Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire général de la CFDT, et M. Nicolas Sarkozy, ancien ministre du budget, à TF1 le 8 octobre 1995, sur les propositions de la CFDT pour le sauvetage de la sécurité sociale, sur la grève des fonctionnaires, les salaires, l'emploi et la précarité.

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Intervenant(s) : 

Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

Mme Sinclair : Bonsoir.

Deux invités ce soir, Nicole Notat avec laquelle nous parlerons tout à l’heure du plus gros sujet de préoccupation des Français cet automne : comment sauver la Sécurité sociale ? Et puis aussi la grève générale dans la fonction publique qui aura lieu mardi.

Et tout de suite, le retour de Nicolas Sarkozy à l’Assemblée nationale, comme député de Neuilly. Retour aussi sur la scène politique. Comment allez-vous, Monsieur Sarkozy ?

M. Sarkozy : Bien Tout simplement bien.

Mme Sinclair : Bien. C’est-à-dire, d’abord, quelle leçon avez-vous tiré de la défaite et du désamour des Français ?

M. Sarkozy : Cela m’a appris beaucoup de choses puisque j’ai découvert l’envers du succès, c’est-à-dire l’échec. Je savais que c’était inéluctable mais je ne l’avais pas forcément fréquenté. Cela m’a appris beaucoup de choses. Et puis, depuis 5 mois, par la force des choses aussi, je suis plus spectateur qu’acteur. J’ai dû écouter, réfléchir et sans doute prendre un peu plus de recul par rapport aux choses et aux événements.

Mme Sinclair : Dans la défaite, il y a deux sortes de réactions possibles : ou bien cela rend humble, ou bien cela rend revanchard. Vous êtes l’un ou l’autre ? L’un ou l’autre, à tour de rôle ?

M. Sarkozy : Franchement, revanchard, non. Pourquoi ? Parce que j’ai eu beaucoup de chance. J’ai exercé de très grandes responsabilités aux côtés d’un Premier Ministre dont j’avais la confiance et dans lequel je me reconnaissais. Donc, pourquoi de l’amertume ? Mais oui, humble, cela le rend forcément parce qu’on s’aperçoit que les choses sont beaucoup plus compliquées qu’on ne l’imaginait. Disons que cela m’a forcé à abandonner un côté un peu systématique de la pensée, de l’action et sans doute de la façon de l’expliquer.

Mme Sinclair : Valéry Giscard d’Estaing avait une jolie formule en 83. Il avait dit : « J’ai jeté la rancune à la rivière ». Que dites-vous vous ?

M. Sarkozy : Je n’ai pas de rancune, mais disons que cela m’a surtout appris que la victoire est moins heureuse qu’on ne l’imagine et l’échec moins douloureux qu’on ne le redoute.

Mme Sinclair : Parce que vous êtes jeune.

M. Sarkozy : Je ne sais pas. Mais parce que, finalement, on s’aperçoit que les choses, quand on les connaît, on finit par s’y habituer et on s’en a plus peur.

Mme Sinclair : Je disais : « Vous êtes jeune ». Vous avez été longtemps considéré comme un enfant surdoué de la politique aux côtés d’Edouard Balladur. Vous n’avez jamais caché votre ambition. Aujourd’hui, à quoi rêvez-vous ? Ne me répondez pas : « Je veux bien gérer la ville de Neuilly, participer à la vie de la cité », répondez-moi franchement.

M. Sarkozy : Ce qui est formidable, c’est que, vous-même, vous n’avez pas changé puisque vous posez la question et m’interdisez une partie de la réponse. Non, ce à quoi de rêve ? C’est d’essayer de faire de la politique en toute liberté, en disant ce que je pense. Et quand vraiment je ne peux pas dire ce que je pense, je dirais pourquoi.

Mme Sinclair : Cela veut dire tout de même que vous mettez votre ambition plutôt en veilleuse ou, au contraire, que vous avez envie de mettre les bouchées doubles en vous disant : « J’ai une carrière à rebâti, à reconstruire, à réorienter » ?

M. Sarkozy : Non, mais, franchement, j’ai sans doute ma part de responsabilité dans la caricature qu’on a faite de mon ambition ou de celle de certains hommes politiques. Mais, vraiment, même après ce que j’ai connu, je n’irais pas expliquer que je suis là par hasard. Et je pense vraiment que l’un des problèmes de la Société française, il y en a bien d’autres, c’est que justement chacun, dans son métier, puisse exprimer son désir, et même celui de servir. Ça se rencontre aussi des projets qui sont personnels. Moi, j’ai envie de faire de la politique librement.

Je vais même vous dire autre chose : « Et de faire de la politique tranquillement ». Parce que, quand on n’a pas exercé de responsabilités ministérielles importantes, on est un peu tendu. Ce n’est pas quelque chose de ridicule, ce n’est pas quelque chose de dérisoire. Maintenant, je l’ai été, donc je peux être tranquille et libre.

Mme Sinclair : On a beaucoup de sujets, ce soir, à discuter. Enfin, j’ai envie de demander votre avis sur beaucoup de choses : les attentats, bien sûr. Votre jugement sur l’action économique du Gouvernement, sur le climat politique.

Je voudrais peut-être juste dire un mot, parce qu’il y a des défaites électorales, puis il y a aussi les blessures terribles de la vie. Je voudrais montrer ce soir le livre de Monique Pelletier qui s’appelle « la ligne brisée », paru chez Flammarion. Monique Pelletier a été ministre de Valéry Giscard d’Estaing et son mari a été frappé, il y a une vingtaine d’années, par un terrible accident neurologique. C’est une descente aux enfers qu’elle raconte avec la remontée aussi. C’est un livre qui est très bouleversant et très émouvant.

M. Sarkozy : Je ne savais pas que vous alliez en parler. Il se trouve que j’ai lu ce livre parce que Monique Pelletier me l’a adressé. Je l’ai feuilleté et je n’ai pas laissé parce que je trouve formidable la façon dont elle sait parler d’une grande souffrance avec beaucoup de pudeur.

Mme Sinclair : On va venir à l’actualité dans un instant. Dans deux minutes.

M. Sinclair : 7/7, en compagnie de Nicolas Sarkozy.

Cela faisait un mois que nous vivions sans attentats. Celui de vendredi laisse entières les interrogations.

Panoramique :

Attentats : Venger la mort de Kelkal. Cette fois, le message de ce 7ème attentat est clair.

Verdict : Acquitté. A l’annonce du verdict, O. J. Simpson, lui-même, semble avoir du mal à croire.

Mme Sinclair : Sur le verdict, j’ai envie de demander sa réaction à l’avocat, Nicolas Sarkozy.

M. Sarkozy : Moi, j’ai des sentiments mêlés. Je ne suis pas un spécialiste de la vie de Monsieur Simpson. Je ferai une première remarque : c’est inouï le nombre d’heures de télévision consacrées à ce procès. Je regarde les études. La télévision américaine a consacré le double d’heures au procès Simpson qu’à l’affaire bosniaque. Extraordinaire !

