Texte intégral
Date : 1er décembre 1995
Source : Le Figaro
Des défilés massifs et des protestations témoignent de l’indignation des Français devant un double langage et une maladresse qui frôle parfois le mépris. Comment s’étonner des refus qui se multiplient devant les projets de prélèvements supplémentaires du gouvernement, alors que le candidat Jacques Chirac avait promis de ne pas augmenter les impôts ? Comment ne pas comprendre leur colère devant un plan imposé pour réformer un système de soins qu’on prétendait tantôt ne pas vouloir toucher ? Les Français détestent qu’on se moque d’eux. Ils n’aiment pas les injonctions trop cassantes, ni les passages en force. Ils souhaitent la négociation avec les partenaires sociaux. Sur l’assurance maladie en particulier.
Le plan Juppé mérite pourtant qu’on y revienne, tant l’urgence est grande d’agir pour que cessent les hausses des cotisations accompagnées de baisse des prestations et pour maintenir l’égalité de tous les Français devant les soins.
D’abord le financement. On fera donc payer aux contribuables et aux assurés sociaux le fruit des dérobades gouvernementales devant un corps médical feignant trop souvent de parler au nom des patients. On fera payer la dérive des comptes que niait le candidat devenu président, avec une sollicitation toute particulière pour les retraités et les chômeurs. Quel funeste retour de bâton de la part du « chirurgien » de la fracture sociale.
En revanche, le recours à la CSG plus ou moins modifiée pour assurer l’essentiel du financement ne me paraît pas condamnable. Mais elle doit s’accompagner d’une baisse des cotisations sociales. Et quelle ironie du sort pour une droite qui ne trouvait pas de mots assez durs pour s’opposer à la CSG lorsque le gouvernement Rocard l’institua. On s’étonne aussi que les mesures d’économie demandées au secteur de la santé ne s’appliquent pas en 1995, alors même que la dérive des dépenses y est la plus forte. Puisse cette omission ne pas préparer des capitulations futures lorsqu’il s’agira d’appliquer les mécanismes annoncés.
Second volet du plan : la régulation des dépenses de santé. Le gouvernement propose de confier au Parlement le soin de fixer le budget « santé » de la nation. Il ne faudra pas fixer seulement les chiffres, mais aussi les choix et les directions de prévention et de santé publique. Cette idée, que je défends depuis plusieurs années, est essentielle. La politique de santé doit être débattue par la représentation nationale. Il ne s’agit pas d’étatiser, certes non, mais de réformer et de réguler. Et pourquoi ne pas soumettre, comme je l’ai déjà proposé, la révision constitutionnelle nécessaire à cette grande réforme au référendum ?
Voilà un beau débat de société, un vrai débat politique. Nous en avons besoin tant la confusion est grande, tant il nous faut retrouver le sens du dialogue sur ce sujet majeur que trop de blocages, trop de clichés, obscurcissent.
D’autres mesures, longuement attendues, concernant l’hôpital. La présidence du conseil d’administration n’en sera désormais plus confiée au maire. L’équilibre des soins y gagnera. Le financement proposé de l’hospitalisation, décliné par enveloppe régionale, appelle quelques remarques. Il ne permettra la restructuration autour des centres d’excellence du système hospitalier qu’à la condition doit être réalisé sur la base médicale.
Si la réforme permet de prendre en compte l’activité réelle des établissements et les besoins de services de proximité notamment pour la médecine et la prise en charge des personnes âgées, alors pourront se conjuguer maîtrise des dépenses et qualité des soins.
Enfin, le gouvernement reprend ma proposition de régulation automatique des dépenses de médecine de ville. Je ne peux que m’en réjouir au nom de l’égalité de soins et d’accueil indispensable devant la maladie. A nous d’être vigilants pour ne pas voir en 1996 le gouvernement s’incliner devant les lobbies puissants du secteur si ces mécanismes sont mis en application. Il en va de la pérennité de notre système d’assurance maladie, et tout renoncement dans ce domaine rendrait intolérables les mesures de financement décidées qui irritent tant nos concitoyens.
La régulation automatique des dépenses est en effet la clef de voûte du plan. Elle est indispensable pour tenir les comptes mais aussi pour éviter que l’on se jette l’anathème sur les professionnels de santé chaque fois qu’une dérive est constatée. Et qu’on ne prétende pas que cette régulation porte atteinte à la qualité des soins. Elle en assurera au contraire l’égalité. D’autres pays tout aussi attachés à la santé de leur population la pratiquent. Qui fera croire, de plus, que la consommation médicale est optimale quand elle enfle au seul énoncé des promesses pendant la campagne présidentielle. Cette inflation électorale des dépenses n’est d’ailleurs pas à l’honneur de notre médecine.
