Déclaration de M. Philippe Séguin, président de l'Assemblée nationale, sur les raisons de la crise parlementaire, les relations entre le pouvoir législatif et l'exécutif et la réforme constitutionnelle, Paris le 14 décembre 1995.

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Circonstance : Déjeuner organisé à l'occasion du centenaire de la Revue politique et parlementaire, le 14 décembre 1995

Texte intégral

Je suis particulièrement heureux et honoré que les Amis de la République française et M. de Kermoularia m’aient demandé de m’exprimer, à l’occasion de ce centième anniversaire de La Revue politique et parlementaire. Et, qui plus est, sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur : le Parlement.

Car je crois au Parlement. Et cette foi qui m’anime n’est, soyez-en sûrs, en rien circonstancielle. Elle n’a rien d’intéressé. Elle n’est pas maligne. Elle n’est pas faite d’arrière-pensées. Je n’ai pas attendu d’être président de l’Assemblée nationale pour acquérir la conviction que le Parlement devait avoir une place centrale dans le concert institutionnel.

Pourquoi une telle conviction ?

D’abord parce que tant l’Histoire que l’actualité nous démontrent que l’existence d’un Parlement qui joue un rôle actif et réel est le seul vrai critère de la démocratie.

Des gouvernements, il en a toujours existé, il en existe partout, il en existera toujours. Ce n’est donc pas, si j’ose dire, le bon critère.

Des parlements, il peut en exister tout autant, qui aient les apparences les plus nobles et les plus flatteuses. Vous en trouverez dans les tyrannies les plus classiques, mais aussi dans ces nouvelles formes très perverses de régime autoritaire où le pouvoir du peuple est confisqué par la technostructure – une technostructure assez habile pour conserver, afin de mieux s’en jouer, tous les rites de la vie parlementaire. Car il ne suffit pas que le Parlement soit librement élu. Encore faut-il savoir quels sont ses moyens d’action véritables, quelle est l’influence réelle qu’il peut exercer.

En réalité, pour qu’il y ait démocratie, il faut aussi et avant tout, que le Parlement soit une enceinte respectée et souveraine, participant effectivement et directement, au nom du peuple, à l’exercice de la puissance publique.

Telles sont les évidences dont l’Histoire et l’actualité nous portent témoignage, et je n’en veux pour preuve que les articles si denses et si riches qui ont marqué, au fil des années, les colonnes de La Revue politique et parlementaire. Il y a cent ans, lorsque la revue fut créée, la République était enfin installée dans notre pays. Elle avait résisté victorieusement aux tentatives de restauration monarchique, évité le piège du boulangisme, conjuré les effets les plus dévastateurs de l’antiparlementarisme. Certes, les divisions et les guerres devaient la mettre à nouveau à l’épreuve, mais l’essentiel était acquis et survivrait : l’esprit républicain dominait désormais nos institutions, il était devenu la marque de notre système politique. Et le Parlement en constituait le cœur.

Le sujet qui devait le plus souvent inspirer les réflexions de la revue pendant un siècle, sous la direction d’hommes aussi différents qu’Edouard Julia, avant-guerre, ou Edouard Bonnefous dans les années soixante, c’était précisément la recherche constante de la meilleure conciliation possible entre l’impératif d’autorité et d’efficacité, qui s’impose au gouvernement, et la nécessité du débat public et du contrôle de l’action gouvernementale, qui ne peut appartenir qu’à l’institution parlementaire.

Notre histoire politique et constitutionnelle aura ainsi été marquée par cette difficile recherche. La IIIe, puis la IVe République ont malheureusement dérivé du régime parlementaire vers le régime d’assemblée, condamnant fréquemment à l’impuissance le gouvernement de la France, avec les effets redoutables que cette impuissance a pu produire notamment face aux tensions internationales, face aux guerres. En poussant à leur paroxysme certaines perversions du régime parlementaire, cette évolution hypothéquait gravement l’avenir…

Certes les constituants de la Ve République sont parvenus à instaurer un nouvel ordre institutionnel, qui mettait au premier plan le principe d’autorité et d’efficacité, tout en organisant, dans le cadre d’un parlementarisme rationalisé, de véritables moyens d’action pour le Parlement. Mais une dérive inverse à celle que l’on avait naguère observée s’est produite, entraînant, de l’avis général, un effacement du rôle du Parlement qui n’était pas – du moins pas dans ces propositions – dans les intentions du constituant.

Ce qui prouve à quel point le fonctionnement de la République est délicat : elle ne doit pas redevenir cette « femme sans tête », à qui ses adversaires reprochaient d’être inapte à l’exercice de l’autorité. Mais la recherche de l’efficacité maximale ne doit pas non plus priver la représentation nationale de son rôle éminemment démocratique.