Mme Sinclair : Vous portez un jugement là-dessus ? Cela vous choque ou pas ?

M. Sarkozy : Je veux dire qu’il n’y a pas que du négatif. Cela me choque par rapport à l’importance des enjeux mais, en même temps, cela met le débat judiciaire au cœur de la Société américaine.

Deuxième remarque : ce n’est pas une victoire pour le processus d’intégration à l’américaine. Moi, je ne souhaite pas une société multiculturelle qui laisse substituer des communautés qui ne se rencontrent jamais. C’était vraiment les Blancs contre les Noirs.

Troisième remarque, pardon mais plus laudative vis-à-vis du système américain. Voilà un homme, Simpson, qui arrive au procès, condamné par tous les médias, il est vrai, tenus en majorité aux Etats-Unis par des Blancs, mais qui arrive condamné par tous les médias et qui s’en sort acquitté. Cela veut dire, tout de même, que la Justice américaine a pu faire son travail en toute sérénité. Je ne suis pas sûr que, en France, ce soit toujours le cas.

Mme Sinclair : C’est vrai ce que vous dites. Mais il y a peut-être une leçon que l’on peut tirer de ce procès, c’est aussi la toute-puissance de l’argent qui a permis à Simpson d’avoir peut-être les meilleurs avocats, qui dépensent le meilleur de leur temps, ce qui n’aurait pas été le cas d’un condamné ou d’un prévenu qui aurait les mêmes charges qui auraient pesé sur lui.

M. Sarkozy : Ne croyez pas que ce soit un réflexe corporatiste, mais il me semble que, dans un Etat de droit, on ne peut pas se plaindre du fait que la Défense ait pu faire son travail aussi bien qu’elle ait pu le faire pour Simpson. Je ne porte pas de jugement sur le jugement, ni sur le déroulement des faits. Mais, finalement, qu’êtes-vous en train de me dire ? Que le procès a servi à quelque chose. Eh bien, dans un Etat de droit, je souhaite que le procès puisse servir à quelque chose.

Mme Sinclair : Un mot peut-être d’un procès dont le verdict ne sera connu qu’n novembre, celui d’Alain Carignon. Quand vous voyez un ministre de la République contre lequel on requiert 5 ans de prison ferme, qu’est-ce que cela vous inspire sur les mœurs politiques, les mœurs judiciaires, la politique et l’argent ?

M. Sarkozy : Je ne peux pas en dire grand-chose, la décision étant délibérée. J’espère au moins que chacun va comprendre que, dorénavant, il n’y a pas deux poids et deux mesures pour les hommes publics et pour les autres. C’est le moins qu’on puisse en dire.

Mme Sinclair : Les attentats. Le terrorisme continue, malgré les propos un peu définitifs de Jean-Louis Debré attribuant à Kelkal la responsabilité majeure de cet été.

M. Sarkozy : Je voudrais d’abord dire quelque chose. Face à ces attentats, il n’y a pas d’autre solution que la fermeté, totale, complète. La démocratie, ce n’est pas une situation naturelle, il faut qu’elle se défende. Nous n’avons pas d’autre solution que d’être d’une fermeté complète vis-à-vis des terroristes.

Mme Sinclair : Mais vous trouvez qu’on ne l’a pas été ? Tous les acteurs de la société politique semblent partager votre point de vue, non.

M. Sarkozy : Au contraire, et je crois que chacun doit comprendre que nous devons nous retrouver parfaitement unis, quel que soit ce qu’on peut penser par ailleurs sur les déclarations des uns ou des autres.

Mme Sinclair : Que pensez-vous des déclarations des uns ou des autres ?

M. Sarkozy : Je ne veux pas me contredire dans la minute. Je dirai simplement que, moins les hommes politiques font de commentaires sur une enquête en cours tant que la Justice n’a pas fini de mener ses investigations, mieux c’est !

Figurez-vous que j’ai connu cette épreuve lors de l’affaire de la prise d’otages à Neuilly.

Mme Sinclair : La maternelle de Neuilly.

M. Sarkozy : Je n’ai jamais fait le moindre commentaire.

Mme Sinclair : Ce qui paraît évident aujourd’hui, c’est que c’est une guerre importée en France mais aussi fabriquée en France. C’est cela qui commence à troubler beaucoup les esprits.

M. Sarkozy : Cette guerre doit être menée sans aucune faiblesse. Vous voyez, la polémique sur la mort de Kelkal, je voudrais dire simplement que lorsqu’on trouve nos empreintes sur une bonbonne de gaz destinée à faire sauter un TGV, lorsqu’on se promène avec une arme à feu, lorsqu’on en fait usage sur les forces de l’ordre, il ne faut s’étonner du risque majeur que l’on prend, y compris pour sa vie, et du résultat et de l’issue.

Mme Sinclair : Vous avez lu, sans doute, dans « Le Monde » l’entretien que Kelkal a eu avec un universitaire allemand, il y a de cela trois ans, et qui montre bien l’itinéraire d’un lycéen qui était sur la voie de l’intégration et qui a dérapé gravement et basculé vers la délinquance et puis vers l’islamisme. Qu’est-ce que cela inspire à l’homme public qui, justement, dit agir sur la Société et sur la cité et qui constate que la Société française, modèle d’intégration, dit-on, à de sérieux ratés ?

M. Sarkozy : Je ne partage pas tout à fait votre point de vue. Je suis pour le modèle d’intégration à la française. Mais pour qui est intégration, il faut qu’il y ait volonté des deux côtés : acceptation de la Société et acceptation de l’homme ou de la femme qui veut être intégré. Or, dans l’affaire Kelkal ce qui était passionnant, en tout cas dans l’interview ou l’étude que j’ai lue, c’est qu’il venait d’intégrer dans l’un des meilleurs lycées de la ville de Lyon. Il était donc sur le chemin de l’intégration.

Mme Sinclair : Que s’est-il donc bien passé ?

M. Sarkozy : La Société française avait accepté l’idée de l’intégrer. Eh bien, sur son chemin, il a rencontré l’absolutisme et l’ignorance.

Mme Sinclair : La prison aussi.

M. Sarkozy : Car il faut dire que, derrière les grands mots de guerre sainte, c’est l’ignorance, la bêtise, l’intolérance, et que le combat contre cela, encore une fois, il faut le mener avec une fermeté absolue. Mais ne mettons pas sur le dos de l’échec de l’intégration toutes les responsabilités individuelles.

Mme Sinclair : Suite des images de la semaine : un coup d’Etat manqué aux Comores, un coup de vent sur la vie politique française et un coup d’espoir mais très fragiles, quand on connaît les nouvelles de cet après-midi, en Bosnie.

