'Internet, là aussi nous avons beaucoup bougé, y compris dans notre propre fonctionnement. Au niveau de mon ministère : plus de cent formulaires administratifs sont aujourd'hui disponibles en ligne, et depuis ce mois-ci on peut payer ses impôts sur l'Internet. Les marchés publics seront prochainement annoncés sur le réseau. C'est un mouvement puissant qui ne s'arrêtera plus.
Le Point : Quelles sont à vos yeux les nouvelles mesures que votre ministère doit prendre de ce point de vue ?
Dominique Strauss-Kahn : Le gouvernement ne réglera pas tous les problèmes. Et la France est tout à fait performante dans les nouvelles technologies. Elle dispose d'ingénieurs et de laboratoires hors pair, qui allaient aux États-Unis et qui commencent à se dire que ce n'est pas si mal ici ? Il est vrai, cependant, que les volontés doivent être stimulées. J'ai évoqué les mesures que nous avons prises. Les business angels, du nom de ces hommes d'affaires qui ont réussi et qui aident des jeunes entreprises à démarrer, pourraient peut-être trouver des modes d'action encore plus incitatifs.
Le Point : Concernant spécifiquement l'Internet, les Français deviennent des utilisateurs du réseau. Que faudrait-il faire, selon vous, pour qu'ils en deviennent des moteurs ?
Dominique Strauss Kahn : Tout d'abord, il faut que le Minitel, cette invention qui nous a longtemps donné une avance considérable sur le reste du monde, bascule massivement sur l'Internet. J'attache également une grande importance au mouvement engagé dans les écoles par mon collègue Claude Allègre. Déjà, il y a plus d'écoles, de collèges et de lycées connectés en France qu'en Allemagne ou en Grande-Bretagne, et ce n'est pas fini ! J'ajoute que je fonde de grands espoirs sur l'activité des PME sur le réseau. Un quart d'entre elles y sont déjà présentes cette année, et elles seront la moitié à la fin de l'an prochain…
Le Point : Certains des rapports commandés par le Premier ministre ne sont pas disponibles en ligne, mais seulement dans des éditions papier vendues par la Documentation française. L'administration ne devrait-elle pas montrer l'exemple de manière beaucoup plus volontariste ?
Dominique Strauss-Kahn : Je ne sais pas quels sont les rapports que vous évoquez. Il est bien évident pour moi que les rapports intéressant le public doivent être disponibles sur le réseau. Ainsi, facilement accessibles, ces documents peuvent faire l'objet de réactions et de discussions sur les forums que nous mettons en place sur le site web de Bercy (http://www.finances.gouv.fr). La technologie est aussi au service de la transparence et du débat démocratique.