Mais n’allons pas plus loin : il nous faut sortir de cette dialectique ancienne, de ce conflit incessant et auto-entretenu qui oppose depuis des décennies le « législatif » à « l’exécutif ». Un tel schéma me paraît, à dire vrai, dépassé. Il a trop longtemps tenu prisonnier, tel un nœud insoluble de contradictions, notre débat politique et constitutionnel. Le vrai problème est celui de l’harmonie entre les pouvoirs, non de cette vaine recherche d’un équilibre improbable où les pouvoirs s’épuisent mutuellement…

Tant il est vrai que la véritable crise du parlementarisme que nous observons aujourd’hui ne se limite pas à la France, ne tient pas à sa seule histoire politique et constitutionnelle.

Cette crise est générale.

Alors même que la cause démocratique a partout progressé, alors même que, parallèlement et naturellement, des parlements nouveaux émergent, et se voient reconnaître des prérogatives qui leur étaient jusqu’ici interdites, il est clair que cette crise ne touche pas seulement les vieilles démocraties : elle est tout aussi réelle chez leurs cadettes. Certes la frénésie législative rendue nécessaire par la mise en place d’un droit radicalement nouveau peut donner l’illusion du pouvoir aux jeunes parlements. Pour autant, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la crise y est déjà clairement perceptible.

Cette crise, à quoi tient-elle ?

J’en vois trois causes principales.

Elle tient d’abord et essentiellement au fait que la complexité croissante des décisions à prendre, l’internationalisation chaque jour plus grande des problèmes à résoudre, la nécessaire rapidité qui doit commander l’action, se sont traduits par une montée, apparemment inéluctable, des exécutifs. Des exécutifs, dont il est piquant de constater qu’ils se retrouvent souvent eux-mêmes, pour les mêmes raisons, contournés, dominés, quand ils ne sont pas manipulés par un nouveau pouvoir, celui de la technocratie, c’est-à-dire un pouvoir technicien qui tend à s’imposer en s’appuyant à la fois sur des contraintes qu’il estime être seul à même d’apprécier, et sur la connaissance de réalités techniques dont il se juge l’unique détenteur.

Du coup, la Chambre n’est souvent qu’une antichambre, la plupart des élus se trouvant réduits au rôle de gardiens de la fidélité des suffrages. Tout au plus la chambre assure-t-elle la sélection de quelques-uns d’entre eux pour l’accomplissement de plus hautes destinées.

Ainsi s’explique que la majeure partie des députés soit appelés à s’occuper, en priorité, de leurs circonscriptions tandis que l’Assemblée est, pour les autres – quelques autres –, un genre de purgatoire, de centre de perfectionnement, voire même de redressement, préalable obligé avant d’atteindre au nirvana présumé de l’exécutif. C’est assez dire qu’on attend surtout des parlementaires, selon les cas, de la patience ou de la résignation et même une certaine complaisance…

Le deuxième facteur explicatif de la crise tient à l’erreur commise par le Parlement, qui s’obstine encore trop souvent à vouloir concurrencer le gouvernement sur des terrains qui relèvent inévitablement de ses prérogatives, au lieu de chercher à se délimiter un domaine propre, où son influence pourrait pleinement et effectivement s’exercer.

La comptabilité dérisoire des propositions de loi donne la mesure de cet entêtement. Comme si leur proposition par rapport aux projets émanant du gouvernement pouvait donner la réelle mesure de sa contribution.

A s’entêter à courir après une maîtrise complète, ou même partagée, de l’ordre du jour législatif, le Parlement, en vérité, s’égare. Et ignore où doit le conduire l’évolution récente, s’il entend réellement la maîtriser – en l’occurrence le contrôle et le débat…

Situation d’autant plus regrettable que le Parlement, les parlements se sont surtout illustrés, ces dernières décennies, par leur incapacité à renouveler leurs méthodes. C’est le troisième facteur explicatif de la crise.

Si un député de la Monarchie de Juillet revenait sur terre, il est un seul endroit en France, où il ne se sentirait pas dépaysé : c’est l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Le décor est le même, les méthodes de travail, le mode d’expression, l’organisation des discussions y sont restés étonnamment figés.