Panoramique :

Bosnie : le 35ème cessez le feu signé en Bosnie sera-t-il le bon ? Cette fois, il y a de vraies raisons de l’espérer.

Comores : la France met fin à l’aventure comorienne du mercenaire, Bob Dénard. Son coup d’Etat aura duré une semaine.

Essai nucléaire : Dimanche, la France procède à son deuxième essai nucléaire.

Politique : Des sondages au plus bas, un franc malmené par la spéculation et des rumeurs de démission qui courent dans le Tout Paris. En effet, Alain Juppé a bien besoin de soutien des parlementaires RPR, réunis ce week-end en Avignon.

Mme Sinclair : Avant de parler politique, avant même de parler économie, une précision, mais vous aurez des détails dans le journal de Claire Chazal, tout à l’heure, à 20 heures : en Bosnie, l’aviation serbe aurait bombardé, aujourd’hui, le nord de la Bosnie et un camp de réfugiés à Tuzla aurait été bombardé par les Serbes, avec 6 à 8 morts, une trentaine de blessés, parmi lesquels de nombreux enfants.

Nicolas Sarkozy, on va voir, dans un instant, la situation politique, comme je le disais, les difficultés du Gouvernement, mais peut-être d’abord la situation économique. A son arrivée et à plusieurs reprises, Alain Juppé a qualifié la situation, telle qu’ils l’ont trouvées, de calamiteuse.

Vous étiez ministre du Budget. Vous ne pouvez pas ne pas vous sentir concerné, directement visé, et ne pas réagir ?

M. Sarkozy : Ce n’est pas la même chose de sentir concerné et visé. Concerné, je le suis. Visé, Alain Juppé, à deux reprises, puisque je l’ai vu à deux reprises, m’a indiqué qu’il ne visait pas le Gouvernement auquel il appartenait par ailleurs.

Sur l’affaire du bilan, les choses sont assez simples : Lorsque Monsieur Balladur est arrivé au Gouvernement, la récession était la première, depuis 18 ans, de cette importance : moins 1,4 %. Lorsqu’il est parti, la croissance était de 3 %. Lorsque nous sommes arrivés, il y avait 40 000 chômeurs de plus par mois. Sur les 8 derniers mois où il était Premier ministre, le chômage a reculé.

Si la question que vous me posiez était de savoir si je pense toujours qu’Edouard Balladur était un bon Premier ministre ? Je persiste et je signe. Il ne reste pas moins que succéder à deux septennats socialistes, c’est pire que de succéder à un septennat socialiste.

Mme Sinclair : Prenons l’exemple des déficits. Les déficits publics, c’est vrai, ont augmenté pendant la durée de 93 à 95. Est-ce qu’aujourd’hui, il fallait les réduire… Ah non, vous n’êtes pas d’accord avec cela ?

M. Sarkozy : Cela dépend. Les chiffres sont très clairs. Quand je suis arrivé au Ministère du Budget, le déficit était de 343 milliards. Quand je suis parti, il était de 275 275, c’est trop ! Il me semble que 275, c’est moins que 343.

Mme Sinclair : On parlera des déficits sociaux tout à l’heure.

M. Sarkozy : On peut en parler aussi. Quand nous sommes arrivés, ils étaient de 100 milliards. Quand nous sommes partis, ils étaient de 50. C’est trop, mais c’est moins.

Mme Sinclair : D’abord, les déficits.

1. – Faut-il les réduire ?

2. – Ne regrettez-vous pas de ne les avoir pas davantage réduits entre 93 et 95 ?

M. Sarkozy : C’est une question beaucoup plus difficile. Et je ne suis pas sûr d’avoir la réponse définitive si tant est qu’elle existe. La question n’est même pas de savoir s’il faut réduire les déficits. Il me semble que personne ne viendra à votre micro pour dire : il faut laisser prospérer les déficits. La question, c’est : A quel rythme ? Ni trop, car on tue le malade. Le but n’est pas de faire sortir la France morte et guérie à la fois. Et comment ? Par l’augmentation des impôts ou par la réduction des dépenses.

Mme Sinclair : Une question peut-être sur le rythme, parce que vous dites : A quel rythme ? Le rythme, hélas ! on le connaît. Dans trois ans, en 99, il faudra que le déficit soit ramené à 3 %. Donc le rythme, il est donné par cette échéance ou alors l’échéance n’est pas acceptée.

M. Sarkozy : Non, pour moi, le rythme est donné par un élément très simple : celui qui consiste à tout faire pour ne pas casser la croissance. Car vous aurez beau augmenter les impôts, si la croissance est brisée, il n’y aura pas d’augmentation de recettes. Et pour les hommes qui nous gouvernent aujourd’hui comme pour nous hier, l’objectif majeur doit être celui qui consiste à préserver la croissance. Car sans croissance, rien n’est possible, ni les réformes, ni la réduction du déficit.

Mme Sinclair : Je vais vous poser la question différemment : vous disiez, vous-même, pour réduire les déficits, c’est simple, ou bien il faut augmenter les recettes, ou bien il faut diminuer les dépenses. Trouvez-vous que ce Gouvernement fait l’un ou l’autre de manière satisfaisante ?

M. Sarkozy : D’abord, il fait ce qu’il peut et je sais trop combien c’est difficile pour, aujourd’hui, donner des leçons. Bref, je sais trop combien – quand on est au Gouvernement – on a des problèmes. Je n’ai pas la solution miracle. Et c’est aussi difficile pour eux aujourd’hui que cela l’était pour nous hier. Donc, il faut un peu de tolérance et de compréhension.

Il n’en reste pas moins que je suis préoccupé, je vais prendre deux exemples : Quand vous augmentez de 10 % le taux de l’impôt sur les bénéfices des sociétés, vous pouvez escompter avoir une augmentation de 10 % des recettes fiscales. Ce n’est pas ce qui se produit. Car le niveau d’imposition en France est tel qu’on ne peut plus les augmenter.

Mme Sinclair : On saura plus tard ce que donnera cette imposition de 10 %.

M. Sarkozy : On le sait dès aujourd’hui où il y a révision à la baisse des prévisions.

Quand vous augmentez de 2 points la TVA, il n’est pas sûr que vous ayez 2 points de plus de recettes. Car il me semble que trop d’impôts tuent l’impôt.

Mme Sinclair : Tiens ! Cela me rappelle quelque chose.

M. Sarkozy : Oui, quoi ?

Mme Sinclair : Une déclaration de Jacques Chirac pendant toute la campagne électorale.

M. Sarkozy : Eh bien, vous voyez que je ne suis pas si éloigné de lui.

Eh bien, il me semble que la seule solution, aujourd’hui, c’est la réduction des dépenses. Car, dans l’augmentation des impôts, on prend le risque majeur de casser la croissance.

Mme Sinclair : Où réduit-on les dépenses ?

