Déclaration de M. Jacques Toubon, ministre de la justice, sur le projet de réforme du régime juridique des ventes aux enchères, l'extension aux huissiers de justice du bénéfice de la loi réprimant les atteintes aux personnes dépositaires de l'autorité publique et la réforme des tarifs rémunérant les actes d'huissier hors monopole, à Paris le 14 décembre 1995.

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Circonstance : Journée de Paris de la Chambre nationale des huissiers de justice à Paris le 14 décembre 1995

Texte intégral

Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs,
Chers maîtres,

Les obligations inhérentes à la période électorale m’avaient empêché de me rendre à votre congrès national de Versailles où j’avais été représenté par mon directeur de cabinet. Je suis donc particulièrement heureux, ce matin, de me retrouver aujourd’hui au milieu de nombreux représentants de votre profession pour ces journées d’étude.

Je salue également, bien sûr, les magistrats, les universitaires, les personnalités du monde juridique et économique qui se sont joints à vos traditionnelles annuelles réflexions de fin d’année, toujours très suivies car d’une qualité constante.

La très belle célébration du cinquantenaire de votre Chambre nationale, que j’ai eu le plaisir de présider avant-hier, nous a permis de constater combien votre profession était riche à la fois d’histoire et d’atouts pour le présent et pour l’avenir.

Votre Chambre nationale est, selon les termes de l’ordonnance du 2 novembre 1945, ordonnance du général De Gaulle, la représentante de l’ensemble de la profession auprès des pouvoirs publics. Elle est souvent incarnée par la personnalité de son président et je voudrais donc, Monsieur le Président Guépin, alors que vous parvenez au terme de vos fonctions, vous dire devant tous vos pairs combien vous avez à mes yeux parfaitement joué votre rôle, celui de la Chambre nationale auprès de la chancellerie et des pouvoirs publics durant votre mandat. La réforme du tarif – nous allons en parler – a été mise en chantier et très avancée. La maîtrise en droit a été substituée à la licence pour l’accès à votre profession. Vous avez eu à défendre vos confrères contre toutes les attaques qu’ils ont eu à subir et, face à tous ces enjeux, à tous ces défis, face à des difficultés, vous avez toujours su être présent et agir au mieux et vous avez été un partenaire particulièrement précieux pour la chancellerie. Je voulais vous en rendre ce témoignage et vous en remercier, vous en dire ma reconnaissance devant tous vos confrères.

Je ne doute pas que votre successeur désigné, Maître Soulard, que je salue ici, continuera dans la même voie. Je sais qu’il est particulièrement expérimenté et je sais qu’aussi la chancellerie lui est d’ores et déjà grande ouverte pour continuer ensemble notre commun travail.

Le lieu n’est pas naturellement de se livrer à un tour d’horizon général et approfondi de l’ensemble des questions qui concernent la profession d’huissier, mais je souhaiterais plutôt, dans le cadre de ces journées d’étude, moins officiel, moins protocolaire que celui d’un congrès, réaffirmer tout simplement et sincèrement les liens de confiance, de considération et de collaboration qui sont les nôtres et qui doivent être les nôtres et saisir cette occasion pour répondre très simplement à quelques-unes de vos grandes interrogations du moment que vous avez d’ailleurs, Monsieur le Président Guépin, exprimées il y a un instant.

D’abord, vous avez dit être très attentif et même un peu inquiet à la question de la réglementation des ventes aux enchères publiques volontaires.

C’est vrai que le 15 novembre dernier, dès l’annonce de la réforme de ces ventes et du statut des commissaires-priseurs, vous avez manifesté fort légitimement votre inquiétude, vos interrogations quant aux répercussions qui pouvaient résulter de la suppression du monopole des commissaires-priseurs sur le statut des autres officiers ministériels chargés d’effectuer des ventes aux enchères publiques. Il est vrai que vous êtes directement concernés en raison de votre compétence conjointe avec vos confrères commissaires-priseurs dans ce domaine.

Ce que je peux vous dire simplement, c’est que les orientations arrêtées par le gouvernement, et c’est vrai que j’ai pris une part personnelle à ce projet de réforme depuis déjà un certain temps, tiennent à la nécessité de moderniser et de dynamiser le marché des ventes publiques volontaires et particulièrement le marché de l’art ainsi bien sûr qu’au contexte de la réglementation communautaire.

La seule préoccupation du gouvernement français dans cette affaire n’est pas de nous soumettre à quelque injonction bruxelloise que ce soit – il faut le faire naturellement, mais ce n’est pas l’objectif –, ce n’est pas non plus de mettre en cause les principes du statut de telle ou telle profession, si j’ose dire, pour faire moderne, pour faire mode, c’est tout simplement de combler les handicaps – et il est clair que le statut d’une certaine façon est un handicap en même temps que, d’une autre façon, il est une force et un atout – qui affectent dans notre pays le développement du marché de l’art et qui, affectant ce développement du marché de l’art, sont naturellement négatifs tout à la fois pour les professionnels, pour notre économie en général et pour les artistes et donc pour la culture dans notre pays, et de faire en sorte que soient adaptés les statuts professionnels considérés pour que ces handicaps soient amoindris et que le marché puisse de développer dans notre pays comme il l’a fait dans d’autres, par exemple la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis.