Or, les rites parlementaires hérités de cette époque s’inscrivaient dans un contexte publique et social particulier, qui était celui du suffrage censitaire. L’opinion publique proprement dit se limitait alors à quelques milliers, au plus quelques dizaines de milliers de personnes, largement accessible au langage parlementaire et à ses codes. Curieusement, le système s’est prolongé sous la IIIe République en un temps, il est vrai, où les pères fondateurs étaient aussi ouverts et attentifs aux besoins et aux aspirations du peuple que méfiants vis-à-vis de ses comportements : ils n’étaient donc pas mécontents d’un ésotérisme dont ils étaient, par la force des choses, les médiateurs incontournables…

Mais, que vaut un tel langage, que vaut une telle organisation à l’heure où l’opinion épouse les dimensions du peuple – sans se confondre avec lui – et où les nouveaux médias audio-visuels jouent le rôle que l’on sait ?

Pour aller au plus simple, comment un parlement peut-il se faire entendre, quand, dans le meilleur des cas, un grand débat sera relaté, à la télévision, en une minute trente seconde – commentaire du journaliste inclus –, et lorsqu’un discours de deux heures ou deux heures trente se réduira, au mieux, à un extrait de trente secondes, extrait, dont le choix sera, au demeurant, le plus souvent discutable ?

On en arrive au comble de l’incommunicabilité, au sens le plus antonionien du terme…

Et la situation ne cesse de se dégrader. Gardant l’illusion qu’une coupure du Journal officiel reproduisant leur intervention est susceptible d’impressionner leurs électeurs, les élus entrent trop souvent dans les débats comme dans un « self-service », ignorant souvent ceux qui les y ont précédés, ignorant plus encore ceux qui lui suivront. De là, cette impression fâcheuse que l’on ressent, et qui aggrave encore les dérives observées, d’entendre les mêmes arguments inlassablement repris…

Comment s’étonner, dès lors, que le débat politique transhume vers les médias audiovisuels, et que les ministres leur réservent la primeur de leurs décisions et de leurs idées ? Comment s’étonner que la confrontation des points de vue ne trouve plus d’autre lieu pour s’exprimer ?

Si l’on songe, de surcroît, à l’amplification donnée par les médias aux sondages, dont ils dénaturent d’ailleurs la portée, si l’on songe à l’écho assourdissant qu’ils réservent au moindre soubresaut de la rue, on en arrive, convenons-en, à un bien curieux processus de décision.

Un processus qui tue la confrontation des projets pour donner la primauté aux slogans, aux jugements à l’emporte-pièce.

Un processus qui privilégie le superficiel, l’émotionnel, au détriment du rationnel.

C’est assez dire, je pense, que la restauration du Parlement n’est pas une revendication corporatiste. Elle ne se résume pas non plus à une exigence démocratique – ce qui suffirait pourtant à la justifier. Elle est bien plus que cela : elle est une nécessité vitale si l’on souhaite que les décisions nécessaires à l’évolution harmonieuse de notre société soient effectivement mises en œuvre, c’est-à-dire admises, c’est-à-dire préalablement expliquées et débattues dans la sérénité et la clarté, avec toutes les garanties d’objectivité et de sérieux désirables.

Les choses sont en effet ce qu’elles sont : le succès d’une politique, nous le savons désormais, ne repose pas que sur la détermination des gouvernants. Elle dépend, aussi, et pour une large part, du degré de compréhension, d’implication et d’adhésion des peuples.

Pour atteindre cet objectif, le Parlement est une pièce maîtresse. C’est probablement la seule.

Mais il ne suffit pas au Parlement de revendiquer. Il lui faut encore donner la preuve qu’il se met en mesure d’assumer ses propres responsabilités.

Pour cela, il doit comprendre où sont ses nouvelles responsabilités.

Elles ont nom contrôle renforcé et débat modernisé.

Le contrôle est, à mes yeux, la nouvelle priorité de tout parlement.

Contrôle de l’action de l’exécutif dans le domaine international, dans le domaine d’application de la loi, mais aussi, j’ose le dire, dans l’action législative du gouvernement.

L’autonomie législative du Parlement est aujourd’hui un leurre. A l’inverse, la législation est un des moyens d’action privilégiés du gouvernement. Il revient donc en réalité au Parlement de contrôler l’action législative du gouvernement. Par l’amendement. Par l’acceptation ou le rejet. Par le contrôle du suivi.

Ne nous y trompons pas. Il s’agit d’une véritable révolution culturelle à accomplir. Pour les parlementaires. Pour les gouvernements qui doivent se persuader qu’un acte de contrôle n’est pas forcément, ni systématiquement, un acte d’hostilité.

Et quand je parle de contrôle, je n’entends pas me limiter à la seule politique du gouvernement. Le contrôle parlementaire doit viser aussi les « bureaux ». Le contrôle parlementaire doit viser aussi l’élaboration des normes communautaires, qui ont pris une part déterminante dans notre vie nationale.