M. Sarkozy : On va prendre des exemples : quels sont les deux premiers postes budgétaires de l’Etat ? La Défense et l’Education nationale. Je ne mésestime pas la difficulté d’assurer la sécurité de la France, mais je dis que le débat sur le montant nécessaire des dépenses militaires n’a pas été mené à son terme aujourd’hui.

Prenez un exemple : il y a 44 bases aériennes en France. Dans un pays qu’on traverse avec les derniers Mirage 2000 de l’Armée de l’Air, les Mirage 2000-5, en 20 minutes. Ne peut-on pas poser la question de savoir si ce n’est pas trop ?

Mme Sinclair : Vous savez ce que les gens seraient tentés de vous dire : Mais que n’allez-vous fait quand vous étiez au Gouvernement en demandant à François Léotard de réduire un certain nombre de ces bases militaires ?

M. Sarkozy : Nous ne sommes restés que deux ans. Je n’ai pas dit que tout ce qu’on avait fait était parfait et qu’on avait pu résoudre tous les problèmes. Si simplement je n’avais plus le droit de rien dire parce que j’ai été deux ans au Gouvernement, alors, pardon, de m’avoir invité.

Prenez l’affaire de l’Education nationale, c’est passionnant aussi. C’est normal qu’on mette davantage d’argent pour former les jeunes. Mais on crée des postes de fonctionnaires et d’enseignants, y compris dans les niveaux, je parle du primaire, où le nombre d’enfants diminue.

J’appartiens à un département où il y a la Faculté de Nanterre. J’ai été étudiant à Nanterre. J’ai été enseignant à Nanterre et j’ai même été administrateur de Nanterre. Tout le monde se plaint que les locaux sont trop exigus. Mais, pardon ! Pourquoi la Faculté n’est-elle ouverte que cinq mois dans l’année ?

Savez-vous que les obligations des professeurs qui enseignent à Nanterre, c’est six à huit heures par semaine. Ce qui était parfaitement compréhensible quand il y avait une petite partie d’une classe d’âge qui avait le droit d’aller en faculté, devient épouvantable quand chaque jeune qui a le bac a le droit d’aller en faculté.

Il n’y a pas d’autre espérance ou d’autre avenir pour nous que la réduction des dépenses qui permettra la baisse des prélèvements obligatoires.

Mme Sinclair : Ce qui est reproché à la politique économique actuelle, ce qu’on reproche au Gouvernement, c’est de ne pas vraiment choisir sa ligne. Est-ce le reproche que vous lui feriez ?

M. Sarkozy : Non, je ne lui ferai pas ce reproche de ne pas choisir la ligne. Mais, au contraire, je lui demanderai d’être cohérent avec cette ligne qu’il affiche de réduction de déficits.

Mme Sinclair : Question complémentaire : Peut-on aujourd’hui, de front, mener une politique sociale active et une politique financière rigoureuse ?

M. Sarkozy : Oui, parce que je n’entends pas qu’on puisse me dire que parce que c’est une dépense sociale, on n’a pas le droit, même, de poser la question de l’utilité de l’argent investi.

Avez-vous lu le dernier rapport de la Cour des Comptes ? Extraordinaire ! 25 % des crédits de la Ville ne sont pas utilisés. Et lorsque Alain Juppé dit que l’on doit se poser le problème de l’utilisation des fonds pour le RMI ou de l’indemnisation pour les chômeurs, que cela doit être consacré aux vrais chômeurs, je dis, au nom même de ceux qui ont besoin de la solidarité nationale, qu’on doit pouvoir mener tous les débats sans aucun tabou.

Mme Sinclair : Et quand vous dites : Il faut que ce Gouvernement cohérent avec… avec quoi ? Avec ses promesses…

M. Sarkozy : Prenez l’exemple de l’assurance-vie. Je vais participer au débat sur le Budget. Je ne vais pas gêner le Gouvernement et en aucun cas mon successeur, ce ne serait pas bien, mais j’ai des fortes convictions.

Quand on dit sur l’épargne, il y a trop d’épargne parce qu’elle est trop bien rémunérée, c’est une erreur, me semble-t-il. Il y a trop d’épargne parce que les gens font une épargne de précaution pour leur retraite demain ou pour le risque au chômage.

Mme Sinclair : Ça, c’est sur la motivation de l’épargne.

M. Sarkozy : Sur la motivation de l’épargne.

Mme Sinclair : L’assurance-vie, ce dont vous vous voulez parlez, ce sont les retraites complémentaires…

M. Sarkozy : … Ce sont les 7 millions de contrats d’assurance-vie qui disposaient d’une petite prime de défiscalisation. Je comprends que le Gouvernement veuille revenir sur cette prime, mais à une seule condition…

Mme Sinclair : Les 7 millions ne seront pas touchés. Vous êtes d’accord ? Ce n’est pas rétroactif. Ces contrats-là ne bougeront pas.

M. Sarkozy : Oui, ils avaient l’occasion, chaque année, de les reconduire, compte tenu de la petitesse des sommes en cause.

Je dis simplement que si on veut revenir sur un avantage, cela veut dire que l’on élargit l’assiette. Eh bien, si on élargit l’assiette, on doit diminuer le taux de l’impôt, sinon on ne doit pas supprimer cet avantage. Autrement dit, la logique du combat de la Majorité, c’est d’élargir l’assiette pour diminuer le poids de l’imposition. On ne peut pas supprimer des avantages sans diminuer le poids de l’imposition. Ça s’appelle quoi ? Mettre les choses en perspective.

Mme Sinclair : Cela veut dire que vous êtes d’accord avec les projets du Gouvernement d’une vaste réforme fiscale, justement, avec l’idée que plus de gens paient l’impôt, que l’assiette soit élargie et que les taux soient diminués ?

M. Sarkozy : Plus de gens paient l’impôt, vous savez, on a l’impression de dire qu’on va faire payer les petits. Je connais bien cet argument. Or, aujourd’hui, les niches fiscales profitent essentiellement aux gros, par ailleurs. Les choses sont très claires. On parlera tout à l’heure du débat social. Moi, je ne voterai l’augmentation de la CSG que s’il y a une vraie maîtrise des dépenses. Nous ne pouvons plus continuer dans un système où on désespère ceux qui prennent des initiatives, ceux qui travaillent, ceux qui créent de la richesse.

Bien sûr qu’il faut s’occuper des exclus, mais les exclus, Anne Sinclair, ne seront pas plus heureux si, demain, ceux qui travaillent, qui prennent des initiatives, qui prennent des risques, qui produisent de la richesse en France, sont désespérés. Le poids de l’imposition est tel dans notre pays qu’on ne peut plus l’accepter. Il est insupportable.

Mme Sinclair : Vous allez voter la loi de finances malgré ce que vous avez dit sur l’assurance-vie ?