Mais en même temps, et je tiens à le dire très clairement devant vous comme je l’ai dit au conseil des ministres et comme je l’ai dit devant vos confrères commissaires-priseurs, le futur système devra conserver un très haut niveau de sécurité et de garantie pour les acheteurs et pour les vendeurs, c’est-à-dire un régime qui corresponde entièrement à notre tradition française, qui apporte de ce point de vue, il faut bien le dire, des garanties supérieures à ce qui se fait dans les pays étrangers.

L’ensemble – c’est la deuxième garantie que je veux vous donner – des administrations et des professionnels concernés sera associé à la réflexion qui va être maintenant très rapidement engagée puisque je suis en train de mettre sur pied et de convoquer le groupe de travail sur ce sujet. Je voulais vous confirmer que votre profession sera intégrée au groupe de travail que je vais mettre en place dans les tout prochains jours puisque les huissiers seront officiellement représentés au sein du groupe de travail, aux côtés des autres professionnels, et en particulier, bien entendu, des commissaires-priseurs.

Le groupe de travail va donc être composé, il va se mettre à travailler très vite et je souhaiterais que ses travaux me soient remis d’ici à la fin de l’année prochaine. Et, quand je dis d’ici à la fin de l’année prochaine, c’est vraiment un délai maximum, je souhaiterais naturellement que nous puissions préparer dès l’année 1996 les textes nécessaires et en particulier le projet de loi qui sera nécessaire.

Donc, de ce point de vue, d’une part nous n’allons pas faire n’importe quoi et nous conserverons les réglementations et les garanties qui sont conformes à notre tradition et qui sont désormais, mais nous ferons en sorte que cela ne constitue pas des obstacles pour le développement du marché et de l’économie des ventes, et, d’autre part, tout ceci sera préparé en collaboration étroite avec vous comme avec les autres professionnels concernés.

Quant à l’inquiétude – deuxième sujet – de votre profession à l’égard des exactions commises par les membres de la soi-disant CDCA, et notamment ce qui s’est passé récemment à Bordeaux, je voudrais simplement dire que ma position est très claire, je l’ai d’ailleurs dit en public : de tels comportements sont indignes dans un Etat de droit et dans une société démocratique.

Lors de votre dernier congrès à Versailles, au mois de juin dernier d’ailleurs, Alexandre Benmakhlouf, mon directeur de cabinet, vous avait transmis en mon nom un message ferme et sans équivoque à cet égard. On ne peut tolérer qu’une organisation invite ses adhérents à violer la loi et remette en cause l’exécution des décisions de justice par des violences perpétrées à l’encontre de votre profession.

Vous savez que le ministère de la Justice, en liaison avec les autres administrations concernées, a pris d’ailleurs les mesures législatives qui s’imposent pour combattre de tels agissements.

Sur le plan civil, je tiens à rappeler le renforcement des sanctions d’inéligibilité aux chambres de commerce et de métiers (c’est la loi du 31 juillet 1991), ainsi que les dispositions qui prévoient la nullité des contrats d’assurance souscrits par des personnes non à jour de leurs cotisations (c’est la loi du 31 décembre 1993).

Dans le même esprit, la loi portant diverses mesures d’ordre social du 4 février 1995 a institué une solidarité pécuniaire entre les adhérents fautifs de la CDCA et les compagnies d’assurances concernées, dont les agents pourront être condamnés à assumer personnellement la charge financière des cotisations impayées.

Sur le plan pénal la chancellerie, confirmant ses instructions antérieures, a adressé aux parquets généraux (c’était mon prédécesseur, Pierre Méhaignerie) le 28 mars 1993, une circulaire invitant les procureurs de la République à veiller à une application déterminée et rigoureuse de la loi pénale. La loi d’amnistie, à ma demande, a exclu de son champ de tels agissements. Au surplus, le projet de loi tendant à renforcer la répression du terrorisme et les atteintes aux personnes dépositaires du l’autorité publique, chargées d’une mission de service public, sera très prochainement examiné, c’est-à-dire la semaine prochaine, jeudi prochain, à l’Assemblée nationale, et il prévoit des dispositions qui s’appliqueront naturellement aux huissiers en tant que dépositaires de ces missions de service public.

Je crois donc que nous avons, sur cette situation très grave, à la fois très clairement pris position et réagis comme il convenait, et naturellement je le ferai et, quand je dis « je », il est clair que ce que je dis, je le dis au nom du Premier ministre et du gouvernement tout entier, je pourrais même dire au nom du Président de la République, car il a eu l’occasion de s’exprimer sur ce sujet au sein du conseil des ministres, je n’en dirai pas plus mais je peux vous dire qu’il a évoqué cette question. Vous supposez bien qu’il ne l’a pas fait pour expliquer que ces comportements étaient parfaitement louables et qu’il fallait les encourager.

Troisième point : la réforme tarifaire.