Avec le soutien du Bureau de l’Assemblée, j’ai moi-même pris, tenté d’inspirer ou contribué à faire prendre un certain nombre de mesures allant dans ce sens depuis mon accession à la présidence.

La session unique était évidemment le préalable absolu à toute action de renforcement du contrôle, la seule façon de permettre à l’Assemblée d’exercer en permanence des prérogatives qui étaient limitées, jusque-là, à l’automne et au printemps. Cette hypothèse a été levée.

Mais il fallait encore affiner les méthodes.

Désormais une séance de questions au gouvernement est organisée chaque jour de séance. Deux sont diffusées en direct sur France 3. J’ai par ailleurs imposé une limitation de durée pour les questions et les réponses, ce qui permet d’évoquer entre 12 et 14 sujets par heure, à un rythme compatible avec une bonne compréhension de la plupart des téléspectateurs.

Dans le même esprit, des mesures ont été prises pour améliorer le rythme des réponses aux questions écrites des parlementaires.

Le mode de fonctionnement des commissions d’enquête, leur rythme de travail surtout, ont été améliorés. Le rapport sur le Crédit Lyonnais a été ainsi établi en moins de deux mois. La présentation des documents parlementaires a été complètement revue afin d’être plus aisément accessible au public. Un accord a été passé avec une centaine de librairies disséminées sur le territoire pour en assurer une diffusion sérieuse.

Dans le domaine du contrôle de l’élaboration des normes communautaires, nous avons mis au point des procédures qui permettent à notre Assemblée d’examiner systématiquement tous les projets de nature législative sur lesquels notre gouvernement doit se prononcer à Bruxelles. Ainsi, je suis fier que la position française sur les services publics ait été directement inspirée par les travaux de l’Assemblée nationale. Du coup, nous avons mis en place une procédure similaire pour ce qui concerne les matières relevant des deuxième et troisième piliers de Maastricht.

J’ajouterai que l’Assemblée a voté un projet de création d’un office d’évaluation des politiques publiques, qui devrait permettre au Parlement de définir ses propres grilles d’analyse et de recourir à des moyens d’expertise qui lui appartiennent, et qui soient distincts de ceux de l’exécutif dont il était jusqu’à présent étroitement dépendant.

Cette démarche d’analyse et d’expertise ne se confond pas avec celle du contrôle : mais elle en est l’indispensable auxiliaire.

La modernisation du débat était le deuxième objectif que nous nous étions fixés avec le Bureau. Vaste ambition. Pourtant, progressivement, les moyens se mettent en place.

La réforme constitutionnelle a permis une nouvelle organisation du temps parlementaire qui permet d’espérer, à terme, tant une résorption de l’absentéisme qu’une meilleure efficacité dans le travail.

Les jours de séance sont normalement limités, désormais, au mardi, au mercredi et au jeudi. Les séances de nuit ont été supprimées. Ainsi les députés sont-ils à même de mieux répartir leur emploi du temps entre Paris et leur circonscription, et de conduire de front leurs deux activités si indissociables : car il revient autant au député d’éclairer le débat national de ses constats sur le terrain, que d’expliquer à ses mandats les tenants et aboutissants des décisions qui sont prises.

De même, la plus grande cohérence du calendrier et la restriction de l’offre peuvent-elles mieux empêcher les débats fleuves et surtout conduire à un meilleur équilibre entre les travaux en commission et les travaux en séance publique. Actuellement, pour une heure en commission, on en passe deux en séance publique – alors que le rapport inverse devrait être observé, ce qui permettrait d’éviter d’inutiles discussions techniques dans l’hémicycle…

Il reste encore à améliorer la perception de l’Assemblée par les Français.

C’est dans ce but, autant que pour contenir l’absentéisme, que j’ai rétabli le principe du vote personnel, principe battu en brèche par une mauvaise habitude séculaire.

C’est dans ce but, encore, que j’ai institué un Parlement des enfants, qui se tient chaque année dans l’hémicycle avec 577 jeunes députés issus des cours moyens deuxième année, représentant chacune des circonscriptions de la métropole et d’outre-mer. Cette manifestation couronne un programme d’instruction civique organisé avec notre concours.