M. Sarkozy : Mais bien sûr que je vais voter la loi de finances. Enfin, qui comprendrait que j’ajoute à la confusion, alors que je suis député de la Majorité, et de refuser au Gouvernement ce Budget. Mais, vous savez qu’avant de venir chez vous, j’ai été voir le Premier Ministre pour parler avec lui de ces sujets. Je ne veux pas prendre les choses d’une manière déloyale. Le Premier Ministre, lui-même, a indiqué qu’il était ouvert aux amendements. Et la Majorité, ça sert à cela, à savoir parfois se faire écouter.

Mme Sinclair : On va parler de la Majorité, de politique, vous en fournissez la transition, dans une seconde.

Mme Sinclair : Reprise de 7 sur 7 avec Nicolas Sarkozy.

On va dire deux mots de politique tout de même. Est-ce que ce Gouvernement est un bon Gouvernement ? Ou y-a-t-il une autre politique possible que la politique Juppé ? Je ne sais pas, moi, une politique Madelin, une politique Séguin…

M. Sarkozy : … Je ne suis sans doute l’une des personnes les plus mal placées pour juger ce Gouvernement parce que tout ce que je dirai sera jugé à l’aune d’une rancœur personnelle ou d’une situation personnelle.

Mme Sinclair : Sauf si vous dites : C’est un très bon Gouvernement.

M. Sarkozy : Tout à l’heure, je vous ai dit que je voulais faire de la politique librement et quand j’emploierai la langue de bois, je vous le dirai. Mais je crois qu’il faut, c’est normal, c’est une question de décence, s’interdire de porter un jugement.

D’ailleurs, lorsque j’étais au Gouvernement, je jugeais sévèrement l’attitude de certains députés de la Majorité qui nous critiquaient sans mesure. Et je me suis juré à ce moment-là d’essayer de ne jamais leur ressembler.

Mme Sinclair : On parlerait de la situation économique tout à l’heure. Le franc a été attaqué sérieusement ces derniers jours. Pour vous, est-ce une péripétie ou est-ce une perte de confiance dans la France ?

M. Sarkozy : J’espère que c’est une péripétie, mais je voudrais dire aussi le poids que fait peser sur notre monnaie le fait qu’n France, à l’inverse de la plupart des autres grand pays européens et mondiaux, la monnaie est trop souvent un enjeu du débat politique. Cela fragilise notre monnaie.

Mme Sinclair : Vous avez l’impression que c’est toujours le cas ?

M. Sarkozy : Dès qu’’il y a des difficultés, il y a la résurgence de la fameuse autre politique basée sur une monnaie faible et un décrochage du S.M.E., c’est contraire aux intérêts de notre économie, aux intérêts des chômeurs. Il n’y a aucune possibilité à attendre d’une politique de facilités monétaires. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si le pays d’Europe qui compte le moins de chômeurs est le pays d’Europe qui a la monnaie la plus forte, je veux parler de l’Allemagne et du mark.

Mme Sinclair : La popularité du Président de la République et du Premier Ministre a subi un sérieux coup de torchon ces dernières semaines, c’est-à-dire une baisse très rapide en, finalement, assez peu de temps. Quelle est votre analyse ? Et, à votre avis, pourquoi ?

M. Sarkozy : Je crois qu’il y a deux raisons :

La première, c’est que c’est difficile de gouverner dans tous les pays et en France, notamment. Et c’est difficile parce qu’il y a beaucoup d’impatience, il y a une très forte médiatisation. Et c’est difficile pour eux, mais ce serait d’autres, cela le serait tout autant.

Et la deuxième raison, me semble-t-il, c’est bien sûr le décalage entre les espérances nées d’une campagne et la réalité qui est forcément plus difficile. Et c’est très compliqué pour un homme politique.

Mme Sinclair : Vous êtes d’accord avec Pierre Méhaignerie quand il dit : « Ce n’est pas la pensée qui est unique, c’est la réalité » ?

M. Sarkozy : Bien sûr, il y a une réalité, elle est incontournable. Et, moi, je n’ai pas résolu ce problème : comment être un homme politique qui trace des perspectives, et donc qui fait rêver et qui donne de l’espérance, sans en même temps oublier que nos concitoyens sont beaucoup plus lucides qu’on le croit, qu’ils ont beaucoup plus de mémoire qu’on ne l’imagine ? Et que, par conséquent, on a tout intérêt à leur dire la vérité. Ce n’est pas si simple. C’est plus facile à expliquer qu’à faire.

Mme Sinclair : L’annonce par Alain Juppé de son prochain déménagement, est-ce que cela devrait, à votre avis, dégonfler l’affaire politico-judiciaire dans laquelle il est pris ?

M. Sarkozy : Je comprends que ce soit une épreuve pour Alain Juppé. Vous savez, je suis très décontracté dans cette affaire parce que je connais Alain Juppé depuis très longtemps et nous n’avons pas été toujours d’accord sur tout, mais je peux dire vraiment que si la Justice française n’a à s’occuper que d’affaire de cette nature, alors, on pourra sortir tranquillement dans nos rues. Je suis très frappé par la démesure qu’a pris cette affaire. Et je puis dire, pour connaître depuis très longtemps Alain Juppé, que son honnêteté est parfaite.

Mme Sinclair : Est-ce que de cette affaire et de la situation économique générale, le Premier Ministre sort affaibli, à votre avis, de manière passagère ou durable ? Auquel cas est-ce que cela pose un problème ?

M. Sarkozy : Il fait tout simplement l’expérience du fait que, comme il le disait lui-même, être Premier Ministre, ce n’est pas un boulot facile, et cela le sera de moins en moins.

Je veux tout de même dire quelque chose : il faut faire très attention parce que la situation des hommes de gouvernement, qu’ils soient de Gauche ou de Droite, devient de plus en plus complexe. Et même pour la politique, le couple infernal, dérision-suspicion, commence à peser sur les épaules des hommes politiques comme jamais dans l’Histoire de notre pays.

Mme Sinclair : Que proposez-vous ?

M. Sarkozy : Je dis que cela devient de plus en plus difficile, qu’il y a une mesure en tout, et qu’on ne peut pas mettre la démesure partout. J’ajoute qu’on peut rire de tout, voyez-vous, mais je ne pense pas que la démocratie a forcément à gagner à l’abaissement systématique, au nivellement systématique et à la décrédibilisation systématique.

Mme Sinclair : Vous disiez : Etre Premier ministre, ce n’est pas un boulot facile. Etre Président du RPR, est-ce un boulot facile ? Alain Juppé va être Président du RPR, c’est : tous derrière et lui devant ?

M. Sarkozy : Non, moi, je le soutiendrai. D’abord, faut-il un Président au RPR ? Oui, car sinon on donnerait l’impression que Jacques Chirac, qui est Président de la République, est en même temps Président du RPR, ce ne serait pas une bonne chose.

Et deuxièmement, parce que je trouve qu’Alain Juppé est un candidat naturel, dont je me sens proche de ses convictions.

Mme Sinclair : Vous étiez en Avignon avec la Majorité parlementaire. Elle a le blues ou pas ?