Cela a été naturellement l’un des grands sujets de cette année et, comme je le disais, Monsieur le président Guépin, l’un des grands travaux de votre présidence. Le souhait de votre profession est naturellement parfaitement légitime de ce point de vue car la clarté, la modernité du nouveau tarif sont naturellement tout à fait indispensables pour l’avenir. Je vais donc vous annoncer ou vous confirmer qu’après de nombreux mois de négociation avec le ministère de l’Economie, de dossier du nouveau tarif est en passe d’aboutir.

Je dois dire que dans une affaire fort longue et complexe, nous devons beaucoup à la grande qualité, à la constance de la participation de la Chambre nationale et ses représentants ont apportée dans ce travail, ainsi qu’à votre esprit d’ouverture, mais aussi, je dois le dire, au travail constant de mes propres services de la direction des affaires civiles et du Sceau.

Il nous reste maintenant, sur un dossier et sur un nouveau tarif qui est donc prêt, qui a donc été définitivement élaboré, à saisir, comme vous l’avez dit, Monsieur le président, successivement le Conseil de la concurrence puis le Conseil d’Etat. J’espère que ces différentes étapes ne ralentiront pas outre mesure un processus désormais bien engagé, en tout cas nous ferons le nécessaire avec mon cabinet et avec la direction des affaires civiles pour que ces étapes naturellement indispensables et substantielles, puissent être accomplies très vite.

Voilà pour les sujets d’actualité que vous avez évoqués, Monsieur le président, mais je voudrais simplement dire de manière plus générale, et pour terminer, que votre contribution dans l’ensemble de l’œuvre de justice et de travail de réforme que je me suis engagé à accomplir au ministère de la Justice, sera là aussi essentielle et indispensable.

Je voudrais, par exemple, citer la mission de réflexion dont j’ai investi le président Jean-Marie Coulon, président du tribunal de Nanterre, et qui concerne, vous le savez, la modernisation et la simplification des procédures civiles, commerciales, sociales, etc. Il est clair que les huissiers auront un rôle très important à jouer dans ces réflexions car ils sont au cœur aussi de ces procédures.

Je pense également à l’aboutissement des travaux sur la mise en place d’une communication télématique performante entre les juridictions, les auxiliaires de justice et les professionnels du droit et de la justice, question qui naturellement pose des problèmes techniques mais aussi des problèmes déontologiques et juridiques ardus. Ce n’est qu’ensemble que nous pourrons les résoudre au mieux et au plus vite, car nous devons faire vite dans ce domaine, et je dirai que, souvent, j’ai constaté que les professions étaient dans ces domaines plus avancées que la chancellerie et les juridictions elles-mêmes.

Nous avons donc besoin de vous, nous avons besoin de notre énergie et de votre intelligence pour préparer cet avenir qui est fait de technique et qui, j’en suis persuadé, dans les dix ou vingt années qui viennent, changera considérablement la manière avec laquelle on rendra la justice et la relation entre les justiciables et l’instruction judiciaire.

Je pense aussi, quand je parle de l’avenir, à tout ce que vous faites en matière de formation qui est par excellence l’investissement et le pari sur l’avenir, car il s’agit d’impulser un constant mouvement vers plus de qualité, donc vers plus de réussite et plus de développement pour votre profession, et je ne saurais trop de ce point de vue vous féliciter d’avoir fait progresser considérablement dans votre métier les formations, initiales et continue, théoriquement et pratique, ainsi que les niveaux de qualification requis pour l’accès à votre profession. Vous donnez d’ailleurs de ce point de vue un exemple qui, à mon sens, doit être généralement suivi.

Vitalité technique, juridique au service de la justice et des citoyens, sens du service public, exigence renouvelée de déontologie au service des hommes, voilà le visage de l’huissier de justice d’aujourd’hui.

Vous rendez vous aussi, Mesdames et Messieurs les huissiers, la justice. Vous la rendez au quotidien, en intervenant en amont du procès que votre intervention contribue dans bien des cas à éviter. Vous contribuez à son bon déroulement tout au long de la procédure, par la transmission exacte et fidèle des actes et par votre présence aux audiences. Vous contribuez enfin, et peut-être surtout, à son effectivité en aval puisque, sans vous, les décisions de justice resteraient lettre morte.

Et, si je dois vous convier à un grand enjeu pour l’avenir, je voudrais qu’autour de votre profession l’on réfléchisse, comme j’ai demandé à mes propres collaborateurs d’y réfléchir, à un plan ambitieux pour mieux garantir la mise en œuvre des jugements et des arrêts. Quelques réformes ont, en effet, été engagées à cet égard dans le passé, mais trop souvent encore le justiciable se retrouve seul avec son jugement pour engager un nouveau combat, long et difficile, qui est celui de le faire appliquer.

Le cinquantenaire a été l’occasion d’un retour aux sources de votre profession pour y puiser une force renouvelée, la force de l’expérience et de la tradition, mais aussi la force des projets et de l’innovation. C’est le destin de votre profession, c’est celui de tous les acteurs de l’œuvre de justice.