Revenons, après cette journée de grande manifestation, sur les polémiques qui ont entouré les déclarations de certains leaders syndicaux ou politiques. Saluons, au passage, le courage de Nicole Notat. Sa conception de l’intérêt national et de l’intérêt des hommes et des femmes de notre pays, un par un exposés peut-être à la maladie, honore son syndicat et honore l’esprit de progrès.
Il n’y a aucune honte pour un homme ou une femme de gauche à affirmer que certaines réformes de structure annoncées par le gouvernement vont dans le bon sens lorsqu’elles reprennent les idées que l’on a toujours défendues, promues et parfois mises en œuvre.
On ne fait pas davantage d’opposition systématique en critiquant les modalités de financement retenues et en déplorant le retard dans la prise de décision. Et nous n’aborderons même pas ici les menaces sur les retraites ou sur la fiscalité future. Pas plus que la régionalisation nécessaire, ni le cœur d’un débat qui se dérobe : les pauvres doivent-ils payer le même prix que les riches pour des soins distribués équitablement ?
Il s’agit simplement de faire de la politique avec son cœur et sa raison, de ne pas renoncer à ses convictions lorsqu’elles gagnent du terrain, de ne pas les renier parce que d’autres les reprennent.
Dire les choses simplement est encore la meilleure façon de contribuer aux débats de société, de faire avancer notre pays. Nous n’éviterons pas ces réflexions et ces affrontements nécessaires. Et la gauche le sait qui se tait bruyamment.
Une opposition autant que constructive demeure une nécessité démocratique.
Date : 1er décembre 1995
Source : France Inter
Q. : Vous notez la maladresse du gouvernement mais vous soutenez toujours le plan Juppé de réforme de la Sécurité sociale ?
R. : Avant d’en parler, je voudrais dire que je dénonce le prix de l’injustice qu’on fait payer, la présentation brutale, un calendrier impossible. Surtout, on a tellement promis à toutes les catégories. Voilà que brutalement on leur impose des choses sans dialogue. Je condamne tout cela mais il est vrai que dans le plan Juppé sur l’assurance-maladie – et pas sur son financement parce qu’il y a encore injustice… Or on a besoin d’être acceptable et équitable et solitaire. Sur les propositions concernant l’assurance-maladie, il y a tellement de propositions reprises de nos travaux et de nos avancées qu’on ne peut pas changer d’avis au moment où on a fait triompher un certain nombre de ces idées. La généralisation du système, par exemple. Après avoir fait pour les biologistes, pour les cliniques privées des enveloppes limitatives qui pourraient faire coïncider les dépenses et les recettes, on ne va pas dire le contraire. On en a besoin pour le pays.
Q. : On ne voit pas très bien ce que la gauche a à dire sur le sujet. Pourquoi ce manque de clarté ?
R. : Que la gauche ait déposé une motion de censure, avec ce qui se passe dans le pays, ça me paraît la moindre des choses. C’est très bien. Il faut que les gens réfléchissent à l’état d’exaspération, d’incompréhension et de solitude de chacun d’entre nous face à ce pouvoir difficile et brutal. Mais sur l’assurance-maladie, un certain nombre des propositions est valable. Un système qui permettrait de ne pas avoir à faire face à un trou permanent et faire payer, comme toujours, les plus pauvres pour combler de trou chaque année, nous avions proposé ce système. Il est dans le plan Juppé, il faut en parler et il faut sans doute les mettre en œuvre.
Q. : C’est pour ça que vous saluez le courage de N. Notat ?
R. : Non seulement je salue son courage, mais aussi les propositions qui ont été faites et qui allaient toutes dans le même sens, à savoir préserver ce qui est essentiel à mes yeux, l’égalité de tous les Français devant les soins. Si on ne le fait pas maintenant, on aura une inégalité plus grande et on aura mis à bas notre système qui était l’un des meilleurs du monde.
Q. : Que faut-il faire maintenant pour sortir de ce blocage ?
R. : Nous avons dénoncé pendant très longtemps les promesses fallacieuses faites par le candidat Chirac. Voilà que le langage a changé brutalement. En six mois, on fait exactement le contraire et vous me demandez de me mettre à la place du Premier ministre. A sa place, vous savez ce que je ferais ? J’arrêterais tout et je dirais brutalité zéro, nous allons commencer de parler.
Q. : Ça veut dire que le débat de société ait lieu ?
R. : Oui, mais pas dans ces conditions. Regardez l’addition des corporatismes – discutables un par un – se fait alors que chaque semaine, il a lancé des mesures brutales sans les avoir préparées. C’est le contraire du débat. On croirait des débutants. Il ne suffit pas d’avoir des diplômes ; il faut aussi voir de l’humanité et de l’imagination. On croirait vraiment que les faux débats avaient lieu le temps de préparer un plan qu’on imposait immédiatement et par-dessus le débat. Je crois qu’on a pris les Français pour des gens peu cultivés, peu politiques et finalement des ballots. Je crois que les Français le leur reprochent.