M. Sarkozy : C’est normal que des parlementaires soient inquiets. C’est normal qu’ils se fassent l’écho des inquiétudes de nos compatriotes et des impatiences de nos compatriotes…

Mme Sinclair : … Mais quatre mois après une élection largement gagnée, n’est-ce pas un peu rapide pour avoir le cafard ?

M. Sarkozy : Franchement, je n’ai jamais pensé qu’une élection pouvait résoudre tous les problèmes et qu’il suffisait de se présenter aux élections pour ne plus avoir de soucis. Cela, on peut nous faire beaucoup de reproches, mais pas celui d’avoir tenu un discours qui était parfois rugueux, sans doute trop rugueux.

Mme Sinclair : A propos de vous, c’est-à-dire les balladuriens, va-t-il y avoir un courant balladurien ? Est-ce que vous vous réunissez entre vous ? Allez-vous faire entendre ou pas votre différence ? Ce soir, j’entends bien la musique que vous jouez, qui n’est pas une musique facile, qui est de liberté de parole, vous avez dit, et néanmoins de soutien assez clair au Gouvernement…

M. Sarkozy : … Et pourquoi pas une musique facile ? Il s’agit simplement pour moi de dire ce que je pense, sans calcul et sans mesure.

Je suis dans la Majorité, nous n’allons pas faire de parti politique nouveau, ni de courant, pour la raison simple, c’est que cela ajouterait à la confusion. Si les choses allaient très bien, notre devoir serait de soutenir le Gouvernement. Comme elles ne vont pas forcément très bien, c’est encore plus impérieux de notre part. Mais « soutenir » ne veut pas dire silence. « Soutien » ne veut pas dire acceptation de tout. J’ai donné un certain nombre d’exemples où nous nous battrons de l’intérieur du RPR pour faire avancer les choses, pour que le Gouvernement écoute sa Majorité. Le Gouvernement a besoin de sa Majorité. Nous, nous soutenons le Gouvernement mais il faut qu’on sache travailler ensemble.

Alors, ce n’est pas simple, oui, parce que les choses sont de moins en moins simples. Eh bien, plus ça va, plus je pense qu’il faut être pragmatique. Plus je me méfie des idéologies et d’esprit de système. Je vous ai dit : c’est une des leçons que j’ai tiré de l’échec. Peut-être n’est-ce pas la seule ? Mais celle-là je l’ai profondément ancré. Et je ne viens pas ici à la télévision pour dire : si on avait été à leur place, on aurait forcément fait tout mieux. C’est difficile.

Mme Sinclair : On va parler de la situation sociale et, en tout cas, de la situation de la Sécurité sociale qui est le grand sujet de la semaine et de l’automne d’ailleurs. Comment sauver la Sécu ? Petite histoire d’une dame qui nous est chère, et ce n’est pas seulement un jeu de mots, depuis 50 ans.

Zoom :

Reportage.

Mme Sinclair : J’accueille une femme d’influence, Nicole Notat qui est Secrétaire général de la CFDT.

Les 50 ans de la Sécurité sociale, je le disais, entraînent une mobilisation générale : celle de la CFDT, on a vu des images au stade Charléty hier ; celle du Président de la République, il s’est porté garant de la Sécurité sociale ; celle du Gouvernement qui appelle à un large débat.

Je crois que ce n’est peut-être pas la peine de revenir sur le constat sur lequel tout le monde s’accorde : Ça ne peut plus durer comme ça sinon la Sécurité sociale explose. J’aimerais savoir quelles sont vos pistes, à vous ? La Sécu est-elle sauvable ? Et à quel prix ?

Mme Notat : Heureusement qu’elle est sauvable. C’est d’ailleurs le grand choix que nous avons à faire dans les semaines qui viennent si le Gouvernement va au bout de ses annonces. Elle est sauvable car c’est un choix de Société. Ou bien la Sécu est maintenue, c’est-à-dire que tous les gens, tous les Français sont sûrs, quand ils vont voir un médecin ou qu’ils vont à l’hôpital, d’être bien soignés. Les retraités non seulement d’aujourd’hui mais ceux de demain sont sûrs d’avoir une retraite décente, et puis les familles vivent dans la tranquillité pour élever leurs enfants. C’est ça le choix de la Sécu et c’est le choix de Société de fond.

Donc, cela, il faut le préserver. Il ne faut pas régresser et c’est la raison pour laquelle il faut réformer. C’est la raison pour laquelle vous ne trouvez pas la CFDT du côté de ceux qui ne veulent rien bouger.

Mme Sinclair : Justement, je voudrais vous interroger sur les projets du Gouvernement, savoir ce que vous en pensez, qui sont d’un prélèvement proportionnel sur tous les revenus par l’intermédiaire notamment d’une CGC qui serait étendue à l’ensemble des revenus et qui prendrait la place des cotisations sociales.

Mme Notat : J’ai pris connaissance des propos du Gouvernement mais à ce stade je vais veiller à ne pas les commenter car j’ai cru comprendre que nous étions dans un débat et pas encore dans la phase de décision du Gouvernement. Donc, moi, je respecte cette phase et je vais vous dire quelles sont mes propositions. Je verrai à la fin si le Gouvernement nous rejoint.

Mes propositions sont claires. Elles sont, en tout premier lieu, un problème de financement. Il faut, par exemple, pour l’assurance-maladie – prénoms cet exemple…

Mme Sinclair : … C’est la Branche la plus déficitaire.

Mme Notat : La Branche la plus déficitaire aujourd’hui. Il faut élargir le financement de la Sécurité et de cette Branche à tous les revenus. Pourquoi ? C’est simple. Les Français savent bien aujourd’hui, en particulier les salariés, que les cotisations reposent sur les seuls revenus du travail, mais tout le monde doit avoir droit à une assurance-maladie de qualité, à un accès aux soins égal pour tous et à des soins corrects. Donc, il faut que tout le monde le finance. Mais il ne faut pas financer la cotisation maladie, puis encore en plus un autre mode de financement, il faut passer de la cotisation maladie à la contribution sociale généralisée sur tous les revenus…

Mme Sinclair : … C’est-à-dire que la CSG prenne la place qui était prévue d’ailleurs au départ…

Mme Notat : … Des cotisations des salariés, mais qu’en plus elle s’élargisse à tous ceux qui ne paient pas aujourd’hui. Et je pense, en particulier, en premier lieu, bien sûr, il y aura les salariés, il y aura les pensions, mais il y a aussi des gens qui touchent à travers du capital, à travers une épargne, à travers des obligations, à travers beaucoup d’argent qui rentre dans leur porte-monnaie, eh bien, je ne vois pas pourquoi ces gens-là ne devraient pas payer, eux aussi, au financement de ces dépenses. Et les entreprises aussi, sur une autre base que les revenus du travail, mais elles ne sont pas exonérées.