La création d’une chaine de télévision parlementaire, déjà présente sur le réseau câblé, n’a pas seulement cet objectif – même si elle y concourt largement… Dans la deuxième phase, que nous préparons avec le Sénat, il ne s’agit pas seulement de continuer à diffuser en direct ou en différé (en en intégralité) nos débats. Notre propos est bien plus ambitieux, il vise à nous appuyer sur la télévision pour inventer d’autres méthodes de travail. Je n’en prendrai qu’un exemple – parmi beaucoup d’autres – parce que nous l’avons déjà expérimenté avec succès : la diffusion des auditions d’experts ou de représentants de la société civile par nos commissions spécialisées ou par des institutions ad hoc. Ainsi, les nouveaux moyens mis à notre disposition peuvent-ils être à l’origine d’un changement de méthodes, d’un changement d’images et d’un regain d’efficacité.

Car je n’oublie pas – bien sûr – le travail législatif. Les lois doivent être mieux faites et moins nombreuses. Nul n’est censé ignorer la loi, dit-on… mais qui pourrait sérieusement croire, en l’état actuel des choses, à la portée réelle de ce principe ? Il faudra donc veiller à l’avenir. Et simplifier ce qui existe. Un autre office parlementaire, chargé de codifier, devrait permettre de répondre à l’objectif.

Vous le voyez, je refuse tout net l’idée d’un déclin de l’institution parlementaire, et je rejette avec énergie toute attitude de résignation. J’ai même voulu donner à l’action de l’Assemblée une dimension internationale plus marquée, l’illustration la plus spectaculaire en étant, à l’image d’autres parlements, l’ouverture de notre hémicycle à des chefs d’Etat étrangers – le roi d’Espagne et le président des Etats-Unis étant les tout premiers hôtes de l’Assemblée nationale.

Oui, j’ai essayé de mettre en œuvre les réformes nécessaires, et je poursuivrai cette tâche avec détermination, sans jamais m’en dissimuler l’ampleur ni la difficulté. Les réflexions des juristes, des intellectuels, de tous ceux qui, à travers des tribunes comme La Revue politique et parlementaire, pourront contribuer à faire progresser les idées d’innovation, sont à cet égard très précieuses.

Trop souvent, on a identifié régime parlementaire et régime d’assemblée. Trop souvent, on a cru qu’un régime où le Parlement était fort ne pouvait être en lui-même qu’un régime faible.

Nous devons dépasser résolument ces schémas d’un autre âge, et réhabiliter le Parlement.

Jules Ferry avait tout dit, il y déjà un siècle :

« La véritable forme du gouvernement parlementaire n’est ni le conflit des pouvoirs, ni leur équilibre, qui ressemble trop à l’impuissance. C’est l’harmonie, l’harmonie qui laisse chacun son rôle, mais tout son rôle.

L’harmonie cesse où l’effacement commence. »

Il s’agit d’un enjeu majeur.

Rarement, la société a été aussi complexe. Rarement les problèmes, les contradictions ont été aussi pesants.

Alors que depuis des décennies, depuis des siècles même, l’évolution des sociétés se faisait peu ou prou sous le signe du progrès, aujourd’hui nos habitudes, nos certitudes volent en éclat. L’évolution impliquerait désormais une régression… Et pourtant, rarement il a été aussi évident que les progrès, les réformes passent par l’expression d’une volonté politique claire, résolue et pensée.

Où, mieux que dans un Parlement, une Nation peut-elle s’interroger sur ces deux questions fondamentales :
    - une « régression » est-elle inéluctable, ou peut-on changer le cours des choses ?
    - quelles sont, en conséquences, les modalités et la portée des réformes à entreprendre ?

Il nous faut donc réhabiliter, plus que jamais, le Parlement. Il faut qu’il affirme son rôle propre, loin de ces enjeux de pouvoir dépassés pour lesquels il n’a cessé, vainement, pendant un siècle, de se mesurer avec l’exécutif.

Encore faut-il qu’il s’en donne les moyens.

Nous avons bel et bien progressé dans cette voie, au point que nos efforts suscitent l’intérêt de nombreux parlements étrangers, et nous rendent, d’ores et déjà, à bien des égards, exemplaires.

Il nous faut aller plus loin, cependant.

Mais que d’obstacles, encore !

Cette idée, qui monte et s’insinue dans les esprits, selon laquelle, dans la lutte pour le pouvoir, les marchés devraient forcément l’emporter sur les peuples…

Ce scepticisme désabusé de l’opinion…

Cet antiparlementarisme, toujours virulent, et qui n’est plus l’apanage des extrêmes…

Et surtout, surtout, la résignation si compréhensible de nombres de parlementaires, de ceux qui n’y croient plus, de ceux qui n’y croient pas.

Car, de tous les défis que nous avons à relever, réconcilier tous les parlementaires avec le Parlement est sans doute le plus difficile.

Mais là est la condition du succès.