Mme Sinclair : Je vais vous donner connaissance de la question posée par SOFRES pour ce soir :

- Souhaitez-vous qu’à l’avenir le financement de la Sécurité sociale continue d’être assuré par les cotisations sociales, système actuel : 58 %
- Ou soit de plus en plus assuré par une hausse de la CSG qui touche tous les revenus avec, par ailleurs, une diminution des cotisations sociales : 36 %
- Sans opinion : 6 %

Donc, il y a une forte majorité pour qu’on ne modifie pas le mode de financement actuel de la Sécurité sociale, sans doute parce qu’ils craignent que la CSG augmentée ne s’ajoute à leurs prélèvements au lieu de prendre la place des cotisations.

Mme Notat : C’est-à-dire qu’ils ne craignent pas, ils ont l’expérience que, à chaque fois qu’il y a un problème à la Sécurité sociale, on augmente la cotisation, on fait un peu moins de remboursements et, au total, à nouveau, tout le monde est perdant. Cela doit changer. Il faut expliquer…

Mme Sinclair : … C’est pour vous dire que vous avez sûrement un besoin d’explication car, visiblement, les Français n’adhèrent pas à cette mécanique.

Mme Notat : Je voulais dire que je les comprends qu’ils ne veulent pas que tout cela se rajoute. Il s’agit bien de substituer à la cotisation actuelle une contribution que les salariés ne seront plus seuls à payer.

Mme Sinclair : Si les projets – je dis bien « si » - du Gouvernement allaient dans le sens de ce que vous dites, et apparemment ce sont des projets qui sont annoncés comme tels, et si on arrivait au terme du débat avec un vrai projet allant dans ce sens-là, est-ce que vous le soutiendriez ?

Mme Notat : Evidemment, comme nous avons soutenu la CSG à l’époque, comme nous avons soutenu toutes les mesures qui vont dans le bon sens.

Mais je voudrais dire sur ce point, par rapport à ce qu’a annoncé le Président de la République, le discours du Président de la République, je dirais, est sans ambiguïté, il est d’une grande netteté, d’une grande clarté sur la défense de la Sécurité sociale, il va même dans des orientations où peut-être on ne l’aurait pas naturellement attendu là, surtout quand on a entendu ses propos de campagne électorale – mais tant mieux ! cela veut dire que ce Gouvernement a le sens de l’adaptation – simplement, expérience faite, j’ai un peu envie d’attendre pour voir si la voie tracée par Jacques Chirac va exactement être celle que le Gouvernement va poursuivre. Parce que je suis un peu « chat échaudé craint l’eau froide ».

Je me dis : « Mais Elisabeth Hubert, cette dame qui, au demeurant, raisonne très bien sur la Sécurité sociale, nous l’avons vu, quel grand écart elle doit faire, quand je me souviens de ses propos, il n’y a pas si longtemps d’ailleurs, je crois que c’était sous le Gouvernement précédent…

Mme Sinclair : … Elle ne faisait pas partie du Gouvernement précédent.

Mme Notat : Non, elle était à l’Assemblée. Et où maintenant elle va devoir aller dans ce registre-là. Mais je pense aussi à la manière dont on montre du doigt les RMIstes qui seraient des fraudeurs, etc. Tout cela n’est pas très bien dans la lignée de ce que le Président vient de dire, donc j’attends !

Mme Sinclair : Question supplémentaire avant de demander ce qu’en pense Nicolas Sarkozy : comment allez-vous associer à ce débat réclamé par tous et en tout cas réclamé par le Gouvernement, ce débat général ?

Mme Notat : C’est peut-être là qu’il faut innover. Et je dirais que les conditions dans lesquelles ce Gouvernement va s’apprêter à prendre des décisions, en admettant qu’il aille dans le non-sens et qu’il aille au bout de cette réforme, parce que jusqu’à maintenant toutes ces réformes ont avorté, il faut bien le dire ! On a eu les états-généraux, on a eu le Livre blanc de Michel Rocard, on a eu beaucoup de rapports, mais on n’a jamais été jusqu’au bout, sauf une réforme assez à la hussarde sur les retraites faites par Edouard Balladur qui a laissé, disons-le, quelques traces. Donc, moi, je pense qu’il faut changer de méthode.

Il faut changer de méthode et je me demande si le moment n’est pas venu que, finalement, ce texte, ce discours prononcé par Jacques Chirac, est-ce que François Mitterrand, est-ce que Lionel Jospin, dans sa campagne, n’aurait pas tenu ou prononcé ce même ce discours ?

Mme Sinclair : Vous appelez à une forme d’union nationale pour sauver la Sécu.

Mme Notat : J’ai donc la conviction que pour aller au bout d’une réforme d’une aussi grande importance dans l’intérêt des Français, je le dis bien, pour avancer, pour garantir le progrès, pas pour reculer, régresser, eh bien, il faut effectivement dépasser les clivages traditionnels. Et j’ai peut-être le sentiment que ce n’est pas impossible parce que, aujourd’hui, à Gauche comme à Droite, les gens qui raisonnent, les gens qui réfléchissent, ont avancé les mêmes propositions.

Mme Sinclair : Nicolas Sarkozy, un mot peut-être de réaction là-dessus. Seriez-vous d’accord avec la démarche proposée par Nicole Notat ? Etes-vous d’accord sur les pistes qu’elle suggère ? Vous êtes contre la CSG élargie, vous l’avez dit tout à l’heure.

Nicolas Sarkozy : S’il s’agit de dire qu’i faut sauver la Sécurité sociale, s’il n’y avait pas la Sécurité sociale, la France ne supporterait pas le nombre de chômeurs qu’elle supporte aujourd’hui, et on aurait eu des explosions qui auraient coûté autrement plus cher.

Mme Sinclair : On est tous d’accord.

Nicolas Sarkozy : Il y a une seule chose qui me gêne et sur laquelle je ne suis pas d’accord, c’est que le problème de la Sécurité sociale n’est pas d’abord un problème de recettes, il faut parler de la maîtrise des dépenses et sur l’assurance-maladie, être précis. Le budget de l’assurance-maladie, c’est environ 600 milliards de francs, 52 % de ce Budget, 320 milliards de francs, c’est l’hôpital. On ne s’en sortira pas sans qu’il y ait une réforme de l’hôpital et sans qu’on ferme un certain nombre de lits d’hôpitaux.

Quand je pense qu’on parlait de sauver un service de chirurgie ou de chirurgiens qui opéraient une fois par semaine, ce n’est pas possible. Donc, oui, pour parler de nouvelles pistes de recettes, à condition qu’avant on fasse des économies et qu’on maîtrise la dépense.

Deuxième point, je suis pour évoquer l’élargissement de la CSG à d’autres revenus mais je trouve que c’est très dangereux d’imaginer, de transférer les cotisations sociales sur la CSG car c’est le même contribuable, figurez-vous. De même lorsqu’on parle de l’épargne comme ça, l’épargne pour 95 % des Français, c’est le produit du travail. J’aime bien aussi l’idée d’assurance. Les cotisations pour votre assurance, la CSG pour la solidarité et l’IRPP pour faire fonctionner l’Etat. Cela a le mérite de la clarté.

Mme Sinclair : Un mot de réaction, peut-être.

Mme Notat : Un mot de réaction parce que l’on n’ait pas ce faux débat : moi, je dis, Monsieur Sarkozy, être bien soigné demain, avoir une bonne retraite, cela coûtera à la Société française, il ne faut pas raconter d’histoires. Mais ce n’est pas parce que cela coûtera qu’il faut n’importe quoi avec l’argent de la solidarité. Je suis aussi pour maîtriser les dépenses de santé. Il y a des gaspillages, il y a des manières de dépenses mieux plutôt que de dépenser comme on dépense. Tout cela, oui, mais attention de ne pas opposer les deux objectifs. Pour ce qui nous concerne, nous les concilions et nous pensons que c’est de cette façon-là que les Français, effectivement, accepteront les efforts de solidarité pour ceux qui seront confrontés à des efforts de solidarité. Car il y en a qui ont déjà donné, ce n’est pas sur les mêmes, toujours, qu’il faut ponctionner et faire faire les efforts.

Mme Sinclair : Voilà, on a commencé à engager le débat…

Nicolas Sarkozy : … Puis-je prendre juste un exemple sur l’allocation-dépendance…

Mme Sinclair : Très court.

Nicolas Sarkozy : L’allocation-dépendance, il y a deux façon de la financer :

Il y a l’impôt payé par tout le monde.

Puis il y a la question qui se pose : Est-ce que ceux qui bénéficieront de l’allocation-dépendance et qui peuvent payer seront mis en contribution par le biais de l’assurance ? C’est un système qui m’intéresse.

Mme Notat : Vous savez bien que oui, Monsieur Sarkozy, puisque nous avons cette prestation qui, enfin, va arriver, je l’espère, dans de bonnes conditions, sera sous condition de revenus. Donc, elle va être financée pour ceux qui n’auront pas les revenus suffisants de pouvoir à domicile être aidés où aller en hébergement.

Mme Sinclair : Nicole Nota, je voudrais qu’on dise un mot de la grève d’après-demain, de mardi, déclenchée notamment par le gel de l’augmentation de la rémunération des fonctionnaires. Etait-ce si scandaleux de dire comme l’a fait le Gouvernement, « chacun son tour, on ne peut pas pour tout le monde en même temps » ?

Mme Notat : Dans ces conditions-là, oui. Car premièrement, je ne crois pas aujourd’hui, je suis même sûre que les fonctionnaires ne sont pas des gens qui sont tous trop payés et qui ont tous eu des augmentations individuelles importantes. Je pense, par exemple, aux postiers aujourd’hui, je pense aux gens qui travaillent dans les Télécoms dont, récemment, l’opinion publique a dit que c’était la première et bonne entreprise de France. Bref, je pense à tous ces gens à l’hôpital ou ailleurs. C’est clair que, non, les fonctionnaires, tous les fonctionnaires ne sont pas trop payés.

Deuxièmement, ce Gouvernement a franchi la ligne jaune. Les prendre comme boucs émissaires comme il a fait… enfin, Jacques Chirac annonçant que la fiche de paie, c’était aussi le feuille d’impôts, mais c’est une provocation ! Cela veut dire : « Messieurs et Mesdames, si vous payez beaucoup d’impôts, c’est parce que vous avez les fonctionnaires à payer ». Eh bien, oui, l’Etat employeur doit payer ses fonctionnaires.

Mme Sinclair : N’avez-vous pas le sentiment que, dans une grande partie de la population, les gens ont le sentiment que les fonctionnaires, eux, ont la garantie de l’emploi ? Et on retrouve un vieux débat auquel vous aviez d’ailleurs participé qui était le problème du salaire et de l’emploi.

Mme Notat : Oui, justement, c’est pour cela qu’au lendemain de la grève, il faudra que la négociation s’ouvre et qu’elle s’ouvre pas seulement sur les salaires, mais qu’elle s’ouvre aussi sur l’emploi.

Puis la garantie de l’emploi, moi, je vais vous dire : Si le progrès social pour demain si, dans le secteur privé, c’est la précarité généralisée pour tout le monde, je dis aux chefs d’entreprise : Attention, vous allez avoir besoin de gens. Plus vous allez leur demandez d’efforts, plus vous allez demander de mobilité, plus vous allez avoir besoin de gens qui sont garantis dans leur emploi, alors, par des formes différentes de la fonction publique. Mais nous n’allons pas à 180° de ce qui existe dans la fonction publique.

Mme Sinclair : Qu’attendez-vous de la grève de mardi puisque le Gouvernement a dit qu’il ne reculerait pas ?

Mme Notat : Qu’elle soit suivie, parce que je crois que ce sera un coup de semonce pour le Gouvernement…

Mme Sinclair : … Et dans quel objectif ? Coup de semonce.

Mme Notat : Et dans l’objectif que le Gouvernement comprenne que, quand on ouvre une négociation, il n’y a pas d’abord une position unilatérale une position figée qui ne pourrait plus évoluer pendant la négociation. Je souhaite donc que le ministre de la Fonction publique, dans l’honneur et sans que le Gouvernement se mette à genoux, mais qu’en tout cas la négociation puisse se dérouler dans de bonnes conditions et sur des sujets qui touchent la précarité de l’emploi. L’emploi, l’organisation du travail, les CES, la précarité dans la Fonction publique et le volet salarial.

Mme Sinclair : Merci, Nicole Notat.

Nicolas Sarkozy, un mot peut-être aussi sur cette grève d’après-demain.

Nicolas Sarkozy : Tout simplement il ne faut pas considérer les fonctionnaires comme des boucs émissaires et tous, loin de là, ne sont pas des privilégiés. Mais, franchement, dans notre pays qui connaît le chômage que nous connaissons, avec 3 millions de personnes au chômage, que le Gouvernement dise : « on ne fera pas évoluer la masse salariale de la Fonction publique au-delà de 3,2 % en plus », cela me paraît un choix raisonnable que je soutiens.

Mme Sinclair : On va se quitter sur ce désaccord.

Nicolas Sarkozy : Dans cette affaire, la modération salariale, me semble-t-il, est la seule possible, mais il faut faire attention que les mots ne blessent pas.

Mme Sinclair : Merci, Nicole Notat. Merci Nicolas Sarkozy.

Dimanche prochain, je recevrai Lionel Jospin qui va être élu Premier Secrétaire du Parti socialiste. Je recevrai aussi le couturier, Karl Lagarfeld, avec Claudia Schiffer.

Dans un instant, le journal de 20 heures de Claire Chazal.

Merci à tous. Bonsoir.